La soupe-deuxieme partie-Joseph Dadia

De retour de la synagogue, nous passâmes directement à table pour le repas de la fête, alléchés par tant d’odeurs agréables qui se répandaient de partout, embaumant l’air que nous respirions. Maman savait, pour les fêtes, donner un sens particulier à la maison en couvrant les lits et les divans d’étoffes chatoyantes flambant neuf, dont elle avait le secret et qu’elle ne sortait que le moment venu pour nous émouvoir par d’agréables surprises. Pour chaque fête, maman ornait la table d’une nappe richement coupée et brodée dans les plus belles étoffes.
Mon épouse Martine nous réserve les mêmes surprises. Martine, par bien des côtés, ressemble à mes tantes Fréha et Marie Tuizer. Je retrouve en elle celles que j’ai aimées. La Tora nous l’enseigne à propos de notre patriarche Isaac qui aima Rivqa comme sa mère Sara. J’espère que ces propos, empreints d’affection, ne choqueront pas la fibre européenne de mon épouse.
Quand je me remémore tous ces souvenirs et que je rêve à ces moments merveilleux de mon enfance et que je me revois à la table familiale, je me demande à chaque fois : mais où s’asseyait-elle maman ?
Franchement, je ne la vois pas à table. Nous étions tous assis sur des chaises ou sur un divan et, quant à elle, elle se mettait sur un tabouret bas, el kersi d’el hbal, prenant son repas à proximité de nous sur l’une des minuscules tables basses, lesquelles doivent un nom approprié pour les désigner, et que je ne connais pas. Bien plus tard, je la revois debout allant de convive en convive pour s’assurer que nos invités goûtent à ses mets et les mangent à leur aise. Elle avait l’habitude d’encourager ceux qui partageaient nos repas en leur disant : « Mange, cher ami, ici tu es chez toi. Ne ressens aucune gêne ni aucune honte.
En Israël, elle préférait manger dans sa cuisine, son domaine réservé où elle régnait en tant que maîtresse de maison. Mon infini plaisir était de la voir assise à côté de moi, à l’heure où je savourais un bon verre de thé à la menthe bien chaud tout en dégustant une msemna moelleuse et sucrée, un véritable régal pour un goûter au retour de la baignade, un jour de canicule en Israël, l’été. Cette msemna serait une cousine du kouign-amann breton.
William Lemprière, médecin anglais, séjourna à Marrakech en 1789 dans le quartier des Juifs chez des gens honnêtes, dont leur maison était spacieuse, bien éclairée et dans un quartier retiré. Son périple au Maroc donna naissance à un long carnet de voyage qui a été publié. Il a écrit des pages admirables sur les femmes juives de Marrakech, blondes et fort belles. Il trouve que les femmes juives, une fois mariées, n’ont guère plus de liberté que les femmes des Maures, et les unes et les autres ne mangent jamais avec leur mari, qui veulent être toujours regardés comme des maîtres. Je pense qu’il s’agit là du jugement d’un européen. Si maman ne mangeait pas toujours avec nous à table, c’est parce qu’elle l’a décidé elle-même en toute liberté, par tempérament personnel, discrétion, modestie et humilité, à l’instar de notre matriarche Sarah qui s’est retirée dans sa tente pendant que le patriarche Abraham déjeunait avec ses trois invités à l’ombre d’un arbre, un jour de chaleur.
Je reviens aux soupes. La soupe de Pessah tirait sa notoriété des différents légumes et condiments qui la composaient, en particulier les fèves fraîches sans peau. J’aimais cette fête pour cette soupe qui n’avait ce bouquet qu’à Pessah. Une fois la fête terminée, l’arôme printanier de cette soupe partait avec elle jusqu’à l’année prochaine. Martine a appris sur mes indications, et, grâce à ses compétences dans le domaine culinaire, à me servir cette soupe comme du temps jadis. Il m’arrivait de parler de cette soupe à maman. Elle me disait, à chaque fois, avec son humour et sa sagesse habituelle, que si je voulais de cette soupe, je n’aurais qu’à venir en Israël. Cette soupe représentait pour moi tout ce qu’il y avait de savoureux et d’exaltant dans cette fête de la délivrance et de l’espoir. Son goût et sa couleur traduisent tout le bien que je pense de l’oncle Pessah. Quand je pense à la fête de Pesah, en fait c’est à sa soupe que je dédie le meilleur de ma pensée et de mes émotions. Exquise soupe de mon enfance qui fait revivre ma tendresse infinie pour maman et les beaux jours d’une existence bercée par cette insouciance marrakchie. Pessah, c’était le bonheur sur cette terre, une manière de vivre, de joie et de félicité. Pessah est un long poème d’amour, pour toujours. Cette fête a été célébrée par nos Sages et Maîtres dans le récit de la Hagada de Pessah et chantée par nos plus grands poètes en hébreu, en arabe et en berbère, et en d’autres langues. Quand vint le dernier jour de la fête, la coutume et les traditions familiales ont imaginé mille façons de la prolonger et d’accompagner son voyage par des cérémonies d’allégresse et de chants, où faste et folklore se mêlent intimement. Je fais allusion à la Mimouna. Dans certaines familles, en ce soir de Mimouna il était d’usage chez elles de lire la Hagada de Pessah comme au premier soir de la fête. Face à Derb el Hbas habitait à l’étage d’une maison une famille que je ne connaissais pas qui lisait/relisait la Hagada de Pessah. Je le sais puisque j’ai entendue de la rue que je traversais leur lecture. C’est tout à fait par hasard que je suis passé par là. J’ai gardé cela pour moi ayant pensé que ce fait était connu des Marrakchis.
Les rites religieux ont donné naissance à des pratiques culinaires qui constituent un art de vivre, un rempart contre les tentations de toutes sortes et les sirènes de l’assimilation. L’art de la cuisine et la diversité des mets chez les Juifs répondaient à l’aspiration de rendre plus doux et plus supportable le poids de la vie au quotidien et de permettre à chacun d’oublier la rigueur de l’exil.
La cuisine juive est un formidable hymne à la vie et un bouclier pour conjurer les mauvais sorts de la servitude et de l’adversité. La cuisine fait partie de la culture juive et occupe un espace important dans la vie familiale. Tout comme l’éducation, le sport, la liturgie. C’est un fait important de la civilisation juive, un champ immense de son patrimoine. J’ai vécu de très longs mois au sein de la communauté juive d’Akka dans l’extrême-sud marocain, en tant qu’instituteur chargé de la Direction de l’école de l’Ittihad Maroc alias Alliance Israélite Universelle, et j’ai partagé mes repas avec plusieurs familles. Cette région, malgré son oasis aux palmiers centenaires et une agréable petite vallée où coulait paisiblement un ruisseau, croulait sous une chaleur quasi-saharienne.
Les mets étaient épicés de sauces piquantes mais agréables au palais. Le pain, préparé par chaque famille et cuit dans son four, fondait dans la bouche et se mangeait tout chaud, trempé dans la sauce et le » bouillon des aliments. La nourriture passait malgré le climat torride et la chaleur qui sévissaient à l’extérieur. Tout l’art résidait dans la manière de préparer les repas. Manger dans des conditions climatiques pareilles était un réconfort et une bénédiction pour la vie de tous les jours. Il n’y avait ni réfrigérateur, ni air conditionné. Et les gens mangeaient à leur faim, avec appétit. La cuisine, c’est comme l’étude de la Tora. Elle a permis aux Juifs de traverser le temps d’espérer en l’arrivée de jours meilleurs, de liberté, et de sécurité.
Le calendrier Joseph Bloch, rédigé par le Grand-Rabbin Edmond Schwob, et édité chaque année par l’Alliance Israélite Universelle, cite un texte de Monsieur Patrick Simon et de Monsieur Claude Tapia, qui va dans le sens des idées que je viens de développer. Je cite : « Les pratiques culinaires constituent un lieu de mémoire trop longtemps méprisé. Elles véhiculent l’identité culturelle autant, sinon plus, que des productions plus nobles comme la musique ou la littérature. En situation d’exil, elles tendent à devenir le refuge d’un mode de vie nécessairement altérer au contact du nouvel environnement. La fonction prééminente des pratiques culinaires est renforcée par la dimension familiale des repas. C’est au cours de ces moments privilégiés où la famille est réunie que s’effectue la transmission des rites religieux et des coutumes que se racontent les légendes et les histoires édifiantes fondant l’identité juive populaire. »
Le mot soupe vient du Francisque suppa par le latin populaire suppa, le sens premier étant « Tranche de pain sur laquelle on verse un bouillon ». La soupe, c’était une tranche de pain coupée mince qu’on mettait dans un bouillon. D’où l’expression soupe de pain. Tailler la soupe : couper du pain par tranches pour le mettre dans le potage. La langue française, si riche et colorée en vocabulaire, a trouvé plusieurs termes pour dire soupe : garbure, potée, minestrone, panade, consommé, chaudrée, etc. Le potage est la soupe des bourgeois. A côté de la Légende des soupes, il y a place pour une Anthologie des soupes. Par extension, la soupe, c’est le dîner en général. Le mot est à l’origine de nombreux idiomes : soupe au lait, trempé comme une soupe, soupe populaire, marchand de soupe, dès la soupe, etc. En argot, des expressions comme : par ici la bonne soupe, manger de la soupe à la grimace, etc. Et puis il y a les dialectes, les patois. Le mot soupe à lui tout seul est une mine inépuisable pour décrire la civilisation et le comportement des individus d’un pays donné.
L’Allemagne s’est illustrée par sa soupe à bière.
« Dis-moi quelle soupe tu manges, et je te dirai qui tu es ».
Dans le temps, l’habitude, très répandue, était de manger la soupe dès le matin. Une bretonne m’a raconté que les ouvriers de son bourg et des alentours venaient, dès potron-minet dans son café, avant de se rendre à leur travail, pour manger la soupe.
De nos jours, le petit déjeuner du matin a remplacé la soupe, et les gens boivent en général du café ou du thé ou du chocolat en poudre dans du lait bien chaud, avec des tartines beurrées ou à la confiture, voir aussi des cornflakes.
A Marrakech, la ville où je suis né, certains petits boutiquiers se levaient vers trois ou quatre heures du matin pour préparer dans de grandes marmites une soupe dite lhso d’alli, faite de semoule très fine, smid. Ben-Maliha, un membre de la famille du côté de ma tante Marie Tuizer née Nezri, faisait partie de cette honorable et courageuse corporation de trois ou quatre membres. J’ai vu de mes propres yeux l’échoppe de Ben-Maliha qui dormait la nuit dans sa boutique pour être sur place au moment de son réveil.
