La soupe-Joseph DADIA-derniere partie

J’aimais bien la soupe faite de fleur de farine que maman me préparait plus particulièrement le samedi soir afin de mieux digérer les repas riches et variés du shabbat. Maman aimait combler  mes souhaits, même si parfois ils découlaient des caprices de l’enfant gâté, à qui rien n’a jamais été refusé. Maman se levait de son lit pour me préparer cette soupe, et parfois  à une heure avancée de la nuit. Elle appréciait de son côté cette soupe quand elle avait mal à la tête. Cela l’aidait à mettre de l’ordre  ait dans ses idées et à récupérer du surmenage. Cette soupe  était une vitamine. De nos jours, les gens se gavent de comprimés pour calmer un mal de tête.

 

La soupe est une nourriture universelle. Chaque civilisation et chaque peuple ont su adapter à leurs besoins des variétés de soupes en fonction des ressources mises à leur disposition. Là où l’homme s’installe, il développe aussitôt une capacité  à produire de la farine à partir de ce qu’il sème, en créant une technique de mouture et en construisant un four pour cuire ses aliments, au premier rang desquels il a inventé un liquide à boire et du pain à manger. Les aspirations illimitées de l’être humain ont forgé ses goûts pour répondre à ses envies et à ses appétits. De là le monde des soupes et il faudrait un travail encyclopédique pour le nommer et le dénombrer. L’imagination de l’homme est sans frontières et sans bornes.

La soupe de petits pois  cassés nous réchauffait les  soirs d’hiver et le poivre lui donnait toute sa valeur gustative et nutritive. Je pense que les gens de ma génération la préféraient à la soupe aux haricots blancs, à ne pas confondre avec le plat dit loubia composé d’haricots blancs  avec ou sans œufs.

Un jour à Marrakech, je suis venu voir maman en compagnie de mon ami Isaac Elbhar pour lui demander de nous apprendre  quelques recettes de cuisine, faciles à réaliser. J’ai pris un cahier d’écolier dans lequel j’ai noté avec soin les indications de ma mère. A cette époque j’étais scout dans la troupe Oukaïmeden  des Eclaireurs de France, et nous devions rejoindre les autres troupes à Ein-Kala du côté d’Aïn Leuh dans le Moyen-Atlas, un endroit assez difficile d’accès dans les espaces escarpés parmi des cèdres centenaires, et fréquentés par des singes et autres animaux sauvages, sans parler des brigands qui rôdaient dans cet environnement.

Avec mon ami Isaac Elbhar nous donnions un coup de main pour la préparation des repas de notre Troupe. Un jour par temps couvert et froid, nous avions prévu  pour le repas du soir une soupe de petits pois cassés pour nous remonter le moral à tous. Il n’y a qu’une bonne soupe pour satisfaire tout le monde. La marmite trônait sur un feu de fortune que les astuces scoutes savaient faire. De temps en temps, à tour de rôle, mon ami Isaac ou moi, on passait pour surveiller la cuisson, remuer le bouillon, ajouter un peu de poivre, goûter et rajouter encore une petite pincée de poivre pour donner de la saveur à la soupe, que les camarades épuisés, par une journée de jeux et de randonnées, attendaient pour apaiser leur faim et puiser les forces et le réconfort avant d’aller sous la tente s’allonger sous une couverture et dormir du sommeil du juste. A chaque passage devant la marmite, j’ajoutai dans la soupe du poivre, ignorant qu’Isaac venait de faire de même. A la fin, ce n’était plus une soupe aux pois cassés, mais plutôt une soupe au poivre. Les petits pois gorgés et saturés de tant de poivre ont fini par absorber l’eau et les autres ingrédients, et il ne restait qu’à couper la soupe au couteau comme un gâteau. Nous avons beaucoup ri et nous sommes partis au lit le ventre creux. Le chef de Troupe Lévy n’était pas content. Michel Bénisti, notre chef de patrouille, notre pote à tous, a calmé le jeu.

 

Ta-Leghsa, la soupe aux fèves sèches décortiquées, accompagnée d’une espèce de crêpes épaisses appelées en patois berbère El-qross,  était servie le dernier jour de la fête de Soucoth nommé Hocha’ ana Rabba,  la Grande délivrance.

Certains soirs d’hiver, nous buvions avidement par lampées de cette soupe pour affronter le froid «  dans la pièce que le kanoun ne parvenait pas à chauffer ; en Afrique du Nord, de mémoire d’homme, oncques ne vit-on un feu qui chauffe » Henry de Montherlant.

 

La cabane de la Fête de Soucoth me renvoie au 8 rue Latana, au mellah de Marrakech, à Dar Rabbi Azar Halévi où nous avions habité.

Une marrakchie, Madame Hélène Gans née Perez, a écrit, il y quelques années de cela, un livre très attachant qu’elle a intitulé « Marrakech la rouge Les Juifs de la Médina dans une collection « La cuisine de mes souvenirs ». Elle a su alterner dans son ouvrage les souvenirs d’une adolescence heureuse dans les années 1940 et 1950, avec la présentation de recettes d’une cuisine ancestrale transmise par sa mère. 

