Contes popu.-Juifs du Maroc


Contes populaires Racontes par des juifs du Maroc

Dispertion et unite – בתפוצות הגולה

Contes populaires

Racontes par des juifs du Maroc

Publie et annotes par

Dr Dov Noy

Jerusalem 1965

INTRODUCTION

Il est généralement admis que seulement les oeuvres présentées sous la forme écrite peuvent être considérées comme de la litté­rature. Mais la littérature n'a pas exclusivement revêtu cette forme à toutes les époques et dans tous les pays. Dans l'antiquité, les poèmes et les contes furent transmis oralement de génération en génération et cette tradition a été maintenue, non seulement dans les sociétés qui ne possèdent pas d'alphabet, mais également dans les sociétés lettrées, où les plaisirs littéraires ne se limitent pas à la lecture de livres.

La littérature orale est préservée et transmise par des personnes, qui possèdent une mémoire exceptionnelle et qui ont le don de la narration. D'une manière générale, elles content leurs histoires (ou récitent leurs poèmes) à des temps et dans un cadre fixes durant les longues soirées d'hiver, à l'occasion de fêtes familiales et religieuses. A ces occasions, le "programme" comprend souvent des contes, des poèmes et des chants. Les oeuvres ne sont pas seulement récitées, mais également interprétées par ceux qui veil­lent sur cette tradition orale

La littérature orale ne se limite pas, dans un pays donné, aux oeuvres appartenant au folklore national. Un interprète ou un narrateur, qui a la maîtrise de plus d'une langue, traduira vo­lontiers des contes étrangers dans la langue locale et les transmet­tra ainsi d'un peuple et d'un pays à un autre. Les agents de cet échange de littérature populaire peuvent être des voyageurs et des marins, des soldats (victorieux ou prisonniers de guerre) ou des gens qui se déplacent à la recherche d'un emploi. Par le fait d'être contés et racontés, les contes peuvent changer de con­tenu, selon l'imagination du narrateur et les idéaux de la société à laquelle ils sont présentés. Donc si parmi les contes popu­laires d'une société donnée — et même si celle-ci est par tous ses aspects, foncièrement différente de la nôtre – il s'en trouve qui nous rappellent les contes qu'on nous a racontés dans notre en­fance ou que nous avons lus dans les livres de Grimm et d'An­dersen ou dans l'ouvrage "Les sources d'Israël", nous ne devons pas en conclure qu'il s'agit là de plagiats. Les contes populaires ont une existence indépendante et leurs origines sont multiples. Un conte populaire, dont la vitalité s'exprime par le fait qu'il est conté et reconté dans différentes sphères culturelles et dans dif­férentes langues et régions, revêt de nombreuses formes parallèles les unes aux autres, et permet aux chercheurs de s'adonner à de longues études intéressantes sur son histoire et ses pérégrinations

Des oeuvres littéraires anciennes, qui sont parvenues jusqu'à nous, prouvent amplement que le conte populaire, en tant que genre littéraire particulier, a été très répandu dans le monde de l'antiquité classique. Dans la Bible et dans la littérature biblique et, plus particulièrement, dans l'Apocryphe et le Talmud ("la Loi orale"), nous trouvons de nombreux contes populaires dont le style trahit un long processus de transmission orale. De nom­breuses générations durant, et jusqu'à l'époque contemporaine, les pasteurs et curés font, dans leurs sermons, un grand usage de fables, de légendes et de paraboles

Dans de nombreuses communautés juives, la littérature orale constitue la forme la plus répandue de l'expression littéraire. Nous savons que les progrès de la technologie, pour autant qu'ils sont applicables au domaine culturel, ont sensiblement réduit l'im­portance de la littérature dans le sens généralement accepté du terme (nous nous contenterons, à ce sujet, de rappeler la concur­rence du cinéma et de la radio), mais il n'est pas du tout sûr, que la littérature orale ait souffert dans la même mesure de ces nouvelles inventions techniques. Dans les villages du Yémen, dans les synagogues de Tunisie, dans les montagnes du Kurdistan et dans les assemblées de Tsadikim en Europe orientale, des milliers de personnes, ignorant les nouveaux spectacles qu'offrait le pro­grès technique, ont continué jusqu'à récemment, à écouter avec intérêt et avec une satisfaction profonde, les histoires des conteurs. Souvent, ces séances constituaient la seule distraction (et pas seule­ment dans le domaine de la littérature) disponible. Dans les communautés orientales, un public composé par tous les membres de la famille et de nombreux amis et connaissances, constituait, à l'occasion de fêtes, un cadre idéal pour ces représentations folkloriques. Un narrateur exceptionnellement doué réunissait même un plus grand public à la synagogue ou ailleurs, à certaines occasions particulières

Mais les narrateurs juifs ne furent pas les seuls à capter l'intérêt des foules. Dans les bazars et au marché, on rencontrait souvent des vieillards arabes, qui gagnaient leur vie à raconter des histoires. Ces hommes avaient l'habitude d'interrompre le flot de leurs paroles au milieu d'un épisode particulièrement passionnant, pour faire la quête

Dans les pays islamiques, le conteur juif puisait à deux sources, l'une juive et l'autre arabe. Son répertoire d'histoires peut être divisé en deux catégories bien distinctes: celles qui avaient été tirées du Talmud et celles qui avaient un caractère universel et intéressaient tous les habitants de la région

Qu'est-il advenu de ces histoires, de ces contes et de ces légendes, après que les conteurs se furent établis en Israël? Sont-ils déjà tombés dans l'oubli ou est-ce qu'on les raconte encore à un public intéressé? Est-ce que les nouvelles valeurs culturelles, la vie dans un Etat dynamique et des spectacles plus modernes, n'ont pas mis fin à toute cette tradition? Est-ce que cet art a disparu à ??jamais, ou peut-on encore espérer que le narrateur et son public ressuscitent un jour ?

Contes populaires Racontes par des juifs du Maroc

Dispertion et unite – בתפוצות הגולה

Contes populaires

Racontes par des juifs du Maroc

Publie et annotes par

Dr Dov Noy

Jerusalem 1965

INTRODUCTION

Il est généralement admis que seulement les oeuvres présentées sous la forme écrite peuvent être considérées comme de la litté­rature. Mais la littérature n'a pas exclusivement revêtu cette forme à toutes les époques et dans tous les pays. Dans l'antiquité, les poèmes et les contes furent transmis oralement de génération en génération et cette tradition a été maintenue, non seulement dans les sociétés qui ne possèdent pas d'alphabet, mais également dans les sociétés lettrées, où les plaisirs littéraires ne se limitent pas à la lecture de livres.

La littérature orale est préservée et transmise par des personnes, qui possèdent une mémoire exceptionnelle et qui ont le don de la narration. D'une manière générale, elles content leurs histoires (ou récitent leurs poèmes) à des temps et dans un cadre fixes durant les longues soirées d'hiver, à l'occasion de fêtes familiales et religieuses. A ces occasions, le "programme" comprend souvent des contes, des poèmes et des chants. Les oeuvres ne sont pas seulement récitées, mais également interprétées par ceux qui veil­lent sur cette tradition orale.

La littérature orale ne se limite pas, dans un pays donné, aux oeuvres appartenant au folklore national. Un interprète ou un narrateur, qui a la maîtrise de plus d'une langue, traduira vo­lontiers des contes étrangers dans la langue locale et les transmet­tra ainsi d'un peuple et d'un pays à un autre. Les agents de cet échange de littérature populaire peuvent être des voyageurs et des marins, des soldats (victorieux ou prisonniers de guerre) ou des gens qui se déplacent à la recherche d'un emploi. Par le fait d'être contés et racontés, les contes peuvent changer de con­tenu, selon l'imagination du narrateur et les idéaux de la société à laquelle ils sont présentés. Donc si parmi les contes popu­laires d'une société donnée — et même si celle-ci est par tous ses aspects, foncièrement différente de la nôtre – il s'en trouve qui nous rappellent les contes qu'on nous a racontés dans notre en­fance ou que nous avons lus dans les livres de Grimm et d'An­dersen ou dans l'ouvrage "Les sources d'Israël", nous ne devons pas en conclure qu'il s'agit là de plagiats. Les contes populaires ont une existence indépendante et leurs origines sont multiples. Un conte populaire, dont la vitalité s'exprime par le fait qu'il est conté et reconté dans différentes sphères culturelles et dans dif­férentes langues et régions, revêt de nombreuses formes parallèles les unes aux autres, et permet aux chercheurs de s'adonner à de longues études intéressantes sur son histoire et ses pérégrinations.

Des oeuvres littéraires anciennes, qui sont parvenues jusqu'à nous, prouvent amplement que le conte populaire, en tant que genre littéraire particulier, a été très répandu dans le monde de l'antiquité classique. Dans la Bible et dans la littérature biblique et, plus particulièrement, dans l'Apocryphe et le Talmud ("la Loi orale"), nous trouvons de nombreux contes populaires dont le style trahit un long processus de transmission orale. De nom­breuses générations durant, et jusqu'à l'époque contemporaine, les pasteurs et curés font, dans leurs sermons, un grand usage de fables, de légendes et de paraboles.

Dans de nombreuses communautés juives, la littérature orale constitue la forme la plus répandue de l'expression littéraire. Nous savons que les progrès de la technologie, pour autant qu'ils sont applicables au domaine culturel, ont sensiblement réduit l'im­portance de la littérature dans le sens généralement accepté du terme (nous nous contenterons, à ce sujet, de rappeler la concur­rence du cinéma et de la radio), mais il n'est pas du tout sûr, que la littérature orale ait souffert dans la même mesure de ces nouvelles inventions techniques. Dans les villages du Yémen, dans les synagogues de Tunisie, dans les montagnes du Kurdistan et dans les assemblées de Tsadikim en Europe orientale, des milliers de personnes, ignorant les nouveaux spectacles qu'offrait le pro­grès technique, ont continué jusqu'à récemment, à écouter avec intérêt et avec une satisfaction profonde, les histoires des conteurs. Souvent, ces séances constituaient la seule distraction (et pas seule­ment dans le domaine de la littérature) disponible. Dans les communautés orientales, un public composé par tous les membres de la famille et de nombreux amis et connaissances, constituait, à l'occasion de fêtes, un cadre idéal pour ces représentations folkloriques. Un narrateur exceptionnellement doué réunissait même un plus grand public à la synagogue ou ailleurs, à certaines occasions particulières.

Mais les narrateurs juifs ne furent pas les seuls à capter l'intérêt des foules. Dans les bazars et au marché, on rencontrait souvent des vieillards arabes, qui gagnaient leur vie à raconter des histoires. Ces hommes avaient l'habitude d'interrompre le flot de leurs paroles au milieu d'un épisode particulièrement passionnant, pour faire la quête.

Dans les pays islamiques, le conteur juif puisait à deux sources, l'une juive et l'autre arabe. Son répertoire d'histoires peut être divisé en deux catégories bien distinctes: celles qui avaient été tirées du Talmud et celles qui avaient un caractère universel et intéressaient tous les habitants de la région.

Qu'est-il advenu de ces histoires, de ces contes et de ces légendes, après que les conteurs se furent établis en Israël? Sont-ils déjà tombés dans l'oubli ou est-ce qu'on les raconte encore à un public intéressé? Est-ce que les nouvelles valeurs culturelles, la vie dans un Etat dynamique et des spectacles plus modernes, n'ont pas mis fin à toute cette tradition? Est-ce que cet art a disparu à jamais, ou peut-on encore espérer que le narrateur et son public ressuscitent un jour?

Contes populaires-racontes par des Juifs du Maroc

contes populaires

Dipertion et unite – בתפוצות הגולה

Contes populaires

Racontes par des juifs du Maroc

Publie et annotes par

Dr Dov Noy

Jerusalem 1965

Il y a huit ans, nous nous sommes posé ces questions et nous ne possédions alors aucune documentation qui aurait pu nous aider à y répondre. Bien sûr, la solution la plus aisée aurait été d'admettre que le conte populaire, tout comme le costume traditionnel national et de nombreuses autres coutumes vénérables, appartient au passé. Mais même si telle était notre conviction, il nous fallait faire une enquête parmi les immigrants pour constater le fait. L'un des résultats de nos premiers contacts avec les immigrants fut la constation que la littérature folklorique orale n'était pas encore tombée dans l'oubli et nous décidâmes de puiser ces contes "à la source" et de les préserver aux Archives Israéliennes du Conte Populaire

Notre effort fut couronné de succès. Aux endroits les plus inattendus, nous découvrîmes des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux, qui connaissaient et savaient raconter des contes popu­laires. Les narrateurs et leur public appartenaient à des com­munautés variées et à toutes les couches sociales. C'est ainsi que nous avons découvert un instituteur blanchi sous le harnais, un chauffeur de camion, un marchand de légumes, un commerçant, un journalier et un jeune employé, qui avaient ceci en commun, qu'ils aimaient à raconter des histoires. Nous avons également découvert une vraie source de contes antiques étranges et de lé­gendes où se reflète l'histoire de notre peuple jusqu'à l'époque moderne

Dans de nombreux pays, la collection de contes populaires est une tâche compliquée et difficile. Souvent il faut couvrir de gran­des distances pour se rendre d'une région "culturelle" à une autre. Les personnes qui se consacrent à cette tâche se voient parfois obligées de passer des mois, ou même des années, loin de leurs foyers. La société au sein de laquelle elles essayent de réunir la documentation qui les intéresse, peut se montrer méfiante à leur égard et à l'égard des institutions qu'elles représentent. Pour arri­ver à des résultats réels, des expéditions s'adonnant à des recher­ches ethnologiques doivent être bien organisées. Les difficultés de ce travail sont encore augmentées par le fait que souvent les peu­ples qui font l'objet de ces enquêtes, ne sont pas suffisamment conscients de la valeur de leurs créations originales de sorte que la réunion de ce matériel et son enregistrement, par écrit ou de tout autre manière, doivent être faits par des étrangers

