Le Maroc eapagnol-revue Brit 29


Le Maroc eapagnol-revue Brit 29

Said SayaghJerusalem – Bet Hamikdash Said Sayagh

Brit no 29

Said Sayagh, est ne a Meknes. Il est docteur en Histoire, agrege d'arabe, ecrivain et professeur, se sent juif a part entiere, membre de l'Association des permanences du Judaisme Marocain, association presidee par le Dr Arrik Delouya, son voyage en Israel a eu lieu dans le cadre de la collaboration entre l'association susdit et ZOHAR, son pendant en Israel.

S'il y a un reve que j'ai longtemps caresse, c'est celui la. Je l'ai redoute aussi et, fini par le considerer comme une chimere, un de ces delires qui nous assaillent et qu'on n'arrive pas a evacuer.

Aller en terre Sainte, reposer mas tete sur le Kotel, me retrouver avec des hommes et des femmes qui seraient mes frères, mes soeurs, mes cousins, mes cousines. Et si ce n'etait qu'une illusion, un delire identitaire longtemps etouffe.

Au moment ou j'ai commence a y croire fermement, un villain nuage venu des contrees glacees a faille le reduire en cendres. Et puis je me suis retrouve a l'aeroport ; la joie et l'angoisse se disputant mon ventre noue.

Dans l'avion, une logorrhea aigue s'est emparee de moi. Les victimes, un couple; l'homme une kippa aureolant sa tete brune geai, la femme, belle et docile, les grands yeux ecarquilles par la surprise ou la bienveillance ; tous deux ont prete une oreille bienveillante a mon recit intarissable sur mes ancetres juifs, sur le judaisme marocain, sur Lala soulika.

Extrait

Issachar la surprit 

 Pourquoi tu ne deviendras pas musulmane ?

Elle fit un effort pour reprendre son souffle er bredouilla

 Pourquoi me ferais-je musulmane?

          Pour proteger ta vie…pour rester en vie…pour ne pas mourir

          En verite, il ne passe pas une division du temps sans que je prenne une decision pour la renier juste après. Je t'aime mon frère. J'aime mon pere. J'aime ma mere, j'aime tous les juifs, ceux que je connais et ceux que je ne connais pas. J'aime la vie; meme Tahra, je l'aime.

J'aime la petite rue etroite ou nous habitons. Cet amour prend sa source dans ce que je sais sur moi meme; dans le fait que je suis juive. Si je perds ce que je sais, mes resperes, ce qui organize mon cerveau et mon imagination, je me perds, je perds mon ame, j'erre.

Je suis Sol, juive de Haim et de Simcha, eux memes juifs. Je ne m'imagine pas Fatima. Fille de je ne sais qui….ni rien d'autre. Quand j'essaie de m'imaginer en autre chose, vivant dans d'autres conditions, j'ai l'impression d'etre au bord d'un precipice, au bord de la chute…..

Les mots les plus sophistiques, les plus précis, les plus nuances ne sauraient decrier le bouleversement, paisible, qui m'a saisi Durant ce sejour en Israel. Entre l'instant ou Victor Aflalo, l'homme, le vrai. m'a acceuilli a l'areoport Ben-Gourion et celui ou il m'a ramene dans ce meme lieu, il s'est ecoule des temps immesurables, des temps compacts qui resument les siecles et amplifient les instants les plus brefs.

Said a Yad Vashem vendredi 23 Avril 2010. 

J'avais imagine des centaines de fois la scene ou je reunirais toutes mes plaintes, protestations, reproches, invectives accumules depuis des annees et j'irai, la nuque raide demander des comptes

Je descends de ces juifs convertis a l'Islam, dans la confusion et les peripeties de l'histoire.Mais les racines sont plus puissantes que l'histoire. Les racines demeurent en depit de toutes les inconstances des jours

Meme si tout le monde était musulman, les juifs convertis sont toujours objet de suspicion. Meme s'ils ne sont plus juifs dans leurs rites, ils resteront les " autres juifs ", jamais musulman totalement.

Un fatras confus entremelait mes sentiments et mes idees a propos de cette question comme plusieurs pelotes de laine confondues, indemelables dans un meme sac.

On n'en parlait jamais a la maison. On esperait toujours passer inapercus, echapper aux insultes, insinuations, regards meprisants ou detournes et crachat par terre.

Je redoutais ce que les gens me renverraient  en devinant ce que crachait mon nom. Je devais forcer les accents, cacher les moindres signes qui rappelleraient quoi que ce soit de ce qui peut etre juif.

J'ai fait un d'autres reves, don’t celui-ci :

Je suis un petit garcon. Je m'appelle Douidou fils de Salomon Sayagh le bijoutier et de Zahra Benaros. Mon père souvent, inquiet, me montre plusieurs fois comment aller de la maison a sa petite boutique ou il s'entasse avec ses outils, ses œuvres, ses caisses, ses babouches

Il insiste pour que je ne devie pas un pas du chemin qu'il me montre.

Il me reprimande dans un melange d'hebreu et d'arabe lorsque je designe la canne allechante du marchand de nougat et reclame un morceau de la delicieuse patte blanche aromatisee a la fleur d'oranger.

Il me momtre, pour la centieme fois, le chemin a suivre pour aller a la petite synagogue du Mellah. Il me fait repeter ce que je dois faire au cas ou quelqu"un que je ne connais pas me propose du nougat ou m'invite a l'accompagner quelque part.

Je courrai a toute allure laissant tomber mes petites babouches noires faites par mon oncle Messaoud le chrabli toujours assailli par les jolies femmes du Mellah et meme d'au dela de mon petit monde clos, me refugier dans la boutique de l'un de mes oncles paternels ou maternels. Au defaut il faut que je courre a la maison.

Il me fixe de ses yeux peu severes pour que je baise la main du rabbin a la barbe hirsute et blanche qui passe son temps a nous faire annoner, moi, mes cousins, les cousins de mes cousins et les petits voisins, des litanies auxquelles nous ne comprenons pas grand-chose.

Il m'apprend a essuyer avec les chiffons que lui prepare ma mere, des bracelets en or, de bagues, de boucles d'oreilles, des bijoux, beaux, qui lui amenent des acheteurs de tres loin

Il bavarde avec eux des heures et des heures. Il fait venir de la maison des plateaux de the a la menthe et de gateaux faits par ma mere et qui soutirent des cris admiratifs aux clients.

Jerusalem – Bet Hamikdash Said Sayagh

הכותך המערבי

Moi, je prie pour qu'ils achetent. Mon pere dit que notre vie est fragile qu'il y a des gens qui n'attendent que des pretextes fallacieux pour nous attaquer, nous depouiller.

J'aime accompagner mon pere dans sa petite boutique. J'entends le claquement des babouches sur les dalles et je vois les murs fissures et  croulants blanchis a la chaux blanche, trop blanche. Je ne m'ennuie jamais, j'apprends toujours des choses.  Mon pere me dit qu'il lui tarde que j'apprenne a ciseler, enchasser les petites pierres brillantes. Il dit que ses yeux commencent a lui faire mal quand il reste longtemps concentre a regler les fermoirs et ajuster les maillons des petites chaines.

 Moi, mes yeux voient tout, mais il ne faut pas que je le derange quand il ravaille.

J'entends les bruits des differents outils du mellah d'entremeler et se croiser avec les bourdonnements des discussions, des negociations, des prieres des plaintes contre tous les maux de sante, les sauterelles, les rats et, des melodies mielleuses.

Des fois, je prefere rester a la maison. J'aime voir ma mere petrir le pain qui leve avec la pate prelevee du pain de la veille. J'aime le bruit de la pate bien malaxee qui repose comme un bebe repu. Quand mes nombreuses tantes nous rendent visite avec mes cousines et mes cousins aux yeux trop grands pour leurs visages doux et pales, cela sent la fete, les fetes joyeuses, bruyantes et, fatigantes pour ma mere.

Caresse par les doux et riches tissus des caftans, ksoua, et autres badia des femmes, j'ecoute la vie du monde proche et lointain. Les mariages, les bar-mitsvas, les ceremonies de Tahdid. J'entends ce que disent les uns et les autres, les commentaires des uns et des autres, ce que chacun aurait fait a la place des uns et des autres.

J'entends les récits détailles sur Bahloul le mendiant derange, saisi par un etrange delire et ne cessant d'invoquer la colere de HaKadosh BarokhHo. Il me fait peur ainsi qu'aux autres enfants tout en suscitant en nous une drole de compassion. Quand on finit de parler de Makhlouf le marchand de beignets, de Youssef le ferblantier, d'Elie le matelassier, de Friha la femme de Saadia l'epicier on passe aux nouvelles des mellahs des autres villes.

J'entends parler des hiloulas a nos saints qui sont aussi les saints des voisins musulmans qui n'habitent pas au mellah.

Je me glace de terreur quand on dit qu'ils ont force les portes, casse tout ce qui se casse, brule tout ce qui brule, maisons, boutiques, synagogues, qu'ils ont frappe, viole, tue.

J'ai peur des bruits mechants qui brisent la joie de vivre du mellah terre comme pour se proteger et proteger la lumiere qu'il recele. Je n'ai pas peur des disputes dans les petites venelles sombres. Je deteste les disputes des parents, tous les parents. Elles prennent des allures d'orages de colère du ciel. C'est comme si HaKadoshBarokhHo allait rompre les milliers d'annees d'attente, de patience et d'espoir. L'espoir d'un départ attendu et redoute a la fois.

Ces histoires me semblaient lointaines jusqu'au jour ou une foule en furie s'abat sur la Mellah et le devaste. J'en suis encore hebete. Une peur m'habite toujours et m’empeche de faire confiance et d'etre heureux completement.

Depuis, J'ai l'impression d'avoir pour mission indicible, folle et inavouable meme pas a ma mere, de ramener tous les juifs pris, convertis, blesses a une joie de se dire totalement heritiers de leurs juifs d'ancetres sans entrave ni condition.

