Une nouvelle Seville en Afrique du Nord

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Une nouvelle Seville en Afrique du Nord

Debdou est une petite ville du Nord-est du Maroc, sise non loin de l’important axe routier reliant Fès à Oujda, Melilla l’espagnole et Tlemcen l’algérienne ne sont guère éloignées non plus. Les vergers qui l’entourent d’une enceinte de verdure, comme la beauté du paysage montagneux — rappelant le sud de l’Espagne — confèrent un charme tout particulier à cette localité. Mais le paysage humain de Debdou n’est pas moins original et intéressant.

L’origine de la communauté juive locale remonte, pour autant qu’on le sache, aux dernières années du XIVe siècle. A cette époque, en effet, plusieurs persécutions frappèrent avec une brutalité inconnue jusqu’alors le Judaïsme espagnol. Celles-ci atteignirent leur point culmi nant en 5151-1391.

Un petit groupe de réfugiés, originaires de Séville, parvint à Debdou. La tradition locale parle d’une dizaine de familles, pour la plupart des cohanim, cherchant un lieu d’asile sous la houlette de Rabbi David Hacohen. Mais l'on manquait d’eau, raconte-t-on. Rabbi David, après de ferventes prières, frappa le rocher de son bâton, et il en jaillit une source encore connue aujourd’hui sous le nom de source de Séville.

C’est auprès de cette source que se bâtit le quartier juif de Debdou, qui allait connaître jusqu’à notre époque une longue histoire (notons au passage que, selon le témoignage récent de plusieurs visiteurs, cette source légendaire se tarit progressivement apres que les Juifs de Debdou eurent quitté cette ville, dans les années qui suivirent l’Indépendance du Maroc.

Des documents écrits confirment la tradition orale sur les origines de la communauté. Ainsi cette lettre de Rabbi Yossef Cohen-Scali, adressée aux rabbins de Fès, où il écrit : «Sachez que, voici près de cent ans, nos ancêtres (cohanim) quittèrent Séville…»(1), ou encore ce texte parmi bien d’autres : «…et la communauté de Séville qui se trouve à Debdou suit le minhag (coutume) des megourachim (exilés)…»(2). Mais quel meilleur témoignage des origines espagnoles et de l’attachement au patrimoine ancestral, que ce document datant de 5481-1721 : «Il est notoire que la synagogue de la ville de Séville (sic), donnant à l’est sur la grand-rue et jouxtant au nord la propriété de Rabbi Yossef Hacohen-Scali, et qui se nomme Synagogue Sabban…». Ainsi, Debdou la marocaine était tout simplement devenue, dans les documents officiels de sa communauté juive, une nouvelle Séville en terre musulmane! Attribuer un nom nouveau à la localité d’accueil semble du reste avoir été un phénomène répandu dans le judaïsme espagnol, évoqué par Don Itshaq Abrabanel à la fin de son commentaire de Melakhim-Rois.

À propos de la déportation des Juifs en Espagne, des suites de la destruction du Temple, il écrit : «…Il (le roi Titus) fit venir des membres des tribus de Yehouda, Binyamin et Chimon, ainsi que des leviyyim et cohanim (lévites et prêtres) qui se trouvaient à Jérusalem, (…) et il les installa dans deux provinces : l’une s’appelle jusqu’à ce jour Andalousie, et ils y habitèrent la ville (…) nommée par les Juifs Lucena (…) en raison de sa ressemblance avec la ville de Louz en Erets Israël. La deuxième province fut celle de Tolitola (Tolède), et il semble quelle ait reçu ce nom de la part des Juifs à cause du tiltoul (pérégrinations) qu’ils endurèrent en venant de Jérusalem.»

Dans l’opuscule Yahas Debdou cité plus haut, Rabbi Chlomo Hacohen Sabban écrit à ce sujet : «Le fait que, dans leurs documents, ils attribuaient à Debdou le nom de Séville (…) nous apprend (…) qu’il s’agissait pour eux de perpétuer le nom de la ville d’où ils avaient été chassés, afin de ne pas oublier les affres de leur exil…»

Il est vrai que Séville tenait une place de choix dans l’univers du judaïsme espagnol : les temps reculés et la noblesse des familles juives qui l’habitaient étaient connues, et de grands maîtres y résidèrent. Ainsi, par exemple, le Ritva, Aboudarham, et rabbénou Yaâcov Ben Acher, auteur de Arbâa Tourim. Les familles des cohanim venues de Jérusalem semblaient y conserver avec un soin jaloux le souvenir de leurs origines, puisque la Juderia de Séville comprenait des ruelles habitées uniquement par des cohanim.

On comprendra alors aisément que ces mêmes familles, constituant l’élément essentiel de la communauté de Debdou, aient imprimé un caractère particulier : c’est dans leurs rangs que se recrutèrent, tout au long des générations, la plupart des maîtres spirituels de la ville, dont le rayonnement s’étendait souvent aux environs; et les qualités de carac tère des Juifs de Debdou, ainsi que la piété particulière qui imprégnait leurs moeurs, étaient réputées au Maroc et en Algérie. Les familles de cohanim cherchaient de préférence, sans exclure les unions avec de sim ples «Israël», à contracter mariage en leur sein. Il est d’ailleurs à noter que, tout comme à Djerba, aucune famille de «lévi» ne put s’installer à Debdou : on ne laissait jamais un «lévi» rester plus d’un an dans la ville, par crainte sans doute d’une sorte de «concurrence» inamicale.

Les «cohanim» de Debdou se nomment communément Cohen-Scali, ce qui signifie cohen «brillant», c’est-à-dire de pure ascendance.

Certains expliquent que le mot Scali a la même valeur numérique que le mot Tsadoq : ce qui indique que les cohanim de Séville et Debdou descendaient du grand-prêtre Tsadoq. Dans son ouvrage Otsar Ha- Mikhtavim, Rabbi Yossef Messas expose pour sa part une autre tradition concernant le surnom Scali : les vêtements des cohanim, à Jérusalem, étaient tissés avec des fils d’or brillants…

Le Rav Chmouel Marciano'” rapporte enfin cet intéressant témoignage, qui rend bien compte de la haute conception qu’avaient ces cohanim de leur lignage : «Nous avons coutume de manger de la viande le chabbat Eikba (qui précède le 9 Av); les familles des cohanim, qui s’en abstiennent ce chabbat-là, nous surnomment donc âzamine, ce qui signifie que nous avons fait le veau d’or, et que nos ancêtres se sont prosternés devant lui!»

Debdou connut sa période de grandeur aux XVIIe et XVIIIe siè cles. La conquête de l’Algérie par les Français, en 1830, marquera un déclin relatif de la communauté : du fait des étroites relations com merciales qui se nouent avec Tlemcen, nombre de «debdoubis» s’installent dans cette ville, ou même à Oran.

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