Joseph Dadia- La Saga des Juifs de Marrakech

LE MELLAH, quartier des Juifs, était sous la protection du Sultan, tout contre la kasba et le Dar el Maghzen et, pour que cette protection, ou plutôt cette surveillance, puisse mieux s ’ exer­cer, le Mellah n’avait qu’une porte que l’on fermait pendant la nuit et qui était gardée par un assès du Pacha. La popu­lation a vite débordé de ce quartier aux ruelles étroites… Le Consul Chénier rapporte que les Juifs relégués dans ce faubourg ont été exposés à la tyrannie et à la misere

Cette époque n’est pas si éloi­gnée à laquelle les Juifs, en dehors du Mellah, étaient tenus d’aller nu pieds par les ruelles et ne pouvaient monter sur un âne et par conséquent moins encore sur une mule ou un cheval ; les petits-fils vont maintenant en automo­biles aux puissants chevaux. Tant il est vrai que l’on ne vit que l’heure pré­sente quand elle est bonne. Les Juifs ont donc débordé de l’enceinte du Mellah et ont gagné la place des fer­blantiers en occupant de petites bouti­ques où, avec moins de pittoresque, ils assemblent des lanternes en découpant des bidons de pétrole, réparent des sandales, les harnais, utilisent de vieux pneumatiques pour faire des semelles de chaussure ou des seaux à eau. Dans la rue qui longe la Kasba, ils ont des magasins et sont tailleurs, pâtissiers, un peu de tous les métiers pour se suffire à eux-mêmes.

Marc de Mazières Promenades à Marrakech (Horizons de France, 1937 page 38-39)

A mesure que je pénétrais plus avant dans le Mellah. je découvrais que tout devenait de plus en plus misé­rable. Je me trouvais maintenant sur une petite place carrée qui me parut être le coeur du Mellah. Des hommes et des femmes se tenaient près d’une fontaine rectangulaire. Les femmes portaient des cruches qu’elles emplis­saient d’eau. Les hommes remplissaient leurs outres de cuir. Leurs ânes étaient auprès d’eux et attendaient qu’on les abreuvât. Au milieu de la place quelques gargotiers étaient ac­croupis. Beaucoup d’entre eux fai­saient cuire de la viande et d’autres de petits beignets. Leurs familles étaient près d’eux, femmes et enfants. C’était comme s’ils eussent transporté tout leur train de maison sur la place où ils habitaient et cuisinaient.

Tout autour de la place, il y avait des magasins. Des artisans y ­travaillaient, leurs coups de marteau ré­sonnaient dans le bruit des conversa­tions. Dans un coin de la place, de nombreux hommes s’étaient assem­blés et discutaient avec feu. Je ne compris pas ce qu’ils disaient mais, à en juger par leurs mimiques, il s’agis­sait des grands problèmes du monde. Ils étaient d’opinions différentes et combattaient à coups d’arguments. J’eus l’impression qu’ils admettaient avec plaisir les arguments des autres.

Au milieu de la place, se tenait un vieux mendiant. C'était le premier que je voyais par ici. Il n’était pas Juif. Avec la pièce qu'il reçut, il se tourna aussitôt vers un marchand de beignets dont la grande bassine crépitait vigou­reusement. Les clients étaient nom­breux autour du cuisinier et le vieux mendiant dut attendre son tour.

Mais je ne crois pas que c’était à lui seul que je devais l’enchantement de cette place. J’avais l’impression d’être véritablement ailleurs, parvenu au terme de mon voyage. Je n’avais plus 'envie de m’en aller. Je m’étais déjà trouvé ici, il y avait des centaines d’années, mais je l’avais oublié. Et voici que tout me revenait. J’y trouvais offertes la densité et la chaleur de la vie que je sentais en moi-même. J’étais cette place et je crois bien que je suis toujours cette place.

M’en séparer me parut si pénible que j’y revenais toutes les cinq ou dix minutes. Où que j’allasse, quoi que je découvrisse dans le Mellah, je m’interrompais pour revenir à la petite place, pour la traverser dans une direc­tion ou une autre afin de me convaincre qu’elle était toujours là.

Elias Canetti (né en 1905 en Bulgarie) Prix Nobel de Littérature (en 1981) Les voix de Marrakech (Albin Michel, 1980)

Il est 3 heures (15 heures), le temps que nous avons à passer avant 5 heures sera employé à faire un tour au Mellah, – le quartier des Juifs. L’aspect en est curieux, mais sans beauté aucune. Les frères Tharaud, dans Marrakech ou les grands seigneurs de l’Atlas, en ont fait une juste mais impitoyable description. Le Mellah ne paraît point faire partie du reste de la ville : tout y est différent. Les types des hommes des femmes, la couleur, les arrange­ments des boutiques, le goût, l’odeur elle-même, rien ne ressemble à ce qu’on voit ailleurs. Une civilisation plus aver­tie, plus commerçante règne ici sûre­ment. L’état primitif nous paraît ce­pendant préférable.

HenriAmic Le Maroc (1920-1924) Calmann-Levy 1925, page 66.

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