J'ai mange des Falafels a Jerusalem. Ils etaient forts et bons. D'abord je suis monte vers la ville de l'Eternite. Le site est accidente mais doux, les collines se font face, les rues montent et descendent, en lacets, se coupent – bifurquent.

De loin, elle ressemble a une clairiere enchassee dans les collines vertes: Rien ne ressemble plus a un temple qu'une clairiere. Et , j'ai compris le sens de cette ascension.

Non seulement en raison du relief qui donne l'impression que la terre fait un effort vers le haut et le ciel vient a sa rencontre. Si tu montes – Jerusalem, Jerusalem descend a toi. La sensation etrange de penetrer un espace particulier, unique, un sanctuaire, Bait ha Mikdash, destine a  l'Unicite, a la Paix, au lien indefectible entre les hommes, tous les hommes et le ciel, est presente tout le temps.

Jerusalem – Bet Hamikdash Said Sayagh

 Jerusalem est d'abord un temple. Un temple, on n 'a pas besoin de le chercher. Il doit etre la, erige a jamais. On l'attend au centre.

J'ai deambule dans les rues animees, sans precipitation. Mille visages se mirent dans mille visages. La face d'Israel est la face de l'Homme, tout l'Homme :

Tu es le juif du village

 Je suis le juif des peuples

 Tu es le juif des juifs et des non juifs

Je fugue de moi-même 

Vers toi

Jusqu'au dernier exil

 Peut-etre

La derniere pierre

J'ai vagabonde, parmi les etals d'artistes qui s'evertuent a faire de cette terre des medaillons de colombes fragiles et delicates dans l'attente d'une fraternite festive, des étoiles bleues, des lettres qui suggerent une matrice commune aux peuples qui ont ecrit, qui ecrivent.

 J'ai parle, marchande dans toutes les langues d'aujourd'hui, avec des commercants venus de Perse, du Yemen, de Russie… J'ai entendu toutes les declinaisons de l'hebreu, melees à tous les accents du monde ; plus de cent cinquante nationalites sertissent la mosaique Jerusalemite, hierosolymitaine, si vous voulez.

 Said a Yad Vashem 23 Avril 2010

J'ai fini par monter dans un taxi. Le chauffeur qui habite en Cisjordanie, tient a ce que ses enfants parlent hebreu et reve de paix.

 Il lit fierement en arabe les noms des rues, les directions annoncees sur les pancartes. Partout l'arabe accompagne l'hebreu. Ai-je le droit de rever ! Le sympathique chauffeur m'a amene dans les lieux de la memoire.

Jérusalem est la mémoire de l'Homme. Elle est la litanie incessamment repetee des noms qui ne s'epuiseront jamais depuis que l'Homme a decouvert sa nudite, jusqu'aux frissons de terreur qui vous glacent a Yad Va Shem.

L'angoisse d'une disparition programmee ne vous lachera plus. Je me rememore mon poeme :

Ou etais-tu ou etais-je quand s'est levee la nuit

Et que les jours ont noirci noirci

Et que les vert-de-gris grosses plantes fetides

Ont immole les agneaux, immole

 les agneaux

Les agneaux par milliers de milliers

 Et le sang des corps freles a coule coule

 Rouge rouge dans le noir noir de la nuit

La lumiere qui brillait cette nuit

Etait-elle une lumiere

 Elle brillait de ce gris

 Si gris si gris qu 'il est noir

 Elle est noire la lumiere noire l'as-tu vue

 Au zenith de la nuit du silence

Tous les cris tous les feux toutes les suies

Toutes les femmes tous les hommes tous les enfants

 Pas un bruit dans ce noir nuit de nuit

 Aujourd'hui, je suis à Jerusalem et Jerusalem est là. Les differents temps historiques et sacres s'y melent dans un enchevetrement qui la singularise parmi toutes les cites, qui la rend unique.

Said – le – juif priant au kotel-Fin de l'article

Said SayaghEn descendant lentement vers le parvis, j'ai eu l'impression de me rapprocher de choses possibles en moi, enfouies, tues, plus profondes que mes desirs, mes preoccupations et mes coleres.

 J'eus l'impression que mes discours, mes discussions, mes efforts constants de m'adapter aux arrangements changeants du monde febrile ou je vis, etaient en surimpression confuse, des pages d'un ecrit qui n'etait pas le mien.

 Ce qui resurgissait ce sont les reves anciens, une nostalgie d'accostage, d'arrivee, de repos, presque de retour dans une matrice originelle.

 Puis, le mur ! Il n'y a eu ni crissements de freins, ni coups de klaxon, ni sirene d'alarme, ni vociferations, je n'ai entendu que des psalmodies secretes, chuchotees dans un balancement obstine proche de l'ivresse.

Et le reve du temple me reprend. Je ne sais par quel lien formel ou implicite. Les lieux d'elevation, mont de Judee, mont Scorpus. mont du temple, mont Herzl, se renouvellent, assurent la resurrection et donnent corps a l'Eternite.

J'ai la conviction que Jerusalem m'aime. J'ai pose ma tete sur la vieille pierre, je l'ai caressee comme je caressais le visage de ma mere.

 Ma main sent les rides, les interstices, le polissage des annees et les bruits des temps, de tous les temps

J'ai glisse mon petit mot dans l'intimite d'une fente. Le ciel est dans la pierre. Je le touche. Et ce mur, indefectiblement ami du temps, n'a pas peur des peripeties, accueille, imperturbable, le monde entier. Jerusalem est le monde et j'en suis.

Des orants se dandinent, chacun a sa maniere. Des mouvements pour que le sens ne s'echappe pas, pour que les mots ne se chargent pas de ce qui les eloigne de leur signification. Chacun trouve son rythme.

 Chacun est suspendu individuellement à sa priere. A aucun moment je ne me suis senti different ou que ce qui me distingue me trouble ni trouble quelqu'un.

Que ne donnerais-je pour qu'une main me caresse les cheveux, me prenne par la main et m'amene à la maison. Que ne donnerai-je pour que ces visages familiers soient ceux de mes freres et amis pour toujours.

 Alors, moi aussi j'ai prie. Pelotonne sur moi-même, j'ai marmonne dans mes oreilles.

J'ai prie pour la paix et la liberte.

J'ai prie en silence face a la venerable vieille pierre

Que la lumière ne s'éteigne pas sur l'or de cette terre.

Que le milliard de glaives se figent, ploient et fondent comme sel.

Que les chaines defaites ne se referment plus sur les mains ouvrieres.

Que le mont ne se noie plus dans l'immensite des sables.

Que les vapeurs des noires huiles n'obscurcissent point le soleil de l'aube.

Que la chape de plomb ne cache pas les voutes du ciel.

Que les rires innocents montent au-dessus des cris des hyenes.

Que les bottes n 'ecrasent plus les escarpins.

Que mes racines reprennent vigueur et me nourrissent de leur seve.

Je ne suis rien pour prier ainsi, rien du tout. Je ne sais pas pourquoi a cet

instant une certitude m'a dit que c'est possible.

J'ai imagine l'espace autour du temple, noir de monde, de toutes les tribus,

des clameurs dans toutes les langues. Un monde de paix.

Etends ta paix et couvre m'en avec le monde, Jerusalem.

Je n'ai pu voir qu'un petit bout de la Cité des Cites. J'en reverai tous les jours et, je reviendrai

Tout d'un coup, apaise, j'ai glisse mon petit mot, sans effusions, dans une proximite avec l'Insondable, presque familiere, qui libere la raideur de la nuque et nettoie un abces endurci.

Cette pierre de Jerusalem qui est la seule qui sache souffrir, je dirai qui a appris à soigner ses blessures, connait l'instant où j'ai depose mon baiser.

 Cette pierre est restee la comme une racine, quand les enfants s'étaient envoles. Cette pierre est toujours en veille, et attend le retour.

 Je rends grace à mon ami Arrik et aux amis de Zohar qui ont rendu possible ce reve.

Robert Assaraf Le Judaïsme Meknassi après la mort de Moulay Ismaïl : Un siècle de troubles. (1727-1822

Robert Assaraf

Le Judaïsme Meknassi après la mort de Moulay Ismaïl : Un siècle de troubles. (1727-1822)

La consolidation sans précédent de la monarchie chérifienne entreprise par Moulay Ismaïl ne survécut pas à la mort de ce souverain en 1727.Les querelles entre ses héritiers – pas moins de dix de ses fils revendiquèrent le trône – mirent en évidence la fragilité de l'édifice makhzénien. Moulay Ismaïl avait certes unifié et dirigé d'une main de fer le pays. Mais lui seul avait les qualités nécessaires pour rallier à sa cause les différentes tribus et leur imposer sa terrible volonté. Lui seul était en mesure d'imposer une centralisation poussée des ressorts de l'autorité ainsi qu'une fiscalité écrasante pesant sur toutes les régions et sur toutes les couches de la société. L'instrument qu'il avait forgé à cette fin, la Garde Noire, composée de soldats originaires d'Afrique sub-saharienne, bien équipés et bien payés, devint, après sa mort, une troupe de mercenaires prêts à se vendre au plus offrant. Ils faisaient et défaisaient les souverains en fonction de leur générosité et trouvaient dans le pillage un moyen commode de s'enrichir. Les communautés juives marocaines, en particulier celle de la capitale en titre, Meknès, étaient les victimes toutes désignées des exactions de ces prétoriens et ne pouvaient plus se tourner, afin d'obtenir aide et protection, vers un pouvoir central dont le titulaire était l'otage de sa soldatesque. Dès 1728, les deux principaux prétendants, les princes Moulay Abdallah Adhebi et Moulay Abdel Malik s'affrontèrent près de Meknès. Ayant réussi à acheter la Garde Noire, Moulay Abdallah défit facilement son rival. Il permit alors à la Garde Noire de piller la capitale. Durant plusieurs jours, Meknès fut livrée aux soldats qui saccagèrent systématiquement les palais et les principaux bâtiments administratifs ainsi que les quartiers où étaient internés les esclaves chrétiens capturés par les corsaires de Salé. Reclus dans le mellah, les Juifs assistèrent, impuissants et terrorisés, à ce déferlement de violences. Plusieurs d'entre eux furent tués. Parmi les victimes, se trouvait la mère du rabbin de Sefrou, rabbi Moshé Elbaz, qui, dans son Kissé Melakhim, a laissé un tableau saisissant de ces journées de terreur :