Au cours du dernier siècle, des institutions de plus en plus nom­breuses ont enregistré des contes populaires en Europe, mais peu d'activités de ce genre ont été déployées parmi les communautés juives d'Asie et d'Afrique du Nord. La grande majorité du travail accompli dans ce domaine, concernait des communautés non-juives et fut surtout réalisée par des philologues s'intéressant, en premier lieu, aux dialectes locaux. Aussi, les savants, s'ils enregistraient des contes et des légendes, ne s'intéressaient pas à leur valeur lit­téraire et se contentaient souvent de noter quelques passages ou simplement plusieurs phrases

La situation est fort différente dans l'Etat d'Israël. Les immigrants qui sont venus ici de pays souvent très éloignés, sont nos frères. Nous aimons le trésor de contes populaires qu'ils ont ap­porté avec eux et l'acceptons comme un précieux cadeau. Tout ce qui nous reste à faire c'est de recueillir ces contes, de les enre­gistrer et de les conserver. En Israël, chaque agglomération de nouveaux immigrants a ses narrateurs qui, dans la plupart des cas, sont fort heureux de présenter des échantillons de leur art

Grâce aux efforts d'environ 200 enregistreurs bénévoles, origi­naires, eux aussi, de différents pays et communautés, un grand nombre de contes populaires ont été enregistrés par écrit au cours des huit dernières années. Ces contes appartiennent à pratique­ment toutes les communautés rassemblées dans l'Etat d'Israël mo­derne. La plupart de ces contes et légendes trouvent encore au­jourd'hui un public et l'art du narrateur est encore cultivé dans de nombreuses communautés

Contes populaires-racontes par des Juifs du Maroc

C'est une erreur d'admettre que les contes populaires sont sur­tout destinés aux enfants. Dans le passé — et, dans une mesure non-négligeable, même de nos jours — ils constituaient la litté­rature d'adultes; et quoique la plupart des contes réunis dans ce volume puissent être classés dans la catégorie de la littérature pour enfants, ils sont, en fait, racontés à des adultes, par des adultes.

Si on avait enregistré ces histoires sur magnétophone, dans la langue du narrateur exactement comme elles sont racontées, on s'apercevrait qu'elles constituent une littérature populaire fort évoluée et qu'elles sont présentées sous une forme hautement sa­tisfaisante des points de vue style et langue. La langue du narra­teur est profondément influencée par la tradition, vieille de nom­breux siècles, de l'art de conter des histoires, qui aime employer des métaphores et des tournures de langue imagées. Le style qui lui est particulier, trahit une tradition fort évoluée qui n'a jamais été interrompue. Les rares enregistrements directs de contes ra­contés par des immigrants dans leur langue maternelle, trahis­sent l'originalité de cette littérature. Malheureusement, dans la plupart des cas, les hommes chargés d'enregistrer les textes, ne connaissaient pas la langue parlée par les narrateurs. Les narra­teurs ont essayé d'élargir leur public en s'exprimant en hébreu, mais dans cette langue, qu'ils ne connaissent qu'insuffisamment, leurs histoires perdent beaucoup de leur brillant et de leur beauté linguistique.

Nous nous sommes parfois permis de corriger la langue des textes enregistrés, mais ces corrections se réduisent au strict mi­nimum et nous n'avons touché aux textes que lorsque des consi­dérations de style nous y ont obligés. Nous nous sommes efforcés de maintenir, dans la traduction, l'esprit de l'original. Bien entendu, nous nous sommes abstenus "d’embellir" les contes et nous n'a­vons pas essayé d'enrichir la langue; par contre, nous avons donné la préférence aux contes racontés dans une langue claire et sou­ple malgré la pauvreté du vocabulaire. Nous espérons que si un jour, l'art de raconter des histoires s'implante en Israël, les narra­teurs hébreux développeront un style à eux, digne du conte popu­laire hébraïque.

En préparant ces contes pour leur publication et en les tradui­sant en français, nous ne leur avons fait subir aucun changement de leur contenu. Ils furent racontés en judéo-arabe et en judéo- espagnol, qui sont les langues maternelles des Juifs du Maroc. La version française permet donc aux lecteurs de se documenter à fond sur les sujets traités, malgré le fait que les contes aient perdu, dans la traduction, une partie de leur originalité et de leur fraîcheur. Le nombre relativement petit de contes réunis dans ce volume (les Archives Israéliennes du Conte Populaire ont re­cueilli 340 contes et légendes marocains destinés à une popu­lation juive de 350.000 âmes) ne nous autorise pas à porter un jugement définitif sur ces populations, mais nous avons la possi­bilité d'analyser ces textes et d'en tirer certaines conclusions.

Quels sujets les Juifs du Maroc aiment-ils traiter dans leur littérature folklorique? En lisant ces contes, nous constatons que les narrateurs tout comme leur public, avaient partiellement adopté le style de vie d'un autre peuple qui pratiquait aussi une religion différente. C'est pour cette raison que les relations avec le milieu non-juif occupent une large place dans cette littérature. Dans la plupart des cas, ces relations étaient tendues et marquées par des conflits; le tiers, environ, des histoires publiées dans ce livre reflè­tent cette situation. Comme dans le Livre d'Esther, nous retrou­vons le conflit entre deux courtisans — un Juif honnête et intègre, et un Musulman fourbe et pervers — au service d'un roi juste et généreux (Nos. 20, 46, 47, 49, 50, 57, 62, 68). Le Juif, qui oc­cupe une position élevée — il est ministre ou rabbin de la com­munauté — est souvent obligé, par son rival mal intentionné, de réaliser une tâche difficile, de résoudre un problème ou de payer une somme exorbitante sous forme de taxe. Dans la plupart des cas, le Juif est placé devant l'alternative de réaliser la tâche, de résoudre le problème, de payer la somme demandée, ou d'être exécuté, tout comme les membres de sa communauté. Parfois, la punition infligée consiste à expulser tous les Juifs. Mais le Juif réussit toujours à se tirer d'affaire et à éliminer la menace qui pesait sur la communauté. Les victoires remportées par les Juifs sont de natures différentes. Parfois elles sont dues à des formules magiques obtenues avec l'aide des sciences dont traite la Kabala Nos. 2, 40). Ceci explique la responsabilité qui pèse sur les rab­bins célèbres, censés être des maîtres des sciences occultes et jouir de la faveur du Tout-Puissant dans leurs efforts de protéger leur peuple et leurs frères No. 58).

Sur le plan individuel, cette tension intercommunale et inter­religieuse peut prendre la forme d'un conflit entre Juif et non- Juif. Si le premier est un sage et un érudit, la punition du non- Juif s'opérera par des voies miraculeuses (Nos. 4, 5, 6, 36, 37, 38, 59). Si le Juif, par contre, est un homme simple et le non-Juif, un homme puissant et prospère, nous assistons au triomphe de la justice: l'assassinat du Juif est découvert et l'assassin non-juif, est sévèrement puni (No. 21).

Un dénouement moins dramatique, qui n'entre pas dans les sphères surnaturelles et qui, parfois, s'approche de l'humour, est le triomphe du Juif intelligent sur son adversaire aux ressources intellectuelles limitées. Ces luttes où triomphe l'intelligence, peu­vent aussi opposer deux courtisans, l'un à l'autre (Nos. 23, 35, 64). Il convient de noter que dans ces histoires, l'intelligence du Juif se manifeste souvent par sa capacité de tromper l'adversaire et de hâter la perte de celui-ci par l’emploi de moyens pas tout à fait honnêtes, mais le public applaudit à ses prouesses puisqu'elles hâtent la perte d'un mauvais garnement (No. 11).

L'histoire du partage du monde entre Moïse et Mohammed nous présente un aspect tout à fait particulier de la tension inter­communale (No. 65). La base ethnologique de cette histoire est la question: pourquoi les adhérents de Mohammed sont-ils si nombreux, alors que ceux de Moïse ne constituent qu'une poi­gnée? Dans ce conte, la question de l'origine des lois concernant la Kachrouth (prescriptions alimentaires rituelles des Juifs) est également traitée. Il met en relief la perspicacité juive, qui trouve son expression dans les réponses du rabbin aux questions du re­présentant de l'Islam

Les éléments surnaturels ne dominent pas seulement dans les histoires traitant de la tension intercommunale. Nous les retrou­vons dans les contes qui mettent en relief la supériorité du saint et la sainteté de Dieu, ou nous font assister à la punition de ceux qui ne respectent pas la religion ou ceux qui la représentent, même si ces derniers ne sont pas juifs (Nos. 33, 41). Dans les histoires où interviennent les éléments surnaturels, et qui soulignent une particularité historique, (par l'intermédiaire des personnalités qui y jouent un rôle), ou géographique (en décrivant la scène où se déroule l'action), l'élément religieux prévaut. Elles servent à met­tre en évidence la réalité de la présence divine. Le mécréant est puni et l'homme juste qui marche dans les sentiers de l'Eternel est récompensé (Nos. 18, 42)

Dans les légendes dont les héros sont des sages locaux (Rabbi David Elbaz, No. 61; Rabbi Elicha Ben-Yaïch, No. 50; Rabbi Hayim Ben-Attar, Nos. 27-30, 32, 33; Rabbi Y. Ben-Attar, No. 41 ; Rabbi Eliezer Davila, No. 41 ; Rabbi Hanina Yaguel, No. 31 ; Rab­bi Hayim Pinto, Nos. 5, 37-39; Rabbi Salomon Tamsouth, No. 21), dans celles où il est question de héros nationaux (Moise, Nos. 49, 54, 65; le roi Salomon, Nos. 14, 44, 71; Elie, 34, 57) ou de sages Juifs du Moyen-Age (Maïmonide, Nos. 58, 68; Rabbi Abraham Ben-Ezra, No. 58), l'élément surnaturel est toujours présent et, dans la majorité des cas, même dominant. La plupart des rabbins font preuve de force de caractère et de fermeté dans leurs rela­tions à l'intérieur de leur communauté et avec les représentants du monde extérieur; ils possèdent aussi la capacité d'éliminer les dangers de toute nature qui menacent les membres de la commu- nauté (Nos. 5, 37, 38, 50) Cette capacité, ils la gardent même après leur mort (Nos. 4, 6) Ils ont également le pouvoir de punir les ennemis d'Israël (Nos. 16, 39)

L'élément surnaturel, qui caractérise les légendes des Juifs du Maroc, nous le retrouvons dans les histoires de toute cette région. Dans les histoires non-juives également, l'intrigue se situe au-delà du temps et de l'espace et le héros n'est pas toujours clairement défini. C'est un monde peuplé de créatures surnaturelles, esprits cl génies, qui régnent sur les éléments de la nature, influencent la vie des hommes (Nos. 1, 15, 17, 18, 25, 67)

Contes populaires-racontes par des Juifs du Maroc

Dans nos régions arides, nombreuses sont les histoires qui racontent, comment un dragon demande une vie humaine (généralement une belle princesse) en échange du droit d'accès aux sources d'eau ou de la promesse d'épargner une ville menacée de destruction. Celui qui parvient à vaincre le monstre reçoit, en récompense, la, main de la princesse et souvent même tout le royaume. Parmi les histoires publiées dans ce volume, nous retrouvons ce monstre . Dans d'autres nous voyons le héros ou un ange obtenir la main de la. princesse et accéder au trône

Un autre sujet est le problème soulevé par les souffrances du juste et la prospérité du méchant. Très souvent l'homme juste est pauvre (Nos. 18, 39, 66) et doit supporter des vexations de la part d'un homme riche et méchant. Mais en fin de compte, c'est l'homme juste qui triomphe. La récompense (ou la punition), n'atteint pas nécessairement ceux qui la méritent dans le monde de l'au-delà. L'avarice, qui conduit au refus de faire la charité est plus particulièrement mise en évidence comme l'un, des plus grands péchés, qui est puni par la peine de mort (Nos. 16, 39). La charité est récompensée — elle conduit à la richesse et peut même sauver un homme de la mort certaine, même dans les cas où l'arrêt de mort a déjà été prononcé (No. 16). La ré­compense pour la charité n'est pas forcément accordée de suite, mais elle ne tarde jamais à venir (No. 55). L'avarice et le goût du luxe constituent le sujet du vieux conte sur l'homme qui n'est jamais satisfait (No. 45)

La tension sociale trouve son expression dans le conflit entre le pauvre ouvrier et le riche employeur et la lutte, moins appa­rente, entre l'érudit et l'ignorant. Parfois l'ouvrier peut, grâce à sa sagesse, dominer son employeur (No. 67) tandis qu'en d'autres occasions, le pauvre reçoit un cadeau qui peut faire des miracles (No. 3). Une importance suprême est accordée à la foi en Dieu et tout s'arrange à l'heure fixée par Dieu (No. 18). Le prophète Elie, qui est dans l'imagination de toutes les communautés juives, le sauveur du peuple, remplit également cette fonction dans les légendes des communautés juives du Maroc (No. 34)

