Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale

 Epreuves-et-liberation

Par précaution, des mesures d’internement ou d’assignation à résidence, en dehors de Casablanca, furent prises contre les plus bruyants : les Juifs marocains, naturalisés anglais, susceptibles de créer une agitation dans la communauté juive. Avec le risque que cela ne rejaillisse par ricochet sur la population musulmane, comme s’en inquiétait le chef de la Région de Casablanca ? «Le problèmejuif est un des problèmes politiques qui se posent dans la Region, en raison de l’importance numérique et économique des Israélites et de l’influence qu’ils exercent sur les Musulmans. »

C’est ainsi, par exemple, que l’homme d’affaires Salomon Benadi fut assigné à résidence à Oulmès et Sydney Benaïm à Settat, puis à Fès. Pour éviter une telle assignation à résidence ou même un internement, un des notables de Meknès, Eliezer Berdugo, si fier jusque-là de sa protection anglaise, avait évité en 1940 de s’adresser au consulat anglais pour en renouveler la validité.

Les sentiments pro-anglais de la population juive, datant déjà du siècle dernier, avaient été encore plus renforcés par l’héroïsme de l’Angleterre qui continuait seule la guerre contre l’Allemagne. Le journal d’extrême- droite Le Soleil du Maroc ne se privait pas de s’en plaindre :

« Les indigènes Israélites paraissent acquis au mouvement anglophile. Persuadés que leur salut ne saurait venir que de 1’Angleterre, ils se font les propagandistes de la collusion avec ce pays. On fait des prières dans les synagogues pour sa victoire… » (30 août 1940)

Dans son rapport du 23 juillet, le Résident général Noguès aboutit à la même analyse, occultant toutefois qu’elle n’était valable que pour la mince élite de Casablanca puisque la masse de la population juive se tenait éloignée de toute activité à caractère politique :

« La propagande anglaise, soutenue dans l’ombre par les Israélites, redevient active et cherche en particulier à agiter à Casablanca où elle s’attache à gagner les milieux d’affaires liés par des intérêts à la Grande-Bretagne et à semer le trouble et la division dans la jeunesse. »

Pressé d’imiter les Allemands, avant d’en recevoir immanquablement l’ordre, le gouvernement Pétain charge, en septembre, les ministres de l’Intérieur et de la justice, Peyrouton et Alibert, de préparer en hâte la version française des lois de Nuremberg.

Là, se place une anecdote tragicomique, spécifiquement marocaine, que rapporte Robert Assaraf dans son livre, Mohammed V et les Juifs du Maroc à l’époque de Vichy :

« Il n’est jusqu’à l’entourage immédiat du sultan qui n’ait eu des convictions chancelantes. Ainsi le Grand Vizir El Mokri – qui avait été, il est vrai, imposé à Sidi Mohammed Ben Youssef par la France — avait cru bon de donner des conseils au ministre des Affaires Etrangères français Paul Baudoin qui raconte, dans ses mémoires, la visite que lui rendit elMokri, le 25 septembre 1940 :

« Il attire mon attention sur la prospérité de certains israélites. Il me donne une leçon charmante : avant le Protectorat, les Juifs mettaient une vingtaine d’années pour acquérir une grande fortune. Ils en jouissaient dix ans et à ce moment, une petite révolution survenait qui mettait leur fortune par terre. Les Juifs recommençaient à s’enrichir pendant trente ans pour aboutir finalement à la confiscation de leurs biens excessifs. Maintenant que le Protectorat existe, nous craignons que ce rythme trentenaire soit interrompu. Le Protectorat dure depuis vingt-huit ans ? il nous reste deux ans pour confisquer la fortune des Israélites, suivant la règle séculaire qui me paraît sage… »

Le Statut des Juifs

Rapidement, est élaboré le Statut des Juifs, adopté par le gouvernement Pétain, le 3 octobre 1940, et publié au Journal Officiel de l’État Français, le 18 octobre. Sans aller aussi loin que son modèle allemand, il adoptait pourtant d’emblée, la définition raciale et non religieuse de l’appartenance au peuple juif : " celui ayant trois grands-parents de race juive ou deux grands-parents de la même race si son conjoint lui-même est juif Mais l’objectif proclamé est identique ? mettre fin « à la domination de la pieuvre de la ploutocratie juive internationale » en éliminant progressivement les Juifs de la vie nationale et en les mettant au ban de la société française. Le Statut français écartait les Juifs de la fonction publique, des mandats électifs et de toutes les professions susceptibles d’influencer l’opinion — de l’enseignement à l’information, en passant par les arts, le cinéma, la radio et la presse.

Le Statut fut immédiatement et automatiquement étendu à l’Algérie, en tant que prolongation de la France au-delà de la Méditerranée mais avec une discrimination supplémentaire cardinale : l’abrogation du décret Crémieux de 1870, octroyant en bloc la nationalité française aux Juifs algériens. C’était la réalisation de l’objectif fondamental du mouvement antisémite algérien depuis 70 ans et le coup de grâce porté au rêve des élites juives francisées du Maroc, qui s’étaient bercées de l’illusion, jusqu’au début des années 1930, d’une prochaine naturalisation collective ou au moins individuelle facilitée. Paradoxalement, les Juifs originaires du Maroc, naturalisés en Algérie, étaient cette fois mieux lotis, ils conservaient la nationalité française, ne l’ayant pas acquise par la grâce du décret Crémieux.

«A Fès, beaucoup de Juifs d’Algérie demandent des extraits de naissance pour faire preuve qu’ils sont fils d’étrangers. S’ils l’obtiennent, ils sont alors déclarés français et échappent aux conséquences de l’abrogation du décret Crémieux. Mais comme les ascendants de ces Juifs étaient nés au Maroc où il n ’existait pas alors d’état-civil, les preuves sont difficiles à fournir. »

Les Services de Renseignements étaient particulièrement attentifs aux échos de cette mesure révolutionnaire, dans la population marocaine. Ainsi à Oujda, à la frontière algérienne, ils signalaient que l’abrogation avait été accueillie, avec satisfaction, par la population française

׳ bien que considérée comme tardive, elle aurait dû intervenir dès la fin de la guerre 1914-1918. Ce retard fait penser qu ’elle a été inspirée par les autorités allemandes, ce qui amoindrit son effet moral. Très vive satisfaction par contre dans les milieux algériens musulmans… »

« A Rabat, en ce qui concerne les Israélites marocains, il résulte que l’abrogation du décret Crémieux ne les a pas autrement touchés et ils laissent entendre qu’ils ne désirent qu’une chose : demeurer les sujets de Sa Majesté le sultan. » 

Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale page 93

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