Le camp des esclaves a envahi Meknès. Ils sont d'abord entrés dans la Kasbah et y ont pillé tous les trésors du temps de Moulay Ismaël : les instruments en or et argent, les épées; les lances, les fusils, les sceptres, les vêtements et les bijoux. Ils ont ensuite pénétré dans le harem, ont dépouillé les femmes de leurs bijoux et de leurs habits. Ils se sont ensuite tournés vers les habitants de la médina, en tuant tellement que le sang coulait comme un fleuve. Ils ont dépouillé de leurs biens les survivants. Ils se sont ensuite rués sur le quartier des chrétiens, les laissant sans rien : La nuit du 22 Ab, ils envahirent le mellah des juifs et les dépouillèrent de tous leurs biens. Ils laissèrent nus hommes, femmes et enfants, rabbins et érudits, en tuant cent quatre vingt, blessant et torturant les survivants, avant de s'en prendre aux jeunes femmes et aux vierges, toutes violées sous les yeux de toute la communauté. Que Dieu se charge de leur vengeance ! qu 'il en soit ainsi, amen..

La guerre entre les deux frères rivaux se poursuivit jusqu'en 1729, date de leur mort. C'est alors qu'un autre fils de Moulay Ismaïl, Moulay Abdallah, réfugié jusque-là dans le Tafilalet, parvint à se faire proclamer sultan. Il n'était souverain que de nom et, durant son règne, il fut cinq fois déposé par la Garde noire mais réussit chaque fois à remonter sur le trône grâce à ses largesses.

Le début de son règne passablement tumultueux fut marqué par une terrible sécheresse, avec, pour conséquence, l'apparition de la famine. Les souffrances de la population amenèrent certains agitateurs à répandre l'idée que celles-ci étaient un châtiment divin destiné à punir l'impiété des Juifs qui avaient oublié de se conformer aux règles de la dhimma et qui, de surcroît, négligeaient les préceptes de leur religion. Le fait nous est connu par le témoignage d'un contemporain, rabbi Eliahou Mansano:

En ces jours, il n'y avait point de roi et chacun faisait ce que bon lui semblait. Les Gentils se livraient au pillage et aux déprédations comme ils voulaient. Pour comble de malheur, une calamité sans pareil survint. Le ciel devint de fer et la terre d'airain. Il n'y eut plus ni pluie ni rosée. Le mercredi 28 shevat (janvier 1737), nous étions en train d'étudier la Loi avec notre maître Hayim Ben Attar, lorsqu'un renégat se présenta devant nous et nous rapporta que, ce même jour, les Gentils de Fès-la-Nouvelle s'étaient réunis pour délibérer entre eux de la cause de la grande détresse qui frappe le monde entier. Ils aboutirent à la conclusion que la faute en était aux Juifs et ils relevèrent plusieurs vices qui se sont enracinés en nous. En premier lieu, la fabrication de la mahya. Autrefois, on ne la vendait que dans un lieu particulier, la taverne. Mais, actuellement, il n'y a pas de maison où ne se trouve ce poison mortel et tous sont complices de ce crime d'où résultent bien d'autres. Deuxièmement, le parjure et le serment en vain. Troisièmement ; la négligence des prières…

Robert Assaraf Le Judaïsme Meknassi après la mort de Moulay Ismaïl : Un siècle de troubles. (1727-1822

brit-29A Meknès ; la populace envahit le mellah, non pour tuer – il n'y eut pas de victimes- mais pour le piller et se procurer l'argent dont elle avait besoin pour acheter du blé vendu à un cours prohibitif. La famine de 1738 resta connue dans la mémoire collective juive marocaine sous le nom de « shnat hetz » et le grand rabbin de Fès, rabbi Yaacob Abensour l'évoquait en écrivant : « Depuis des années, nous n'avons pas vu la lumière. Il ne se passe pas de jour sans malheur plus grand que celui de la veille ». En 1747, le mellah de Meknès fut à nouveau pillé après avoir été assiégé pendant plusieurs mois comme le rapportait rabbi Moshé Tolédano :

… que l'Eternel, dans sa bonté, nous ouvre les portes de la miséricorde, car nous sommes dans la plus grande détresse. Nos voisins philistins (Berbères) nous ont dépouillé de tout et nous assiègent depuis plus de cinq mois. Nul ne peut sortir de la ville et les assiégeants nous guettent

Deux ans plus tard, en 1749, le mellah fut ravagé par une épidémie de peste, signalée par le même rabbi Moshé Tolédano :

Par nos péchés et nos iniquités sont grand, un malheur supplémentaire s'est abattu sur nous. La peste réclame des sacrifices parmi les rabbins et les gens du peuple. Certains jours, le nombre de victimes au mellah dépasse la vingtaine et beaucoup d'entre nous sommes allés chercher refuge dans d'autres villes…

Le règne de Moulay Abdallah se termina sur une touche apocalyptique. En 1757, un terrible séisme ravagea la pointe la plus occidentale de l'Europe et du Maghreb, faisant des milliers de morts à Lisbonne qui fut entièrement ravagée par l'incendie provoqué par ce tremblement de terre. Ce séisme était d'une intensité telle qu'il frappa également le nord du Maroc ainsi que le rapportait rabbi Moshé Tolédano :

Le 20 Hechvan, après la collation du matin, il y eut un grand tremblement de terre qui ébranla les montagnes et fracassa les pierres. Une partie des murs tombèrent et, partout apparurent des fissures. Cela dura près d'une demi-heure, la terre montait et descendait et nous ne comprenions pas ce qui se passait. Quatre jours plus tard, ce fut un tremblement venu du nord comme il n'y en a jamais eu et comme il n'y en aura plus jamais. Toutes les maisons, les murailles et toutes les tours s'écroulèrent et il n'y avait pas de foyer où on ne compatit au moins une victime. Au total, plus de deux cents périrent dans notre communauté et, parmi les Gentils, un chiffre innombrable. Nous nous sommes réfugiés sous des tentes comme des bédouins et nous y sommes restés toute une année. Il n'y eut pas de mois sans une autre secousse, moins forte que la première. Cela n'arriva que dans notre ville. Dans les autres villes (du Maroc), il n'y eut pas de dégâts, sauf en Europe où nous avons entendu que, le jour du grand tremblement, un feu est descendu du ciel et s'est propagé pendant cinq jours alors que la mer avait débordé dans plusieurs pays : Nos coreligionnaires des villes du littoral nous ont raconté que, chez eux aussi, la mer était montée, mais qu'avec la miséricorde divine, ils avaient été épargnés. Que Dieu ait pitié de son peuple, nous y compris…

Durant toute cette période troublée, certains Juifs meknassis continuèrent cependant à jouer un certain rôle dans l'entourage des différents souverains. Ainsi, Eliezer Ben Kiki fut envoyé par Mohammed Edehbi (1727-1729) comme ambassadeur aux Pays-Bas, une mission qui fut confirmée par Moulay Abdallah mais dont il ne put s'acquitter comme il le souhaitait. En effet, à son arrivée à La Haye, il constata la présence, dans la capitale batave, de trois autres émissaires marocains chargés de négocier un nouveau traité de commerce. Ne parvenant pas à obtenir de Moulay Abdallah des lettres de créance le désignant comme seul représentant autorisé du Makhzen, il s’embarqua pour Londres où il obtint des autorités britanniques un sauf-conduit lui permettant de revenir au Maroc, à charge pour lui d'y représenter les intérêts de la Grande Bretagne auprès de la Cour chérifienne. Durant le règne de Moulay Abdallah, un Juif meknassi, Shmouel Lévy Ben Youli, fut l'un des conseillers les plus écoutés du souverain. Désigné comme Naggid de la communauté, il laissa le souvenir d'un dirigeant très pieux et très dévoué qui sut faire preuve d'un grand courage pour protéger ses coreligionnaires contre d'éventuelles persécutions. Ainsi, selon un témoin contemporain, il intervint efficacement en 1732 pour déjouer un complot dirigé contre les Juifs de Meknès :

En cette année 5492, nous avons été saisis d'une grande frayeur en apprenant que les ministres et les conseillers du roi projetaient de nous dépouiller et de nous laisser nus. Grâce à Dieu, le pieux Naggid rabbi Shmouel Ben Yuli a pris des risques énormes et, par sa diligence et son intelligence, il a déjoué leurs mauvaises pensées. Gloire en soit rendue à l'Eternel !

(Robert Assaraf Le Judaïsme Meknassi après la mort de Moulay Ismaïl : Un siècle de troubles. (1727-1822

brit-29

Avec l'accession sur le trône de Sidi Mohammed Ben Abdallah en 1757, une période de calme sembla s'instaurer. Le nouveau sultan mit au pas la Garde Noire en lui substituant une armée nationale et se rendit très populaire en allégeant la fiscalité pesant sur les populations. L'un de ses premiers gestes fut de transférer la capitale du pays de Meknès à Fès qui retrouva ainsi sa gloire passée. Il eut toutefois l'habileté d'effectuer ce changement de manière progressive et d'une manière telle qu'on ne put l'accuser de délaisser Meknès au profit exclusif de sa rivale traditionnelle. S'il était attaché à Fès, Sidi Mohammed IV éprouvait aussi beaucoup d'affection pour Marrakech, ville dont il avait longtemps été gouverneur.

