Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912- -Le tritel de Fès vu par un journaliste français
A2 Le tritel de Fès vu par un journaliste français
התריתל מנקודת מבטו של עיתונאי צרפתי
שעות אחדות אחרי שוד המלאח חצה הובר ז׳ק, כתב בעיתון ״לה טם״, את הרובע היהודי השדוד וההרוס ותיאר את החורבן ואת מצבם של הפליטים בארמון הסולטן.
Tandis qu’une partie des révoltés et de la population civile se livrait aux atrocités que nous venons d’exposer, le reste des émeutiers, transformés en pillards, se ruait sur le quartier du Mellah. En traversant, quelques jours après, les rues dévastées de ce mellah nous avons eu une vision d’horreur rappelant celle que nous avions déjà éprouvée au moment du bombardement de Casablanca.
Pendant plusieurs heures nous avons erré au milieu d’une ville déserte, silencieuse, pillée de fond en comble, à moitié en ruines. La grande rue centrale qui traverse tout le mellah n’est plus qu’un monceau de décombres fumants d’où émergent des poutres calcinées et des débris humains. Tout le mellah de Fez-Djedid, comprenant 12.000 habitants environ, a été totalement pillé incendié en partie. Il ne reste plus le moindre objet dans la plus petite des boutiques, le moindre meuble dans la plus grande des maisons. Tout ce qui, par son poids ou son volume, n’a pu être emporté a été brisé sur place. Il ne reste plus un seul habitant de ce quartier naguère grouillant d’une vie intense. Tout est mome, lugubre, désolé dans ce milieu jadis éclatant de couleur et de lumière. Deux mille askris et on ne saura jamais combien de citadins de Fez ont passé trois journées entières à piller, à massacrer!
Une cinquantaine de cadavres juifs ont été retrouvés, plus du double gît encore sous quatre mètres de décombres. Ces décombres, dans des rues entières, s’élèvent à la hauteur d’un premier étage! Des maisons dont toute la façade est tombée laissent apercevoir les murailles opposées et toutes les, cloisons éventrées des appartements, ainsi que les séparations des étages, comme dans la coupe verticale d’un plan d’architecte. Quelques saillies marquent seules, dans d’autres maisons en ruines, les emplacements naguère occupés par les chambres et les étages. Une fumée acre, mêlée de vapeurs chaudes, monte de cet amas de débris. Le plus violent des tremblements de terre n’eût pas composé un tableau d’horreur plus effrayant et plus lugubre.
C’est vers midi et demi que l’alarme fut donnée au mellah. Aussitôt toutes les portes furent fermées, et les Juifs n’eurent plus qu’un seul espoir: celui que leurs portes pourraient résister aux assauts qu’elles allaient sûrement avoir à subir. Par suite de faits de contrebande de cartouches récemment signalés dans le mellah, l’autorité militaire avait fait rendre toutes les armes de ce quartier. Les malheureux, sans moyens de défense, se trouvaient donc, sans aucun secours possible, exposés à la fureur bien connue des émeutiers. De tout temps, en effet, et dans toutes les villes du Maroc, les mellahs ont excité la convoitise des musulmans fanatiques. Cette fois un mellah de 12 000 habitants sans défense était à leur libre disposition. Ils ne tardaient pas à en profiter copieusement! Vers deux heures, les portes, criblées de balles et attaquées au pic et à la hache, tombaient en livrant passage à un torrent de pillards.
Les Juifs terrorisés, tendentes ad sidéra palmas, leur dirent de prendre leurs biens et leurs richesses, mais de leur laisser la vie sauve.
— Nous allons commencer par vous dépouiller, leur fut-il répondu, demain nous reviendrons pour vous tuer. Et ils firent comme ils dirent.