Je  ressens un plaisir de citer des passages de son livre qu’elle m’a gentiment offert par l’intermédiaire de ses parents, des amis marrakchis, tout dévoués à l’Association des Juifs de Marrakech : « Dans cette société juive d’autrefois, préparer la nourriture était l’occupation la plus longue des femmes. Eplucher les légumes, ces infinies variétés de légumes, cardons, bettes, céleris, petits pois, haricots, fèves, topinambours, truffes, petits artichauts, chardons et gros artichauts à tête douce, sans compter les carottes, haricots ou tomates et tous les autres primeurs, plumer les volailles que l’on achetait vivantes avant de les faire égorger  par le rabbin du boucher, préparer la viande pour la rendre casher en la lavant et en la salant, puis la hacher pour en faire des boulettes, et trouver encore le temps de préparer des gâteaux où se concentrait tout l’amour maternel. »

Admirable prose, musicale et poétique, qui se déguste comme les petits plats qu’elle nous propose. Elle décrit par le menu les repas quotidiens et ceux des grandes fêtes annuelles, en soulignant au passage ce qu’elle appelle les fêtes sociales : naissances et circoncisions, communions, mariages, ou encore les célébrations attachées au deuil.

Je recommande à tous la lecture de ce petit livre de 131 pages, agréablement bien présentées. Rares sont encore les livres de souvenirs écrits par les juifs sur leur berceau natal. Cet ouvrage est original à plus d’un titre. L’essentiel, c’est qu’il a été écrit par une marrakchie qui a vécu en dehors du mellah dans un immeuble de Ryad Zitoun el-Jdid, Le Nouveau Jardin des Olives, une rue animée de la Médina. Elle avait de la famille au mellah, dont de célèbres rabbins. Elle parle des cadeaux de Noël qu’elle recevait, c’est parce que les enfants français en avaient, et qu’on ne comprendrait pas des chants de Noël que l’on chantait en France et qu’elle avait appris à l’école. Et les Français du Guéliz chantaient « pour l’édification des peuples frustes que nous sommes, nous petits Marocains. Je les entends encore, peuvent-elles se souvenir ? ».

 

Peter MAYNE, un auteur anglais, nous a laissé un roman publié en 1957, The Alleys of Marrakech, dont le chapitre quatre traite de Ryad ez-zitoun : « Nor is the Olive Garden more than a road of that name, no trees, no fruit, just a busy little road. »

En réalité, il existe deux rues à proximité du mellah   qui portent le nom de Ryad Zitoun L’qdim (l’Ancien) et de Ryad Zitoun L’jdid (le Nouveau). C’est dans ce dernier que résidaient Hélène avec sa famille.

 

Le mellah de Marrakech a été érigé en 1557  par Moulay Abdallah al-Ghalib Billah sur l’emplacement d’anciennes écuries royales dans le voisinage de jardins historiques – bustan – à l’ombre de la Casbah, à proximité du Palais d’où partait une  source d’eau, la sâqiya, qui traversait les rahba et les saqâif, faisait le tour de la Mosquée d’El Mansûr, se dirigeait vers l’Est  entre les murs  et atteignait Bâb es-Salihiya, vers l’angle du mur, près du mellah à proximité de Bâb Aghmat.

As-Saliha était le premier grand jardin almoravide. On y a amené de l’eau  de la vieille cité d’Aghmat, en captant plusieurs sources.

Les enfants  disaient : « O sauterelle heureuse, où t’en vas-tu  paître la nuit ? Dans le jardin d’es-Saliha ?

Le nom de Bâb es-Saliha était antérieur aux Almohades et s’appliquait à une ouverture de l’enceinte almoravide.

Le mellah de Marrakech, au 17ème siècle, était divisé en deux parties :

  • Un lieu-dit : as-Saliha sur lequel se trouvaient 200 maisons.
  • Un lieu-dit : al-Matàmin comprenant 50 maisons.

Matàmin veut dire un grenier souterrain. 

       Pour les besoins  d’un recensement en 1890/1891, le mellah de Marrakech a été divisé  en quatre quartiers distincts :

  • Le quartier dit Foundouq el Ousti ;
  • Le quartier dit Jamaâ el Kbir ;
  • Le quartier dit Dar Youssef el Mlih ;
  • Le quartier dit Derb el Meqnine.

 

Le recensement s’appliquait à dénombrer les maisons où des familles vivaient à l’étroit. Plusieurs membres de la même famille habitaient dans la même pièce, parfois même  dans un réduit de chambre, une mesriya. Le nombre des maisons étroites s’élevait à 210 dans las quatre parties du mellah, et le nombre des habitants s’élevait à 5032, les enfants exceptés.

Le terme mellah ne figure pas dans le texte de ce recensement. Il est désigné par une périphrase, « les gens de la dhimma », les protégés de cette bienheureuse ville de Marrakech.

