David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976

Chez les Juifs d’Afrique du Nord, on rencontre des noms patronymiques basés sur un prénom de femme. Il semble qu’à une époque fort reculée, il avait existé chez les habitants du Sahara, des “Ethiopiens”, des Noirs, ce qu’on appelle la filiation utérine indiquée par le nom de la mère. A l’origine, cette forme était probablement nécessaire à cause de son caractère d’évidence. Par la suite, la coutume s’en était maintenue dans les oasis sahariennes. On la trouve encore chez les Touaregs. On la trouve aussi, avons-nous dit,chez quelques Juifs originaires de l’Afrique du Nord. Dans ce cas, il faut savoir que depuis leur arrivée dans le Sahara, arrivée qu’on fait remonter à tort ou à raison au Ve siècle, et jusqu’en 1492, année de fortes persécutions dans ces régions, les Juifs avaient été très nombreux dans les oasis. Aussi peut-on dire des familles Ben-‘Allo, Ben־‘Aziza, Ben-Esther, Ben-Ijo, Ben- Maknîn, Ben-Mahfüta, Ben-Moha, Ben-Nüna, Ben-Tata etc. qu’elles sont d’origine saharienne.

Des noms de famille comme Banün (=Banon), Foïnkinos, Hakün (Hakon), Hanün (=Hanon), Masnot, Pünïn (=Fünïn) etc. semblent être réelle­ment d’origine punique ou libyque. Ceux qui les ont portés ou qui les portent encore descendent forcément des premiers habitants juifs de la Berbérie. Mais peut-on sans preuves certaines remonter à des époques aussi lointaines? Il faut dire ici que dans l’état actuel de nos connaissances, nous en sommes réduits aux simples hypothèses. D’ailleurs, d’une manière générale et en exceptant quelques noms dont l’étymologie est évidente et l’origine bien établie, l’onomastique judéo-nord-africaine constitue encore un champ non- défriché et plein d’embûches.

Pour entreprendre l’étude des noms de famille en Afrique du Nord, nous avons un premier élément: les listes rabbiniques. Celles-ci ne sont pas nombreuses. Je n’en connais que quatre pour l’ensemble du Maroc. Ces listes sont d’ailleurs incomplètes.

Le travail vieilli du grand savant Moritz Steinschneider sur les noms de famille juifs dans les pays arabes rend malgré tout quelques services. Steinschneider avoue lui-même sa méconnaissance des “dialectes arabes”, il aurait mieux valu dire du berbère. Dans la très longue liste qu’il donne des noms judéo-arabes, il y en a un nombre fort important qui ont appartenu à des Nord-Africains. Pour la transcription espagnole moderne de beaucoup, on se rapportera à la liste des familles de la communauté de Tanger dans les années 1930, liste dressée par Isaac Larédo; pour leur transcription française, on consultera la liste d’Isaac Abbou. La plupart des noms propres des Juifs de la Tunisie ont été notés par David Cazès  et ceux de l’Afrique du Nord, dans son ensemble, par André Chouraqui. Les travaux sur l’onomastique juive de l’Afrique du Nord d’Ismael Hamet et du rabbin Maurice Eisenbeth  rendent également quelques services mais exigent de grandes précautions. Il ne faut les consulter qu’avec beaucoup de prudence. Enfin, on nous annonce la publication prochaine, à Madrid mais en français, d’un important ouvrage sur l’onomas­tique judéo-marocaine. L’auteur en est le regretté Abraham Larédo de Tanger, érudit bien connu. Espérons que ce travail d’un “homme du terroir” comblera l’importante lacune qui existe dans les études sur le Judaïsme de l'Afrique du Nord, ce Judaïsme que nous voyons disparaître sous nos yeux.

 

Ces listes se trouvent dans les ouvrages suivants: R. Abraham Coriat, Sefer Zekhul Avot; R. Raphaël Berdugo, Sefer Toro׳t Emet; R. Raphael-Moshé Elbaz. Sefer Keritot (Ms. David Ovadiah) et R. J. M. Tolédano, Ner ha-ma‘arav.