A l'égard des Juifs, il mena une politique de tolérance qui lui valut la reconnaissance de ceux-ci. Dans son Kissé Melakhim, rabbi Moshé Elbaz le qualifie ainsi de « très grand ami d'Israël ». Musulman fervent mais exempt de tout fanatisme, Sidi Mohammed ben Abdallah s'entoura ainsi, dès le début de son règne, de nombreux conseillers dont certains, notamment Shmouel Lévy ben Youli et Samuel Sumbal, avaient servi son père.

 Le rôle joué par ces conseillers juifs à la Cour était connu de tous et suscitait de nombreux commentaires défavorables, y compris au sein des communautés juives, inquiètes à l'idée qu'on pût chercher à leur faire payer la morgue dont faisaient preuve ces « juifs de Cour ». Ainsi, dans son Kissé Melakhim, le rav Raphaël Moshé Elbaz de Sefrou, après avoir vanté les mérites du sultan, se montrait très réservé en décrivant l'entourage juif du monarque : « Toujours son carrosse était précédé de ses dix proches et conseillers juifs à cheval, somptueusement vêtus et portant des bijoux précieux. » Un voyageur juif italien originaire de Mantoue, Samuel Romanelli, qui séjourna au Maroc entre 1786 et 1790, ne se montrait pas moins sévère. Dans une Relation de voyage publiée en hébreu à Berlin en 1792, il notait, en s'en scandalisant, que ces «parvenus mange[ai]ent des plats raffinés, se faisaient] jouer la meilleure musique, s'habill[ai]ent des draps les plus fins, offr[ai]ent à leurs femmes des habits de soie et les paraient d'or, de perles, de rubis et d'émeraudes et, pour défier les musulmans, pass[ai]ent devant les mosquées sans ôter leurs chaussures ».

Il faut toutefois se garder de généraliser. La situation des différents favoris juifs du sultan n'était guère assurée et ils étaient toujours à la merci d'un caprice du souverain. C'est ainsi qu'un agent consulaire danois, Georg Host, soulignait la mésaventure survenue à l'un de ces juifs, installé à Agadir mais :

A cette époque, le juif Ben Isso avait en gérance le port d'Agadir, pour laquelle il était redevable d'une somme de vingt mille piastres. Connaissant bien ce Juif, Mohamed le fit venir devant lui et lui dit : «toi, le truand, tu vas recevoir la peine que tu mérites, non pas à cause de l'argent que tu me dois personnellement – tes frères ( les autres Juifs) me le paieront jusqu'au dernier sou – mais pour ce que, toute ta vie durant, tu as truandé tant chez les Maures que chez les Chrétiens et même chez les autres Juifs» . Il lui fit couper les deux mains'.

Le texte de Samuel Romanelli ainsi que la mésaventure survenue à Ben Isso étaient très révélateurs de l'apparition d'une nouvelle classe de très riches négociants juifs dont aucun n'était originaire – le fait vaut d'être noté – de Meknès. Conscient de l'utilité économique des juifs, Sidi Mohammed ben Abdallah décida en effet de s'appuyer sur eux pour relancer l'économie marocaine déclinante. Signant des traités de commerce et d'amitié tous azimuts avec les principales puissances européennes, il fonda ainsi le port de Mogador, où il concentra le commerce international. Consuls et commerçants chrétiens répondirent avec peu d’empressement à l'invitation qui leur fut faite de s'y installer. En particulier, les négociants danois, qui contrôlaient le port d'Agadir depuis la disgrâce de Ben Isso, se montrèrent très réticents à l'idée de venir s'installer à Mogador. La Danske Afrikanske Kompagnie y voyait une menace pour le monopole qu'elle avait jusque-là et son agent à Safi, Georg Host, relate avec minutie les difficultés qu'il éprouvait à contrecarrer les menées du principal conseiller juif de Sidi Mohammed Ben Abdallah, Samuel Sumbal.

Suivant les conseils de ce dernier, le sultan demanda alors aux grandes familles juives marocaines d'envoyer chacune un représentant à Mogador, dont le port avait été construit sous la direction de Mimoun Ben Isaac Corcos. Samuel Sumbal dressa lui-même la liste des dix premiers élus, les tajjar es sultan, les marchands juifs du roi, qui reçurent des privilèges commerciaux et politiques exceptionnels : avances de capital, gestion de certains fonds du Trésor, monopole d'exportation de produits comme la cire, le tabac, les plumes d'autruche, les amandes, les cuirs, les laines, l'huile, la gomme, les parfums, les mulets, les bœufs et les céréales. Parmi les premiers tajjar es sultan, on trouvait les familles Sumbal et Delvante-Chriqui de Safi, Corcos et Delmar de Marrakech ; Lévy Bensoussan, Ben Yuli et Nahory de Rabat, Aboudraham de Tétouan, Penia et Aflalou dAgadir. Il n'y avait aucun juif de Meknès. Cela ne signifiait pas pour autant que certains juifs meknassis n'aient pas gravité dans l'entourage immédiat du monarque même s'ils n'étaient pas associés à ses entreprises commerciales à Mogador.

Le plus connu d'entre eux fut rabbi Moshé Mamane. Grand négociant, originaire de Tétouan et ayant un comptoir à Gibraltar, il détenait déjà, au temps de Moulay Abdallah, le monopole de deux des plus importants produits d'exportation de la riche région agricole du nord : la cire et les peaux. Installé à Meknès, il ne tarda pas à entrer en conflit avec la communauté dont il était l'élément le plus fortuné et le plus imposé. C'était là un « privilège » dont il se serait bien passé. Mécontent de l'estimation faite de sa fortune par ses coreligionnaires meknassis, il fit appel de celle-ci en 1737 devant le tribunal rabbinique de Fès. Celui-ci lui donna raison en se fondant sur une nouvelle règle en vigueur à Fès et Tétouan depuis le début du 18ième siècle, à savoir que la quote-part du contribuable le plus imposé ne pouvait être supérieure à celle du second par la fortune. Une telle mesure visait en fait à protéger les Juifs les plus fortunés de la convoitise du Makhzen qui aurait pu être tenté de confisquer leurs biens.

Le Judaisme Meknassi aores la mort de moulay Ismail-un siecle de troubles- Robert assaraf

Les trois juges du tribunal fassi, rabbi Yaacob Abensour, rabbi Shmouel Déry et rabbi Shmouel Elbaz se prononcèrent donc en faveur de Moshé Mamane :

Nous avons été conviés à donner notre avis au sujet de l'affaire du respectable et érudit Moshe Mamane qui, depuis des années, acquitte une quote-part d'impôt supérieure à tous les autres contribuables. Cette année, il a été victime, comme on le sait, de retours de fortune qui l'ont fait plier sous le poids du fardeau. Il sollicite comme mesure exceptionnelle de justice que, désormais, on abandonne cette coutume d'imposition. Nous avons trouvé sa requête justifiée pour maintes raisons ; En conséquence, nous statuons qu'il est redevable de la règle de ne verser qu'une quote-part à hauteur de la contribution du second dans l'évaluation.

Le tribunal de Meknès refusa toutefois d'entériner cette décision, ouvrant ainsi un conflit qui ne se termina qu'avec la mort de Moshé Mamane, assassiné dans sa maison, en 1763, par des voleurs.

Le Juif meknassi le plus influent de l'époque fut sans nul doute l'homme de confiance du souverain, Mordekhay Chriqui. Natif de Marrakech, il y avait fait la connaissance de Sidi Mohammed IV, alors gouverneur de la ville. Lors de l'accession au trône de son protecteur, il fut nommé par lui chef de la communauté de Meknès où il transféra ses affaires. Tous les chroniqueurs de l'époque soulignent, que, contrairement à la tradition de réserve et d'humilité des dhimmis, il avait fière allure, portait des habits somptueux et montait à cheval sans que nul osa lui en faire la remarque. Très dévoué à sa communauté, il n'avait pas hésité à user de son influence pour convaincre Sidi Mohammed IV d'éloigner de la Cour son fils préféré, Moulay Lyazid, qui se distinguait déjà par sa haine pour les Juifs. Le poète de la communauté de Meknès, rabbi David Hassine chanta ses louanges dans on recueil de poèmes Téhila Lédavid :

Lui, qui avait la force et le courage de faire face aux autorités,

Sans que jamais la crainte l'effleure,

Contre l'escroquerie et l'exploitation des faibles, il veille.

Ses paroles aux rois sont écoutées comme autant de clous plantés.

Devant lui, les grands plient

Dieu nous a dotés d'un chef aux heures d'épreuve

Les autres Juifs de Cour, notamment les négociants de Mogador, étaient très loin d'avoir les mêmes qualités. L'appât du gain les poussa à se lancer dans des conflits fratricides. C'est ainsi que deux Juifs originaires de Tunisie, les frères Attal, cherchèrent à prendre la place de leurs coreligionnaires marocains. De concert avec les commerçants chrétiens, ils soudoyèrent le roi pour prendre la succession des tajjar-es-sultan. En 1789, un avant sa mort, le vieux souverain ordonna aux titulaires juifs de ce titre de céder aux marchands chrétiens de Mogador les fonds du Trésor qu'ils géraient ainsi que les marchandises leur appartenant en propre. C'était là un surprenant changement d'attitude de la part d'un souverain qui avait jusque-là ouvertement favorisé les négociants juifs marocains. Pour ces derniers, une période sombre allait s'ouvrir avec le règne de Moulay Yazid. Même s'il ne régna que deux ans, de 1790 à 1792, Moulay Yazid fut l'un des souverains marocains les plus hostiles aux Juifs. De mère anglaise, ce jeune prince était connu pour son tempérament rebelle et colérique. A plusieurs reprises, il s'était révolté contre son père mais avait toujours réussi à obtenir son pardon. Excellent cavalier ; tireur d'élite ; il s'était attiré une grande popularité par son fanatisme religieux. Il manifestait une haine farouche contre tous les infidèles, et plus particulièrement contre les Espagnols et les Juifs.