 L’appellation mellah est tardive. Le texte hébraïque le plus ancien qui relate clairement le massacre et le pillage de la communauté juive de Fès en 1465 ne mentionne pas le mot mellah.

  Pour Marrakech, l’appellation Al-Mellah n’apparaît dans les documents juifs qu’en 1639 et dans un texte arabe datant de la seconde moitié du 17ème siècle.

   Auparavant, les auteurs européens appelaient le quartier juif Juderia, Juifverie, Juderie, Juiverie, etc.

   Il faut attendre 1767 pour trouver la mention mellah dans les sources françaises, mais le Consul danois Host qui a vécu à Marrakech entre 1760 et 1768 connaissait déjà ce mot.

   Gaudefroy-Demombynes a montré qu’al-Mallâh a simplement été un lieu-dit de Fès-Jdid, où les Juifs durent s’installer au début du 15ème siècle, alors qu’ils ont toujours habité Fès Qdim et ce, depuis la fondation de Fès. Il devient un nom commun et passe de Fès dans les autres villes du Maroc pour désigner le quartier assigné aux juifs, nous précise Gaston Deverdun.

 

Il y a deux cours d’eau au Maroc qui s’appellent Mellah :

  • L’oued Mellah entre Casablanca et Boujnika, rivière côtière à 25 km au nord de Casablanca sur la route de Rabat. Sur cet oued se trouve l’unique pont du Maroc construit par les Portugais.
  • L’oued Ouarzazate, appelé encore Idermi, provient de la réunion à Tikkirt du Mellah et de l’Imini, descendus de l’Atlas et de l’Irhiri, venu de l’énorme massif volcanique de Siroua.

         Emile Laoust signale : « Lmellah, nom de deux lieux dans la vallée du Rdat. L’wad Rdat forme de la branche  supérieure du Tansift, celui-ci a sa source à l’extrémité Est des Jebilet. On attribue à un miracle de Sidi Rahal la qualité de fraîcheur de ses eaux. Cf. Edmond Doutté dans son ouvrage En Tribu, page 178. L’Oued Rdat était alors un grand fleuve, brûlant comme du feu, dans un endroit considéré comme une des portes de l’enfer. 

J’ai écrit ces pages à la mémoire de maman, il y a plusieurs mois. Je  viens d’y apporter quelques modifications de pure forme. 

                    Bourg-la-Reine, le 12 juillet 2001.

                    Revu à Kervenic-en-Pluvigner

                    Le vendredi 21 août 2020, correspondant

                   A la néoménie du mois d’Elloul 5780. 

Merq 'Hout    

  Mot à mot, cela signifie “soupe de poisson ». C’est une marinade composée d’huile, de cumin, kmoun, de piment rouge, d’ail, d’eau et de sel, dans laquelle on macère de la friture de poisson. Ce mélange servait à tremper du pain pour calmer notre fringale. Lorsque maman n’avait rien de prêt à nous proposer à manger au goûter, au retour de l’école, cette marinade la tirait d’affaire et cela nous convenait parfaitement, et nous nous en raffolions. Je pense parfois à ces moments de bonheur simple où de petits riens nous comblaient et nous rassasiaient. De nos jours, nous avons toutes sortes de pâtisseries, de friandises et autres gourmandises pour boucher un petit creux. Certains, jadis, au mellah de Marrakech,  se contentaient d’un repas frugal de pain d’orge oint d’huile d’olive et de quelques noires bien salées. Et ils étaient heureux et satisfaits.

 Cette image de merq’hout réapparaît des fois devant  mes yeux et je songe à maman, à mon père et à mes frères et ma sœur Esther.

Je ne sais pourquoi cette modeste marinade évoque en moi ce que Claude Thouvenot a écrit naguère à propos de l’orange. Ce fruit d’or, au 19ème siècle, était cher à acheter pour les bourses modestes, quatre sous pièce. Un fruit symbole qui était pour certains enfants leur cadeau de Noël, déposé dans un sabot au pied du sapin. Je cite des extraits de son livre, en particulier les pages 149 à 153. Les oranges venaient de Nice et de Menton, puis,  après 1850, d’Espagne (les valences), d’Algérie et de Malte Ce n’est que vers les années 1955-60 que l’orange devient un fruit presque banal pour tous.

Dans son livre Le pain d’autrefois, publié à Paris en 1977, il y a des pages magiques relatives aux chroniques alimentaires d’un monde qui s’en va, le pain et la soupe. On mangeait du pain à chaque repas et le pain était partout. Autrefois, chaque maison possédait son four que l’on chauffait que l’on chauffait dès le matin pour cuire le pain.

A la fin du 19ème siècle, la soupe était encore pour beaucoup un plat bioquotidien. La soupe du matin resta longtemps l’élément essentiel d’un véritable repas, avant d’être écartée, vers la fin du 19ème siècle, par le café au lait, d’abord chez les femmes et les enfants.

 

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