Viviane et Nina Moryoussef précisent dans leur livre La cuisine juive marocaine que cette soupe, appréciée au petit déjeuner, se préparait de la même façon que la soupe d’orge, dans laquelle l’ingrédient principal était le fenugrec, halba. Madame Maguy Kakon dans La cuisine juive du Maroc de mère en fille explique : « Alé ou illan, appellation d’origine berbère, jamais traduite. C’est une céréale de la famille des graminées comme l’orge. Elle est utilisée dans les soupes, l’hiver par les Marrakchis, les Meknassis, les Fassis et les Séfriouis. On accompagne la soupe d’alé de dattes, de croûtons ou de pain rassis. On dit qu’elle favorise la consolidation des os. Elle était vendue dans des gobelets tôt le matin dans les échoppes de Marrakech ».
Mes recherches dans des livres spécialisés ne m’ont rien appris de plus sur le fenugrec dont le nom scientifique est Trigonella foenumgraecum et qui correspond bien au holba.
La soupe-deuxieme partie-Joseph Dadia
La soupe-Joseph DADIA-derniere partie

J’aimais bien la soupe faite de fleur de farine que maman me préparait plus particulièrement le samedi soir afin de mieux digérer les repas riches et variés du shabbat. Maman aimait combler mes souhaits, même si parfois ils découlaient des caprices de l’enfant gâté, à qui rien n’a jamais été refusé. Maman se levait de son lit pour me préparer cette soupe, et parfois à une heure avancée de la nuit. Elle appréciait de son côté cette soupe quand elle avait mal à la tête. Cela l’aidait à mettre de l’ordre ait dans ses idées et à récupérer du surmenage. Cette soupe était une vitamine. De nos jours, les gens se gavent de comprimés pour calmer un mal de tête.
La soupe est une nourriture universelle. Chaque civilisation et chaque peuple ont su adapter à leurs besoins des variétés de soupes en fonction des ressources mises à leur disposition. Là où l’homme s’installe, il développe aussitôt une capacité à produire de la farine à partir de ce qu’il sème, en créant une technique de mouture et en construisant un four pour cuire ses aliments, au premier rang desquels il a inventé un liquide à boire et du pain à manger. Les aspirations illimitées de l’être humain ont forgé ses goûts pour répondre à ses envies et à ses appétits. De là le monde des soupes et il faudrait un travail encyclopédique pour le nommer et le dénombrer. L’imagination de l’homme est sans frontières et sans bornes.
La soupe de petits pois cassés nous réchauffait les soirs d’hiver et le poivre lui donnait toute sa valeur gustative et nutritive. Je pense que les gens de ma génération la préféraient à la soupe aux haricots blancs, à ne pas confondre avec le plat dit loubia composé d’haricots blancs avec ou sans œufs.
Un jour à Marrakech, je suis venu voir maman en compagnie de mon ami Isaac Elbhar pour lui demander de nous apprendre quelques recettes de cuisine, faciles à réaliser. J’ai pris un cahier d’écolier dans lequel j’ai noté avec soin les indications de ma mère. A cette époque j’étais scout dans la troupe Oukaïmeden des Eclaireurs de France, et nous devions rejoindre les autres troupes à Ein-Kala du côté d’Aïn Leuh dans le Moyen-Atlas, un endroit assez difficile d’accès dans les espaces escarpés parmi des cèdres centenaires, et fréquentés par des singes et autres animaux sauvages, sans parler des brigands qui rôdaient dans cet environnement.
Avec mon ami Isaac Elbhar nous donnions un coup de main pour la préparation des repas de notre Troupe. Un jour par temps couvert et froid, nous avions prévu pour le repas du soir une soupe de petits pois cassés pour nous remonter le moral à tous. Il n’y a qu’une bonne soupe pour satisfaire tout le monde. La marmite trônait sur un feu de fortune que les astuces scoutes savaient faire. De temps en temps, à tour de rôle, mon ami Isaac ou moi, on passait pour surveiller la cuisson, remuer le bouillon, ajouter un peu de poivre, goûter et rajouter encore une petite pincée de poivre pour donner de la saveur à la soupe, que les camarades épuisés, par une journée de jeux et de randonnées, attendaient pour apaiser leur faim et puiser les forces et le réconfort avant d’aller sous la tente s’allonger sous une couverture et dormir du sommeil du juste. A chaque passage devant la marmite, j’ajoutai dans la soupe du poivre, ignorant qu’Isaac venait de faire de même. A la fin, ce n’était plus une soupe aux pois cassés, mais plutôt une soupe au poivre. Les petits pois gorgés et saturés de tant de poivre ont fini par absorber l’eau et les autres ingrédients, et il ne restait qu’à couper la soupe au couteau comme un gâteau. Nous avons beaucoup ri et nous sommes partis au lit le ventre creux. Le chef de Troupe Lévy n’était pas content. Michel Bénisti, notre chef de patrouille, notre pote à tous, a calmé le jeu.
Ta-Leghsa, la soupe aux fèves sèches décortiquées, accompagnée d’une espèce de crêpes épaisses appelées en patois berbère El-qross, était servie le dernier jour de la fête de Soucoth nommé Hocha’ ana Rabba, la Grande délivrance.
Certains soirs d’hiver, nous buvions avidement par lampées de cette soupe pour affronter le froid « dans la pièce que le kanoun ne parvenait pas à chauffer ; en Afrique du Nord, de mémoire d’homme, oncques ne vit-on un feu qui chauffe » Henry de Montherlant.
La cabane de la Fête de Soucoth me renvoie au 8 rue Latana, au mellah de Marrakech, à Dar Rabbi Azar Halévi où nous avions habité.
Une marrakchie, Madame Hélène Gans née Perez, a écrit, il y quelques années de cela, un livre très attachant qu’elle a intitulé « Marrakech la rouge – Les Juifs de la Médina dans une collection « La cuisine de mes souvenirs ». Elle a su alterner dans son ouvrage les souvenirs d’une adolescence heureuse dans les années 1940 et 1950, avec la présentation de recettes d’une cuisine ancestrale transmise par sa mère.
Je ressens un plaisir de citer des passages de son livre qu’elle m’a gentiment offert par l’intermédiaire de ses parents, des amis marrakchis, tout dévoués à l’Association des Juifs de Marrakech : « Dans cette société juive d’autrefois, préparer la nourriture était l’occupation la plus longue des femmes. Eplucher les légumes, ces infinies variétés de légumes, cardons, bettes, céleris, petits pois, haricots, fèves, topinambours, truffes, petits artichauts, chardons et gros artichauts à tête douce, sans compter les carottes, haricots ou tomates et tous les autres primeurs, plumer les volailles que l’on achetait vivantes avant de les faire égorger par le rabbin du boucher, préparer la viande pour la rendre casher en la lavant et en la salant, puis la hacher pour en faire des boulettes, et trouver encore le temps de préparer des gâteaux où se concentrait tout l’amour maternel. »
Admirable prose, musicale et poétique, qui se déguste comme les petits plats qu’elle nous propose. Elle décrit par le menu les repas quotidiens et ceux des grandes fêtes annuelles, en soulignant au passage ce qu’elle appelle les fêtes sociales : naissances et circoncisions, communions, mariages, ou encore les célébrations attachées au deuil.
Je recommande à tous la lecture de ce petit livre de 131 pages, agréablement bien présentées. Rares sont encore les livres de souvenirs écrits par les juifs sur leur berceau natal. Cet ouvrage est original à plus d’un titre. L’essentiel, c’est qu’il a été écrit par une marrakchie qui a vécu en dehors du mellah dans un immeuble de Ryad Zitoun el-Jdid, Le Nouveau Jardin des Olives, une rue animée de la Médina. Elle avait de la famille au mellah, dont de célèbres rabbins. Elle parle des cadeaux de Noël qu’elle recevait, c’est parce que les enfants français en avaient, et qu’on ne comprendrait pas des chants de Noël que l’on chantait en France et qu’elle avait appris à l’école. Et les Français du Guéliz chantaient « pour l’édification des peuples frustes que nous sommes, nous petits Marocains. Je les entends encore, peuvent-elles se souvenir ? ».
Peter MAYNE, un auteur anglais, nous a laissé un roman publié en 1957, The Alleys of Marrakech, dont le chapitre quatre traite de Ryad ez-zitoun : « Nor is the Olive Garden more than a road of that name, no trees, no fruit, just a busy little road. »
En réalité, il existe deux rues à proximité du mellah qui portent le nom de Ryad Zitoun L’qdim (l’Ancien) et de Ryad Zitoun L’jdid (le Nouveau). C’est dans ce dernier que résidaient Hélène avec sa famille.
Le mellah de Marrakech a été érigé en 1557 par Moulay Abdallah al-Ghalib Billah sur l’emplacement d’anciennes écuries royales dans le voisinage de jardins historiques – bustan – à l’ombre de la Casbah, à proximité du Palais d’où partait une source d’eau, la sâqiya, qui traversait les rahba et les saqâif, faisait le tour de la Mosquée d’El Mansûr, se dirigeait vers l’Est entre les murs et atteignait Bâb es-Salihiya, vers l’angle du mur, près du mellah à proximité de Bâb Aghmat.
As-Saliha était le premier grand jardin almoravide. On y a amené de l’eau de la vieille cité d’Aghmat, en captant plusieurs sources.
Les enfants disaient : « O sauterelle heureuse, où t’en vas-tu paître la nuit ? Dans le jardin d’es-Saliha ?
Le nom de Bâb es-Saliha était antérieur aux Almohades et s’appliquait à une ouverture de l’enceinte almoravide.
Le mellah de Marrakech, au 17ème siècle, était divisé en deux parties :
- Un lieu-dit : as-Saliha sur lequel se trouvaient 200 maisons.
- Un lieu-dit : al-Matàmin comprenant 50 maisons.
Matàmin veut dire un grenier souterrain.
Pour les besoins d’un recensement en 1890/1891, le mellah de Marrakech a été divisé en quatre quartiers distincts :
- Le quartier dit Foundouq el Ousti ;
- Le quartier dit Jamaâ el Kbir ;
- Le quartier dit Dar Youssef el Mlih ;
- Le quartier dit Derb el Meqnine.
