Memoires Marranes-Nathan Watchel- Resurgences marranes au Portugal

Cependant ses parents, et surtout son frère, lui déconseillaient vivement de s’affirmer comme juif: «Tu veux donc, l’avertissaient-ils, humilier notre famille?» David de Andrade entra néanmoins en relation avec Helio Daniel Cordeiro, qui venait de fonder le SHEMA et l’introduisit auprès de Francisco Corrêa Neto. À son tour, David de Andrade se mit à étudier la religion juive au Beit Chabad de Sáo Paulo, puis partit pour Israël, muni d’une recommandation du même rabbin Abraham Anidjar, de Rio de Janeiro, qui avait prononcé la conversion de Francisco Corrêa Neto. Mais, à la différence de ce dernier, David de Andrade refusait de se soumettre à la procédure formelle de conversion ; or se posait le problème, inévitable pour tout descendant de nouveaux-chrétiens, des preuves de son ascendance juive. Après beaucoup d’efforts, David de Andrade réussit néanmoins à être reconnu comme juif non pas à la suite d’une «conversion», mais au titre d’un «retour».
L’une des figures importantes des retornados de la région de Sáo Paulo, enfin, n’est autre que Paulo Valadares, avec qui j’avais eu un premier entretien en 2001, et dont le témoignage est publié dans l’Epilogue de La Foi du souvenir. De son récit, on ne mentionnera donc ici que quelques points à fin de comparaison. Il est intéressant de relever, notamment, que son père (comme celui de Helio Daniel Cordeiro) était venu du Portugal, en l’occurrence deTrancoso, et qu’il se disait explicitement admirateur d’Artur Carlos de Barros Basto. Lorsque Paulo Valadares évoque son enfance, il insiste lui aussi sur les lectures assidues, à la maison, de l’Ancien Testament, notamment des Psaumes. Quant au présent, s’il affirme une foi très vive, le problème de la reconnaissance ne le préoccupe pas particulièrement : la pratique religieuse, selon lui, « c’est d’abord une question de morale, d’éthique». On se permettra de rappeler la conclusion de son témoignage: «Je ne peux pas toujours aller à la synagogue le samedi, parce que j habite très loin. Alors généralement je reste chez moi, je prie et j étudie. J ai mon interprétation, je sais que le rabbin ne serait pas d accord, mais j’écris aussi. J’étudie et j’écris, parce que pour moi ce n’est pas un travail. » – De fait, depuis 2001, Paulo Valadares a beaucoup travaillé et étudié: il a continué ses recherches historiques sur les nouveaux-chrétiens du Brésil, dont il a fait connaître les résultats dans de nombreux articles.’ Depuis plusieurs années il collabore régulièrement à la Société de généalogie juive du Brésil, dans le cadre de laquelle il a publié (avec deux autres co-auteurs), en 2003, un très utile Dictionnaire sefarade des noms de famille. Plus récemment encore, il a rédigé un mémoire de maîtrise sous la direction d’Anita Novinsky, dont le texte a donné lieu à un ouvrage paru en 2007, intitulé : A Presença Oculta. Genealogia, ldentidade e Cultura Cristânova Brasileira nos Séculos xix e xx. Il s agit d une excellente contribution aux études sur le marranisme, dans laquelle 1 'auteur se propose, en se fondant principalement sur la méthode des reconstitutions généalogiques, de mettre au jour l’apport considérable, et resté en grande partie « occulté », des descendants de nouveaux-chrétiens (dont l’immense majorité s’est fondue dans la population globale) à la formation de la société brésilienne, à sa culture, à ses pratiques quotidiennes. On ne manquera pas ici de faire un rapprochement suggestif : il est remarquable que Paulo Valadares inscrive son livre dans la tradition juive des «livres du souvenir» (les Yisker biher du martyrologe ashkénaze), et qu’il le conçoive, lui aussi, comme une manière de pierre tombale en mémoire aux milliers de marranes qui, au cours des siècles, furent victimes des bûchers.
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Si un petit noyau de quelques personnes a fini par former, entre Rio de Janeiro et Sâo Paulo, un embryon de réseau d’échanges afin d’orienter les descendants de nouveaux- chrétiens sur la voie d’un retour au judaïsme, il ne s’agit cependant pas de la constitution d’un groupe organisé ou d’une communauté durable. En revanche, le polygone du Nord-Est défini précédemment présente une remarquable originalité : pour la première fois depuis la conversion forcée, des mouvements internes y ont institué d’authentiques communautés de «Juifs marranes», au moins dans deux cas, à Natal (capitale du Rio Grande do Norte) et à Campina Grande (deuxième ville de la Paraiba) ; à Recife (Pernambuco), le phénomène de retour au judaïsme n’est pas moins intense, mais ses résultats paraissent plus fragmentés.
À Natal, l’action de deux personnalités exceptionnelles, José Nunes Cabrai de Carvalho et Joâo Fernandes Dias Medeiros (de générations différentes), aboutit dès la fin des années 1970 au renouvellement de la communauté juive locale grâce à l’apport majoritaire de descendants de nouveaux-chrétiens.
José Nunes Cabrai de Carvalho est né en 1913, à Macaiba, près de Natal, fils du capitaine Abdon Nunes de Carvalho et d’Ana Cabrai, issus de familles sertanejas. Il accomplit une brillante carrière universitaire : après avoir été élève, au lycée de Natal, de l’ethnologue Luís da Cámara Cascudo, il se rendit à Niteroi pour étudier à la faculté d’odontologie. Il exerça quelque temps la profession de chirurgien-dentiste, puis continua sa carrière comme professeur d’anatomie, d’abord à Niteroi, ensuite à Natal. Ses intérêts se portaient en fait vers des domaines pluridisciplinaires, notamment vers des recherches archéologiques et ethnographiques : c’est ainsi qu’il fut l’un des fondateurs de 1 Institut d’anthropologie de l’université fédérale de Natal, qui plus tard devint le musée Cámara Cascudo. – En ce qui concerne son itinéraire religieux, ses parents l’initièrent aux coutumes judaïsantes, puis, à Niteroi, la fréquentation de familles juives l’incita à s’engager plus avant, et plus ouvertement. Aussi apparaît-il comme un pionnier car, dès les années 1950, il s’affirmait juif et était reconnu comme tel dans les milieux où il évoluait (sinon par les autorités rabbi- niques). À Natal, des immigrés ashkénazes, venus soit pendant l’entre-deux-guerres, soit plus récemment, avaient formé une petite communauté qui subsistait péniblement. Dans les années 1970, José Nunes Cabrai participa à sa réorganisation, et reçut alors le concours de Joào Medeiros : tous deux ouvrirent la communauté aux descendants de nouveaux-chrétiens. La première assemblée du Centre israélite du Rio Grande do Norte se tint en mars 1979 ; celui-ci comptait alors dix-sept membres en grande partie «Juifs marranes » ; José Nunes Cabrai et Joào Medeiros faisaient partie du comité de direction en tant que « guides spirituels », mais José Nunes Cabrai mourut quelques mois plus tard, en août 1979 .
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