Le conflit entre le sage et l'ignorant évolue selon la philosophie contenue dans le dicton rabbinique: "Le coeur est touché par la charité". Le peuple, c'est-à-dire le public qui écoute les histoires, se range, bien entendu, du côté de l'humble cordonnier dont le pouvoir magique n'est pas moins grand que le pouvoir du juste rabbin Hayim Ben-Attar (No. 28). Le peuple aime également le petit berger, qui se met sur la tête pour louer Dieu, et ce geste spontané a la même valeur spirituelle que la prière du juste (No. 32). La croyance dans la force du destin et dans les décrets d'en-haut qui se réalisent plus tard dans la vie, est très forte chez les peuples méditerranéens et il n'est pas étonnant que nous ren­contrions dans nos contes des traces de fatalisme (Nos. 43, 71). Dans la littérature populaire, les chances d'un homme de changer son destin sont minimes et les héros qui réussissent effectivement à améliorer leur sort sont très rares, mais existent néanmoins (Nos. 56, 63). La sagesse et l'intelligence, opposées à la stupidité mal­faisante, sont un thème que les habitants du bassin méditerranéen aiment énormément. Le sot, dont l'ignorance dépasse l'entende­ment, ignore souvent les lois naturelles, et accomplit des actes ab­surdes (Nos. 8, 10, 12). Et le naïf qui croit tout ce qu'on lui dit (mais qui est considéré moins ignorant que le sot) est trompé et exploité (No. 11). L'intérêt du public est stimulé par les four­beries du fripon qui exploite le sot. Djouha représente, dans la littérature populaire, le héros qui, tout en étant naïf, fait preuve d'une certaine débrouillardise (Nos. 10-12). Djouha est un carac­tère que nous retrouvons dans la littérature folklorique de diffé­rents pays: dans les pays de langue turque et dans les Balkans, nous le rencontrons sous le nom de Hodja Natser-ed-Din, en Perse et dans les zones d'influence culturelle perse, il s'appelle le "Mul- lah", tandis que dans les pays de langue afghane, il devient Katchal, le chauve. Ce héros ressemble quelque peu à Till Eulenspiegel et à Herchele Ostropoler, figures populaires bien connues dans de nombreux pays européens

Dans la plupart des cas, il y a une relation entre les contes à am­bitions éducatives et instructives et les histoires se proposant d'ex­pliquer les lois naturelles et qui remplissaient chez les masses popu­laires une fonction semblable à celle de la "science" dans la vie de l'homme moderne. En effet, ces histoires trahissent une cer­taine curiosité intellectuelle, quoique les solutions offertes soient plutôt primitives. C'est ainsi que plusieurs de nos histoires (Nos. 51, 52, 65) expliquent l'origine de certaines institutions sociales, juives et générales. Dans une société plus évoluée, ces histoires sont moins nombreuses et ont un caractère presque humoristique. Il n'en est pas de même des histoires relevant du domaine de l'étiologie de notre collection. Les narrateurs (et leur public égale­ment) croient, sans l'ombre d'un doute, que ces récits sur l'origine de l'argent (No. 51), des tremblements de terre (No. 52) et des lois alimentaires rituelles (Kachrouth) (No. 65), sont tout à fait authentiques 

La vie est un processus complexe et difficile et les parents vou­draient transmettre à leurs enfants, une partie au moins, de l'ex­périence qu'ils ont acquise. Dans les contes populaires, cela se fait par les conseils que le chef de famille mourant donne à ses en­fants. Ceux-ci, s'ils suivent les conseils de leur père, jouissent de la prospérité matérielle et écartent les souffrances et les malheurs que la destinée avait en réserve pour eux (No. 69). Ce conte mérite notre attention particulière, parce qu'il appartient à une catégorie d'histoires où la femme joue un rôle central. Nous y rencontrons trois types de femmes: (1) l'héroïne d'une histoire d'amour qui est demandée en mariage par un jeune homme (Nos. 1, 25, 26) ; (2) la femme mariée dont la fidélité provoque les sym­pathies et l'émerveillement des auditeurs (Nos. 48, 70) ; (3) la mère qui, dans ses relations avec ses enfants et ceux d'un premier lit de son mari ne s'en tient pas toujours aux exigences morales de la société et de la religion (No. 17). Parfois, la fem­me est le symbole de la fidélité et de la loyauté (No. 70) quoi­qu'elle puisse aussi commettre l'adultère et trahir (No. 48). On voit qu'on peut envisager la question sous deux aspects différents et le conte populaire essaye de trancher la question: Salomon, le plus sage des hommes, prend le parti de la femme, tandis que le hibou prétend que la femme ne possède aucune vertu (No. 44)

Le public auquel ces contes s'adressaient ne constituait pas seu­lement une société religieuse. Les Juifs du Maroc, par exemple, aspirent à un centre national qui, il est vrai, est le caractère reli­gieux. Jérusalem est identique à Erets-Israël, et un certain nom­bre de personnages que nous rencontrons dans ces histoires, sont animés par le désir de vivre en Terre sainte. Le chadar (rabbin- émissaire) qui visite les pays de la Dispersion pour collecter de l'argent pour les yechivotli d'Erets-Israël a déjà réalisé cette am­bition. Au cours de ses pérégrinations, il arrive aussi au Maroc, où il enseigne la morale aux Juifs (No. 16). Dans un autre conte, un rabbin réalise personnellement la recommandation de s'établir en Erets-Israël après avoir subi un échec lors d'une première ten­tative (No. 31). Parfois, le paysage palestinien sert de fond aux histoires et pas seulement à celles qui ont un caractère biblique et dont l'action se passe forcément en Erets-Israël. C'est ainsi que les âmes des morts sont purifiées dans le Lac de Galilée (No. 27). L'aspiration à l'indépendance et à l'égalité avec les Gentils trouve son expression dans les comptes rendus de batailles que des héros juifs ("Les fils de Moïse") ont livrées aux ennemis de leur peuple (No. 2)

Pour terminer, quelques remarques d'ordre général

Le nombre d'histoires dont les héros sont des animaux ou qui se classent dans la catégorie des fables, est très petit, mais cette remarque s'applique à toute la littérature de cette région cultu­relle. L'histoire où un serpent sert fidèlement son maître (No. 60), constitue l'exception qui confirme la règle. La deuxième histoire d'animaux de cette collection (No. 53) est, en fait, une allégorie pleine d'esprit

Les légendes dont l'action se passe à des endroits qui ne sont pas liés, d'une manière ou d'une autre, à la religion, sont, elles aussi, très peu nombreuses. Le conte où il est question de la mon­tagne où la fille du roi, à la recherche d'un trésor, reste enfermée à jamais, (No. 13) et de "la chambre de la Juive de Marrakech" (No. 22) sont uniques en leur genre

Nous ne pouvons pas nous étendre ici, sur la question de la relation qui existe entre les contes populaires réunis dans ce volume et la littérature ancienne de notre peuple. Mais il nous semble intéressant de signaler que plusieurs contes (Nos. 19, 45, 57) ac­cusent, sous des formes nombreuses et variées, l'influence de la littérature talmudique et midrachique

LE JEUNE HOMME QUI A REUSSI A FAIRE PARLER LA FILLE DU ROI

contes populaires

LES NARRATEURS ET LES ENREGISTREURS

Les Archives Israéliennes du Conte Populaire sont en relation avec les "conteurs d'histoires" par l'intermédiaire des personnes qui enregistrent ces contes par écrit. La "famille des enregistreurs" comprend près de soixante membres, qui remplissent leur mission avec beaucoup de dévouement. La plupart d'entre eux sont des membres fondateurs de la "famille", établie il y a sept ou huit ans, tandis que les autres l'ont rejointe plus tard.

Un groupe de vingt d'entre eux a enregistré plus de 50 contes et un autre groupe de onze membres a gardé pour la postérité plus de 100 contes.

La plupart des renseignements sur les narrateurs et les enre­gistreurs que nous publions plus loin, nous ont été fournis par ces derniers. Us ont puisé une partie de leur documentation dans leurs propres souvenirs; pour le reste, ils se sont adressés aux conteurs. Il ne nous a pas toujours été possible de vérifier les ren­seignements obtenus, mais nous avons pleine confiance dans les conteurs et enregistreurs et, dans de nombreux cas, nous reprodui­sons textuellement ce qu'ils nous ont dit. Nous avons inclus dans ces notes, des renseignements non-biographiques s'ils sont de na­ture à nous renseigner sur la personnalité du conteur, sur son milieu social, sur l'éducation qu'il a reçue au Maroc, sur les difficultés de son acclimatisation en Israël et sur ses occupations actuelles. A ces renseignements personnels, qui nous ont été four­nis par écrit, nous avons ajouté des informations sur les contribu­tions faites aux "Archives" jusqu'au mois de juin 1963.

Les noms des membres de la "famille" sont arrangés selon l'or­dre de l'alphabet hébreu et nous avons mentionné chaque fois, s'il s'agit d'un narrateur ou d'un enregistreur.

Yaacov Avitsouc (enregisteur; textes Nos. 1 à 23) : est né en 1924, à Vasloui (Roumanie), sixième enfant de David et Rahel Itzkovits, qui eurent, en tout, neuf enfants. Le père de Yaacov était tapissier. L'enfant fut élevé au Hêder et dans une école juive dont le programme accordait une place modeste à l'enseignement de l'hébreu. La famille Itzkovits était pratiquante et Yaacov fut membre des mouvements sionistes Gordonia et Bousliya; il fit sa hakhchara avant de venir en Erets-Israël. Durant la Deuxième Guerre, il travailla dans des camps de travaux forcés hitlériens.

Yaacov se rendit en Israël en 1946, à bord du bateau "Hagana" qui transportait des immigrants "illégaux". A son arrivée en Erets- Israël il fut interné au camp d'Atlith. A sa libération, il se joignit à un noyau de pionniers, au Kibouts Ayanoth (Ramath David). En 1948, le groupe passa à Hédéra comme unité indépendante, puis s'établit sur ses terres à Tel Guézer, à proximité de Latroune. Après la Guerre d'Indépendance, le kibouts ne put se maintenir et fut dissout. Yaacov travailla comme moniteur de jeunesse dans des villages de nouveaux immigrants. En 1955, il obtint le diplôme qui lui permit d'enseigner à l'Ecole Normale de Beerchéva, puis il enseigna au Centre de Jeunes de Kiryath Gath et aux écoles des villages Arougoth et Talmé Yéhiel. Pendant un certain temps il fut instituteur au Centre de Jeunes de Kiryath Malahi, où il commença à écrire: articles de journaux, nou­velles et poèmes. En 1961 il fit paraître une plaquette de poèmes.

Yaacov Avitsouc compte parmi les meilleurs enregistreurs des "Ar­chives Israéliennes du Conte Populaire". Il a enregistré 136 histoires dont quelques-unes lui furent transmises par des membres de sa fa­mille, mais dont la grande majorité furent recueillies parmi les ha­bitants du village d'immigrants de Kiryath Malahi qui compte des représentants de nombreuses communautés.

Avraham (Albert) Allouche (narrateur; textes Nos. 1 à 12): Est né à Mogador, ville portuaire, en 1918. Sa mère était la fille d'un cordon­nier qui avait sa boutique au marché arabe. Son père était mar­chand de fruits.

Quand Avraham avait cinq ans, sa famille se fixa à Casablanca et c'est là qu'il passa sa jeunesse avec ses trois soeurs (dont deux se trouvent maintenant à Paris) et ses cinq frères (dont deux sont établis aujourd'hui à Acre et à Beerchéva). Avraham a épousé, à l'âge de 26 ans, Sultana, fille d'un inspecteur du domaine de Léon Corcos, qui est l'un des Juifs les plus riches du Maroc. Avraham a cinq fils, dont l'aîné qui a été élevé au Kibouts Afikim, accomplit aujourd'hui son service militaire. La famille est pratiquante et, au­jourd'hui encore, la langue parlée à la maison est l'arabe marocain. Avant sa venue en Israël, en 1955, Avraham était mécanicien, mais aujourd'hui il possède un camion et exerce le métier de chauffeur à Kiryath Malahi.

Avraham a entendu les histoires de Yaïch Odmizguine aujour­d'hui âgé de 90 ans, qui a exercé pendant longtemps le métier de pêcheur. Yaïch était ami de la famille Allouche et le soir il aimait raconter des histoires aux enfants de la famille. Il habite en­core aujourd'hui à Casablanca avec un des frères Allouche. Avraham, qui a transmis ses histoires à Yaacov Avitsouc, nous informe que le vieux Yaïch est une véritable mine de contes et de légendes. "Je re­grette", nous dit-il, "qu'il ne soit pas venu en Israël, car il aurait pu me raconter un grand nombre d'histoires".