Le recensement s’appliquait à dénombrer les maisons où des familles vivaient à l’étroit. Plusieurs membres de la même famille habitaient dans la même pièce, parfois même dans un réduit de chambre, une mesriya. Le nombre des maisons étroites s’élevait à 210 dans las quatre parties du mellah, et le nombre des habitants s’élevait à 5032, les enfants exceptés.
Le terme mellah ne figure pas dans le texte de ce recensement. Il est désigné par une périphrase, « les gens de la dhimma », les protégés de cette bienheureuse ville de Marrakech.
L’appellation mellah est tardive. Le texte hébraïque le plus ancien qui relate clairement le massacre et le pillage de la communauté juive de Fès en 1465 ne mentionne pas le mot mellah.
Pour Marrakech, l’appellation Al-Mellah n’apparaît dans les documents juifs qu’en 1639 et dans un texte arabe datant de la seconde moitié du 17ème siècle.
Auparavant, les auteurs européens appelaient le quartier juif Juderia, Juifverie, Juderie, Juiverie, etc.
Il faut attendre 1767 pour trouver la mention mellah dans les sources françaises, mais le Consul danois Host qui a vécu à Marrakech entre 1760 et 1768 connaissait déjà ce mot.
Gaudefroy-Demombynes a montré qu’al-Mallâh a simplement été un lieu-dit de Fès-Jdid, où les Juifs durent s’installer au début du 15ème siècle, alors qu’ils ont toujours habité Fès Qdim et ce, depuis la fondation de Fès. Il devient un nom commun et passe de Fès dans les autres villes du Maroc pour désigner le quartier assigné aux juifs, nous précise Gaston Deverdun.
Il y a deux cours d’eau au Maroc qui s’appellent Mellah :
- L’oued Mellah entre Casablanca et Boujnika, rivière côtière à 25 km au nord de Casablanca sur la route de Rabat. Sur cet oued se trouve l’unique pont du Maroc construit par les Portugais.
- L’oued Ouarzazate, appelé encore Idermi, provient de la réunion à Tikkirt du Mellah et de l’Imini, descendus de l’Atlas et de l’Irhiri, venu de l’énorme massif volcanique de Siroua.
Emile Laoust signale : « Lmellah, nom de deux lieux dans la vallée du Rdat. L’wad Rdat forme de la branche supérieure du Tansift, celui-ci a sa source à l’extrémité Est des Jebilet. On attribue à un miracle de Sidi Rahal la qualité de fraîcheur de ses eaux. Cf. Edmond Doutté dans son ouvrage En Tribu, page 178. L’Oued Rdat était alors un grand fleuve, brûlant comme du feu, dans un endroit considéré comme une des portes de l’enfer.
J’ai écrit ces pages à la mémoire de maman, il y a plusieurs mois. Je viens d’y apporter quelques modifications de pure forme.
Bourg-la-Reine, le 12 juillet 2001.
Revu à Kervenic-en-Pluvigner
Le vendredi 21 août 2020, correspondant
A la néoménie du mois d’Elloul 5780.
Merq 'Hout
Mot à mot, cela signifie “soupe de poisson ». C’est une marinade composée d’huile, de cumin, kmoun, de piment rouge, d’ail, d’eau et de sel, dans laquelle on macère de la friture de poisson. Ce mélange servait à tremper du pain pour calmer notre fringale. Lorsque maman n’avait rien de prêt à nous proposer à manger au goûter, au retour de l’école, cette marinade la tirait d’affaire et cela nous convenait parfaitement, et nous nous en raffolions. Je pense parfois à ces moments de bonheur simple où de petits riens nous comblaient et nous rassasiaient. De nos jours, nous avons toutes sortes de pâtisseries, de friandises et autres gourmandises pour boucher un petit creux. Certains, jadis, au mellah de Marrakech, se contentaient d’un repas frugal de pain d’orge oint d’huile d’olive et de quelques noires bien salées. Et ils étaient heureux et satisfaits.
Cette image de merq’hout réapparaît des fois devant mes yeux et je songe à maman, à mon père et à mes frères et ma sœur Esther.
Je ne sais pourquoi cette modeste marinade évoque en moi ce que Claude Thouvenot a écrit naguère à propos de l’orange. Ce fruit d’or, au 19ème siècle, était cher à acheter pour les bourses modestes, quatre sous pièce. Un fruit symbole qui était pour certains enfants leur cadeau de Noël, déposé dans un sabot au pied du sapin. Je cite des extraits de son livre, en particulier les pages 149 à 153. Les oranges venaient de Nice et de Menton, puis, après 1850, d’Espagne (les valences), d’Algérie et de Malte Ce n’est que vers les années 1955-60 que l’orange devient un fruit presque banal pour tous.
Dans son livre Le pain d’autrefois, publié à Paris en 1977, il y a des pages magiques relatives aux chroniques alimentaires d’un monde qui s’en va, le pain et la soupe. On mangeait du pain à chaque repas et le pain était partout. Autrefois, chaque maison possédait son four que l’on chauffait que l’on chauffait dès le matin pour cuire le pain.
A la fin du 19ème siècle, la soupe était encore pour beaucoup un plat bioquotidien. La soupe du matin resta longtemps l’élément essentiel d’un véritable repas, avant d’être écartée, vers la fin du 19ème siècle, par le café au lait, d’abord chez les femmes et les enfants.
La soupe-Joseph DADIA-derniere partie
L’arrivée des Juifs du pays d’Israël-Dans le Dra et le Sous- Joseph Dadia

L’arrivée des Juifs du pays d’Israël
Dans le Dra et le Sous
Légende ou Histoire
Sources bibliques, rabbiniques et historiques.
Types et costumes juifs des communautés du Sud.
Leurs ancêtres sont-ils ces rois de la vallée du Dra dont parlent les manuscrits secrets ?
Jean Mazel : Enigmes du Maroc -Robert Laffont, Paris, 1971, p. 96.
AVANT-PROPOS
Ce texte a été écrit entre le 8 novembre et le 31 décembre 2012, en vue du Colloque de Rabat du 8 janvier 2013, dont la finalité est d’établir le plan d’un livre à paraître sur Les Juifs du Sud du Maroc.
Les sources juives accordent de l’importance à l’Afrique du Nord, et, plus particulièrement, au Maroc. Je ne pourrai pas tout citer, étant loin de tout savoir.
Dans la longue bande de territoires présahariens qui s’étend d’Alexandrie à l’embouchure de l’oued Dra […], on trouve partout des traditions locales, y attestant l’existence ancienne de populations sédentaires juives, auxquelles serait liée l’introduction de certaines techniques (métallurgie, forage des puits).
Cf. G. S. Colin : Des Juifs nomades retrouvés dans le Sahara marocain au 16ème siècle.
Les plus grands peuplements des Juifs indigènes dans l’Afrique du Nord sont certainement ceux de l’Atlas et du Soûs marocain ; ils ont été jadis beaucoup plus étendus, non seulement dans l’Atlas, mais dans la Berbérie. […]. Les Juifs du Sud marocain sont une population des plus intéressantes et des plus mal connues, puisqu’on ne possède à leur sujet que les aperçus donnés par de Foucauld. […]. L’étude approfondie de cette société juive, très attardée, est des plus désirables pour la science et il serait bon qu’elle fût faite à bref délai, car l’essor économique du Maroc, non moins que sa transformation politique, vont profondément modifier cette société.
Je pense que le moment est venu pour se pencher sur l’histoire des Juifs du Sud du Maroc.
Un livre reste à écrire par une équipe de chercheurs et de spécialistes des sources juives et arabes. Certes, il existe de nombreux travaux déjà publiés sur telle ou telle communauté. Ce qui manque, c’est un ouvrage, complet, qui traite d’une façon approfondie de toutes les communautés, grandes et petites, et même de celles qui ont disparu et dont on ne parle plus : cartes, statistiques et photos à l’appui.
Les premiers peuples de l’Afrique du Nord
La Tora, dans le chapitre 10 de la Genèse, présente l’origine des nations répandues sur la terre.
D’après les Jubilés, Noé répartit le monde entre ses trois enfants : Japhet eut cinq grandes îles et une grande terre au nord, où il fait froid ; Cham a eu des territoires chauds, et, Sem, un pays qui n’est ni chaud, ni froid. Ce partage eut lieu au moyen de morceaux de bois que les trois frères devaient prendre. Chacun d’eux tendit sa main et tira un écrit dans le giron de Noé, leur père. Grâce à l’écrit du morceau de bois, il échut un lot à chacun.
Cham est le benjamin des trois fils de Noé, le père de l’Humanité II, après le déluge qui eut lieu en 2105-2104 avant notre ère.
Les fils de Cham sont : Koush, Miçraïm, Pout et Canaan. Les fils de Canaan sont Sidon, Het, le Jébouséen, l’Amorrhéen, le Girgashite, le Hiwwite, l’Arquite, le Sinnite, l’Arwadite, le Sémarite, le Hamatite ; ensuite se dispersèrent les clans cananéens (Genèse 10, 6-18)
Note: Jubilés 9, 1 : « Cham divisa son territoire entre ses fils : la première part, vers l’est, échut à Coush. A l’ouest de celle-ci, Misrayim ; à l’ouest de celle-ci, celle de Pout ; à l’ouest de celle-ci, celle de Canaan ; à l’ouest de celle-ci, il y avait la mer. » André Caquot explique : L’Afrique est divisée en quatre régions qu’il n’est pas très facile de situer sur une carte. On apprend plus loin (10, 28-29) que Canaan n’est pas allé occuper son territoire mais est resté au milieu du domaine de Sem. La désobéissance de Canaan, refusant le pays qui lui est attribué, justifie la conquête par Israël, descendant de Sem, du territoire qu’il a usurpé.
L’explication de la conquête de Canaan par Israël, en conformité avec la pensée juive, est donnée par Rashi, cf. Genèse 1,1, dont voici l’essentiel : toute la terre appartient au Créateur ; c’est lui qui l’a créée et Il l’a donnée à qui est droit à ses yeux. De son plein gré, le Créateur avait donné des territoires à Canaan, de son plein gré Il les lui a retirés pour les donner à Israël.
De cette énumération, cinq noms, à des titres divers, vont nous intéresser : Koush, Canaan, et son fils aîné, Sidon, l’Amorrhéen et le Girgashite.
Pour le chanoine Osty, Koush, c’est l’Ethiopie.
Le grand érudit Yehouda Kiel, dans son commentaire de La Genèse, explique que, dans la Bible hébraïque, Koush désigne tous les territoires qui sont au sud de l’Egypte (cf. Ezéchiel 29, 10 : « de Migdol à Syène » ; Migdol, au nord-est du Delta, et, Syène, la moderne Assouan, 1ère cataracte).
