Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale- Vers l'application au Maroc

Epreuves-et-liberation

Vers l'application au Maroc

Si les clauses du Statut furent immédiatement et presque automatiquement applicables aux Juifs de nationalité française et étrangère habitant en Tunisie et au Maroc, le même automatisme ne pouvait s’appliquer aux Juifs indigènes des Protectorats de Tunisie et du Maroc qui avaient conservé leur souveraineté en matière législative. De plus, la France s’était engagée au Maroc à ne pas porter atteinte aux institutions locales et les Juifs, comme sujets personnels de Sa Majesté le sultan, ne relevaient pas de sa juridiction. Mais les autorités de Vichy n’en avaient cure et, aveuglées par leur antisémitisme fanatique, voulaient transférer leur fantasme au Maroc, sans se rendre compte de l’anachronisme de leur analyse de la question juive au Maroc, calquée sur la France. Ainsi, par exemple, pour justifier l’extension au Maroc de la législation antisémite de Vichy, le journal de Casablanca La Vigie Marocaine publiait, le 18 novembre 1940, un article au titre apparemment rassurant ?” Le Juif doit vivre au grand jour « Nos lois sur les Juifs ne datent que de l’armistice, pourquoi ? En vertu de deux contrecoups heureux du désastre ? l’avènement d’un gouvernement vraiment national et la levée de l’hypothèque juive sur nos institutions. Auparavant, les Juifs régnaient sur nous, mais comme maîtres occultes qui ne voulaient pas qu’on les nommât. Les Juifs tenaient sous leur contrôle tous les moyens de diffusion de la pensée : presse, radiodiffusion, agences, et disposaient en fait d’une censure.

Se rendant compte d’instinct qu’il devient de la sorte un parasite social, le Juif se garde d’attirer l’attention. Le masque de l’anonymat est indispensable à sa réussite. Aujourd’hui, chassé du pouvoir, écarté des fonctions publiques, le Juif est évidemment plus tenté que jamais par l’anonymat. Les lois actuelles l’invitent justement à renoncer à la spéculation, à vivre au grand jour, en exerçant honnêtement, sous son nom, une profession reconnue…

Mais le devoir du législateur, devoir chrétien autant que national, est non seulement de protéger la nation, mais de protéger le Juif lui-même pour l’empêcher de devenir nuisible, de le protéger contre ses propres instincts dont il a été toujours, en fin de compte, la victime, car, de tout temps, le Juif a été le principal artisan de ses malheurs… »

Le quotidien de la colonisation n’avait fait que reproduire paresseusement un article de la presse parisienne, sans réaliser à quel point cette analyse ne correspondait en rien à la situation au Maroc où le Juif a toujours vécu au grand jour, comme le dit un adage célèbre : " Partout où sera le Juif, il sera reconnu… "

Sujets personnels du sultan ne relevant pas directement de la juridiction française, les Juifs du Maroc espéraient que, dans le cadre du respect canonique de la condition des Juifs en terre d’islam, le sultan s’opposerait à toute forme de discrimination allant au-delà des limitations du Pacte d’Omar qui règle la condition de dhimmis. Rien en fait, dans la situation du Maroc, ne justifiait une nouvelle législation discriminatoire — si ce n’est la volonté contraire de la nation protectrice pour des raisons intérieures qui lui étaient propres. C’est donc à bon droit que les Juifs marocains pouvaient s’attendre à ce que le Makhzen, instruit par la méprise du fameux dahir berbère, s’oppose, malgré sa faiblesse face à la Résidence, à l’introduction de la nouvelle législation raciale. Le rapport périodique des Services de Renseignements se faisait l’écho de cet état d’esprit ?

« Ceux-ci (lesJuifs) indiquent que S a Majesté chérifienne enfreindrait la loi coranique Elle entérinait des mesures contraires à la lettre et à l’esprit du Coran ? les Chrétiens et les Juifs, disent-ils, ont le droit de vivre en territoire musulman et de s’y adonner à toutes les professions non canoniques, à condition de payer l’impôt de soumission et de respecter la loi musulmane. »

L’homme d’affaires et un des anciens rédacteurs de l’Avenir illustré, Raphaël Benazeraf allait encore plus loin dans cette attente :

« C’est un fait que le droit de propriété et le libre exercice d’une profession, quelle qu ’elle soit, par les Mahométans ou les non-Mahométans, sont des lois fondamentales sacrées en islam et aucun sultan n’essayera jamais d’agir contre ces lois. Ca base de la religion islamique et de sa législation est que Dieu est le seul pourvoyeur de richesses et de dons. Tout ce que possède un homme vient de Lui seul et 11 a déterminé et partagé, entre tous les êtres humains, toutes les chances, les richesses et moyens d’existence selon Sa volonté. Pas un seul Musulman ne se hasardera à discuter un principe aussi immuable, en aucune circonstance… »