LE JEUNE HOMME QUI A REUSSI A FAIRE PARLER LA FILLE DU ROI

Il était une fois un roi, qui avait une fille très belle et sur le mur du palais se trouvait l'inscription: Celui qui réussit à faire parler la fille du roi, obtiendra sa main et sera le gendre du roi

Quatre-vingt-dix-sept jeunes gens tentèrent leur chance, mais ils ne réussirent pas à faire parler la princesse, qui resta sans réagir à leurs efforts et chaque prétendant, qui n'avait pas réussi à la faire parler subit la peine de mort: on lui coupa la tête et la planta sur un pieu, qui fut fixé au mur du château. Et ceux qui passaient devant le château voyaient, ainsi exposées, des dizaines de têtes de prétendants, qui avaient tenté leur chance et qui n'avaient pas réussi et qui avaient été mis à mort

Dans ce pays vivait un vieux couple, qui avait trois fils. Le chef de famille mourut et de mauvais voisins s’emparèrent de tout ce qui se trouvait dans la maison, en disant: "Votre père nous devait de l'argent

En voyant cela, le fils aîné devint triste. Il dit à sa mère: "Je m'en vais dans une autre ville pour y tenter ma chance! Je n'ai plus rien à faire ici

La mère lui dit: "Quel conseil puis-je te donner, mon fils? Va et que la chance te sourie!" Elle lui donna un peu d'argent et une réserve de vivres et il se mit en route. Pour aller où? Dans la capitale du pays. Là, il passa devant le château du roi et il vit les têtes fixées au mur. Il se mit à les compter et arriva au nombre de 97. Il s'adressa alors aux passants pour leur de­mander ce que cela signifiait et ils lui racontèrent toute l'histoire: celui qui réussit à faire parler la fille du roi, l'obtiendra comme femme et ceux qui échouent, voilà le sort qui les attend

"Peut-être dois-je tenter ma chance?" se dit le jeune homme. Peut-être réussirai-je, moi, à m'entretenir avec la fille du roi et à l'obtenir comme épouse

Il entra dans le palais et le gardien lui demanda: "Que viens- tu chercher ici

"Je veux faire parler la fille du roi

Le gardien lui dit: "Tu n'y réussiras pas

"Peut-être", répondit le jeune homme

Il entra dans le palais et on le conduisit à la douche et on lui donna des vêtements neufs. Il se doucha, se rasa, mit les vête­ments neufs et entra dans la chambre de la fille du roi. Là, il se mit à parler et à parler. Il raconta des histoires et posa des questions toute la nuit, mais rien ne se produisit et la fille du roi n'ouvrit pas la bouche. Le matin, on lui coupa la tête, on la planta sur un pieu, qui fut fixé au mur. Le nombre de têtes augmenta d'une unité •— 98

La mère attend le retour de son fils. Elle pleure sans arrêt. Elle ne fait que pleurer et pleurer. Un jour, le deuxième fils s'adressa à sa mère, disant: "Mère, je prendrai la route qu'a empruntée mon frère. Je n'ai plus rien à faire ici; je veux partir pour tenter ma chance

La mère malheureuse n'arriva pas à le convaincre de rester. Elle lui prépara une réserve de vivres et il quitta la maison. Il arriva, lui aussi, à la capitale et passa devant le château du roi. Et il vit les têtes exposées le long du mur. Il les compta et arriva au chiffre 98. La dernière était la tête de son frère aîné. Il se mit à pleurer. "Mon frère, mon frère, qu'as-tu fait? Quel péché as-tu commis pour qu'on t'ait coupé la tête?" Les passants lui racontèrent toute l'histoire: celui qui réussit à s'entretenir avec la fille du roi, l'obtiendra comme femme, mais celui qui n'y réussit point, voici le sort qui l'attend . . . Vois-tu, ton frère, non plus, n'a pas réussi et on lui a coupé la tête

Le jeune homme fil exactement ce qu'avait fait son frère et il subit le même sort: toute la nuit il parla et parla, toute la nuit il posa des questions et raconta des histoires, mais la fille du roi n'ouvrit pas la bouche. Le matin, on lui coupa la tête, on la planta sur un pieu, qui fut fixé au mur — 99 têtes

Le frère cadet était le plus courageux de tous et on l'appelait: Arva — harak — mazar, ce qui veut dire en arabe: "Le déracineur d'arbres", car il était assez fort pour déraciner même les plus vieux arbres

Un jour, il dit à sa mère: "Mon frère aîné est parti et n'est pas revenu. Mon deuxième frère est parti et n'est pas revenu. A mon tour, je dois partir pour les ramener à la maison

La mère lui dit: "Que Dieu t'accorde son aide, mon fils

Le jeune homme se mit en route et arriva, lui aussi, dans la capitale. Il passa devant le château du roi et vit les 99 'têtes exposées le long du mur. Il s'aperçut que les deux dernières têtes étaient celles de ses frères. Il s'exclama: "O mes frères! Quel sort cruel! Qu'avez-vous fait pour subir une fin aussi mi­sérable?" Les passants lui racontèrent toute l'histoire: celui qui réussit à faire parler la fille du roi, l'obtiendra comme épouse; et celui qui échoue — voilà la fin qui l'attend 

Le jeune homme jeta un regard sur la ville et voici, il aperçut un restaurant arabe. Il y entra et commanda un café. Il était tres excité et nerveux et ne pouvait détourner son regard des têtes exposées. Le propriétaire du restaurant l'observa et lui dit: "Toi aussi lu cours après le malheur? C'est bien dommage pour toi! Tu es jeune et pourquoi courir ce danger

Mais le même jour encore le jeune homme se présenta à l'en­trée du palais. Les gardiens lui demandèrent: "Que cherches-tu ici?" Il leur dit ce qu'il voulait

"ais-tu quel sera ton sort, si tu ne réussis pas"

"Oui, je sais

On l'envoya à la douche et on lui remit des vêtements neufs. Puis on le fit entrer dans la chambre de la fille du roi

En paraissant devant la fille du roi, le jeune homme ne dit rien. Aucune salutation, aucune parole — il s'asseoit simplement dans un coin de, la chambre, tandis que dehors les gardiens sont réunis comme d'habitude, pour voir et entendre ce qui se passe à l'intérieur

Que fait le jeune homme? Il se tait

La fille du roi est assise sur un lit et lui, il s'installe sur le deuxième lit. Ensuite, il sort de sa poche un chandelier et commence à s'entretenir avec lui. La fille du roi se lève et lui demande: "Que fais-tu? Es-tu fou? Tu parles à un chandelier?" Il lui répond: "Qu'est-ce que ça peut bien te faire? Je ne t'ai pas adressé la parole

Elle dit: "Tu parles à un chandelier. Cela signifie que tu es fou

Et dehors, les gardiens réunis entendent la fille du roi s'entre­tenir avec le jeune homme

Le matin, avant qu'on ne vienne ouvrir la porte de la cham­bre, le jeune homme prit la fille du roi sur son dos, car elle lui appartenait à présent. Ne lui a-t־elle pas parlé durant la nuit? Les gardiens lui dirent: "En effet, la jeune fille t'appar­tient en propre, mais tu ne devrais pas t’emparer d'elle de cette manière. Bientôt viendra le roi pour t'accorder la main de sa fille, comme il est écrit sur le mur du palais

Le matin, le Premier Ministre du roi arriva sur les lieux. De­puis longtemps, il désirait que son fils épousât la fille du roi et c'est lui qui avait inventé ce jeu cruel, car il s'était dit: "Les prétendants se feront de plus en plus rares, et finalement, la fille du roi épousera mon fils". Quand il eut entendu que la fille du roi s'était mise à parler cette nuit et réalisé que son fils ne l'obtiendra pas comme épouse, il suggéra au roi: "Si ce jeune homme est tellement fort et intelligent, qu'il t'apporte le coq qui sait chanter. S'il peut faire cela, qu'il épouse ta fille, mais s'il n'y réussit point — qu'il meure

Le matin, le roi dit au jeune homme: "Ma fille est à toi, mais puisque je suis ton beau-père à présent, je te demanderai un service — apporte-moi le coq qui sait chanter

Le jeune homme répondit: "C'est tout ce que tu me deman­des? Je pourrais t'en apporter deux, les yeux bandés

Mais le Premier Ministre savait que le jeune homme était condamné à mourir, car il ne réussirait point à apporter ce qu'on lui avait demandé

Avant de se mettre en route, le jeune homme remit à la fille du roi trois plantes et lui dit: "Vois, je te donne ces trois plantes. Et je te demande de les embrasser une fois par semaine

Si l'une d'elles meurt, sache que j'ai perdu une partie de mes forces. Si la deuxième plante meurt, sache que la moitié de mes forces m'ont abandonné et si la troisième plante meurt, sache que j'ai cessé de vivre

Le jeune homme prit des provisions de pain et d'eau, et se mit en route. Sur son cheval, il voyagea un mois, deux mois, trois mois, jusqu'à ce qu'il arrivât à une croisée de chemins, qui lui laissa le choix entre deux directions. Sur l'une des routes, il était écrit: "Celui qui s'engage sur cette route, ne reviendra pas". Et sur la deuxième était écrit: "Bon voyage!" Le jeune homme hésita pendant plus d'une heure et ne savait pas sur quelle route s'engager. Finalement, il décida de prendre la route sans retour, arrive que voudra. Il avait parcouru une petite distance losqu'une vieille femme parut devant lui et lui dit: "Jeune homme, prends garde! Où vas-tu sur cette route?" Le jeune homme lui répondit: "Qu'est-ce que cela peut bien te faire, à toi

Elle lui dit: "Si tu veux voyager sur cette route, viens et je te dirai ce que tu dois faire. Tu es trop jeune pour mourir déjà. Mais si tu fais ce que je te dis, tu as une chance d'avoir la vie sauve. Celui qui s'engage sur cette route peut ramener ce qu'il désire et je sais que toi, tu dois ramener le fameux coq qui chante. Continue sur cette route, jusqu'à ce que tu aperçoives un grand champ avec de grands arbres. Il y a, là-bas, une grande cage à l'intérieur de laquelle se trouve le coq qui chante. Mais ne t'approche pas de la cage. De loin, tu verras un monstre à sept têtes; c'est lui qui garde la cage. Si les yeux du monstre sont ouverts, tu peux t’emparer du coq, car le monstre dort les yeux ouverts. Mais si ses yeux sont fermés, prends garde, car alors il est éveillé. Si tu réussis à t’emparer du coq et à t'enfuir, tu devras passer par trois endroits dange­reux

"Le premier danger t'attend à un chemin qui s'arrête au milieu. Quand tu arrives à cet endroit, prononce cette phrase

"Quelle splendeur de chemin! Si tous les chevaux de mon père, le roi, étaient à ma disposition, je me serais mis à danser ici". Le chemin alors s'ouvrira devant toi et tu pourras continuer ton voyage

"Le deuxième danger est constitué par un oued rempli de boue dont le passage est impossible. Lorsque tu arriveras devant ce oued, prononce ces paroles: "Quelle merveille de oued rempli de miel! Si quelqu'un pouvait m'apporter un peu de ce miel dans le château de mon père, le roi, je le mangerais avec beau­coup de plaisir". Le oued se desséchera alors et tu pourras le traverser

"Le troisième danger se présentera sous forme d'un oued rem­pli de sang et de pus et de toutes sortes de bêtes sauvages. En arrivant là tu diras: "Quel beurre appétissant. Si j'avais le pain de mon père, le roi, je l'aurais beurré avec ce beurre magnifique". Le oued se desséchera et tu pourras le traverser avec le coq dans ta main et lorsque tu reviendras ici, chez moi, nous verrons ce qu'il y a lieu de faire ensuite

Le jeune homme prit bonne note des conseils de la vieille et se mit en route. Il parcourut des kilomètres et des kilomètres jusqu'à ce qu'il arrivât devant le champ et aperçût la cage. Et tout près de la cage, il vit le monstre dont les yeux étaient fermés. Le jeune homme savait alors que le monstre était éveillé et qu'il devait attendre trois mois, car trois mois constituent pour le monstre l'équivalent d'une nuit

Le jeune homme attendit trois mois, et, subitement, les yeux du monstre s'ouvrirent, signe évident qu'il était endormi. Il prit la clé attachée à un doigt du monstre et ouvrit la cage. Il s’empara en vitesse du coq, enfourcha son cheval et s'enfuit au galop. Après trois mois de route, il arriva devant le chemin. C'est à ce moment précis que le monstre se réveilla et s'aperçut immédiatement que la clé avait disparu. Il jeta un regard dans la cage et constata que le coq aussi avait été volé. Il ne fallut qu'une minute au monstre pour parcourir la distance que le jeune homme avait couverte en trois mois. Mais au moment où il était sur le point de rattraper le jeune homme celui-ci prononça la formule que la vieille femme lui avait apprise: "Quelle splendeur de chemin. Si tous les chevaux de mon père, le roi, étaient à ma disposition, je me mettrais à danser ici". Le chemin s'ouvrit immédiatement devant le jeune homme et il le traversa en une minute. Le monstre, qui courait derrière lui, trébucha et tomba. Mais au moment où le jeune homme arriva devant le premier oued, le monstre était sur le point de le rat­traper à nouveau et le jeune homme suivit de nouveau le conseil de la vieille femme et parvint à traverser le oued. Il en fut de même du deuxième oued

Finalement, le jeune homme revint chez la vieille femme, te­nant dans sa main le coq chanteur

Alors, la vieille dit au jeune homme

"Tu es fort et vaillant, mais à présent tu es très fatigué. Je te préparerai à manger et tu te reposeras chez moi; tu mangeras et tu dormiras et puis tu continueras ton voyage

La vieille sortit aux champs; elle sema du blé, le récolta, le moulut, puis en prépara un plat de couscous et tout cela, elle le fit en une minute. Mais entre-temps, le coq s'était mis à parler au jeune homme

"C'est bien triste pour toi, mon brave, tu t'es donné tant de peine pour m'avoir, mais dès que tu t'endormiras, la vieille s’emparera de moi. Ecoute bien, jeune homme: lorsque la vieille se baissera pour te donner à manger de la casserole, sois sur tes gardes. Elle en sortira deux baguettes, l'une en or et l'autre en argent. Si elle te donne un coup avec la baguette en argent, elle te transformera en chien; et si elle te touche avec la baguette en or, tu redeviendras un homme comme auparavant. Fais donc bien attention! Lorsqu'elle se baissera, arrache-lui les deux ba­guettes et donne lui un coup avec la baguette en argent avant qu'elle ne puisse s'en servir contre toi

Le jeune homme fit ce que le coq lui avait conseillé. Et voici, la vieille se transforma en chienne. Le jeune homme lui mit une laisse et la chienne le suivit partout

Un jour, la fille du roi monta sur le toit, pour arroser les plantes et elle s'aperçut que deux d'entre elles étaient mortes, tandis que la troisième était bien vivante et sa tige s'était enrichie d'une nouvelle feuille verte. La fille du roi se mit à danser de joie, car cela signifiait que son mari était en vie et en possession de ce que son père lui avait demandé

Le roi entendit le chant de sa fille et la vit danser. Il lui de­manda: "Que fais-tu là? Que signifie  cette joie

La fille répondit

"Je sais que mon mari est en vie et qu'il rentre à la maison. C'est la raison pour laquelle je me réjouis tan.