Koush serait donc la première nation à venir vivre en Afrique du Nord. Nous trouverons plus tard les Koushites dans le Dra, à la tête d’un royaume.
Canaan est le nom du pays, promis par Dieu aux trois patriarches et à leurs descendants, les fils d’Israël.
Note: Par le pays de Canaan, la Tora vise sept nations: Canaan le père, et cinq de ses enfants, les Hittites, les Jébouséens, les Amorrhéens, les Girgashites, les Hiwwites. A ces six peuplades, il faudra ajouter les Perizzites, peuplade sans aucun lien de famille avec Canaan fils de Cham (cf. Deutéronome 7, 1 ; Josué 3, 10 – c’est uniquement dans ces deux références que l’on trouve la liste complète des sept nations, dont la terre a été promise à Israël ; il y a une autre référence, (Genèse 15, 20-21), où figurent les Perizzites à côté de Canaan et quatre de ses enfants, sans les Hiwwites ; à la place de ces derniers, viennent les Rephaïm, ancienne population de Transjordanie ; c’est le seul endroit où les Rephaïm apparaissent dans la liste qui compose les sept nations du pays du Canaan ; à leur place, il faut lire les Hiwwites. Je donnerai plus loin l’analyse des versets 19-21 de Genèse 10, où, en réalité, il est question de 10 peuplades.
Sidon, plusieurs fois cité dans la Bible hébraïque, désigne les Phéniciens, d’après l’une de leurs anciennes villes, Sidon, aujourd’hui Saïda au Liban.
Tyr n’est pas mentionnée dans la Tora, mais elle l’est dans les autres livres de la Bible hébraïque.
Sidon et Tyr ont été des cités-royaumes indépendantes, écumant la Méditerranée et ses îles, à la recherche de métaux et de richesses.
Les Phéniciens se désignent entre eux par leurs cités d’origine : Gubal (Byblos), Biruta (Beyrouth), Hilduua (Khaldé), Sidon (Saïda), Sarepta (Safarand, entre Tyr et Sidon, se nomme ainsi pour ses corporations d’orfèvres), et Sur (Tyr).
Même quand Tyr va prendre de l’importance sur Sidon, à partir du Roi David, le nom de Sidoniens continuera de s’appliquer.
Tyr a entretenu, d’une façon constante, d’excellentes relations politiques, économiques et commerciales avec le Roi David, le Roi Salomon (globalement pour les deux, 10ème siècle avant notre ère), et le Roi Omri (1ère partie du 9ème siècle avant notre ère).
Les juifs ont habité pendant de longs siècles à Tyr et à Sidon. La dernière famille juive, la famille Mansour, quitta Tyr durant la Seconde Guerre Mondiale, et alla vivre à Sidon, où une communauté juive a vécu jusque dans les années 1960-1970.
L’arrivée des Juifs du pays d’Israël-Dans le Dra et le Sous- Joseph Dadia
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L’arrivée des Juifs du pays d’Israël-Dans le Dra et le Sous- Joseph Dadia

Après les Koushites, vont venir s’installer en Afrique du Nord l’Amorrhéen et le Girgashite. Mais quand et dans quelles circonstances ?
La Bible ne dit rien à ce sujet. Des sources talmudiques et paratalmudiques vont nous apprendre que l’Amorrhéen et le Girgashite ont spontanément quitté leur pays de Canaan, avant la conquête par Josué ben Navé, successeur de Moïse.
Josué, avant de passer à l’attaque, prit la précaution de faire parvenir aux habitants de Canaan un écrit comminatoire, appelé dans le texte ditagimaot ou prodigimaot, du grec prostegma. Ce mandement mentionnait trois conditions : – ceux qui veulent quitter le pays, ils peuvent le faire librement ; – ceux qui veulent faire la paix avec nous, ils peuvent le faire ouvertement ; – ceux qui veulent nous déclarer la guerre, ils n’ont qu’à se préparer à la guerre.
De toutes les peuplades cananéennes, seuls l’Amorrhéen et le Girgashite ont quitté le pays de Canaan pour émigrer en Afrique du Nord.
Les Gabaonites sont parvenus, par ruse, à conclure une alliance de paix avec Josué, et ils eurent la vie sauve.
Trente et un rois firent la guerre, et ils périrent.
Pour récompenser l’Amorrhéen et le Girgashite, Yahvé les installa en Afriqé/Afriqi/Afriqia, l’Afrique du Nord : « un pays aussi bon que le leur, un pays de froment, de vin nouveau », (cf. II Rois 18, 32 : « Jusqu’à ce que je vienne vous emmener dans un pays semblable au vôtre, un pays de blé et de vin, un pays de pain et de vignes, un pays produisant l’huile d’olives et le miel » ; commentaire de Rashi : « Un pays de froment et de vin nouveau, c’est le pays Afriqé/Afriqi ; le même verset, avec une légère variante, in Isaïe 36, 17).
Note: Cf. Deutéronome 8,7-9, et la paraphrase araméenne Pseudo-Jonathan, dont voici l’essentiel : Canaan, terre renommée pour ses produits, une terre de torrents d’eaux limpides, de sources d’eaux douces jaillissantes, d’eaux abyssales intarissables, qui s’épandent dans les vallées et sur les montagnes, une terre qui produit du froment et de l’orge, terre de vignes d’où sort un vin doux et un vin sec, terre de figuiers et grenadiers, terre dont les olives servent à faire de l’huile et les palmiers à faire du miel, terre où l’on mange du pain sans en manquer et où l’on ne manque de rien, un pays dont les pierres sont dures et étincelantes comme le fer, et de ses montagnes on extrait le cuivre.
Alors les deux peuplades, en arrivant en Afrique, trouveront les mêmes produits, les mêmes métaux et le même paysage qu’en Canaan. La description biblique sied parfaitement au Maroc.
Voici les sources rabbiniques qui parlent de l’émigration de l’Amorrhéen et du Girgashite :
– Pour l’Amorrhéen, [cf. Tosséphta Shabbat 7, 25 ; Lévitique Rabba 17, 6 et Deutéronome Rabba 5, 14] ; l’Amorrhéen, en hébreu émori -אמרי ; de ce terme, découlerait l’appellation « Maure », du latin Maurus, de Mauritanie au sens romain, un Africain ; Maurusiens selon Strabon.
Les Phéniciens dénommèrent les indigènes d’Afrique du Nord les Mahourins, les Occidentaux, appellation dont les Grecs et les Romains tirèrent leur Mauri.
Le prophète Amos (2, 10) appelle la Terre d’Israël « le pays de l’Amorrhéen », en souvenir de cette peuplade, dont le geste a trouvé grâce aux yeux de l’Eternel.
En akkadien, la plus ancienne des langues sémitiques, langue internationale à l’époque, une sorte de Lingua-Franca, la Terre d’Israël est appelée le « pays amourou », le pays occidental, car Israël se trouve géographiquement à l’ouest par rapport au pays d’Akkad, région de la Mésopotamie centrale, au nord de Sumer. L’occurrence Akkad, l’ancienne Agadé, ne figure qu’une seule fois dans la Bible hébraïque, en Genèse 10, 10, ce que les spécialistes appellent un hapax.
Dans les textes rabbiniques, Akkad est appelée Bashkar (Babli Yoma 10a). Les Juifs de Bashkar n’étaient pas familiarisés avec les principes de la Tora (Babli Shabbat 139a).
– Pour le Girgashite, [cf. Yéroushalmi Shébi’ît 6, 1 ou 36, colonne 3 ; Exode Rabba 30, 5 ; Lévitique Rabba 17, 6]. Dans les deux références du Midrash Rabba, il est mentionné explicitement que Yahvé installa le Girgashite en Afriqé/Afriqi/Afriqia, l’Afrique du Nord.
La Tora n’a jamais expliqué où résidait exactement le Girgashite en terre de Canaan ; il ne figure pas non plus sur les cartes qui signalent l’implantation de chacune des six autres peuplades ; c’était un petit peuple, et nous ne savons rien à son sujet.
Dans la Bible hébraïque, le Girgashite est mentionné dans trois versets, qui énumèrent le nom des sept peuplades du pays de Canaan, [cf. Deutéronome 7, 1 ; Josué 3, 10 et 24, 11] ; dans les autres versets de la Tora, son nom ne figure pas à côté des six autres peuplades, [cf. Exode 3, 8, ibid. 23, 23, Deutéronome 20, 17, à titre d’exemple]. L’absence de son nom explique qu’il a bien quitté le pays de Canaan pour l’Afrique du Nord, comme le soutient la tradition des textes rabbiniques.
Yehouda Kiel, dans son exégèse du livre de Josué (3, 10 – note 7), rapporte que le nom guirgash et guirgashom figure sur des documents trouvés sur l’ancien site de Carthage ; le nom Girgashi est mentionné dans des documents ougaritiques ; dans un document égyptien, le Girgashi se nomme qarqasha.
Dieu a promis à Abraham d’hériter les territoires de dix nations (Genèse 15, 19-21). Sept peuplades, déjà nommées, ont été chassées ou éliminées du pays à l’époque de Josué, et trois autres, les Qénites, les Qénizzites et les Qadmonites le seront dans les temps futurs. Cette explication se trouve dans Yéroushalmi Shébi’ît 36, colonne 2.
Mais qui sont les Qénites, les Qénizzites et les Qadmonites ?
Il y a plusieurs avis. Pour les uns, il s’agit, dans l’ordre de l’énumération des trois peuplades, de l’Arabie, du pays des Chalamites et de celui des Nabatéens. Pour d’autres, il s’agit du pays de Damas, de l’Asie Mineure et d’Apamée. Selon un troisième et dernier avis, il s’agit de l’Asie Mineure, de La Thrace, et de Carthage (Genèse Rabba 44, 23).
Mais le texte de Yéroushalmi Shébi’ît 36, colonne 2 donne ceci : l’Asie Mineure, Carthage et La Thrace.
En conclusion, Carthage, ce serait les Qadmonites, ou Carthage, ce serait les Qénizzites.
Enfin, pour terminer, l’écrit comminatoire adressé par Josué aux Cananéens est dans Yéroushalmi Shébi’ît 36, colonne 2, repris par le Midrash Rabba.
