Joseph DADIA-Saints juifs du Maroc- Souvenirs personnels

L’hébreu dispose d’un vocabulaire riche et varié pour exprimer la notion de prière, téfillah. Selon un midrash, il y a dix termes pour le dire : zé’aqa, shav’a, naâqa, tsara, rinna oufgui’a, nafol oufillul, ‘atira, ‘amida, hillul, hannoun (Sifré § 26). D’une façon générale, le français emploiera : s’adresser à, s’agenouiller, crier vers, invoquer, se recueillir, appeler, demander grâce, implorer, insister, requérir, solliciter, supplier.

Voici ces termes de prière en hébreu :

זעקה, שועה, נאקה, צרה, רנה ופגיעה

נפול ופלול, עתירה,עמידה, חילול, חנון.

L’écrivain juif d’origine allemande, Thomas Mann (1875-1955), écrit dès les premières lignes de son roman épique, une fresque en quatre volumes, Les histoires de Jacob, cette réflexion :

« Profond est le puits du passé. Ne devrait-on pas dire qu’il est insondable. »

Aussitôt il ajoute que cette réflexion s’impose peut-être même tout particulièrement à nous « quand c’est le passé de l’homme  qui est en jeu, l’essence mystérieuse qui recèle notre propre existence, faite de jouissances naturelles et de misère surnaturelle : son secret est à l’origine et à l’aboutissement de nos pensées et interrogations […] ».

Qui peut donc dire et nous faire comprendre le mystère de nos secrets, ce monde souterrain de notre passé, de notre histoire. C’est un gouffre sans fond. Un sod, crie le mystique à notre face, l’anagogique des textes anciens. Le savant Eben Ezra1093-1167), définit le vocable sod, l’anagogique, comme étant la ligne de démarcation entre le visible et l’invisible. C’est ce qui se trouve derrière le rideau, en hébreu méahoré hapargod. C’est ce que le Tout-Puissant n’a pas voulu nous faire connaître. Ben Sira nous conseille : « Dans ce qui te dépasse ne va pas chercher, et dans ce qui est caché de toi ne va pas fouiller. A ce qui t’est permis applique ton intelligence. Tu n’as rien à faire avec les choses cachées. »  

Ma jeune sœur Esther me demanda un jour de lui raconter les pèlerinages aux saints, que  notre famille vénérait, suivant en cela d’anciennes traditions ancestrales. Elle n’était pas encore née, lorsque dans mon enfance, étant l’aîné d’une fratrie de sept enfants, six garçons et une fille, elle, ma sœur, l’avant-dernière de la famille. Je crains,  dis-je à moi-même, que beaucoup de mes souvenirs soient tombés dans les implacables rets de l’oubli. Ces inévitables trous de mémoire, qui deviennent encore plus béants, quand approche le soir de notre vie sur terre. Il n’y a pas de remède à cela, disent les Sages.

Je lui ai envoyée une documentation détaillée, en hébreu, pour lui parmettre de rédiger un mémoire, dont le texte se trouve après mon récit.

Il n’y a pas si longtemps, j’interrogeais mon père sur telle ou telle de nos coutumes Aujourd’hui, qu’il n’est plus là, qui puis-je interroger ? Et si on me demandait, à mon tour, de raconter, en tant que témoin,  telle ou telle chronique familiale, alors je me sens complètement perdu. Comment est-ce possible, en effet, de bondir, comme par un enchantement, des jours lointains de mon enfance vers ceux  de ma vieillesse, qui s’installent inexorablement, et de raconter ? Et, au fait, raconter quoi ?

J’ai déjà écrit dans certains de mes textes que depuis la disparition de ma grand-mère Esther, mama Sti, et de son fils, mon père Yaaqob – qu’ils reposent en paix – la tradition du conte, dans la famille, est tombée dans le pays  de l’oubli, et elle  gît dans les profondeurs de l’abîme, dans l’espoir  de voir un jour l’un de leurs descendants reprendre le flambeau. Cependant, il nous incombe de penser à notre passé et d’essayer, tout de même, de puiser nos souvenirs dans les sources vives de la mémoire ancestrale. Souvenirs de la splendeur de notre enfance, de sa candeur, souvenirs de la fraîcheur de l’adolescence, de sa pudeur. Ces jours-là étaient des jours de bonheur, des jours de lumière, des jours de gaieté, des jours de divertissement, des jours de rêvasserie, sans soucis et sans chagrins. Le mellah était rempli de garçons et de filles jouant en ses rues, et les vieux et les vieilles assis sur les places.

Chaque souvenir est en soi une épopée merveilleuse, un rêve de légende. Je me souviens bien d’un grand écrivain, Prix Nobel de littérature, Samuel Joseph Agnon (17 juillet 1888-17 février 1970),  que je lisais beaucoup au collège de Ramsgate, dans le Kent en Angleterre, et dont j’ai lu pratiquement toute l’œuvre. Il commençait ses romans par cette phrase magique : « Et voici comment cela s’est passé ». Je traduis pour ceux qui ne l’ont pas lu : « Et l’histoire que je vais vous raconter se déroula exactement comme je vais l’écrire. » Cela paraît simple et nette. Mais quel art !

Nos grand’mères commençaient leurs récits par une déclaration de foi : « Kan Allah fkel mkane hatta kan [] Dieu était en tout lieu lorsqu’il eut lieu […] ».

 Difficile d’écrire après de tels écrivains. Et si nous souhaitons tout de même écrire, alors écrivons avec nos mots, guidés par notre intuition, notre cœur et nos sentiments.  Il n’est pas toujours aisé de reconstituer le passé. Notre mémoire, sélectrice par nature, ne retient que ce qui a été bon. Le ciel était toujours sans nuages, d’un bleu immarcescible. Nous vivions les uns près des autres, dans l’amitié et la compréhension mutuelle, à la limite de l’irénisme. En judéo-arabe el mhebba ouzouria. Cela adoucissait l’âpreté du quotidien et le rendait doux et vivable Les membres de la même famille étaient unis, le cœur sur la main. En enfants gâtés, nous nous laissions choyés. Tout nous souriait Tout était à notre disposition

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