Lorsque le ministre du roi apprit la nouvelle, il se dit: "Ce jeune homme est un vrai héros, mais je le tuerai". Il monta avec le roi sur le toit du palais et de loin ils virent le jeune homme sur son cheval, s'approchant du palais et tenant dans la main le coq qui savait chanter; il était suivi par une chienne

Le roi dit à ses gardes du corps d'aller à la rencontre du jeune homme et de le conduire au palais. Après que le roi eut salué et félicité le jeune honnne, il fit mettre le coq dans une cage et ordonna à plusieurs de ses serviteurs de la garder jour et nuit. On conduisit le jeune homme à la chambre de la fille du roi où il resta pendant dix jours

Après dix jours, le jeune homme sortit de la chambre et dit au roi: "Que le roi ait la grâce d'inviter les ministres et hauts fonctionnaires, les officiers et les représentants des pays étrangers pour que tous voient ce que j'ai apporté

Lorsque toutes ces personnalités furent réunies dans la cour du palais, le gendre du roi prit le coq, l'attacha à la balustrade du toit et s'adressa à lui par ces paroles: "O coq, mon coq! Je veux que tu parles et que tu chantes, afin que tous ceux qui sont réunis ici, en soient émerveillés

Le coq déploya ses ailes avec grand bruit, puis il ouvrit le bec et se mit à parler et à chanter. Et le roi et tous ceux qui étaient autour de lui n'avaient jamais entendu pareille chose

Quand le coq eut terminé son chant, le gendre du roi dit

"Que Votre Majesté me permette également de montrer à tous la chienne que j'ai apportée

Il prit la baguette en or et en donna un léger coup à la chienne. Immédiatement celle-ci se transforma en une vieille femme. Tous les assistants en furent stupéfaits et étaient in­capables de prononcer une parole

Le gendre du roi voulait expliquer à tous les assistants ce que la vieille avait eu l'intention de faire, mais le coq l'en empêcha et lui dit: "Non, mon brave! Ne leur raconte rien, moi je leur dirai ce qui est arrivé

Mais le coq se mit à raconter, non pas la vie de la vieille femme, mais celle du jeune homme et il termina son discours par ces paroles: "Et le jeune homme se mit en route pour chercher une chose miraculeuse — et voici, il en rapporte deux

  ?Alors, le roi demanda à son gendre: "Et que vas-tu faire à présent

Le jeune homme prit dans sa main la baguette en argent, en toucha la vieille femme et voici, celle-ci se retransforma en chienne. Puis il dit au roi: "Je veux m'en aller avec ma femme, car elle m'appartient

Le roi, voyant que le jeune homme était dans son droit, ne s'y opposa pas. Le jeune homme installa la fille du roi sur son cheval et rentra chez lui. De retour à la maison, il dit à sa mère: "Regarde cette jeune femme, à cause d'elle deux de tes fils — mes deux frères — sont morts

Après avoir prononcé ces paroles, il s’empara de son épée, coupa la tête de sa femme et l'envoya au père de celle-ci, le roi, accompagnée d'une courte lettre: "Voici la centième tête! Tu as tué 99 jeunes gens pour elle et voici une tête de plus pour arrondir le chiffre. Je ne désire point être le gendre d'un roi meurtrier. Je ne veux point être le mari d'une femme, qui a causé la mort de mes deux frères

LE "GARDIEN DU SABBAT" ET SA SOEUR

 

LE "GARDIEN DU SABBAT" ET SA SOEUR

Il y a longtemps de cela, les membres des tribus du Maroc avaient l'habitude de faire la guerre aux Juifs et chaque fois qu'ils le firent ils en tuèrent un grand nombre. Il arriva que, par hasard, un homme et sa soeur de la tribu juive "Fils de Moïse", se rendirent au Maroc; ils organisèrent la résistance contre les agresseurs et en tuèrent un grand nombre. Les Arabes donnèrent au Juif courageux le surnom de "Le Gardien du Sabbat".

Au terme d'une lutte sanglante, après que les membres des tribus locales eurent subi une grave défaite, le guerrier des Fils de Moïse s'aperçut qu'une goutte de sang était tombée sur son vê­tement. Il sut alors qu'il était impur et qu'il ne pouvait plus retourner à sa tribu. Que faire? Il se suicida. Les Arabes trou­vèrent le corps du Juif et savaient qu'il n'avait pas été tué par eux. Ils l'enterrèrent avec beaucoup d'honneurs et construi­sirent sur sa tombe une magnifique maison. Chaque jour, ils priaient sur cette tombe et un jour, le mort qui y était enterré, fut considéré comme un saint de la religion musulmane.

La soeur du "Gardien du Sabbat" était, elle aussi, très forte et courageuse et tua de sa main de nombreux ennemis arabes. Lorsqu'elle vit son frère étendu par terre, sans donner signe de vie, elle se suicida, elle aussi.

Cette femme aussi, les Arabes l'enterrèrent avec beaucoup d'hon­neur; L'endroit où elle est enterrée est un lieu saint de la religion musulmane jusqu'à ce jour

Yaacov Avitsouc (enregisteur; textes Nos. 1 à 23) : est né en 1924, à Vasloui (Roumanie), sixième enfant de David et Rahel Itzkovits, qui eurent, en tout, neuf enfants. Le père de Yaacov était tapissier. L'enfant fut élevé au Hêder et dans une école juive dont le programme accordait une place modeste à l'enseignement de l'hébreu. La famille Itzkovits était pratiquante et Yaacov fut membre des mouvements sionistes Gordonia et Bousliya; il fit sa hakhchara avant de venir en Erets-Israël. Durant la Deuxième Guerre, il travailla dans des camps de travaux forcés hitlériens

Yaacov se rendit en Israël en 1946, à bord du bateau "Hagana" qui transportait des immigrants "illégaux". A son arrivée en Erets- Israël il fut interné au camp d'Atlith. A sa libération, il se joignit à un noyau de pionniers, au Kibouts Ayanoth (Ramath David). En 1948, le groupe passa à Hédéra comme unité indépendante, puis s'établit sur ses terres à Tel Guézer, à proximité de Latroune. Après la Guerre d'Indépendance, le kibouts ne put se maintenir et fut dissout. Yaacov travailla comme moniteur de jeunesse dans des villages de nouveaux immigrants. En 1955, il obtint le diplôme qui lui permit d'enseigner à l'Ecole Normale de Beerchéva, puis il enseigna au Centre de Jeunes de Kiryath Gath et aux écoles des villages Arougoth et Talmé Yéhiel. Pendant un certain temps il fut instituteur au Centre de Jeunes de Kiryath Malahi, où il commença à écrire: articles de journaux, nou­velles et poèmes. En 1961 il fit paraître une plaquette de poèmes

Yaacov Avitsouc compte parmi les meilleurs enregistreurs des "Ar­chives Israéliennes du Conte Populaire". Il a enregistré 136 histoires dont quelques-unes lui furent transmises par des membres de sa fa­mille, mais dont la grande majorité furent recueillies parmi les ha­bitants du village d'immigrants de Kiryath Malahi qui compte des représentants de nombreuses communautés 

Avraham (Albert) Allouche (narrateur; textes Nos. 1 à 12): Est né à Mogador, ville portuaire, en 1918. Sa mère était la fille d'un cordon­nier qui avait sa boutique au marché arabe. Son père était mar­chand de fruits

Quand Avraham avait cinq ans, sa famille se fixa à Casablanca et c'est là qu'il passa sa jeunesse avec ses trois soeurs (dont deux se trouvent maintenant à Paris) et ses cinq frères (dont deux sont établis aujourd'hui à Acre et à Beerchéva). Avraham a épousé, à l'âge de 26 ans, Sultana, fille d'un inspecteur du domaine de Léon Corcos, qui est l'un des Juifs les plus riches du Maroc. Avraham a cinq fils, dont l'aîné qui a été élevé au Kibouts Afikim, accomplit aujourd'hui son service militaire. La famille est pratiquante et, au­jourd'hui encore, la langue parlée à la maison est l'arabe marocain. Avant sa venue en Israël, en 1955, Avraham était mécanicien, mais aujourd'hui il possède un camion et exerce le métier de chauffeur à Kiryath Malahi

Avraham a entendu les histoires de Yaïch Odmizguine aujour­d'hui âgé de 90 ans, qui a exercé pendant longtemps le métier de pêcheur. Yaïch était ami de la famille Allouche et le soir il aimait raconter des histoires aux enfants de la famille. Il habite en­core aujourd'hui à Casablanca avec un des frères Allouche. Avraham, qui a transmis ses histoires à Yaacov Avitsouc, nous informe que le vieux Yaïch est une véritable mine de contes et de légendes. "Je re­grette", nous dit-il, "qu'il ne soit pas venu en Israël, car il aurait pu me raconter un grand nombre d'histoires.

Contes populaires-racontes par des Juifs du Maroc

 

LES CADEAUX MIRACULEUX ET LA VIEILLE MEGERE 

Yaacov Avitsouc (enregisteur; textes Nos. 1 à 23) : est né en 1924, à Vasloui (Roumanie), sixième enfant de David et Rahel Itzkovits, qui eurent, en tout, neuf enfants. Le père de Yaacov était tapissier. L'enfant fut élevé au Hêder et dans une école juive dont le programme accordait une place modeste à l'enseignement de l'hébreu. La famille Itzkovits était pratiquante et Yaacov fut membre des mouvements sionistes Gordonia et Bousliya; il fit sa hakhchara avant de venir en Erets-Israël. Durant la Deuxième Guerre, il travailla dans des camps de travaux forcés hitlériens.

Yaacov se rendit en Israël en 1946, à bord du bateau "Hagana" qui transportait des immigrants "illégaux". A son arrivée en Erets- Israël il fut interné au camp d'Atlith. A sa libération, il se joignit à un noyau de pionniers, au Kibouts Ayanoth (Ramath David). En 1948, le groupe passa à Hédéra comme unité indépendante, puis s'établit sur ses terres à Tel Guézer, à proximité de Latroune. Après la Guerre d'Indépendance, le kibouts ne put se maintenir et fut dissout. Yaacov travailla comme moniteur de jeunesse dans des villages de nouveaux immigrants. En 1955, il obtint le diplôme qui lui permit d'enseigner à l'Ecole Normale de Beerchéva, puis il enseigna au Centre de Jeunes de Kiryath Gath et aux écoles des villages Arougoth et Talmé Yéhiel. Pendant un certain temps il fut instituteur au Centre de Jeunes de Kiryath Malahi, où il commença à écrire: articles de journaux, nou­velles et poèmes. En 1961 il fit paraître une plaquette de poèmes.

Yaacov Avitsouc compte parmi les meilleurs enregistreurs des "Ar­chives Israéliennes du Conte Populaire". Il a enregistré 136 histoires dont quelques-unes lui furent transmises par des membres de sa fa­mille, mais dont la grande majorité furent recueillies parmi les ha­bitants du village d'immigrants de Kiryath Malahi qui compte des représentants de nombreuses communautés.

Avraham (Albert) Allouche (narrateur; textes Nos. 1 à 12): Est né à Mogador, ville portuaire, en 1918. Sa mère était la fille d'un cordon­nier qui avait sa boutique au marché arabe. Son père était mar­chand de fruits.

Quand Avraham avait cinq ans, sa famille se fixa à Casablanca et c'est là qu'il passa sa jeunesse avec ses trois soeurs (dont deux se trouvent maintenant à Paris) et ses cinq frères (dont deux sont établis aujourd'hui à Acre et à Beerchéva). Avraham a épousé, à l'âge de 26 ans, Sultana, fille d'un inspecteur du domaine de Léon Corcos, qui est l'un des Juifs les plus riches du Maroc. Avraham a cinq fils, dont l'aîné qui a été élevé au Kibouts Afikim, accomplit aujourd'hui son service militaire. La famille est pratiquante et, au­jourd'hui encore, la langue parlée à la maison est l'arabe marocain. Avant sa venue en Israël, en 1955, Avraham était mécanicien, mais aujourd'hui il possède un camion et exerce le métier de chauffeur à Kiryath Malahi.

Avraham a entendu les histoires de Yaïch Odmizguine aujour­d'hui âgé de 90 ans, qui a exercé pendant longtemps le métier de pêcheur. Yaïch était ami de la famille Allouche et le soir il aimait raconter des histoires aux enfants de la famille. Il habite en­core aujourd'hui à Casablanca avec un des frères Allouche. Avraham, qui a transmis ses histoires à Yaacov Avitsouc, nous informe que le vieux Yaïch est une véritable mine de contes et de légendes. "Je re­grette", nous dit-il, "qu'il ne soit pas venu en Israël, car il aurait pu me raconter un grand nombre d'histoires".

LES CADEAUX MIRACULEUX ET LA VIEILLE MEGERE 

Il y avait une fois un vieux célibataire. Un jour, il chercha quelque chose dans sa poche et y trouva une pièce de monnaie. Il se dit: "Que ferai-je avec cette seule et unique piastre?" Il quitta sa maison et se rendit au marché. Là, les marchands offraient aux passants des pois chiches, des cacahuètes, des fruits. Le pauvre, que pouvait-il bien acheter avec une seule et unique piastre? Il acheta une petite quantité de pois chiches.

L'homme se mit en route tout en mangeant les pois chiches qu'il avait achetés et lorsqu'il arriva devant le puits, il ne lui restait qu'un seul et unique pois. Le pauvre homme voulait le mettre dans sa bouche, mais le pois chiche tomba dans le puits. L'homme se dit: "Je vais me conduire, comme si j'étais fou.

Qui sait, cela me rendra peut-être service". Et il se mit à crier: "Mon pois chiche, qui m'appartient, mon pois chiche, qui m'ap­partient!"

Un esprit sortit du puits et lui dit: "Que me veux-tu? Pour­quoi fais-tu tant de bruit ici? Ne sais-tu pas que je ne supporte pas le bruit?"

Je veux le pois chiche qui est tombé dans le puits!