L’arrivée des Juifs du pays d’Israël-Dans le Dra et le Sous- Joseph Dadia
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La grenade egaree-Hommage à la mémoire du poète -Rabbi Haïm Chochana-Joseph Dadia

Rabbi Haïm Raphaël Chochana, mon Maître
La Grenade égarée
Je me fais l’honneur d’écrire à sa mémoire.
Mon vénéré et inoubliable Maître m’a initié aux Dinim et à la Poésie hébraïque, en particulier au poète Haïm Nahman Bialik, aux Fables du Talmud. J’ai déjà écrit à sa mémoire « La grenade égarée », dont voici le texte.
Hommage à la mémoire du poète
Rabbi Haïm Chochana
(Marrakech 1912-Béer-Cheva’ 1986)
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Je revois encore cette salle de classe de notre école primaire Yéchoua Corcos, à derb Tajer, où toi, mon Maître, nous inculquais les Règles de droit et d’éthique. Je songe toujours à ce moment où je mangeais une grenade rouge dans la cabane de roseaux et de palmes, au retour de l’école, pour me conformer à ton enseignement. Cette image surgit en moi à chaque Fête des Cabanes. Une cabane plantée sous la calotte d’un ciel bleu, en pleine cour d’une grande maison habitée par plusieurs familles. Je me revois courir de l’école chez moi pour savourer ce moment délicieux d’une grenade bien juteuse. Comme ces grenades-là, il ne m’a jamais été donné d’en manger !
Kervenic-En Pluvigner, 22/11/2023.
9 Kislèv 5784.
Joseph DADIA
En annexe, un texte à sa mémoire
La richesse de notre patrimoine cultuel et culturel s’étend sur plusieurs mois, de Tammouz à fin Tichri, et se traduit par différentes formes de textes, en prose et en poésie.
C’est dire le temps qu’il faut consacrer pour lire, comprendre et commenter.
Chaque matin, je remercie Yahvé de m’être fait naître juif.
Pour introduire mon propos, je cite deux auteurs, dont la lecture de leurs textes me passionne.
Premier auteur : – Rabbi Eliézer Ben Horqanos, auteur des célèbres « Chapitres de Rabbi Eliézer », dont je cite un texte où il nous explique pourquoi les Juifs souffrent de l’oppression des Nations : Adam nous dit que le Saint, béni soit-Il, l’a introduit au Jardin d’Eden et lui a montré quatre royaumes : Babylone, Médie, Macédoine, Assyrie. Le Saint, béni soit-Il, lui a montré aussi David fils de Jessé en tant que futur Gouverneur. Adam prit soixante-dix ans de son âge et les ajouta aux jours que David allait vivre, ainsi qu’il est écrit Psaume 61 : 7 « Ajoute des jours aux jours du roi ; ses années, comme d’âge en âge » (La Bible Chouraqui).
Nombreux sont les textes où je lis combien les Nations nous maltraitent et nous oppriment.
En ces jours de la Fête de Souccoth où j’ai commencé l’écriture de cette monographie, je relève une phrase écrite dans le troisième jour des Hocha’anot : « Brise les ennemis de ton peuple, qui, sans cesse, le dévastent ! Toi qui délivres le pauvre d’un plus fort que lui ». Ainsi que le Poète nous l’enseigne, Psaume 35 : 10 : « Tous mes os le disent : Yahvé, qui est comme toi ? Il secourt l’humilié de plus fort que lui ; l’humilié, le pauvre, de son ravisseur » (La Bible Chouraqui).
Parmi les oppresseurs d’Israël, l’on relève notamment Esaü et ses descendants d’Esaü. Rome est assimilée aux iniquités commises à l’égard d’Israël. Rome est le royaume de l’iniquité, disent nos Sages.
Ismaël et ses descendants nous en veulent et ils nous font du mal.
L’ouvrage de Rabbi Eliézer Ben Horqanos est un midrash relatif à la Création du Monde.
Rabbi Eliézer Ben Horqanos descendait d’une famille riche de la Tribu de Lévi, dont l’ascendance remonterait à notre Maître Moché. Il a été un grand tanna. [3] Il avait vécu après la destruction du deuxième Temple de Jérusalem Il a été l’un des meilleurs disciples de Rabbi Yohanan ben Zakaï.
Rabbi ‘Aqiba a été l’un des disciples de Rabbi Eliézer Ben Horqanos.
Une voix céleste disait que la halakha est celle de Rabbi Eliézer Ben Horqanos. Cf. Talmud de Jérusalem, Traité Mo’èd Qatan, chapitre 3 Halakha 1.
Son beau-frère Rabban Gamliel et les Sages de cette époque ont prononcé son excommunication, et cette mise au ban n’a été écartée qu’à l’approche de sa mort.
Deuxième auteur : Don Isaac Abrabanel (1437-1508), homme politique et financier au service des rois du Portugal, d’Espagne, de Naples et des Doges de Venise. Il fut également un philosophe et penseur.
J’attache beaucoup d’importance à son exégèse de la Torah. Je n’ai pas ses commentaires des autres livres de la Bible Hébraïque.
Dans son commentaire de la péricope « Haâzinou », cf. Deutéronome 32 : 1-52, je relève un petit passage qui a retenu mon attention. Il explique que le premier Temple de Jérusalem a été détruit par référence au verset 4, dans ce qu’il est écrit : « El Emouna », « Lui notre rocher, son œuvre est parfaite », et que le deuxième Temple de Jérusalem a été détruit, dans ce qu’il est écrit dans ce même verset « Tsadiq véyachar hou », « Toutes Ses voies sont la justice ; D.ieu de vérité, jamais inique, constamment équitable et droit ».
Le premier Temple de Jérusalem a été détruit parce que les enfants d’Israël ont manqué de confiance et de fidélité envers Yahvé, de plus ils ont commencé à croire dans les étoiles et les astres, en tant qu’idolâtres ; et pour la destruction du deuxième Temple, les enfants d’Israël ont commis des transgressions compte tenu de leurs nombreux délits, fautes et crimes, notamment la médisance, lachon hara’.
Les deux Temples de Jérusalem ayant été détruits, et nous voilà en exil, nous, fils d’Israël.
Nous trouvons des références à l’exil dans plusieurs sources hébraïques. Et j’en citerai deux :
– Babli Souca 52a :
– Le Zohar : « De même la Communauté d’Israël ne réside pas ailleurs qu’en son lieu, cachette des échelons, si ce n’est au temps de l’exil où elle se retrouve au centre de la déportation, et puisqu’elle est en exil, les autres peuples prospèrent et jouissent d’un surcroît d’abondance.
La richesse de notre patrimoine cultuel et culturel s’étend sur plusieurs mois, de Tammouz à fin Tichri, et se traduit par différentes formes de textes, en prose et en poésie. C’est dire le temps qu’il faut consacrer pour lire, comprendre et commenter.
Chaque matin je remercie Yahvé de m’être fait naître juif. Pour introduire mon propos, je cite deux auteurs, dont la lecture de leurs textes me passionne.
La grenade egaree-Hommage à la mémoire du poète -Rabbi Haïm Chochana-Joseph Dadia
Pirqé Rabbi Eliézer Hagadol, édition en hébreu, publiée à Varsovie en 1851, rééditée à Jérusalem en 1975, folio 44b, chapitre 19.
Cf. Deutéronome 33 :3 ; Jérémie 22 :28 ; Osée 7 :8 ; 8 : 7, 8, 10 ; Ezra 7 :24 ; Babli Baba Batra 8a ; Babli ‘Abodah Zara : Michna II, 2.
Tanna : mot araméen qui veut dire lecteur, étudiant ; pluriel Tannaim. C’est ainsi qu’on appelait les Docteurs de la loi dont les enseignements constituent la Michna, la Tosafta, la Baraïta. Ils appartiennent à la période du deuxième Temple, à partir de Simon le Juste (fin du 3ème siècle avant l’ère usuelle) aux disciples de Rabbi Yehudah Hanâssi (début du 3ème siècle de l’ère usuelle). Les Amoraim sont les commentateurs de la Michna, les Maîtres du Talmud. Cf. Haim Zafrani : Pédagogie juive en terre d’Islam, page 10, note 9.
Roland Goetschel : Isaac Abrabanel – conseiller des princes et philosophe – Editions Albin Michel, Paris, 1996.
La grenade egaree-Hommage à la mémoire du poète -Rabbi Haïm Chochana-Joseph Dadia

Premier auteur : – Rabbi Eliézer Ben Horqanos, auteur des célèbres « Chapitres de Rabbi Eliézer », dont je cite un texte où il nous explique pourquoi les Juifs souffrent de l’oppression des Nations : Adam nous dit que le Saint, béni soit-Il, l’a introduit au Jardin d’Eden et lui a montré quatre royaumes : Babylone, Médie, Macédoine, Assyrie. Le Saint, béni soit-Il, lui a montré aussi David fils de Jessé en tant que futur Gouverneur. Adam prit soixante-dix ans de son âge et les ajouta aux jours que David allait vivre, ainsi qu’il est écrit Psaume 61 : 7 « Ajoute des jours aux jours du roi ; ses années, comme d’âge en âge » (La Bible Chouraqui).
Nombreux sont les textes où je lis combien les Nations nous maltraitent et nous oppriment.
En ces jours de la Fête de Souccoth où j’ai commencé l’écriture de cette monographie, je relève une phrase écrite dans le troisième jour des Hocha’anot : « Brise les ennemis de ton peuple, qui, sans cesse, le dévastent ! Toi qui délivres le pauvre d’un plus fort que lui ». Ainsi que le Poète nous l’enseigne, Psaume 35 : 10 : « Tous mes os le disent : Yahvé, qui est comme Toi ? Il secourt l’humilié de plus fort que lui ; l’humilié, le pauvre, de son ravisseur », Cf. Bible Chouraqui.
Parmi les oppresseurs d’Israël, l’on relève notamment Esaü et ses descendants d’Esaü. Rome est assimilée aux iniquités commises à l’égard d’Israël. Rome est le royaume de l’iniquité, disent nos Sages.
Ismaël et ses descendants nous en veulent et ils nous font du mal.
L’ouvrage de Rabbi Eliézer Ben Horqanos est un midrash relatif à la Création du Monde.
Rabbi Eliézer Ben Horqanos descendait d’une famille riche de la Tribu de Lévi, dont l’ascendance remonterait à notre Maître Moché. Il a été un grand tanna. Il avait vécu après la destruction du deuxième Temple de Jérusalem Il a été l’un des meilleurs disciples de Rabbi Yohanan ben Zakaï.