Par bonheur, une porte nouvelle avait été récemment ouverte dans le mur d’enceinte, permettant de communiquer directement avec la route de Dar Debi-bagh. C’est par cette issue que presque tous réussirent à fuir pendant que les envahisseurs s’attardaient à piller. Dès que le Sultan fut prévenu de cette situation, il fit ouvrir une des portes du palais donnant près du mellah et offrit asile à tous les rescapés. Le Sultan eut ensuite à subvenir à la nourriture de ces 12 000 personnes qui n’avaient pas mangé depuis la veille, ayant, comme tout le monde, été surprises au moment de leur déjeuner.
Moulay-Hafid fit mettre immédiatement à leur disposition tout ce qu’il avait, ordonnant d’ouvrir et de distribuer les caisses de vivres qu’il comptait utiliser pour son prochain voyage. La faim des malheureux put être ainsi apaisée une soirée; mais la grosse question de la nourriture d’un nombre aussi considérable de personnes restait entière pour le lendemain et les jours suivants.
L’autorité militaire française fit distribuer mille petits pains arabes et le consul d’Angleterre douze cents. Mais là se bornait le premier effort, toutes les réserves de la ville étant épuisées. Le lendemain, les malheureux tombaient d’inanition sans qu’il fût possible de leur venir en aide, toute distribution d’argent étant inutile, les moyens manquant de distribuer 6000 kilogrammes de pain par jour. Les autorités prirent en hâte toutes les mesures propres à parer, dans la mesure du possible, à cette lamentable situation.
Nous parcourons, dans les innombrables bâtiments du palais, les emplacements réservés aux rescapés. Ils grouillent par centaines, entassés les uns sur les autres, dans de grandes cours, dans des couloirs, dans de vieux magasins, dans des écuries, sous des voûtes, derrière des portes, partout enfin où il y a le moindre emplacement. Mais le spectacle le plus original et le plus inattendu était celui de plusieurs centaines de femmes, de jeunes filles et d’enfants blottis dans des cages bardées de fer réservées aux bêtes féroces du sultan.
Dans l’immense cour de la ménagerie dont les quatre côtés sont formés par des cages garnies de barreaux quadrillés, on peut voir une cage occupée par deux lions superbes, à côté d’une autre où une cinquantaine de femmes allaitent des enfants à la mamelle. Plus loin un ours gris danse à côté de ménages faisant leur popote dans une cage voisine. En face sont des panthères agiles qui grimpent sur leurs barreaux, tandis que les enfants passent leurs têtes dans le compartiment à côté. Cà et là, des lionnes, des singes, des pumas alternent avec des jeunes femmes et des enfants.
Les malheureuses se sont réfugiées là pour être à l’abri des intempéries et ne pas coucher sous la pluie. Des petits campements improvisés sont installés dans d’autres cours où les réfugiés confectionnent tant bien que mal leur cuisine rudimentaire avec des restes innommables qu’ils font chauffer dans des contenants des plus disparates. Une femme privilégiée réussit à faire cuire une soupe de fèves sèches dans un vase intime en vieux fer émaillé que la rouille a rongé et dont les trous ont été bouchés avec des cailloux. Tous leurs voisins, le ventre vide, regardent d’un œil brillant d’envie le mets succulent qui va sortir de cette étrange marmite…
Pendant une quinzaine de jours, tous ces malheureux restèrent dans cette triste situation. Mais les secours affluant, ils purent, petit à petit, regagner leurs demeures hâtivement remises en état provisoire et reprendre leur vie de misère après avoir été complètement ruinés. Des dons généreux, provenant de souscriptions ouvertes en France, leur permirent ensuite de s’installer à nouveau dans leur mellah.
Hubert Jacques, Les Journées sanglantes de Fès, Paris, 1913, pp. 67-71. journaliste, l'auteur fut correspondant de guerre en Algérie et au Maroc pour le journal Le Matin. D’ailleurs il avait donné une première description de l'émeute dans Le Matin n° 10286 (26.04.1912), p. I -2.Voir Cl
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