Pour mettre un terme à ses intrigues et essayer de le corriger ; son père l'avait envoyé en pèlerinage à la Mecque. Il en était début 1790 par voie de terre, à travers l'Algérie, plus décidé que jamais à détrôner son bienfaiteur. Il se trouvait dans le Rif lorsque lui parvint la nouvelle de la mort de Sidi Mohammed IV ainsi que le rapporte la Chronique de Fès :

A la fin du mois de Nissan (avril), parvint de Rabat la mauvaise nouvelle de la mort du sultan Sidi Mohammed, que Dieu l'ait dans sa miséricorde. Toute la ville fut en émoi et un trouble profond saisit les Juifs et les Gentils… Tout le monde se sauva et enfuit son argent. Le lendemain, tous les Gentils se réunirent et proclamèrent souverain l'un des fils du sultan défunt ; Moulay Yazid… Nous pensâmes retrouver le calme ; car on annonçait que la paix s'était faite dans tout le pays…

Les naïves espérances des Juifs furent cruellement déçues. Dès son arrivée à Tétouan, le nouveau monarque annonça son programme : conformément à l'accord passé avec ses partisans berbères de la tribu des Amhaous, il s'était donné pour mission d'exterminer tous les Juifs du royaume. Pour réveiller les ardeurs de ses partisans, il promit une récompense de dix meqtal à qui lui apporterait la tête d'un Juif. La sentence était tellement sans précédent qu'un des cadis lui fit remarquer qu'elle était contraire aux commandements du Prophète. Selon ce cadi, il y avait une solution non moins radicale : dépouiller les Juifs de tous leurs biens. Il est bien connu qu'un homme pauvre vaut moins qu'un mort. Trouvant l'avis astucieux, Moulay Yazid ordonna de commencer par la première communauté rencontrée sur sa route ; celle de Tétouan.

Robert Assaraf Le Judaïsme Meknassi après la mort de Moulay Ismaïl : Un siècle de troubles. (1727-1822)

Robert Assaraf

Le Judaïsme Meknassi après la mort de Moulay Ismaïl : Un siècle de troubles. (1727-1822)

Sans se douter de ce qui les attendait, les dirigeants de la communauté étaient venus avec des présents accueillir le nouveau souverain. Se fondant sur ses bonnes intentions qu'on lui prêtait, nul n'avait pensé à cacher ou à dissimuler ses biens. Le pillage, un jour de shabbat, fut total. Tous les objets de valeur furent volés dans les maisons et dans les synagogues. Quelques jours plus tard, Moulay Yazid donna l'ordre aux Oudaya demeurant à Meknès d'en faire de même avec la communauté locale: La terreur semée chez les Juifs par ces événement sans équivalent depuis la période des Almohades, est perceptible dans le témoignage qu'en laissé un témoin oculaire, rabbi Eliezer Bahloul :

" Ici, à Meknès, à l'aube du 14 Iyyar, les pillards ont volé ; pillé, incendié ; violé et torturé les femmes, les vierges et les garçons dans les rues de la ville : Ils ont creusé les cours des maisons, fracassé les murs et les plafonds, n'épargnant ni les synagogues ni même les tombes du cimetière. Ils ont dévêtu et laissées nues comme au jour de leur naissance nombre de femmes qui se sont couvertes des lambeaux des rouleaux de la Loi sauvés des flammes. Il est impossible de raconter ce qu'ont vu nos yeux et de rapporter ce que nos oreilles ont entendu et cela s'est poursuivi 21 jours jusqu'aux fêtes de Shavouot quand le tyran a ordonné de surseoir aux exactions…"

La description qu'en donne la Chronique de Fès est tout à fait concordante :

” Le 14 Iyyar (28 avril), on vint annoncer aux Juifs que Moulay Yazid leur avait pardonné. Mais ce n'était qu'une ruse pour faire revenir la communauté qui s'était enfuie et pour faire sortir l'argent des cachettes. La plupart des Juifs le crurent et, après avoir été dépouillés, ils restèrent là à camper dans les rues de la ville, affamés et dénudés de tout. Ils n'osèrent ni retourner dans leur quartier complètement pillé où sévissait la famine ; ni s'en aller dans les campagnes où la mort les guettait. Ce fut une catastrophe comme on n'en vit jamais. Au bout de vingt et un jours, les Gentils eurent pitié d'eux et ils purent retourner au Mellah.; Dans la nuit du 15 au 16 Iyyar, tous les Gentils pénétrèrent dans la ville. Ils pillèrent les Juifs pendant une quinzaine de jours. Ils firent des fouilles dans toutes les maisons et y découvrirent des trésors inconnus de leurs pères et ancêtres, car tel fut le décret divin. Et cette nuit- là, se produisit une grande éclipse de lune, car ils brûlèrent là un rouleau de Loi

A Fès aussi, le 14 de ce mois, nos voisins les Abid pénétrèrent dans le Mellah pour nous piller…

Les Juifs fassis furent toutefois momentanément plus heureux que leurs coreligionnaires meknassis. Alertée par le tumulte, la mère de Moulay Yazid intervint en leur faveur et la soldatesque se retira du mellah. Ce n'était là que partie remise. Le monarque entreprit peu de temps après une tournée dans tout le pays qui s'accompagna d'exactions contre les Juifs. A Fès, il laissa aux Juifs le choix entre payer une très lourde amende ou quitter le mellah. Les habitants du quartier n'ayant pu réunir qu'une partie de la somme exigée, Moulay Yazid l’empocha et leur fit comprendre que, moyennant un « supplément », il les tiendrait quittes de toute nouvelle demande. Les dirigeants de la communauté réunirent alors une somme d'argent que le monarque encaissa avant de revenir sur sa promesse. Il leur fit savoir que « son pardon ne concernait que leurs biens et leurs personnes qui ne souffriront pas ». Ordre fut donné aux Juifs, sous peine de mort, de quitter le mellah, où s'installèrent trois mille Oudaya originaires de Meknès. Ceux-ci s’empressèrent de détruire les synagogues et d'édifier sur leur emplacement une mosquée. Les Juifs fassis durent attendre 22 mois pour être autorisés à rentrer dans leur quartier, 22 mois qu'ils passèrent dans la campagne environnante, sous des abris de fortune.

A Tanger, Moulay Yazid fit arrêter les deux frères Attal. L'aîné fut exécuté et la cadet dut se convertir à l'islam pour avoir la vie sauve. A Larache, il fit arrêter l'un des anciens conseillers de son père, le négociant Eliahou Lévy, qui accepta de se convertir pour conserver sa vie et ses biens. Lors de son entrée à Oujda, Moulay Yazid s'étonna que la communauté juive n'ait pas envoyé de représentants pour l'accueillir. Quand on lui apprit que des Juifs se trouvaient dans la foule venue lui présenter ses respects, il s'indigna de ce que ceux-ci ne soient pas reconnaissables des Musulmans par une pièce de leur habillement. Emporté par sa folie sanguinaire, il ordonna qu'on coupe aux Juifs une oreille à titre de signe distinctif et il remit en vigueur l'obligation pour les Juifs de porter des vêtements de couleur jaune.

A son arrivée à Meknès, son premier soin fut de faire arrêter tous les anciens conseillers juifs de son père, à commencer par Mordekhay Chriqui qui avait suggéré à Si Mohammed Ben Abdallah d'éloigner son fils de la Cour. Il offrit de l'épargner s'il acceptait de se convertir. Dédaignant cette proposition, Mordekhay Chriqui alla au supplice en récitant des Psaumes et en prédisant pour son bourreau une fin prochaine.

Mordekhay Chriqui avait réussi à soustraire à la convoitise de Moulay Yazid une partie de sa fortune, en la confiant à des Juifs fassis qui furent arrêtés, torturés et contraints de livrer au Trésor d'importantes sommes d'argent. Moulay Yazid fit exécuter plusieurs anciens conseillers de son père, notamment les frères Messod et Abraham Ben Zikri ainsi que Moshé Ben Jamila. Tous les trois furent pendus par les pieds à l'entrée du mellah et leur agonie se prolongea pendant plusieurs jours. Leurs cadavres restèrent exposés en public pendant des semaines avaient que leurs familles ne puissent payer très cher le droit de les enterrer.

Robert Assaraf Le Judaïsme Meknassi après la mort de Moulay Ismaïl : Un siècle de troubles. (1727-1822

Brit

Revue des juifs du Maroc

Redacteur: Asher Knafo

Un autre notable juif, rabbi Shmouel Danino, fut sauvé in extremis de la pendaison par ses élèves. Déguisés en soldats, ceux-ci pénétrèrent dans la prison et expliquèrent aux gardes que le sultan avait émis le désir de s'entretenir avec le prisonnier. Leur ruse réussit et rabbi Shmouel Danino en fut quitte pour se cacher durant plusieurs mois à Ouezzane. Cet héroïque épisode fitdire à ses contemporains que ce rabbin n'a eu que cinq disciples alors qu'il en avait formé des centaines – ceux-là même qui avaient risqué leur vie pour lui à l'heure de l'épreuve

Le traumatisme ressenti par les communautés juives du Maroc devant ces persécutions barbares a été immortalisé dans les vers du plus grand poète meknassi de l'époque, rabbi David Hassine, qui mourut quelques mois après la fin de ce règne dévastateur.

Qui jamais entendit parler d'un pareil forfait ?

Qui a vu semblable ignominie ?

Les brigands furent autorisés par les autorités

A agir à leur guise. Ils se livrèrent à tous les excès.

Ils se livrèrent au pillage jour et nuit,

Dévorèrent Israël à pleine bouche

Dans les rues ; fuyaient toutes dévêtues,

Des femmes chéries… terrorisées par l'ennemi en furie.

Les mères furent écrasées avec leurs enfants

Ils nous battaient à mort,

Avec mépris ; de façon délibérée

Les chefs de la communauté ont été chargés de chaînes

Livrés au mépris et à l'humiliation

La colère du sultan s'est enflammée

Il a pendu plusieurs hommes aux portes du mellah..