Rabbi ‘Aqiba a été l’un des disciples de Rabbi Eliézer Ben Horqanos. Une voix céleste disait que la halakha est celle de Rabbi Eliézer Ben Horqanos. Cf. Talmud de Jérusalem, Traité Mo’èd Qatan, chapitre 3 Halakha 1. Son beau-frère Rabban Gamliel et les Sages de cette époque ont prononcé son excocommunication, et cette mise au ban n’a été écartée qu’à l’approche de sa mort. Deuxième auteur : Don Isaac Abrabanel (1437-1508), homme politique et financier au service des rois du Portugal, d’Espagne, de Naples et des doges de Venise. Il fut également un philosophe et penseur.. J’attache beaucoup d’importance à son exégèse de la Torah. Je n’ai pas ses commentaires des autres livres de la Bible Hébraïque. Dans son commentaire de la péricope « Haâzinou », cf. Deutéronome 32 : 1-52, je relève un petit passage qui a retenu mon attention. Il explique que le premier Temple de Jérusalem a été détruit par référence au verset 4, dans ce qu’il est écrit : « El Emouna », « Lui notre Rocher, Son œuvre est parfaite », et que le deuxième Temple de Jérusalem a été détruit, dans ce qu’il est écrit dans ce même verset « Tsadiq véyachar hou », « Toutes ses voies sont la justice ; D.ieu de vérité, jamais inique, constamment équitable et droit ».
Le premier Temple de Jérusalem a été détruit parce que les enfants d’Israël ont manqué de confiance et de fidélité envers Yahvé, de plus ils ont commencé à croire dans les étoiles et les astres, en tant qu’idolâtres ; et pour la destruction du deuxième Temple, les enfants d’Israël ont commis des transgressions compte tenu de leurs nombreux délits, fautes et crimes, notamment la médisance, lachon hara’. Les deux Temples de Jérusalem détruits, et nous voilà en exil, nous, fils d’Israël.
Nous trouvons des références à l’exil dans plusieurs sources hébraïques. Et j’en citerai deux :
– Babli Souca 52a :
– Le Zohar : « De même la Communauté d’Israël ne réside pas ailleurs qu’en son lieu, cachette des échelons, si ce n’est au temps de l’exil où elle se retrouve au centre de la déportation, et puisqu’elle est en exil, les autres peuples prospèrent et jouissent d’un surcroît d’abondance ».
Je parlerai de ses livres dont celui des Baqqashot dans un prochain texte.
La grenade egaree-Hommage à la mémoire du poète -Rabbi Haïm Chochana-Joseph Dadia
La grenade egaree-Hommage à la mémoire du poète -Rabbi Haïm Chochana-Joseph Dadia

La fonction liturgique du Piyout
- Mirsky distingue quatre degrés dans la poésie.
Au degré supérieur se situe la poésie prophétique, ce qui constitue en somme la parole de Yahvé. Le prophète était chargé de transmettre le message aux hommes en le descendant, pour ainsi dire, à leur niveau.
La poésie liturgique ou prière est une adresse en sens contraire, s’élevant de l’homme vers Dieu ; elle est au deuxième degré de l’échelle.
Dans la poésie profane en général (poésie érotique, laudative, élégiaque, etc.), l’homme s’adresse à son prochain ; son message, restant au niveau du monde physique et terrestre, appartient au troisième degré de la hiérarchie.
Dans la poésie lyrique, l’auteur s’adresse en général à lui-même, autrement dit, il dialogue avec lui-même. Son œuvre traduit son image, autrement dit, c’est le reflet de ses émotions et de ses sentiments intimes ; elle est « personnelle en son fond et en son expression » ; individualiste par excellence, elle arrive au quatrième rang.
Le Piyout, s’identifiant à la prière, se situe à son niveau, soit au second rang du système retenu. Il s’exprime en termes graves, solennels, nobles et sublimes, excluant toute espèce d’irrévérence ou de frivolité, bien que le discours midrashique dont il est issu ne connaisse pas l’humour, l’esprit, les propos joyeux, ou parfois même la trivialité. C’est qu’en effet, le prédicateur, dans son enseignement homilétique, a pour interlocuteur des hommes, ses semblables, tandis que le paytan et l’orant s’adressent directement à Dieu.
Les Sélihot « supplications », les Baqashot « prières », les hodayot « actions de grâces », les hymnes et les cantiques composés à partir d’une source midrashique n’admettent guère l’expression triviale, même si les textes homilétiques qui, à l’origine, en constituaient la substance, présentaient parfois ce caractère.
En dépit de certaines réticences, de contestations ou même parfois d’interdits formels, un grand nombre de pièces piyyutiques furent introduites dans la liturgie ; leur récitation n’étant plus désormais considérée comme une rupture de la prière, elles en devinrent partie intégrante. La production poétique du Piyout étoffe et amplifie la liturgie synagogale obligatoire (encore que les formules n’en soient ni définitivement ni uniformément fixées).
Les liens du piyout et de la liturgie sont perçus dans le fait que le piyout, comme du reste l’Aggadah et le Midrash, est étroitement rattaché aux péricopes et leçons scripturaires des jours solennisés, Chabbatot et Fêtes.
Il en est ainsi du genre piyyutiques appelé qerobah. Yannay et Kalir en composèrent un grand nombre. Parmi les qerobot de Kalir, les plus célèbres sont celles dédiées aux quatre sabbats spéciaux : Shéqalim, Zakhor, Parah et Hahodesh, qui se situent au mois d’Adar et encadrent la fête de Pourim.
Un ancien étudiant du Toit Familial, Amnon Shiloah, professeur de musicologie à l’Université Hébraïque de Jérusalem, dans un article intitulé « La ba et la célébration des Baqashot au Maroc », définit la nouba comme étant une forme de musique profane et la baqqasha, une forme poético-musicale religieuse.
Je le cite : « La baqqasha, (pl. baqqashot), supplication, est une composition liturgique du même type que la Séliha (pénitence). Le mot dénote une grande variété de composition en prose ou en vers de nature abstraite. Des exemples de ce genre sont les deux baqqashot de Sa’adya Gaon (Sidour, 47) et celle de Bahya Ben Pakuda (Sidour, Otsar hatéfillot, 44).Ce mot est employé aussi pour les pièces liturgiques imprimées au début des livres de prières de prières sépharades à partir du 17ème siècle. Celles-ci étaient destinées à être lues par ceux qui avaient coutume de se réunir avant la prière du matin, à l’aube. L’origine de la coutume remonte vraisemblablement au cercle des cabalistes à Safed (XIème siècle). Au début, ces réunions avaient lieu chaque jour mais à cause de la diminution du nombre des participants la célébration fut restreinte aux samedis matin (sauf le mois d’Ellul). La plupart des versions comprennent le poème d’Elazar Azkari « Yédid Nefech » et finissent sur une collection de versets bibliques qui commencent avec « et Hanna pria ».
Cependant la sélection des pièces liturgiques était fort flexible ce qui a permis la constitution de plusieurs collections du genre.
L’origine de la coutume est donc connue, mais nous manquons de détails précis sur certains aspects de son évolution. Ainsi par exemple nous ne savons pas au juste comment les baqqashot devinrent un genre de concert spirituel avec un rôle important sur le plan social et musical. Il en est de même de la limitation de la période de la célébration aux Chabbatot de la saison d’hiver. Signalons enfin la cristallisation de deux traditions majeures de baqqashot, l’une à l’est, en Syrie, et plus particulièrement à Alep, l’autre à l’ouest, au Maghreb. Entre ces deux traditions il existe un certain nombre de points communs. » […]
Haïm Zafrani, s’inspirant de Sharsheret ha-shir d’Aharon Mirsky, évoque à grands traits dans ses deux ouvrages cités en note ce qu’il appelle « la chaîne poétique où s’articule l’antique poésie biblique, le piyyut palestinien des débuts de notre ère et les œuvres médiévales des grands maîtres du monde sépharade et oriental, jusqu’au XVIème siècle ; une chaîne de messages et de traditions, transmis d’école à école, une « mémoire collective » où le lettré maghrébin , comme son homologue des autres diaspora, puise les matériaux essentiels et les ingrédients de sa création poétique, un réservoir de pensées déjà formulées dont il s’inspire, de modèles et de paradigmes qu’il imite, qu’il interprète, qu’il approfondit et qu’il actualise constamment.
La grenade egaree-Hommage à la mémoire du poète -Rabbi Haïm Chochana-Joseph Dadia
La fête de Tou-Bichbat-Joseph DADIA

« … Un pays qui produit le froment et l’orge,
le raisin, la figue et la grenade,
l’olive huileuse et le miel… »
(Deutéronome VIII, 8)
La fête de Tou-Bichbat trouve son fondement dans la Michna Roch Hachana, chapitre 1er michna 1 : « Il y a quatre Nouvels Ans… le premier chébat est le nouvel an pour les arbres, selon l’école de Chammaï, le quinze chébat selon l’école de Hillel ».
Au 16ème siècle, Isaac Louria (1534-1572) et ses disciples donnèrent une signification ésotérique à Tou-Bichbat, en mettant l’accent sur les rapports étroits entre l’homme et la nature. Ils instituèrent un rituel selon lequel, en cette journée, il faut consommer le plus grand nombre possible de fruits et de céréales, car même par sa nourriture, et à l’aide d’une sélection des aliments consommables, l’homme réalise, pas à pas, la fin des Temps.
Ce rituel de la fête occupe une place de choix dans le livre « Hémdat yamim », publié en 1732, et attribué à Nathan de Gaza (1644-1680). De cet ouvrage, il a été extrait les passages relatifs à Tou-Bichbat, et compilés dans un recueil intitulé « Péri-etz-hadar ».
L’œuvre de Nathan de Gaza eut beaucoup de résonance et de succès au Maroc, malgré une opposition farouche ourdie par quelques rabbins influents, qui le suspectaient d’hérésie kabbalistique, en tant que propagandiste de la « prophétie » de Shabbatai Zvi (1626-1676), sous couvert d’une soi-disant orthodoxie.
La coutume de consommation de fruits, d’abord de tradition sépharade, devint par la suite une règle commune à tous les juifs de par le monde.
La coutume veut qu’il faudrait consommer au moins douze fruits, comprenant autant que possible les sept espèces qui évoquent par excellence la Terre Promise, et qui sont cités en exergue, étant précisé que le miel en question n’est autre que le palmier-dattier ce, pour affermir le lien indélébile entre la Diaspora et la Mère-Patrie, de même que tous autres fruits qui poussent en Eretz-Israël, en particulier des fruits nouveaux qui n’ont pas été consommés durant l’année.