L'esprit descendit clans le puits, chercha le pois chiche mais n'arriva point à le trouver. Après un certain temps, il remonta et dit à l'homme: "Je n'ai pas trouvé le pois chiche, mais je te donnerai quelque chose à la place".

— Que me donneras-tu?

Je te donnerai un pot. Chaque fois que tu auras faim demande-lui de la nourriture et il te donnera ce que tu voudras et la quantité que tu voudras.

Mais l'homme s'écria: "Tu es un menteur". Et il se mit à maudire l'esprit.

Mais celui-ci lui donna quand même le pot et dit: – Tu sais où je me trouve. Essaye le pot, puis reviens ici et dis-moi si je t'ai menti.

Le vieux célibataire rentra chez lui, ferma la porte, prit le pot entre ses mains et dit: "J'ai faim et je veux manger".

Et le pot se remplit immédiatement de mets. C'étaient des mets ordinaires et le vieux se lamenta: "Je n'aime pas ces mets. Je veux manger de la viande cuite avec des raisins et des amandes — des mets spéciaux réservés aux rois et aux ministres".

Les désirs du vieux célibataire se réalisèrent: Le pot se rem­plit de mets conformément à ses ordres.

Il sortit dans la rue et se mit à bavarder avec ses voisins. Et de quoi parlent-ils? De plats alléchants, bien sûr. Le premier voisin dit: "Hier, j'ai mangé un mets que personne d'entre vous n'a jamais goûté".

Le deuxième voisin dit: "Quel repas j'ai fait hier soir! Même si vous vivez mille ans, vous ne connaîtrez pas le goût des mets que j'ai mangés hier".

Alors le vieux célibataire se leva et dit: "Racontez-moi ce que vous avez mangé. Qu'as-tu mangé, toi, et qu'as-tu mangé, toi?"

Le premier voisin dit: "J'ai mangé du couscous cuit avec de la viande et garni de toutes sortes de légumes. Même le roi en personne ne mange pas cela".

Le deuxième voisin dit: "J'ai mangé un plat de riz avec du poisson de mer d'un goût si exquis qu'on aurait dit que le tout avait été préparé par des mains de fée".

Le vieux annonça: "Les mets que j'ai mangés, moi, étaient meilleurs que les vôtres. D'ailleurs je peux vous donner n'importe quel mets que vous demanderez et tout de suite! Je vais rentrer chez moi et je vous apporterai quelques plats pour que vous vous rendiez compte par vous-mêmes, ici, sur place".

Le vieux rentra chez lui, prit le pot, annonça ce qu'il désirait et h; pot lui répondit: "Oui, Monsieur".

"Je demande manger pour quatre ou cinq personnes — les meilleurs mets qui soient au monde!"

Le pot se remplit immédiatement de mets exquis et le vieux les prit avec, lui pour les offrir à ses voisins. Ceux-ci furent fort étonnés et dirent: "D'où as-tu pris ces mets? Qui les a préparés? Ta femme? Ta fille?"

Il leur dit: "Demandez tout ce que vous voulez, mais ne me demandez pas d'où cela vient".

Parmi les voisins réunis, se trouvait une vieille femme qui de­manda un supplément de nourriture. Le vieux rentra chez lui et la vieille femme le suivit en secret pour voir comment il pré­pare les mets.

Le vieux célibataire rentre dans sa chambre et ferme la porte, mais la vieille femme l'observe par le trou de la serrure et voit tout ce qu'il fait. Elle voit comme il s’empare du pot, comme il lui donne un coup; puis une voix se fait entendre: "Oui, Mon­sieur".

"Je désire les meilleurs mets qui soient", dit le vieux.

"C'est prêt!", répond une voix mystérieuse, et en un clin d'oeil le vieux apparaît à l'entrée de sa maison, tenant dans sa main des assiettes remplies de mets délicieux. Il se rend chez ses voisins et tous se mettent à manger, à boire et à rire.

Mais la vieille femme rentra dans la chambre, prit le pot et mit à la place l'un de ses pots à elle.

Les voisins mangèrent et burent jusque tard dans la nuit et subitement ils constatèrent que les assiettes étaient vides. Tous s'adressèrent au vieux et lui dirent: "Toi seul, tu peux nous apporter encore à manger. Va et apporte-nous de bonnes choses!"

Le vieux rentre chez lui, frappe un coup sur le pot, deux coups, trois coups, mais le pot ne réagit pas. Le vieux se met en colère, court au puits et se met à crier: "Mon pois chiche qui m'appartient, je veux qu'on me le rende!"

L'esprit monta du puits et, plein de colère, demande au vieux: "Que veux-tu encore de moi? Je t'ai donné un pot et il sera à ton service aussi longtemps que tu vivras. Tout ce que je te demande, c'est de me laisser tranquille".

Le vieux s'écria: "Tu es un menteur, tu m'as menti pour te débarrasser de moi. Reprends ton pot, le voici!"

"Ce n'est pas le pot que je t'ai donné, dit l'esprit. Le cadeau que je t'ai donné, on te l'a volé et à la place, on t'a donné un pot ordinaire".

L'esprit redescend dans le puits et revient avec un autre pot: "Voici un nouveau pot, mais fais bien attention à lui. Il sera à ton service aussi longtemps que tu vivras et ne te donnera pas seulement de la nourriture, mais aussi de l'argent et de l'or. Mais sois prudent et garde-le précieusement! Et ne reviens plus ja­mais me déranger".

Le vieux rentra chez lui, ferma la porte, prit le pot et lui donna un coup. Un nègre en sortit et dit: "Mon maître, je suis à votre service, que désirez-vous?"

"Je veux manger et je veux aussi de l'argent".

"Bien, Monsieur".

Le pot se remplit tout d'abord de mets magnifiques, puis d'argent et d'or. Le vieux remplit ses poches de pièces d'argent et d'or et se rendit chez ses amis. Là, il se mit à jeter les pièces à droite et à gauche. Lorsque la vieille femme apprit ce qui s'était passé, elle se dit: "Sans doute a-t-il apporté quelque chose qui vaut mieux que le pot que j'ai volé." Et que fit-elle? Elle suivit le vieux en secret et lorsqu'il ouvrit la porte, elle aperçut le nouveau pot. Profitant d'un moment d'absence de son pro­priétaire elle vola ce pot également et en mit un autre à sa place. 

En arrivant chez elle, la vieille frappa un coup sur le pot, et voici, un nègre en sortit, et dit: "Oui, mon maître!" Mais en apercevant la vieille, il hésita: "Qui êtes-vous? Vous n'êtes pas mon maître. Où est mon maître?"

La vieille répondit: "Tu n'es qu'un esclave, nègre. Fais ce qu'on te dit et ne sois pas paresseux!"

— Bien, je vous écoute.

Le nègre cessa toute résistance et la vieille lui dit: "Apporte- moi à manger, de l'argent et des vêtements!"

Quand le vieil homme rentra chez lui, il n'avait plus ni argent, ni nourriture. Et comme il voulait continuer à jouir des plaisirs de la vie, il prit le pot et frappa un coup, deux coups, trois coups … Mais rien ne se produisit. Que faire? Il se mit à mau­dire l'esprit, et décida de le tuer. Une fois de plus, il se rendit au puits et se mit à crier: "Mon pois chiche qui m'appartient!"

L'esprit remonta du fond du puits et le vieux lui dit sur un ton coléreux: "Que m'as-tu fait? Tu t'es moqué de moi! Voici, je te rends ton pot et je ne veux plus rien de toi. Mais mon pois chiche, je veux que tu me le rendes".

L'esprit se mit à l'implorer: "Deux fois je t'ai donné un pot pour que tu puisses mener une vie sans soucis. Est-ce de ma faute si on te les a volés? Et maintenant, écoute-moi bien — c'est la dernière fois que je te donne quelque chose. Cette fois-ci je ne te donne ni nourriture, ni argent, mais un instrument qui permet de découvrir les voleurs et de reprendre possession d'objets volés. Mais tu dois suivre exactement mes instructions que voici: Invite chez toi tes amis et fais les asseoir en un grand cercle et toi, tu prendras cet instrument et tu le placeras au centre du cercle. Il se mettra à danser, à monter et à descendre, jusqu'à ce que finalement il s'installe sur la tête de la personne qui a volé les pots. Il s'y installera plusieurs fois, pendant un certain temps, et ainsi tout doute sera exclu. Puis, un nègre sortira de l'instrument et se mettra à battre le voleur jusqu'à ce qu'il avoue son péché en s'écriant: 'Je suis le voleur.' Quand le voleur aura rendu les objets volés, il suffira d'un ordre de ta part pour que le nègre cesse de frapper le voleur".

Le vieux rentra chez lui et invita tous ses amis et connaissances à une grande fête. Il n'invita pas la vieille femme, car il ne la connaissait pas. Les invités s'installèrent de manière à former un grand cercle et la vieille s'assit quelque part en dehors de la maison et observa ce qui se passait chez son voisin. Son intention étai: de voler le nouvel objet que le vieux avait sans doute rap­porté du puits.

Le vieux plaça l'instrument au centre du cercle et lui dit: "Je veux que tu remplisses la tâche qui t'échoit".

L'instrument se mit à danser et à chanter, puis subitement il monta sur le toit et se dirigea droit vers la vieille femme qui se trouvait à un endroit assez éloigné de la maison. Lorsque le vieux vit cela, il dit à la vieille: "Grand-mère, viens t'asseoir parmi nous et participe à notre fête".

La vieille entra dans la chambre et l'hôte de l'endroit lui offrit une place confortable, puis il dit à son instrument: "Fais ce qu'il est de ton devoir de faire!"

L'instrument se mit encore à danser et à chanter, fit un bond jusque sur la tête de la vieille femme, en descendit, puis s'y ré­installa une fois, deux fois, trois fois. L'homme savait à présent que la vieille lui avait volé les pots et que l'esprit ne l'avait pas trompé. Un nègre bondit alors dans la chambre. Il traîna la vieille au milieu du cercle, et avec le bâton qu'il tenait dans sa main il se mit à la frapper jusqu'à ce qu'elle s'écriât: "Arrête, arrête, je raconterai tout!"

"Ne nous raconte rien, mais rends-moi ce que tu m'as volé, dit le vieux, et ce n'est qu'alors que je mettrai fin à cette punition".

La vieille courut chez elle, et le nègre la suivit en continuant à la frapper jusqu'à ce qu'elle revînt avec les pots. Le vieux donna alors l'ordre au nègre de s'arrêter.

Que fit alors la vieille femme? Elle se rendit chez le roi et lui dit: "Sire, ce n'est pas vous le roi". Le roi se mit en colère et dit : "Que veux-tu dire par là?"

"Je te dirai ce qui se passe dans ton pays — des choses que tu ignores totalement".

Raconte, grand-mère, je t'écoute.

Dans une maison de cette ville, je connais un vieillard qui possède des objets qui n'appartiennent qu'aux rois. Je ne sais pas d'où il a pris ces choses. Je ne sais pas s'il les a volées ou si elles font partie de la propriété familiale.

Le roi donna ordre d'envoyer plusieurs de ses soldats dans la maison du vieux et ils conduisirent celui-ci devant le roi qui lui dit: "Apporte-moi les deux pots et l'instrument qui se trouvent en ta possession et dis-moi qui t'a donné tout cela".

Le malheureux rentra chez lui accompagné de deux soldats, prit ses trois trésors et les apporta au roi qui le fit mettre en pri­son.

Le roi se servit des pots miraculeux, qui lui donnèrent tous les mets dont il avait envie. Un jour l'idée lui vint de se servir également de l'instrument. Celui-ci se mit à danser, puis s'ins­talla sur la tête du roi… une fois, deux fois, trois fois. Le roi appela à son secours tous les hommes de la Cour, mais le nègre continua à le rouer de coups en criant: "Tu n'es pas mon maître, tu n'es pas mon maître!" et il le frappa de plus en plus fort. Alors le roi dépêcha un de ses hommes à la prison pour en ramener le vieux. Lorsqu'il arriva devant le roi, celui-ci le supplia de met­tre fin à ses souffrances.

Le vieux ordonna au nègre d'arrêter la correction, puis il raconta au roi toute sa vie -— comment il avait mené une vie malheureuse, comment son pois chiche était tombé dans le puits et comment l'esprit l'avait dédommagé en lui offrant des cadeaux magnifiques. Il dit aussi au roi que la vieille lui avait volé ces objets; en un mot, il lui raconta tout, sans rien oublier.

Le roi décida alors de mettre le vieux en liberté et d’em­prisonner à sa place la vieille femme.

LA TOMBE DE SIDI EL-ITSHAC-Contes populaires-Juifs du Maroc

LA TOMBE DE SIDI EL-ITSHAC

De nombreux Arabes avaient coutume de prier sur la tombe de Rabbi Itcontes-populairesshac, auquel ils avaient donné le surnom de "Sidi el- Itshac". Un homme malade ou une femme stérile que venait implorer Dieu sur la tombe sacrée savaient que leurs prières seraient exaucées. Mais on ne permettait pas aux Juifs de visiter la tombe. Une femme arabe, très riche, était restée sans enfant après de nombreuses années de mariage. On lui conseilla: "Va prier sur la tombe de Sidi el-Itshac et tu mettras au monde des enfants".

Elle suivit le conseil et alla prier sur la tombe sacrée. Sa prière fut exaucée et elle donna la vie à un enfant. Cette femme arabe avait une voisine, une Juive, qui désirait beaucoup avoir un enfant, mais qui était, elle aussi, stérile. Mais que pouvait-elle faire? Il était interdit aux Juifs de se rendre sur la tombe sacrée et d'y prier. Et si elle s'y rendait malgré l'interdiction, les gar­diens certainement l'arrêteraient et la tueraient. Sa voisine arabe lui donna ce conseil: "Mets les vêtements d'une femme arabe et va prier sur la tombe et, toi aussi, tu auras des enfants".