Une mort atroce, si cruelle.

Les malheurs et l'affliction ont frappé (les juifs du Maroc)

Si bien que nombre d'entre eux ont abjuré leur foi.

D'autres sont morts en martyrs

Pour sanctifier le nom du Tout-Puissant

Souviens-toi mon Dieu. N'oublie pas ton Alliance !

Sauve, sauve Ton peuple

Traduction d'Andre Elbaz

Les exactions de Moulay Yazid ne visaient pas simplement les Juifs. Il s'en prit aussi aux Musulmans fortunés. Il n'en fallait pas plus pour qu'une opposition se déclare. Début février 1792, son frère, Moulay Hicham, souleva le Sud contre lui. Moulay Yazid se porta à sa rencontre ; plus décidé que jamais à en finir avec les juifs comme le rapportent la Chronique de Fès :

"En effet, lorsqu'il partit pour Marrakech, il dit à ses officiers durant le voyage : vous savez qu'au mois d'Adar, les Juifs célèbrent leur Pourim à cause de Haman qui avait voulu les exterminer et qui fut tué lui-même. Il avait juré qu'à son retour de Marrakech, il ferait ce que Haman avait projeté de leur faire" 

La manière dont il se conduisit avec la population, juive et musulmane, de Marrakech conquise par surprise, ne laissa aucun doute sur la réalité de ses desseins sanguinaires. La ville livrée au pillage ; il fit massacrer tous les partisans de son frère qui avaient réussi à s'enfuir. Sans prendre de répit ; il ordonna de nouvelles exactions contre les notables de Fès ; de Meknès et de Mogador. S'étant comparé à Haman, il s'attira le même sort. Alors qu'il conduisait ses troupes à la victoire contre son frère, un tireur isolé le blessa d'un coup de fusil au bas-ventre. La blessure parut au départ légère mais, le lendemain, Moulay Yazid succomba dans d'atroces souffrances. Dès l'annonce de la mort du tyran, des contre-ordres furent envoyés pour annuler ses derniers décrets. Dans tout le pays, ce fut un cri de soulagement car ses exactions avaient été loin de se limiter à la population juive. Ses habitudes de banditisme, ses fantasmes sanguinaires ; sa cruauté sans bornes l'avaient rendu odieux à l'ensemble des Marocains. Pour la communauté juive, plus particulièrement celle de la capitale déchue, c'était la fin du cauchemar. Elle eut la chance de trouver en son successeur un souverain assez sage et assez avisé pour lui permettre de reprendre son souffle et de panser ses blessures.

Le règne de Moulay Slimane (1792-1822) commença sous de heureux auspices pour la communauté juive marocaine. Les Juifs fassis furent ainsi autorisés à revenir dans le mellah qu'ils avaient dû quitter à contrecœur.

 La mosquée édifiée au cœur du quartier juif fut détruite, une mesure exceptionnelle, justifiée par le fait qu'elle avait été construite sur un terrain acquis illégalement. De même, en contradiction avec la loi, les Juifs qui avaient été contraints de se convertir pour échapper à la mort furent autorisés à revenir à la religion de leurs ancêtres.

Les Juifs meknassis furent aussi l'objet des sollicitudes du nouveau monarque. Ils se plaignaient depuis longtemps de ce que le gouverneur de la ville leur ait refusé l'autorisation de reconstruire un pan de la muraille entourant le mellah qui s'était écroulé à la suite de très fortes pluies. Ils avaient tout au plus obtenu la permission de placer près de cette brèche des gardiens juifs vêtus comme des Musulmans afin de décourager d'éventuels agresseurs. Non seulement Moulay Slimane ordonna la reconstruction, aux frais du Makhzen, de la muraille mais, en attendant, il ordonna à des soldats de se garde de prendre la place des gardiens appontés par la communauté. Cet acte de générosité suscita une légende rapportée par rabbi Yossef Messas. Selon la rumeur populaire, alors qu'il s'apprêtait à partir en guerre contre la tribu rebelle des Zemmour, Moulay Slimane aurait croisé, très tôt le matin, un Juif accompagné de son fils âgé de 4 ans. Interrogeant le passant juif sur les raisons de sa présence si matinale dans les rues, le souverain apprit que le père avait voulu, en lui achetant des beignets, récompenser son fils qui avait appris par cœur la péricope de la semaine.

Celle-ci était la péricope Ki Tétsé dont l’enfant récita et traduisit au monarque les premiers versets : «Quand tu sortiras en guerre contre tes ennemis, l’Etemel les livrera en ton pouvoir et tu feras de nombreux prisonniers ».

Moulay Slimane y aurait vu un heureux présage et, de fait, le sort des armes lui fut favorable. Ce serait par gratitude envers cette prédiction qu’il aurait pris à sa charge les frais de reconstruction de la muraille. Authentique ou non, l’histoire illustre la bienveillance dont le monarque fit preuve envers les Juifs, une bienveillance qui lui valut le titre de « Juste parmi les nations ».

Plusieurs princes contestèrent l’autorité de Moulay Slimane, tel Moulay Salama qui fit alliance avec les Amhaous et mit le siège devant Meknès avant d’être défait. Ayant assis son pouvoir, Moulay Slimane s’efforça de protéger son pays contre les influences extérieures. S’il rétablit dans leurs prérogatives les marchands juifs de Mogador, ce fut essentiellement pour se débarrasser des négociants chrétiens dont il jugeait la présence dangereuse. Bien informé de la situation internationale, il avait vu dans la Révolution française un phénomène particulièrement inquiétant dont il voulait préserver son pays. Il est d’ailleurs significatif que certains échos des événements survenus en France arrivèrent auprès des Juifs marocains et suscitèrent chez eux un début de ferveur messianique vite dissipée ainsi que le montrait ce passage d’une chronique juive de l’époque :

En 1798 et 1799, nous avons attendu la lumière et elle n'apparut point. Nous avons pensé que c'était la fin de notre espoir, qu'à Dieu ne plaise ! Car, d'après une lettre que nous avait envoyée un rabbin de France, il était écrit, entre autres, qu'en 1788, lors de fouilles à Paris, une grande pierre avait été trouvée. Il était inscrit sur elle que, cette même année, éclaterait une guerre entre trois royaumes la Turquie, la Russie et Rome. En 1790, une autre guerre devait éclater entre Rome la France et l'Afrique. La pierre annonçait que le pape mourrait en 1791, qu’en 1792, il y aurait des guerres dans le monde entier et qu'en 1793, tout le genre humain y sera mêlé. Enfin, en 1794, un grand tremblement de terre et une éclipse se produiraient dans le monde entier. En 1795, trois pays seraient enfeu et l'eau deviendrait du sang : En 1796, apparaîtraient Gog et Magog. En 1797, tous les hommes reconnaîtraient la royauté de Dieu et en 1798 et 1799 Dieu rassemblerait tous les dispersés de son peuple

Pendant toutes ces années, nous sont parvenus des échos des guerres qui se déroulaient en Europe. Nous nous sommes dit que les prophéties avaient commencé à se réaliser et nous nous sommes préparés. Mais, par nos péchés qui se sont multipliés, ne se sont réalisés que la faim et les épidémies et les guerres entre les Philistins, nos méchants voisins .Que Dieu nous prenne en pitié et nous envoie rapidement notre Messie..

Ce texte est un assez bon révélateur de la fièvre messianique suscitée dans le monde juif par la Révolution française. Tout comme les monarques européens du temps, Moulay Slimane jugea préférable d’établir un «cordon sanitaire » entre son pays et les nouvelles idées. Il n’était pas question de changer quoi que ce soit à la situation des Juifs même si ces derniers, en France, étaient désormais considérés comme des citoyens à part entière. L’attachement de Moulay Slimane à une vision traditionnaliste et conservatrice de l’islam l’amena d’ailleurs à généraliser l’habitat séparé des Juifs et des Musulmans dans la quasi-totalité des villes marocaines, à l’exception de Safi et de Tanger. C’est sous son règne que furent ainsi créés les mellahs de Rabat, Salé, Tétouan et Mogador.

Ces mesures ne suscitèrent pratiquement aucune opposition au sein des communautés juives concernées. Elles liaient leur sort à celui du souverain. En 1820, une fausse rumeur annonça la mort du sultan à Marrakech, où il guerroyait contre un de ses frères entré en dissidence. Les Oudaya, qui n'avaient pas pardonné aux juifs, de les avoir délogés du mellah de Fès, en profitèrent pour attaquer celui-ci : A Meknès ; l’affaire suscita des scènes de panique comme le rapporta un témoin, rabbi David Messas : « dès l'annonce de cette nouvelle ; le mellah devait rester fermé 40 jours à l'égal des 40 punitions prévues dans la Torah ». Quand, deux ans plus tard ; la mort du sultan fut cette fois confirmée ; le même témoin ajoute que « les portes du Mellah ont été fermées sur ordre des rabbins. Tous les juifs ont pris leurs biens et se sont réfugiés avec femmes et enfants chez leurs amis musulmans. Il n'est resté en ville que très peu de personnes – que Dieu nous prenne en pitié et nous envoie son sauveur ! ».

Le souverain défunt fut pleuré par ses sujets juifs comme le notait rabbi Yéhouda Obed Ben Attar dans la Chronique de Fès :

Bien que la coutume ne soit pas de prier pour le souverain ; ainsi qu'il est écrit dans les livres liturgiques, pour celui-ci, nous prions à la synagogue ; le shabbat et les jours de fête, car il mérite la bénédiction du Maître de la Royauté….

Dans sa farouche volonté de préserver le Maroc traditionnel ; Moulay Slimane s’efforça de l'isoler complètement et de retarder sa rencontre avec le monde moderne. S'il ne put totalement y réussir dans les villes du littoral, il préserva plus longuement les villes de l'intérieur, dont Meknès, de toute influence extérieure.