Les Ashkénazes ont pris l’habitude de consommer en ce jour quinze espèces de fruits, rappelant les quinze premiers jours du mois de Chébat.
Les juifs des Balkans consommaient la veille de Tou-Bichbat trente espèces, selon une cérémonie, rappelant celle du Séder de Pessah, suivant le rituel de « Péri-etz-hadar ».
Les trente espèces sont réparties en trois catégories :
- Première catégorie : Il s’agit de dix fruits qui se consomment tels quels, et rien n’est à jeter. Ces dix fruits relèvent du « Monde de la Création, ‘Olam habériah »:
- ‘anabim : les raisins;
- téénim: les figues ;
- tapouhim : les pommes ;
- étroguim : les cédrats ;
- limonim : les citrons ;
- agassim : les poires ;
- habouchim : les coings ;
- toutim : les mûres ;
- sorbache : terme d’origine étrangère, drupes d’une certaine variété de sorbier, mangeables une fois blettes ;
- haroubin : les caroubes
- Deuxième catégorie : Il s’agit de dix fruits ayant un Seule l’enveloppe est comestible. Ces dix fruits relèvent du « Monde de la Formation, ‘Olam hayétsira » :
- zétim: les olives ;
- témarim: les dattes ;
- goudguédanyiot: les bigarreaux ou les cerises d’hiver ;
- soufayafasse :terme d’origine étrangère, c’est
« Habb al-mulûk » en langue arabe.
Dans l’Occident musulman, les cerises.
Cela fait double emploi avec ce fruit déjà cité.
Pour moi, « habb al-mulûk » est un petit fruit à
noyau, ressemblant à une petite olive noire.
Chair ferme et sucrée, du palmier éventail dit
« Washingtonia filifera » ;
- fisqous: terme d’origine étrangère : les pêches ;
- zirgouïlas: terme d’origine étrangère : les prunes ;
- masmissim: en hébreu michméchim : les abricots ;
- visnas: je n’ai pas réussi à trouver la signification de ce terme d’origine étrangère ;
- aqaranis: j’ignore le sens de ce terme d’origine étrangère ;
- nispoulas: terme d’origine étrangère : en arabe za’rour, en hébreu ‘ouzrar, dans le talmud ‘uzrado.
Cela peut être soit l’aubépine monogyne, soit la cenelle, baie rouge comestible, soit l’azerole, de saveur agréable.
- Troisième catégorie : Il s’agit de dix fruits, où seul l’intérieur est comestible, et l’enveloppe se jette. Ces dix fruits relèvent du « Monde du Façonnement, ‘Olam ha’assiya » :
- rimonim : les grenades ;
- égozim : les noix ;
- chéqédim : les amandes ; l’amandier est le
Premier arbre à fleurir
- périssin : (mot d’origine étrangère) : pastèques ou nèfles ;
- ‘armonim : les châtaignes et les marrons ;
- louzim : les noisettes ;
- ‘allonim : les bellottes, glands doux comestibles
d’un chêne connu par les botanistes
sous le nom de Quercus Ilex L. var. ballotta (Desf.)
fruit apporté sur les souks de Marrakec vallées de l’Ourika, de la Reraya, etc.;
- pastouqim : j’ignore le sens de ce terme d’origine étrangère ;
- phinionis : cacahuètes, arachides, pistaches
- maouzisse : les pignons comestibles du pin parasol.
Ces listes de fruits ne sont pas limitatives. De nos jours, primeurs et fruits exotiques arrivent de partout en toutes saisons de l’année.
Il y a aussi les fruits surgelés, secs et grillés, séchés, conservés et confits, les salades de fruits, les compotes, les gelées et les confitures.
A tout cela, chacun peut ajouter à sa convenance des pains de froment et d’orge, des galettes de maïs, des gâteaux, du vin rouge et du vin blanc, des liqueurs et des eaux-de-vie, des poirés et du cidre.
Celui qui préside la cérémonie prononce une prière spéciale :
« Que ce soit Ta volonté, Eternel notre Dieu et Dieu de nos ancêtres, que par la vertu de ces fruits que nous avons consommés et sur lesquels nous avons prononcé la bénédiction, les arbres se chargent d’une profusion de fruits, qu’ils grandissent et fructifient du début de l’année à sa fin, pour le bonheur, la bénédiction, la vie et la paix. »
La fête se termine par des chants et des danses. Les Hassidim se rendent après le repas dans les vergers, où ils bénissent les arbres, leur souhaitant une année bonne et prospère.
Je reviendrai en détail sur l’historique de cette fête et sur son évolution à travers les époques et les lieux, de même que sur sa place dans la poésie et le rituel, en particulier au Maroc et à Marrakech.
Hormis le Professeur Haïm Zafrani, et exception faite de deux ou trois pièces de poètes juifs marocains, le judaïsme du Maroc semble très discret sur le sujet.
« TU-BISHBAT n’est certes pas une solennité remarquable, écrit le Professeur Haïm Zafrani, ni une fête scrupuleusement observée par tout le monde. Elle prend cependant, dans quelques familles marocaines, le caractère d’une festivité qui porte le sceau de l’abondance et de la richesse ; une abondance et une richesse que signale la variété des produits présentés sur une table somptueusement dressée : les sept espèces que célèbre et chante la Bible…une trentaine d’autres espèces…et, plus spécialement, de fruits de saison ou ceux hors-saison qu’on a soigneusement gardés toute l’année pour cet instant privilégié ( de l’orange à la pomme, des jujubes mûres aux gousses mielleuses du caroubier, etc…)… Les enfants ont leur part à la fête, et les pauvres aussi, car on a bien soin de préparer pour les uns et les autres des paquets individuels contenant un peu de tout ce qui a été exposé sur la table et qui a fait l’objet d’une prière et d’un vœu. » 1
Joseph DADIA.
A Kervenic en Pluvigner
Le 28 janvier 2003.
Joseph DADIA-La Saga des Juifs de Marrakech

Joseph DADIA-La Saga des Juifs de Marrakech
(premier volume)
Le Souffle Vesperal
Joseph Dadia et Coll
«Simon le Juste avait l'habitude de dire : "le monde est construit sur trois fondements : sur la science divine (Torah), sur le service divin (Avodah), et sur la bienfaisance (Guémilout Hassadim)»
(Maximes de nos Pères, Chapitre I, 2).
Hillel l'Ancien avait l'habitude de dire : «Ne te sépare pas de la Communauté (Tsibour). Jusqu' au jour de ta mort, ne sois pas sûr de toi. Ne juge pas ton prochain avant d'avoir été toi-même à sa place »
«… Beaucoup de Torah, beaucoup de vie ; beaucoup d'enseignement, beaucoup de passé, beaucoup de conseils, beaucoup de raison ; beaucoup de justice, beaucoup de paix. Celui qui s'est acquis un bon renom, se l'est acquis par lui-même ….»
(Maximes de nos Pères, Chapitre II, 4 et 7).
«Ce sera un jour unique – Dieu seul le connait – où il ne fera ni jour, ni nuit ; ET C'EST AU MOMENT DU SOIR QUE PARAÎTRA LA LUMIERE»
(Zacharie XIV, 7)
וְהָיָה יוֹם-אֶחָד, הוּא יִוָּדַע לַיהוָה–לֹא-יוֹם וְלֹא-לָיְלָה; וְהָיָה לְעֵת-עֶרֶב, יִהְיֶה-אוֹר
L'été, malgré la chaleur, nous disputions tous les jours des matchs de football, du côté du cimetière.
Lorsque le soleil disparaissait, en fin de journée, l'air devenait respirable.
Une certaine douceur enveloppait le Mellah. Une vache et 2 brebis, sous l'œil vigilant d'un gamin, passaient avec nonchalance BAB GHMAT et s'en allaient rejoindre leur enclos, quelque part dans le quartier musulman voisin. Les bêtes et l'enfant, pendant les heures claires, se réfugiaient à l'ombre de JNAN- EL-AFIA. Leur passage, chaque soir, signalait la fin du match et l'approche de la nuit. Leur déambulation lente, pesante, paisible nous apportait calme et fraîcheur, l'air du dehors qui nous manquait à l'intérieur des murs, un morceau de la campagne berbère, avec son pittoresque, ses senteurs, sa verdure, ses rythmes.
Je m'arrêtais de jouer à leur passage et les regardais, envieux, cherchant dans leur SOUFFLE vespéral la douceur de la vie.
■ Joseph DADIA
Un ghetto marocain a (Marrakech) -Joseph Dadia- La Saga des Juifs de Marrakech

UN GHETTO MAROCAIN (à MARRAKECH)
Quand on a longtemps erré dans cette ville musulmane, bien poussiéreuse, bien délabrée, mais vaste et aérée, remplie d’une belle humanité qui sent la montagne et le bled, quel dégoût de tomber dans le Mellah ! C’est un des lieux le plus affreux du monde. Là s’entassent vingt mille Juifs, dans un espace infiniment trop étroit pour leur vie pullulante. Ce ne sont que caftans noirs sordides, calottes crasseuses, cheveux gras, tire-bouchonnant sur les joues ou bien pommadés, travaillés en boucle, en franges, en mèches ramenées autour de la calotte noire avec une recherche de l’élégance qui faiseur ; têtes ravagées par toutes les variétés de teigne qui dégoûtent le passant.
Le patriarche de cet enfer hébraïque est le bonhomme Ischoua Corcos, l’argentier des Sultans, le millionnaire du Mellah. Je me rends chez lui quelquefois, pour écouter les histoires du vieux Maroc qu’il connaît comme personne, et qu’il raconte avec un détachement ironique bien étranger à l’Islam. Sa maison est la seule qui soit propre au Mellah. On y accède par une cour remplie de la paille hachée dont se nourrissent ânes et mulets. Au milieu, une haute, une immense balance, faite pour peser des centaines de kilos, se dresse avec son fléau, comme un gibet à deux branches. Dans un coin, un réduit sombre, meublé d’un coussin déchiré et d’un petit bureau sans pieds pour écrire accroupi. C’est là que travaille le bonhomme, qu’il traite les affaires courantes, qu’il paye, reçoit, compte et mesure.