Cf. M. Steinschneider, “An Introduction to the Arabie Literature of the Jews". Jewish Quarterly Review IX (1896-1897), X (1897-1898), XI (1898-1899), XII (1900), XIII (1901).

https://esefarad.com/?p=29687

 

Abayob, Ab-Iyob (אבאיוב)

mentionné dans la liste Coriat est orthographié de différentes manières dans les documents espagnols du XIV״ siècle: Bueno Abayu qui obtient des privilèges de Charles 11 de Navarre en 1359; de 1306 à 1363, parmi les riches notables de Valence figurent Humer Abnajub, Salamo, Jaffuda, Juceff Abnajup et Açacli Abnayub (F. Baer, Die Juden im christlichen Spanien . .. Urkunden … Berlin 1929, t. I, pp. 283, 370-379, 921). Le nom Job a eu une heureuse fortune en Afrique du Nord: comparez Juba I, roi de Numidie et son fils Juba II, le fameux roi de la Mauritanie, mort en 24 de l’ère moderne.

 

‘Abbou, Benabou (בן עבו)

est le diminutif berbère de ‘Abd-Allah qui est l’équivalent de l’hébreu Obadiah. Le nom de famille Ben-Abdallah existe aussi chez les Juifs du Maroc. Je n’ai vu qu’une seule fois le patronyme Abbou dans les documents espagnols: “Cuçen Aben Abbo”, notable juif de Majorque vers 1320 (Baer, t. 1, p. 214). Abbou et Benabou sont communs ches les Juifs de toute l’Afrique du Nord et ceux qui portent actuellement ce nom patronymique ne semblent pas avoir jamais été ailleurs. Vers 1400, un Hakün ben ‘Abou était connu en Algérie (I. Epstein, The Responsu of Rahbi Simon h. Zemah Duran, London 1930, p. 23); ‘Akan ‘Abou était au début du XVI״ siècle l’homme le plus riche de la région de l’Oued Noun (Sud-Ouest marocain) et un Juif pieux (D. Corcos, Séfunot X [19661. p. 79).

 

Abittan, orthographe moderne de (A)bettan=Battan (בטאן),

localité ancienne dans le voisinage de Harran en Mésopotamie: Muhammad ibn Jabar ibn Sinan al-Battani (= de la ville de Battan), astronome du X״ siècle connu au Moyen Age en Europe sous le nom de Albategnius. Ce nom de famille n’a pas existé chez les Juifs d’Espagne, il n’était connu qu’au Maroc. On ne peut affirmer que ces Marocains aient été d’une origine orientale même lointaine car Bettan ou Battan est également un nom d’homme berbère: Iris ben Battan as-Sanhaji et son frère ‘Atiya ben Batían se révoltèrent contre ‘Abd al־Mumin l’Almohade, s’emparèrent du Tadla où ils résistèrent victorieusement (Lévi-Provençal, Documents Inédits d’Histoire Almohade, Paris 1928, p. 210). — Abittan = Battan = Abettan est différent de Bitton.

 

Abzardel, Abzardal, Abzradil, Abizradel (אבזארדיל-אבזראדיל)

\= Zardal etc. est un nom d’homme berbère, ex.: tribu des Banü Zerdal, branche des Badin Zenata (cf. Ibn Khaldün, Histoire des Berbères, Paris 1934, t. III, p. 308).

Illustre famille juive d’Espagne; elle est connue à Tolède depuis 1250. Parmi ses membres les plus célèbres: R. Moshé ben Yosef Abi-Zardiel, le savant secrétaire d’Alphonse XI entre 1330 et 1340; Abraham Abzardiel morador en Occanna” vers 1370; Samuel Abzaradiel (m. après 1488) et le médecin Isaac Abzardeil allié de la famille Almosnino. En 1492, les Almosnino s’installèrent à Fès où Isaac Abzardeil, sans doute le petit-fils du médecin, et Abraham Almosnino furent parmi les chefs des expulsés d’Espagne (cf. sevet Yehuda, éd Shohat, Jérusalem 1947, pp. 53-55, 181; Baer, t. I et II, passim; F. Cantera et J.M. Millas, Las Inscriptiones Hebraicas de España, pp. 54-58; Abraham Ancaoua, Kerem Hemed, Livorno 1869-1871)

 

Aflalo (אפלאלו).

C’est à tort qu'on a souvent fait dériver ce nom de celui de la province marocaine, le Tafilalet. Selon une vieille tradition, la famille Aflalo aurait été parmi les premières d’Ifran de l’Anti-Atlas, l’antique Oufran. Aflalo est le nom berbère, altéré, Afelilo dont le sens m’est inconnu. Dans la région de l’Oued Outat, aifluent de la Moulouya, région anciennement peuplée de nombreux groupements juifs, il a existé et il existe encore des rivières, des montagnes et des villages fortifiés dont il ne reste que des ruines qui portent le nom Afelilo. — Il n’y a pas eu, à ma connaissance, des Aflalo en dehors du Maroc jusqu’à la deuxième moitié du XVIIIe siècle.

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