Fin de l'article

Les Juifs espagnols et l'origine des Juifs du Maroc Yigal Bin-Nun Brit no 2-Redacteur: Asher Knafo

Les Juifs espagnols et l'origine des Juifs du Maroc Yigal Bin-Nun Brit no 29

Redacteur: Asher Knafo

Avant de parler des Juifs espagnols, il faut d'abord traiter de l'origine des Juifs du Maroc. Il faut aussi rappeler que les habitants de l'Afrique du Nord sont tous à l'origine des Berbères. La conquête arabo-musulmane n'a laissé sur place que peu de soldats venus de l'Arabie et de l'Orient arabisé. Néanmoins, la civilisation arabe et la religion musulmane réussirent à s'implanter dans les villes, à les arabiser, et à les islamiser. Par contre, de grandes franges de la population autochtone sont restées berbérophones jusqu'à ce jour. Il va sans dire que la scolarisation et les média tendent à propager de plus en plus l'arabisation officielle, qui souvent s'affronte à un mouvement de renouveau berbériste.

 Je n'utilise le terme de berbère, que pour plus de commodité, à la place du terme plus précis, des Imazighen. Quand à l'origine des Juifs d'Afrique du Nord, il est impératif d'élucider un mythe assez répandu dans les médias actuels. Est-il nécessaire de préciser qu'une présence juive en Afrique du Nord ne peut être possible avant l'époque romaine, pour la bonne raison qu'un judaïsme, dans le sens propre du terme, n'existait point avant cette époque ? La présence de Sidoniens, de Phéniciens ou de Puniques sur les côtes méditerranéennes n'a rien avoir avec la religion monothéiste juive. Il en est de même pour les colonies Israélites ou Judéennes à Yeb (Éléphantine) ou en Basse Egypte qui ne sont qu'un reflet du culte monolâtrique israélite de l'époque monarchique pré deutéronomiste.

 Par contre, avant même la destruction de Jérusalem et de son temple en l'an 70 par les Romains, et la perte de l'indépendance, une diaspora judéenne florissait déjà en Afrique du Nord, surtout à Alexandrie où fut traduite la Bible trois cent ans environ avant n. e. et en Cyrénaïque. En plus de ces Judéens, il faut prendre en compte l'attrait qu'avaient les gentils, ou les païens, pour l'antique culte judéen, ses traditions ancestrales, sa longue histoire et ses fêtes. Cet attrait engendra un vaste mouvement de conversion à la religion juive, qui fut aussi renforcé par de nombreux païens, des sebomenoï, ou des « craignant Dieu », à la marge de ces convertis, qui avaient une grande admiration pour le Judaïsme, mais qui ne s'étaient pas convertis.

L'accroissement progressif des adhérant à la secte des « partisans de Jésus », devenus plus tard, les Chrétiens, terme qui n'existe quasiment pas dans les textes du Nouveau Testament, est due entre autres au passage de la plupart de ces nouveau Juifs et des « craignant Dieu », sous les règnes des empereurs Constantin et Justinien, du Judaïsme au Christianisme, qui était moins exigeant dans ses pratiques rituelles. Il ne fait plus de doute, comme le précise Maurice Sartre, qu'un grand mouvement de conversions au judaïsme traversait tout le monde romain. Plus de 10% de la population de ce monde, surtout en Afrique du Nord et en Orient, sont Juifs, sans compter les sympathisants de cette religion. Néanmoins on ne peut parler du Judaïsme de l'époque comme d'une religion prônant un prosélytisme actif, ceci, malgré quelques judaïsations forcées en Galilée et en Judée, sous les rois hasmonéens

 Mais contrairement à l'avis de l'historien Shlomo Sand et du linguiste Paul Wexler, rien ne prouve que tous ces nouveaux convertis réussirent à surmonter les pressions de l’empereur Justinien au VIe siècle, et de la conquête militaire musulmane, et restèrent juifs. Les seuls qui pouvaient, à la rigueur, s'accrocher à leur religion ne pouvaient être que les Juifs qui l'étaient par ascendance familiale et non par adoption tardive. Avec l'avènement de l'Islam au VIIe siècle, la majeure partie des habitants autochtones de l'Afrique du Nord, les Imazighens, convertis d'abord au Judaïsme, puis au Christianisme, furent pratiquement tous contrains à s'islamiser. Ce qui rend très probable, à mon avis, la constatation que les seuls nord-africains qui sont restés juifs ne devaient être que ceux qui, à l'origine, avaient émigrés de la Judée et de la Galilée.

Aussi, la thèse défendue par l'historien tunisien Ibn Khaldoun (1332-1406) dans son livre l'Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale, selon laquelle les Berbères seraient des descendants de Cananéens et que le personnage de Dihya el Kahina serait d'origine juive a été largement réfutée par les historiens Abdelmajid Hannoum et Gabriel Camps. Malgré le mouvement berbériste qui cherche à s'affranchir du joug de la culture arabo-musulmane, en mettant en avant les origines juives des Berbères ou l'origine berbère des Juifs nord-africains, il faut se rendre à l'évidence et ne pas prendre des mythes pour des vérités historiques. Malgré la sympathie que ressentent actuellement les Juifs d'Afrique du Nord pour certains de ces mouvements représentés dans le Web, les Juifs nord africains, dans leur grande majorité, ne seraient donc pas des Berbères convertis mais principalement des anciens Israélites et Judéens émigrés de leur pays, avant et surtout après la révolte contre les Romains.

 Dernièrement, Shlomo Sand dans un livre pamphlétaire prôna l'inexistence d'un peuple juif qui à son avis fut inventé de toute pièce par le mouvement sioniste. Ce qui assez dissimulé dans son livre c'est le fait qu'il ne fait que répéter ce qu'avaient déjà dit quasiment tous les historiens du peuple juif bien avant lui. En outre, aucun historien sioniste n'a jamais prétendu que les origines des Juifs étaient ethniquement, biologiquement ou génétiquement exclusives ou que tous les Juifs devaient obligatoirement avoir des ascendants remontant aux populations des royaumes d'Israël et de Juda. Les brassages constants de populations à travers les siècles ont effacé toute possibilité d'évoquer une définition à base ethnique du peuple juif et de quasiment toutes les populations des états-nations actuelles. Il serait aussi ridicule, comme essaient de le faire certains généticiens peu scrupuleux de la rigueur scientifique, de vouloir prouver à tout prix l'existence d'un dominateur génétique commun à tous les Juifs du monde actuel.

Durant tout le Moyen âge, l'Afrique du Nord et l'Espagne ne formaient qu'un seul domaine culturel et les lettrés juifs à l'époque voyageaient facilement d'une communauté à l'autre. Ce brassage de population ne permet plus de distinction ethnique entre les Juifs d'Espagne et ceux de l'Afrique du Nord. Cependant, avec l'expulsion des Juifs d'Espagne et du Portugal, après 1492, les Juifs de la péninsule ibérique, devenue chrétienne, émigrèrent en partie en Afrique du Nord et composèrent une communauté distincte par ses origines et son particularisme. On les appelle les megorashim, les expulsés, par rapport aux toshabim, les autochtones, termes que l'on retrouve principalement dans les actes de mariages, les ketubot. Grâce à ces nouveaux venus qui constituèrent une aristocratie locale, le dialecte judéo-arabe marocain, dans toute sa diversité, est encore truffé d'espagnol dans le domaine lexical. Jusqu'au XIXe siècle, on continua même de traduire à Meknès dans des textes du droit juif, dans les responsa (les sh'elot u-teshubot), certains termes de l'hébreu en espagnol, pour qu'ils soient mieux compris par le lecteur.

Bien avant le protectorat espagnol de 1912, l'Alliance Israélite Universelle établit des écoles françaises au nord du Maroc. Sa première école fut construite à Tétouan en 1862. Vinrent après celle de Larache en 1864, et de Tanger en 1902. Cet avantage qu'avait la communauté juive du Nord du Maroc dans le domaine de la francisation scolaire entraîna, après la guerre, une émigration vers la ville moderne de Casablanca. Il est généralement admis que le processus inégal de scolarisation engendra inévitablement des écarts sociaux-culturels entre les communautés du Maroc et surtout entre les divers quartiers de la ville de Casablanca où habitaient les Juifs.

 Ce qui est relativement méconnu, sont les vastes activités sociales et les œuvres de bienfaisances, aussi bien traditionnels que modernes, que déployèrent les dirigeants des communautés en faveurs des couches sociales déshérités, surtout dans les Mellahs des villes. C'est ainsi que l'on peut trouver des originaires de Tétouan, Tanger, Ceuta, Larache et Melilla à la tète de la plupart des institutions sociales et culturelles juives à Casablanca. Citons principalement S. D. Levy qui fonda la plupart des institutions sociales et éducatives de la communauté ; Alfonso Sabbah qui avec Jo Lasry et Daniel Levy qui étaient à la tête de l'association Charles Netter et regroupait en son sein tous les Mouvements de la jeunesse juive ; les écrivains Carlos de Nesry et Raphaël Benazeraf ; le ministre du premier gouvernement marocain le docteur Léon Benzaquen ; les hommes politiques de gauche : Meyer Toledeno et Marc Sabbah et David Benazeraf ; les militants communistes Sam Benharroch, Ralph Benharroch-Maudi, Jo Bendellac et Abraham Serfaty, Les juristes qui défendaient la cause juive

Helène Cazes Benattar, Akiba Benharroch et Salomon Benchabat. Enfin deux personnalités juives restées dans l'ombre : Sam Benazeraf et Isaac Cohen Olivar, qui grâce à leur médiation, fut conclu « l'accord de compromis » pour l'évacuation des Juifs du Maroc, en août 1961.