Il faudrait être Balzac, pour décrire ce logis, pour retrouver les couleurs et les ombres avec lesquelles il peignait quelque vieil intérieur de Saumur ou de Limoges, les grandes fortunes commençantes, la maison d’un père Grandet ou d’un Sauviat tout occupé de ses affaires, tandis que sa fille perd son âme à lire Paul et Virginie, ces demeures où des drames se jouent entre des générations qui ne se comprennent plus… Cette maison est remplie d’enfants qui grandissent près de ce vieillard, sans douter encore que bien-
tôt cette vie leur apparaîtra aussi bizarre. aussi lointaine qu’elle me l’apparaît à moi-même. Qui connaîtrait bien ce logis pourrait se faire une idée des transformations profondes qui se préparent dans lajuiverie du Maroc. Déjà les 'ils du bonhomme ont abandonné le vieux costume traditionnel pour les vêtements européens ; ses petites-filles jouent du piano, parlent français, sont élevées chez «les soeurs», et habillées à la mode de Paris transformée par Marrakech. Mais lui, resté fidèle aux antiques usages, il garde l’antique vêtement et les babouches noires et le foulard bleu à pois blancs jeté par-dessus la calotte et noué autour du menton.
Ses petites filles viennent nous saluer avec une gentille révérence et des phrases polies qui sentent le couvent. Dans la cour, l’égorgeur rituel saigne un poulet qui crie. Par la fenêtre, arrivent d’une école voisine où l’on enseigne le français, des phrases qui entraînent l’esprit dans un rêve dément, et que répètent, comme un verset de la Loi, les enfants du Mellah : « Nos ancêtres les Gaulois…» ou bien encore :
Mon père, ce héros au sourire si doux…
Alors tout danse devant moi, les deux Lions de Juda, l’arbre de Jessé sur le mur, et la fausse pendule peinte et sa clef peinte elle aussi, pendue à un clou imaginaire. Je n’écoute plus le père Corcos. Je n’entends plus ni le piano, ni la machine à coudre, ni les cris du poulet. Je n’ai d’oreilles que pour ces phrases folles, qui résonnent d’une façon tout à fait extravagante dans ce ghetto saharien !
Jérôme et Jean Tharaud Marrakech ou les Seigneurs de l’Atlas
Un ghetto marocain a (Marrakech) -Joseph Dadia- La Saga des Juifs de Marrakech
Le Mellah (de Marrakech)- Pascale Saisset Heures Juives au Maroc

Le Mellah (de Marrakech)- Pascale Saisset Heures Juives au Maroc
La médina commence par le somptueux spectacle de la foule blanche des citadins et des nomades du désert. Berbères nonchalants portant poignard courbe et manteau de bure noir barré d'un vaste motif rouge.
Tous vont, viennent, déroulant harmonieusement les spirales de leurs groupes d'un bout à l’autre de la place Djama al Fna.
Le Mellah n'a pas cette annonce royale. Il se dissimule derrière des murailles sans caractère. On y entre par une kysaria autrefois couverte que longent les boutiques des marchands d'étoffes. Les maisons sont lépreuses, le sol boueux; la saleté la plus répugnante a mis ses stigmates sur les choses et sur les gens.
Des êtres sans nom passent, dans des vêtements sans couleur ! La lumière même en est attristée. Elle n’arrive pas, avec toute sa magie, à parer cette unique désolation.
La laideur physique accompagne cette horreur. Plus on avance dans le Mellah, plus elle s’accuse, plus elle marque cette humanité dégénérée qui se traîne, pêle-mêle, livrée aux souillures, aux plaies, à tout ce qui peut être créé de malsain et de répugnant.
Le désordre des foundouks surchargés de marchandises, pleins de vie et d’activité, offre la même scène. En bas, les ânes parmi les sacs de blé ou de légumes, les pièces d’étoffe, les tas de pains de sucre ; en haut sur le pourtour des galeries, à tous les étages, des femmes vêtues de haillons.
Plus loin, le marché aux légumes étale dans la boue noire ses denrées. A la sortie du Mellah, les marchands de charbon vendent des navets dont le tas blanc voisine avec les tas noirs.
Dans cette synagogue, cependant, insoucieux de l’hygiène violée, des jeunes gens discutent à perdre haleine les subtilités du Talmud. Assis sur des nattes, ou à demi-couchés sur les bancs, ils crient, gesticulent sans trêve.
— le Talmud, n'est-ce pas le seul livre qui jusqu’au vingtième siècle ait pénétré dans le Mellah? — Comme il y est dit qu’un Juif doit toujours s’instruire, les marchands mêmes, dans leur boutique, étudient en attendant le client.
Les jeunes gens qui travaillent du matin au soir à cette patiente escrime oratoire sont les savants officiels du Mellah. Ils sont entretenus par les hommes les plus riches de la communauté, afin qu’ils soient leurs délégués dans la mission de s’instruire.
Tel Juif qui aura peiné toute sa vie dans sa boutique étroite, pour amasser une grosse fortune, donnera sa fille à ce pauvre étudiant, parce qu’il le sait savant et intelligent; il le nourrira et le vêtira, par orgueil et par admiration pour la Science.
Il faudra avoir assité à la prière dans la synagogue de Marrakech pour comprendre à la fois l’abaissement et la grandeur morale des Juifs de Marrakech.
La loi reste pour eux, plus encore que pour les Juifs de Casablanca, la grande protectrice, la grande lumière, la raison idéale de vivre. Au jour du Sabbat, ils l’embrassent avec une ferveur où il y a toutes les marques de l'affection que l'on témoigne à une mère vénérée.
La Loi est la seule certitude.
Pascale Saisset Heures Juives au Maroc
(Rieder 1930, pages 139-153).
Joseph Dadia- La Saga des Juifs de Marrakech
Joseph Dadia- La Saga des Juifs de Marrakech

LE MELLAH, quartier des Juifs, était sous la protection du Sultan, tout contre la kasba et le Dar el Maghzen et, pour que cette protection, ou plutôt cette surveillance, puisse mieux s ’ exercer, le Mellah n’avait qu’une porte que l’on fermait pendant la nuit et qui était gardée par un assès du Pacha. La population a vite débordé de ce quartier aux ruelles étroites… Le Consul Chénier rapporte que les Juifs relégués dans ce faubourg ont été exposés à la tyrannie et à la misere
Cette époque n’est pas si éloignée à laquelle les Juifs, en dehors du Mellah, étaient tenus d’aller nu pieds par les ruelles et ne pouvaient monter sur un âne et par conséquent moins encore sur une mule ou un cheval ; les petits-fils vont maintenant en automobiles aux puissants chevaux. Tant il est vrai que l’on ne vit que l’heure présente quand elle est bonne. Les Juifs ont donc débordé de l’enceinte du Mellah et ont gagné la place des ferblantiers en occupant de petites boutiques où, avec moins de pittoresque, ils assemblent des lanternes en découpant des bidons de pétrole, réparent des sandales, les harnais, utilisent de vieux pneumatiques pour faire des semelles de chaussure ou des seaux à eau. Dans la rue qui longe la Kasba, ils ont des magasins et sont tailleurs, pâtissiers, un peu de tous les métiers pour se suffire à eux-mêmes.
Marc de Mazières Promenades à Marrakech (Horizons de France, 1937 page 38-39)
A mesure que je pénétrais plus avant dans le Mellah. je découvrais que tout devenait de plus en plus misérable. Je me trouvais maintenant sur une petite place carrée qui me parut être le coeur du Mellah. Des hommes et des femmes se tenaient près d’une fontaine rectangulaire. Les femmes portaient des cruches qu’elles emplissaient d’eau. Les hommes remplissaient leurs outres de cuir. Leurs ânes étaient auprès d’eux et attendaient qu’on les abreuvât. Au milieu de la place quelques gargotiers étaient accroupis. Beaucoup d’entre eux faisaient cuire de la viande et d’autres de petits beignets. Leurs familles étaient près d’eux, femmes et enfants. C’était comme s’ils eussent transporté tout leur train de maison sur la place où ils habitaient et cuisinaient.
Tout autour de la place, il y avait des magasins. Des artisans y travaillaient, leurs coups de marteau résonnaient dans le bruit des conversations. Dans un coin de la place, de nombreux hommes s’étaient assemblés et discutaient avec feu. Je ne compris pas ce qu’ils disaient mais, à en juger par leurs mimiques, il s’agissait des grands problèmes du monde. Ils étaient d’opinions différentes et combattaient à coups d’arguments. J’eus l’impression qu’ils admettaient avec plaisir les arguments des autres.
Au milieu de la place, se tenait un vieux mendiant. C'était le premier que je voyais par ici. Il n’était pas Juif. Avec la pièce qu'il reçut, il se tourna aussitôt vers un marchand de beignets dont la grande bassine crépitait vigoureusement. Les clients étaient nombreux autour du cuisinier et le vieux mendiant dut attendre son tour.
Mais je ne crois pas que c’était à lui seul que je devais l’enchantement de cette place. J’avais l’impression d’être véritablement ailleurs, parvenu au terme de mon voyage. Je n’avais plus 'envie de m’en aller. Je m’étais déjà trouvé ici, il y avait des centaines d’années, mais je l’avais oublié. Et voici que tout me revenait. J’y trouvais offertes la densité et la chaleur de la vie que je sentais en moi-même. J’étais cette place et je crois bien que je suis toujours cette place.
M’en séparer me parut si pénible que j’y revenais toutes les cinq ou dix minutes. Où que j’allasse, quoi que je découvrisse dans le Mellah, je m’interrompais pour revenir à la petite place, pour la traverser dans une direction ou une autre afin de me convaincre qu’elle était toujours là.
Elias Canetti (né en 1905 en Bulgarie) Prix Nobel de Littérature (en 1981) Les voix de Marrakech (Albin Michel, 1980)
Il est 3 heures (15 heures), le temps que nous avons à passer avant 5 heures sera employé à faire un tour au Mellah, – le quartier des Juifs. L’aspect en est curieux, mais sans beauté aucune. Les frères Tharaud, dans Marrakech ou les grands seigneurs de l’Atlas, en ont fait une juste mais impitoyable description. Le Mellah ne paraît point faire partie du reste de la ville : tout y est différent. Les types des hommes des femmes, la couleur, les arrangements des boutiques, le goût, l’odeur elle-même, rien ne ressemble à ce qu’on voit ailleurs. Une civilisation plus avertie, plus commerçante règne ici sûrement. L’état primitif nous paraît cependant préférable.
HenriAmic Le Maroc (1920-1924) Calmann-Levy 1925, page 66.
Joseph Dadia- La Saga des Juifs de Marrakech
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