La Juive mit des vêtements arabes, se rendit sur la tombe de Rabbi Itshac et le supplia de lui accorder un enfant.

Mais la femme arabe, que fit-elle pendant ce temps? Elle courut chez les gardiens arabes et leur dit: "Venez voir! une femme juive, déguisée en Arabe, est allée profaner la tombe de Sidi el-Itshac. Votre devoir est de la tuer".

Les gardiens s'approchèrent de la tombe et la femme juive entendit leurs pas et leurs voix. Elle se mit à pleurer et s'écria: "Rabbi Itshac, rabbi Itshac, toi seul, tu peux m'aider. Dieu et toi. êtes les seuls, qui puissiez me sortir de là". Et subitement elle vit que le mur qui entourait la tombe s'ouvrit devant elle. Elle se précipita vers cette ouverture et s'enfuit.

Les Arabes cherchèrent partout et ne purent retrouver la Juive. Persuadés que la femme arabe s'était moquée d'eux, ils s’emparèrent d'elle et la tuèrent.

Yaacov Avitsouc (enregisteur; textes Nos. 1 à 23) : est né en 1924, à Vasloui (Roumanie), sixième enfant de David et Rahel Itzkovits, qui eurent, en tout, neuf enfants. Le père de Yaacov était tapissier. L'enfant fut élevé au Hêder et dans une école juive dont le programme accordait une place modeste à l'enseignement de l'hébreu. La famille Itzkovits était pratiquante et Yaacov fut membre des mouvements sionistes Gordonia et Bousliya; il fit sa hakhchara avant de venir en Erets-Israël. Durant la Deuxième Guerre, il travailla dans des camps de travaux forcés hitlériens.

Yaacov se rendit en Israël en 1946, à bord du bateau "Hagana" qui transportait des immigrants "illégaux". A son arrivée en Erets- Israël il fut interné au camp d'Atlith. A sa libération, il se joignit à un noyau de pionniers, au Kibouts Ayanoth (Ramath David). En 1948, le groupe passa à Hédéra comme unité indépendante, puis s'établit sur ses terres à Tel Guézer, à proximité de Latroune. Après la Guerre d'Indépendance, le kibouts ne put se maintenir et fut dissout. Yaacov travailla comme moniteur de jeunesse dans des villages de nouveaux immigrants. En 1955, il obtint le diplôme qui lui permit d'enseigner à l'Ecole Normale de Beerchéva, puis il enseigna au Centre de Jeunes de Kiryath Gath et aux écoles des villages Arougoth et Talmé Yéhiel. Pendant un certain temps il fut instituteur au Centre de Jeunes de Kiryath Malahi, où il commença à écrire: articles de journaux, nou­velles et poèmes. En 1961 il fit paraître une plaquette de poèmes.

Yaacov Avitsouc compte parmi les meilleurs enregistreurs des "Ar­chives Israéliennes du Conte Populaire". Il a enregistré 136 histoires dont quelques-unes lui furent transmises par des membres de sa fa­mille, mais dont la grande majorité furent recueillies parmi les ha­bitants du village d'immigrants de Kiryath Malahi qui compte des représentants de nombreuses communautés.

Avraham (Albert) Allouche (narrateur; textes Nos. 1 à 12): Est né à Mogador, ville portuaire, en 1918. Sa mère était la fille d'un cordon­nier qui avait sa boutique au marché arabe. Son père était mar­chand de fruits.

Quand Avraham avait cinq ans, sa famille se fixa à Casablanca et c'est là qu'il passa sa jeunesse avec ses trois soeurs (dont deux se trouvent maintenant à Paris) et ses cinq frères (dont deux sont établis aujourd'hui à Acre et à Beerchéva). Avraham a épousé, à l'âge de 26 ans, Sultana, fille d'un inspecteur du domaine de Léon Corcos, qui est l'un des Juifs les plus riches du Maroc. Avraham a cinq fils, dont l'aîné qui a été élevé au Kibouts Afikim, accomplit aujourd'hui son service militaire. La famille est pratiquante et, au­jourd'hui encore, la langue parlée à la maison est l'arabe marocain. Avant sa venue en Israël, en 1955, Avraham était mécanicien, mais aujourd'hui il possède un camion et exerce le métier de chauffeur à Kiryath Malahi.

Avraham a entendu les histoires de Yaïch Odmizguine aujour­d'hui âgé de 90 ans, qui a exercé pendant longtemps le métier de pêcheur. Yaïch était ami de la famille Allouche et le soir il aimait raconter des histoires aux enfants de la famille. Il habite en­core aujourd'hui à Casablanca avec un des frères Allouche. Avraham, qui a transmis ses histoires à Yaacov Avitsouc, nous informe que le vieux Yaïch est une véritable mine de contes et de légendes. "Je re­grette", nous dit-il, "qu'il ne soit pas venu en Israël, car il aurait pu me raconter un grand nombre d'histoires".

LE RABBIN HAYIM PINTO-Contes populaires-Juifs du Maroc

 

contes-populairesLE RABBIN HAYIM PINTO

Yaacov Avitsouc- enregisteur

Avraham Allouche – narrateur

Hayim Pinto fut un rabbin prestigieux. Il avait la réputation d'être un prophète et jamais on ne l'a vu seul. Partout où il se rendit et chaque fois qu'il entreprit un voyage, il était entouré d'admirateurs et de disciples auxquels il expliqua la Tora. Un jour il sortit de sa maison et rencontra un homme, qui ne rem­plissait pas les engagements d'un voeu qu'il avait fait.

— Viens ici, lui dit le sage rabbi, et il lui demanda: "Pour­quoi ne remplis-tu pas tes engagements?" Car le rabbin savait qui était lié par un voeu, même si ce voeu n'avait pas été fait devant des témoins. Mais il n'avait pas seulement le pouvoir de lire les pensées de tout homme, il savait également ce qui se trouvait dans la poche de tout homme.

Un jour, le rabbin Hayim Pinto alla au marché et regarda les étalages des bouchers, ceux des marchands de légumes et ceux des marchands de poissons et finalement passa devant l'étalage d'un Juif qui vendait de la viande. Celui-ci connaissait le Rav vénéré et l'invita à s'asseoir. Un contrôleur arabe vint à passer et voulait continuer son chemin, devant le rabbin installé sur sa chaise. Mais la ruelle était très étroite et l'Arabe se mit à crier: "Où donc as-tu eu l'idée de t'installer? Fiche le camp, que je passe!"

Le rabbin se tut, recula avec sa chaise, de sorte que le contrô­leur pût continuer son chemin. Celui-ci avait l'intention d'acheter un grand nombre de poules pour le Pacha qui avait invité ses amis à un grand dîner, offert à l'occasion d'un mariage ou d'un autre événement heureux. Il acheta des poules et engagea des porteurs pour qu'ils les transportent dans sa maison. Au moment où les porteurs passèrent devant le rabbin, celui-ci se dit: "Est-ce que cet Arabe ne sait pas qui je suis? Et pourquoi ne m'accorde- t-il pas le respect qui m'est dû?" Il prononça une formule et toutes les poules crevèrent et c'est des cadavres de poules que les porteurs remirent au contrôleur dans sa maison.

"Tu as acheté des poules crevées!" lui dirent-ils. Mais le con­trôleur objecta: "Vous mentez, elles étaient bien vivantes quand je les ai achetées".

Lorsque le Pacha entendit la discussion orageuse, il demanda au contrôleur: "Qu'as-tu fait? As-tu vraiment acheté des poules crevées ?"

Le contoleur répondit: "J'ai acheté ces poules dans plusieurs magasins Dix à un endroit, vingt à un autre endroit et ainsi de suite. En tout, j'ai acheté plus de cent poules et toutes étaient vivantes; les marchands qui me les ont vendues en témoigneront".

Mais le Pacha n'était pas satisfait: "Qu'as-tu fait en route? Raconte-moi tout ce qui s'est passé au marché, tout ce que tu y as fait et dit."

— Je n'ai rien fait de particulier, répondit le contrôleur.

Mais le Pacha insista qu'il lui raconte tous les détails et ce n'est qu'alors que le contrôleur dit au Pacha qu'il avait vu le rabbin au marché, installé sur une chaise et l’empêchant de pas­ser. "Je lui ai dit, en élevant la voix, de s'écarter de mon chemin pour que je puisse passer".

"Malheur à toi", s'écria le Pacha. "Toute une année durant, tu n'auras pas de repos. Ce rabbin t'infligera toutes sortes de punitions parce que tu l'as insulté. Je te conseille de te lier la main au dos et de demander pardon au Rav Hayim Pinto."

Le contrôleur attacha son bras à son dos et mit un couteau dans sa bouche. Il sortit dans la rue; tous les passants le regar­dèrent. Lorsqu'il arriva dans la maison du rabbin, il s'agenouilla devant lui et dit d'une voix très forte: "Pardonne-moi, rabbin vénéré, pardonne-moi, je t'en supplie, car je me suis conduit com­me un homme inculte et grossier".

Le rabbin vit que le contrôleur, un fonctionnaire important, le bras droit du Pacha, était venu lui demander pardon et il eut pitié de l'homme. Il lui dit: "Je te pardonne. Je sais que toutes les poules que tu as achetées sont crevées, mais lorsque tu seras de retour chez toi, tu les retrouveras vivantes".

Le contrôleur dit alors au rabbin: "Si je retrouve les poules vivantes, je les apporterai au choheth pour qu'il les tue, con­formément à la loi juive".

Le contrôleur s'en tint à sa promesse. Rentré chez lui, il trouva toutes les poules en vie et il s'écria devant sa femme et tous les membres de sa famille: "Les Juifs nous dépassent tous".

COMMENT FUT DECOUVERTE LA TOMBE D'UN GRAND JUIF

COMMENT FUT DECOUVERTE LA TOMBE D'UN GRAND JUIF

Yaacov Avitsouc (enregisteur; textes Nos. 1 à 23) : est né en 1924, à Vasloui (Roumanie), sixième enfant de David et Rahel Itzkovits, qui eurent, en tout, neuf enfants. Le père de Yaacov était tapissier. L'enfant fut élevé au Hêder et dans une école juive dont le programme accordait une place modeste à l'enseignement de l'hébreu. La famille Itzkovits était pratiquante et Yaacov fut membre des mouvements sionistes Gordonia et Bousliya; il fit sa hakhchara avant de venir en Erets-Israël. Durant la Deuxième Guerre, il travailla dans des camps de travaux forcés hitlériens

Avraham (Albert) Allouche (narrateur; textes Nos. 1 à 12): Est né à Mogador, ville portuaire, en 1918. Sa mère était la fille d'un cordon­nier qui avait sa boutique au marché arabe. Son père était mar­chand de fruits

Quand Avraham avait cinq ans, sa famille se fixa à Casablanca et c'est là qu'il passa sa jeunesse avec ses trois soeurs (dont deux se trouvent maintenant à Paris) et ses cinq frères (dont deux sont établis aujourd'hui à Acre et à Beerchéva). Avraham a épousé, à l'âge de 26 ans, Sultana, fille d'un inspecteur du domaine de Léon Corcos, qui est l'un des Juifs les plus riches du Maroc. Avraham a cinq fils, dont l'aîné qui a été élevé au Kibouts Afikim, accomplit aujourd'hui son service militaire. La famille est pratiquante et, au­jourd'hui encore, la langue parlée à la maison est l'arabe marocain. Avant sa venue en Israël, en 1955, Avraham était mécanicien, mais aujourd'hui il possède un camion et exerce le métier de chauffeur à Kiryath Malahi

Il y a longtemps de cela, les Arabes de « Teluat, situé tout près de Marrakech, érigèrent une clôture autour de leur cime­tière. Il se trouva qu'un laineux rabbin était enterré dans ce cimetière, sans que les Arabes le sachent, parce que ce village était habité uniquement par des Arabes et il n'y avait parmi eux aucun Juif.

Une femme de ce village fit un rêve: elle vit un homme vêtu d'une longue robe blanche et dont le visage était orné d'une belle barbe blanche, s'approcher d'elle. Il lui dit: "Demain matin, dis aux membres de la société juive des pompes funèbres de la ville la plus proche, que le rabbin qui est enterré au cimetière musulman de ton village, ne trouve pas de repos".

"Ce n'est qu'un rêve", se dit la femme lorsqu'elle se réveilla. Le même rêve revint la nuit suivante et la femme se dit encore: "Ce n'est qu'un rêve!" Mais lorsqu'elle fit le même rêve pour la troisième fois, elle savait qu'il avait un sens et le lendemain elle se rendit à la ville voisine pour raconter ce qu'elle avait rêvé.

Les membres de la société juive des pompes funèbres se ren­dirent chez le cheikh du village et lui dirent: "Un de nos rab­bins est enterré dans votre cimetière. Nous te prions de nous accorder la permission d'identifier l'endroit. Nous sommes prêts à te payer une grande somme d'argent pour la permission de construire sur la tombe une maison de prières".

— D'accord, dit le cheikh.

Les membres de la société des pompes funèbres se mirent à chercher et à chercher, mais ils ne purent découvrir l'endroit où était enterré le rabbin. Le fils du cheikh s'énerva et se mit à crier: "Qu'est-ce que vous cherchez ici? Un rabbin qui est mort il y .1 100 ans?" Et il s'approcha de la clôture avec l'intention d'y faire ses besoins. Mais subitement il resta immobile: tout son corps était paralysé.

Lorsque les Juifs, qui s'apprêtaient déjà à rentrer chez eux, virent le fils du cheikh transformé en statue, ils savaient que celui-ci désignait l'endroit où était enterré le rabbin.