Ygal Bin-nun-Samuel Daniel Levy- Une figure emblématique du Judaïsme marocain d'origine espagnole-Brit No 29

 

Samuel Daniel Levy 

Une figure emblematique du Judaisme marocain d'origine espagnole – Ygal Bin-Nun 

Une figure emblématique du Judaïsme marocain d'origine espagnole

Samuel Daniel Lévy naquit à Tétouan le 4 décembre 1874. Il était de nationalité britannique qu'avait reçue son père installé à Gibraltar. Il fit ses études dans sa ville natale et à l'âge de quinze ans les continua à Paris, à l'école Normale Israélite Orientale d'Auteuil.

En 1893, il fut nommé instituteur à Tunis où il enseigna pendant un an, à Sousse pendant deux ans, à Tanger trois ans, et quatre ans à Casablanca où il fut directeur d'école. Dans cette ville il fonda la première école de filles au Maroc.

En 1900, il créa l'Association des Anciens Élèves de l'Alliance. Deux ans après, il fut nommé directeur puis inspecteur de la colonie Mauricio, dans la province de Buenos-Aires, en Argentine où il dirigea les écoles agricoles fondées par le Baron de Hirsch (Jewish Colonization Association). Sa carrière sociale et culturelle commença au lendemain de la première Guerre Mondiale. De retour au Maroc en 1913, pendant quarante ans et parallèlement à une carrière d'homme d'affaires, il créa ou participa à la création d'un nombre considérable d'œuvres sociales : l'association « Aide Scolaire » qui fournissait des repas aux enfants de familles déshéritées, des cours du soir et une des cours d'apprentissage. À partir de 1936 il s'attela à la fondation de centres médicaux comme le Centre Anti-Tuberculose, le Préventorium de Ben-Ahmed ainsi que la Maternelle et la Garderie.

Entre 1914 et 1918 il siégea comme membre du comité de la communauté juive de Casablanca. En 1916 il participa avec Jonatan Thurz à la création du journal L'Avenir Illustré. Au printemps 1935, il entreprit un premier voyage en Palestine sous mandat britannique en compagnie de Raphaël Benazeraf et de Salomon Kagan. Il effectua un second voyage en Israël en 1951) à la veille de l'indépendance du Maroc. Samuel Daniel Lévy a aussi milité pour la consolidation d'un Foyer National Juif et fut pendant 35 ans le président du Keren Kayemeth Leisrael.

 Dans le cadre de son activité sioniste, il assista aux assises du premier Congrès Juif Mondial en 1936 à Genève. En juillet 1944, il démissionna de la présidence de la Fédération Sioniste du Maroc et céda sa place à Paul Calamaro et Salomon Kagan. En novembre 1944, l'assemblée générale des associations juives marocaines nomma Samuel Daniel Levy comme chef de la délégation marocaine à la conférence du Congrès Juif Mondial qui s'est réunie à Atlantic City en décembre de la même année. A cette délégation prirent part Prosper Cohen, Menahem Murciano, Joseph Tolédano et Jacques Pinto. Les deux derniers étaient déjà des citoyens américains qui finançaient des œuvres de bienfaisances juives du Maroc. Lors de cette conférence Levy fut élu vice- président de la Commission Politique. C'est à cette époque que son idéal sioniste évolua en faveur de l'émigration vers Israël à laquelle il s'était opposé auparavant. Grâce aux contacts qu'il établit aux USA, il fonda en 1945 les écoles professionnelles de l'ORT et un an après les dispensaires médicaux de l'OSE. En 1952 il retourna aux USA pour une collecte de fonds destinés au fonctionnement de ces institutions.

Pour la diffusion de la langue hébraïque moderne, il créa en 1944 l'association Magen David, et au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en 1946, il fonda l'École Normale Hébraïque au quartier Oasis de Casablanca après que ses requêtes auprès de l'Agence Juive à Jérusalem restèrent sans effets. Cette école, sous la direction du rabbin Isaac Rouche à qui succéda Emil Sebban, forma de jeunes maîtres d'hébreu répandus au Maroc, en Europe et au Canada. A la mémoire de son professeur à l'école de Tétouan Abraham Ribbi, il créa un fond de Bourses pour étudiants. C'est aussi Levy qui créa la Fédération des Associations d'Anciens Élèves de l'A. I. U. au Maroc, le Centre Social du Mellah, l'Union des Association Juives de Casablanca et le Comité d'Études Juives.

Samuel Daniel Lévy mourut à Casablanca à l'âge de 97 ans, le 16 avril 1970. Un an après, à l'initiative du Président de la Communauté Israélite de Casablanca, l'ancien ministre Léon Benzaquen, l'institution « Home de Vieillards » prit le nom de S. D. Lévy. Avec ses prédécesseurs Moïse Nahon, Haïm Tolédano et Isaac Larédo, il reste une des figures les plus emblématiques du Judaïsme marocain du début du XXe siècle. À l'occasion de son 80e anniversaire, E Sikirdji publia une brochure éditée à Casablanca, sur l'essentiel de son œuvre : S. D. Lévy, Une belle figure du Judaïsme .marocain

Le 4 déc. 1885 a été inaugurée à Mogador une école de fille, où l'enseignement était en Anglais. Mme Stella Corcos dirigea cette école pendant plus de 40 ans. (Eliezer Bashan – Femmes de valeur juives au Maroc, pp 100) Stella Corcos et son école de filles ont été citées à plusieurs reprises dans Brit, surtout dans le numéro 25. (Ndlr)

Ygal Bin-nun-Samuel Daniel Levy- Une figure emblématique du Judaïsme marocain d'origine espagnole-Brit No 29-page 45-47

Nessim Sibony-Des jouets dans la societe juive marocaine-Brit 29

ברית 29

Nessim Sibony

Des jouets dans la societe juive marocaine

Le jeu de la toupie

Contrairement aux jouets dans les societes occidentales qui sont orientes vers l'enfance et coupent les enfants des adultes, les jouets et les jeux dans la societe juive marocaine integraient l'enfant dans la societe environnante puisqu'il n'existait pas de marchand de jouets et que chaque artisan produisait marginalement et sur commande la partie du jouet qu'il pouvail realiser avec son materiel et de par sa profession. C'est ainsi que pour avoir une toupie, il fallait trois corps de metiers, les visiter tous les trois et attendre que l'artisan soit disponible pour notre requete. Le corps de la toupie etait l'oeuvre du tourneur qui decoupait la toupie dans un gros baton de bois en se servant de mouvements synchronises des mains et des pieds. La pointe de la toupie etait l'oeuvre d'un fondeur de cuivre, dinandier. II fallait donc attendre que le moule soit realise avec toutes sortes d'elemenls necessaires a l'armature des plateaux. On attendait que le cuivre durcisse etl que la glaise chauffee sur le meme feu eclate, que tout le moule soit place dans l'eau et que les elements en soient separes. L'artisan enfin commengail a limer la pointe en cuivre pour l'orgueil de la toupie. On parlait avec l'artisan et on apprenait tout de son metier. Puis e'etait le tour de la ficelle qu'il fallait acheter chez le mercier en choisissant le bon diametre et en l'enroulant sur la toupie pour determiner la longueur necessaire, marchander le prix et couper. II fallait donc visiter trois corps de metiers au moins. Car si l'on voulait ajouter une ou cinq punaises sur le sommet pour devier lout coup d'en haut, il fallait passer aussi par le quincaillier. A la longue on connaissait toutes les activites des menuisiers, des tourneurs, des ferblantiers, des cordonniers, des exploitants de pneus comme matiere premiere, des cordeliers, des teinturiers, des marchands d'epices et de colorants, des potiers, des tisserands, des dinandiers, des tourneurs, des fabricants de plateaux, voire des tailleurs dont les restes servaient a remplir nos balles de jeu faites de chaussettes remplies d'etoffes ou de chanvre.

 

  1. Pour posseder de bons jouets il fallait bien connaitre tous les artisans de la cite. D'autres jouets prolongeaient nos contacts avec les parents, les grands parents, les freres et soeurs aines. C'est avec leur aide qu'il etait possible de confectionner tous les jouets en roseau, en papier et en feuilles de palmier, ils etaient les aides ou les maitres que nous devions suivre et imiter.
  2.  
  3. Il fallait donc d'abord passer par la societe adulte pour parvenir a la societe des enfants dans laquelle le jouet avait enfin une fonction ludique. Cette boucle la etait la composante culturelle essentielle de cet univers. Quand bien meme on achetait une toupie toute faite on se trouvait face a un jouet qui ne correspondait pas a toutes nos exigences car ce n'etait qu'une matiere premiere pour ainsi dire. La premiere etape consistait a la debarrasser de sa huppe appelee ENNOUASSA.
  4.  
  5. On frottait ensuite cette partie contre le sol pour bien l'arrondir, puis on placait une punaise afin de devier les coups qui pourraient tomber d'en haut. Cette operation etait une conversion de la toupie en un element masculin. La deuxieme etape consistait a mettre un rivet a la pointe afin d’empecher la pointe de trop s'enfoncer. Ce rivet l'arretait. C'etait aussi une occasion de changer de pointe ou de limer la pointe pour la rendre plus pointue. On essayait alors la toupie dans des cours avec carrelage et dalles afin de verifier si la toupie tournait parfaitement. On disait d'une toupie qu'elle etait danseuse quand elle sursautait: SETT AHA.
  6.  
  7. On la reparait nous-memes en affinant la pointe contre une pierre ou en decalant le centre. Enfin, on ajoutait d'autres punaises tout autour et on avait son instrument pret pour la parade. Car le jeu de la toupie etait un veritable match. Mais personne ne commencait a jouer a la toupie contre des adversaires de but en blanc.
  8. Nessim SibonyDes jouets dans la societe juive marocaine-Brit 29
  9. Le jeu de la toupie

Recent Posts


הירשם לבלוג באמצעות המייל

הזן את כתובת המייל שלך כדי להירשם לאתר ולקבל הודעות על פוסטים חדשים במייל.

הצטרפו ל 219 מנויים נוספים
מרץ 2024
א ב ג ד ה ו ש
 12
3456789
10111213141516
17181920212223
24252627282930
31  

רשימת הנושאים באתר