Malgré cela, Vichy demanda au Résident à Rabat de préparer le terrain, en adaptant, si nécessaire, les mesures aux conditions locales, pour obtenir le plus rapidement possible l’aval du sultan avec lequel il entretenait d’excellentes relations de confiance. Dans la pratique, si ce n’est en droit, le Résident détenait seul l’autorité effective et réelle. Ses services rédigeaient en français le texte des dahirs, sa signature leur donnait force de loi. Les textes étaient ensuite traduits en arabe et adressés au Palais, pour être soumis au paraphe formel et au sceau du sultan, confié au Grand Vizir d’origine algérienne et acquis à la cause française. Dans ce contexte, il était difficile, sinon impossible au sultan, même s’il le voulait, de s’opposer de front au Résident, chargé d’appliquer la volonté de Vichy.

Saisi du texte préparé par la Résidence, le sultan chargea les fonctionnaires du Makhzen de négocier, avec leurs homologues français, l’adaptation de la loi française à la réalité marocaine. De son côté, le Résident Noguès, pourtant convaincu que l’intérêt du Protectorat exigeait la modération, dans les mesures prises contre les Juifs marocains, était tenu par sa fidélité envers le maréchal. Il était soucieux d’éviter les effets pervers de mesures antijuives, trop sévères pour la stabilité sociale et l’équilibre fragile de la vie économique du pays. Comme devait l’affirmer son avocat, lors de son second procès, Noguès voulait " amortir ou éluder ces lois d’exception, non seulement parce qu’il les trouvait injustes, mais parce qu’elles étaient, au Maroc, suprêmement imprudentes… " Mais parallèlement, il lui fallait également tenir compte des pressions de l’antisémitisme virulent de la colonie française locale. Un des hauts fonctionnaires de l’époque, non contaminé par cet état d’esprit, Roger Thibault, directeur du Service de l’Enseignement primaire, en témoigne :

L' antisémitisme larvé qui croupissait dans certains milieux français du Maroc, fit très vite surface et devint contagieux… Je fus surpris de l’attitude de la plupart des hauts fonctionnaires qui, au temps où Leon Blum était Président du Conseil, affirmaient des opinions pro-sémites exagérées et qui ne savaient maintenant qu’inventer pour appliquer au Maroc un Statut des Juifs encore plus sévère qu’en France… »

Alors que les négociations sur l’introduction au Maroc du Statut des Juifs lui semblaient traîner par trop en longueur, le responsable local à Rabat des Croix de Feu, André Normand, télégraphia, le 19 octobre, à son chef le colonel de La Roque pour exiger, sans tarder, au moins l’adoption des mêmes mesures contre les Juifs qu’en France :

« Au moment où paraît dans la presse le nouveau Statut des Juifs, il me semble opportun de soumettre au ministre de l’Intérieur, M. Peyrouton qui connaît particulièrement la situation, l’exposé ci-dessus. Il se pourrait en effet qu’au Maroc, les faits que nous allons vous signaler soient étouffés et cela, nous ne le voulons pas… Une récente décision du gouvernement a opportunément imposé une épreuve de

langue arabe à tous les candidats aux fonctions publiques du Protectorat. On ne peut manquer d’être frappé qu’au lycée de Rabat, les deux professeurs d’arabe sont deux Juifs algériens, francs-maçons, marxistes et gaullistes, comme il se doit, et que d’autre part, à l’Institut des Hautes Etudes marocaines, deux professeurs sur six sont juifs, de même mouvance que les précédents.

Toute la jeunesse française de Rabat, désireuse de se soumettre aux directives judicieuses des pouvoirspublics, se voit donc contrainte de subir une formation intellectuelle étrangère et d’exposer son avenir scolaire au jugement de pédagogues tendancieux ou sectaires, par atavisme.

Quant aux fonctionnaires, les agents d’autorité en particulier, il ne saurait être question de les inviter, en pays d’islam, à pefectionner leurs connaissances linguistiques, auprès de maîtres israélites. Ainsi se confirme une fois de plus la nécessité d’éliminer, de tous les services de la Direction de l’Enseignement, les fonctionnaires d’ancien régjme dont tous les soins visent à détourner de leurs fins véritables les projets les mieux adaptés aux circonstances actuelles et les plus conformes à l’intérêt supérieur du pays… »

Ses vœux n’allaient pas tarder à être exaucés.

Après trois semaines de négociations entre la Résidence et le Palais — en Tunisie, il fallut un mois de pourparlers supplémentaires pour obtenir l’aval du Bey — le dahir du 30 octobre rendait exécutoire, en zone française de l’Empire chérifien, la loi française du 3 octobre avec des modifications plus ou moins légères.

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