Les Arabes demandèrent aux Juifs: "Que devons-nous faire avec, le fils du cheikh? Le cheikh nous tuera, s'il apprend que son fils est paralysé".

"Enlevez la clôture!" ordonnèrent les Juifs. Et les Arabes exé­cutèrent immédiatement cet ordre. Puis, ils tracèrent un cercle autour de l'endroit où se trouvait le fils du cheikh, placèrent, à l'intérieur du cercle, plusieurs pierres et y fixèrent un écriteau: "Tombe juive sacrée". Lorsque ce travail fut accompli, le fils du cheikh sortit de son immobilité et se mit à marcher. Il de­manda: "Où suis-je? Que m'est-il arrivé?"

On lui raconta tout ce qui s'était passé et il dit: "S'il en est vraiment ainsi, alors votre rabbin fut sans doute un grand homme".

Les habitants du village arabe érigèrent un tombeau à l'en­droit sacré et chaque année de nombreux Juifs s'y rendirent pour honorer le mort.

L'usurier et la sage fille du juge

contes-populairesL'USURIER ET LA SAGE FILLE DU JUGE

11 y a fort longtemps, vivait à Casablanca un marchand juif, riche et honoré. Il avait un fils unique. Un jour, le marchand tomba malade; il fit venir son fils et lui dit: "Je veux te parler, car il est possible que d'ici quelques jours je serai mort. Que feras- tu, mon fils, avec tout ce que tu hériteras, avec les maisons et les magasins? C'est ce que j'aimerais bien entendre de ta bouche avant que je ne meure".

Le fils répondit: "Mon père, tu veux savoir ce que je ferai avec toutes ces richesses? C'est bien simple: A ceux qui vien­dront me demander de l'argent, j'en donnerai. Lorsque je verrai un groupe d'hommes joyeux, je me joindrai à eux et je partici­perai à leur joie, car j'aime m'amuser. Et lorsque je verrai une jolie fille, je la prendrai et je lui donnerai beaucoup d'argent."

"Quel malheur" gémit le père sur son lit de mort. "Voilà où ira tout l'argent que j'ai eu tant de mal à réunir!"

Le père mourut et il n'y avait personne pour administrer les biens et les nombreux magasins qui lui avaient appartenu. En moins d'une année, toute la fortune était gaspillée et la veuve et le fils restèrent sans le sou. Dans son désespoir, le fils se vit obligé de demander l'aumône pour lui et pour sa mère.

Un jour, la mère dit à son fils: "Aujourd'hui, nous n'avons rien à manger".

Le fils dit à la mère: "Je vais quitter cette ville, car tout le monde me connaît et tout un chacun sait que j'étais riche et que j'ai tout perdu. J'ai tellement honte que je dois m'en aller".

Le fils quitta Casablanca et se rendit à Marrakech. "Là-bas, personne ne me connaît", se dit-il. Mais à Marrakech, il y avait beaucoup d'hommes riches, qui avaient été en relations d'affaires avec le marchand de Casablanca et ils n'eurent aucune peine à reconnaître son fils unique. Ils lui demandèrent: "Pourquoi es-tu venu ici?"

Le fils répondit: "Je suis venu pour acheter des marchandises, mais en route j'ai perdu mon argent. Prêtez-moi la somme qu'il me faut, je vous promets de vous la rendre".

L'un des hommes, un marchand très riche, lui dit: "Je suis prêt à te prêter n'importe quelle somme d'argent, mais à une condition: Tu peux employer l'argent à faire ce qui te plaira, mais à la fin de l'année, si tu ne me rends pas la somme que je t'ai prêtée, tu dois me donner un kilo de ta chair".

Le jeune homme accepta cette condition et signa un engage­ment dans ce sens.

Toute l'année durant, le jeune homme fit des affaires, mais la chance ne lui sourit pas: il perdit tout l'argent qu'il avait emprunté.

Deux mois avant le terme du contrat, le jeune homme était tellement découragé qu'il cessa d'absorber toute nourriture. L'idée qu'on lui couperait un morceau de sa chair le terrifiait.

Que fit le malheureux? Au bord de la mer, habitait un roi et il était strictement interdit d'entrer dans son château. Seuls ceux qui cherchaient la mort essayaient d'y pénétrer. Le malheu­reux, en désespoir de cause, décida de se rendre au château pour y trouver la mort, car il n'avait pas le courage de se tuer lui- même. "J'entrerai dans le château et là, on me tuera", se dit-il. Le malheureux essaya donc de pénétrer dans le château, mais il s'aperçut que la porte d'entrée était verrouillée. Que faire? Il alla vers la chambre où habitait la fille du roi. Il s'installa sous sa fenêtre et se mit à pleurer amèrement. La fille du roi jeta un coup d'oeil par la fenêtre pour voir qui pleurait, mais elle ne put voir ce qui se passait en bas.

Trois jours passèrent ainsi et le jeune homme ne bougea pas et ne s'arrêta pas de pleurer. Le quatrième jour, la fille du roi dit au jeune homme: "Sors de là, homme! Si vraiment tu es un homme et non pas un esprit, fais-toi voir et je ferai pour toi ce que tu me demanderas, car tes pleurs m'ont touchée."

 la princesse prononça trois fois ces paroles jusqu'à ce que le jeune homme fît ce qu'elle lui demandait. Avant de se mon­trer, il lui demanda de lui promettre qu'elle ne lui ferait aucun mal.

La fille du roi lui fit cette promesse et le jeune homme sortit de sa cachette. La princesse se rendit compte que le jeune homme était très beau et elle lui dit: "Dis-moi, jeune homme, pourquoi pleures-tu? Peut-être puis-je t'aider."

Le jeune homme se présenta et la princesse se rappela alors qu'elle avait connu son père.

"Je me suis mal conduit, j'ai gaspillé tout l'argent de mon père et j'ai détruit ma vie. Ma mère est restée dans sa maison et qui sait, peut-être est-elle déjà morte de faim. J'ai quitté ma ville dans l'espoir de commencer une nouvelle vie, mais j'ai ren­contré un homme riche qui a connu mon père. .." et le jeune homme raconta à la fille du roi toute sa vie et les termes du con­trat qu'il avait signé.

"Et maintenant s'approche le jour où je dois rendre à l'hom­me l'argent qu'il m'a prêté, ou lui donner un kilo de ma chair".

La fille du roi lui donna ce conseil: "Retourne dans la ville de l'homme qui t'a prêté l'argent et donne-moi son adresse. J'y enverrai un avocat pour qu'il défende ta cause".

Mais le jeune homme resta dans le château et devint l'amou­reux de la fille du roi sans que ce dernier le sache. Quelques jours avant le terme de son contrat, le jeune homme retourna à Mar­rakech. Tous ceux qui le virent lui demandèrent: "Où as-tu été tout ce temps?" Il leur répondit: "Je suis allé dans une autre ville et j'y ai épousé la plus belle femme du monde."

"Et comment rempliras-tu les engagements?"

"Un avocat viendra pour me défendre."

Arriva le jour du procès. La fille du roi, déguisée en avocat, entra avec, le juge dans la salle du tribunal. Le juge demanda au marchand: "Quelle somme demandes-tu? Que te doit ce jeune homme?" Le richard sortit de sa poche le contrat et le montra au juge. Celui-ci lut le texte et demanda au jeune homme: "Est-ce que tu te déclares coupable?"

"Monsieur le Juge, répondit le jeune homme, que puis-je fai­re? J'ai bien signé le contrat, mais sachez que j'ai fait cela parce que je n'avais pas le choix".

La fille du roi, déguisée en avocat, se leva alors et dit au juge: "Monsieur le Juge, mon client doit remplir son engagement, mais j'exige que le plaintif découpe exactement un kilo de chair du corps du jeune homme. Si le poids est inférieur à un kilo, le plaintif y ajoutera ce qui manque; s'il dépasse le kilo, nous cou­perons un morceau de sa chair pour rendre au jeune homme ce qu'on lui a pris en trop".

L'homme riche se leva et dit: "Je ne peux pas couper exacte­ment, et en un seul morceau, un kilo de chair. Qu'il garde sa chair et je lui fais cadeau de l'argent qu'il me doit par-dessus le marché".

Après le procès chacun rentra chez soi. La fille du roi changea de vêtements et se mit à la recherche de son mari. Lorsqu'elle l'eut retrouvé, elle lui dit: "Que penses-tu de l'avocat que je t'ai envoyé? Est-ce qu'il t'a bien défendu?"

Le jeune homme lui répondit: "Il était excellent, je ne croyais pas qu'il fût possible de gagner ce procès".

Elle lui dit: "Je vais tout t'avouer: c'est moi qui t'ai défendu dans ce procès".

Le couple se rendit chez la mère du jeune marié et tous quit­tèrent Marrakech pour s'établir dans le château du roi. C'est là que le mariage fut célébré en grande pompe et le couple vécut heureux, de longues années durant.

Une histoire d'anes-Conte populaires -raconte par les juifs du Maroc

Yaacov Avitsouc (enregisteur; textes Nos. 1 à 23) : est né en 1924, à Vasloui (Roumanie), sixième enfant de David et Rahel Itzkovits, qui eurent, en tout, neuf enfants. Le père de Yaacov était tapissier. L'enfant fut élevé au Hêder et dans une école juive dont le programme accordait une place modeste à l'enseignement de l'hébreu. La famille Itzkovits était pratiquante et Yaacov fut membre des mouvements sionistes Gordonia et Bousliya; il fit sa hakhchara avant de venir en Erets-Israël. Durant la Deuxième Guerre, il travailla dans des camps de travaux forcés hitlériens.

Yaacov se rendit en Israël en 1946, à bord du bateau "Hagana" qui transportait des immigrants "illégaux". A son arrivée en Erets- Israël il fut interné au camp d'Atlith. A sa libération, il se joignit à un noyau de pionniers, au Kibouts Ayanoth (Ramath David). En 1948, le groupe passa à Hédéra comme unité indépendante, puis s'établit sur ses terres à Tel Guézer, à proximité de Latroune. Après la Guerre d'Indépendance, le kibouts ne put se maintenir et fut dissout. Yaacov travailla comme moniteur de jeunesse dans des villages de nouveaux immigrants. En 1955, il obtint le diplôme qui lui permit d'enseigner à l'Ecole Normale de Beerchéva, puis il enseigna au Centre de Jeunes de Kiryath Gath et aux écoles des villages Arougoth et Talmé Yéhiel. Pendant un certain temps il fut instituteur au Centre de Jeunes de Kiryath Malahi, où il commença à écrire: articles de journaux, nou­velles et poèmes. En 1961 il fit paraître une plaquette de poèmes.

Yaacov Avitsouc compte parmi les meilleurs enregistreurs des "Ar­chives Israéliennes du Conte Populaire". Il a enregistré 136 histoires dont quelques-unes lui furent transmises par des membres de sa fa­mille, mais dont la grande majorité furent recueillies parmi les ha­bitants du village d'immigrants de Kiryath Malahi qui compte des représentants de nombreuses communautés.

Avraham (Albert) Allouche (narrateur; textes Nos. 1 à 12): Est né à Mogador, ville portuaire, en 1918. Sa mère était la fille d'un cordon­nier qui avait sa boutique au marché arabe. Son père était mar­chand de fruits.

Quand Avraham avait cinq ans, sa famille se fixa à Casablanca et c'est là qu'il passa sa jeunesse avec ses trois soeurs (dont deux se trouvent maintenant à Paris) et ses cinq frères (dont deux sont établis aujourd'hui à Acre et à Beerchéva). Avraham a épousé, à l'âge de 26 ans, Sultana, fille d'un inspecteur du domaine de Léon Corcos, qui est l'un des Juifs les plus riches du Maroc. Avraham a cinq fils, dont l'aîné qui a été élevé au Kibouts Afikim, accomplit aujourd'hui son service militaire. La famille est pratiquante et, au­jourd'hui encore, la langue parlée à la maison est l'arabe marocain. Avant sa venue en Israël, en 1955, Avraham était mécanicien, mais aujourd'hui il possède un camion et exerce le métier de chauffeur à Kiryath Malahi.

Avraham a entendu les histoires de Yaïch Odmizguine aujour­d'hui âgé de 90 ans, qui a exercé pendant longtemps le métier de pêcheur. Yaïch était ami de la famille Allouche et le soir il aimait raconter des histoires aux enfants de la famille. Il habite en­core aujourd'hui à Casablanca avec un des frères Allouche. Avraham, qui a transmis ses histoires à Yaacov Avitsouc, nous informe que le vieux Yaïch est une véritable mine de contes et de légendes. "Je re­grette", nous dit-il, "qu'il ne soit pas venu en Israël, car il aurait pu me raconter un grand nombre d'histoires".

UNE HISTOIRE D'ANES

Il était une fois un ânier, qui faisait travailler son âne sans arrêt. Un jour l'homme se dit: "Je souffre de ce que mon âne travaille tellement dur. Quand je lui donnerai à manger la pro­chaine lois, je lui demanderai ce qu'il désire comme cadeau".

Le soir du meme jour, l'homme apporta à son âne sa ration de fourrage Lorsque l'animal vit sa nourriture, il s'apprêta à l'avaler. Mais chaque fois que l'âne baissait la tête pour com­mencer son repas, l'homme le saisit par les oreilles et lui deman­da: "Quel cadeau veux-tu que je te fasse? Tu mérites un cadeau, car tu travailles dur".

L'âne regarda son maître sans comprendre ce qu'il lui voulait. Mais l'homme continua à poser sa question, jusqu'à ce que l'âne perdit patience, et administra à son maître un coup de sabot, qui le projeta au dehors de l'écurie.

L'homme revint chez son âne et lui dit: "Si j'avais su que c'était cela que tu désirais, je ne t'aurais même pas donné à manger!"

Mais les gens disaient à l'homme: "Une histoire d'ânes".

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