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Contes populaires-racontes par des Juifs du Maroc

C'est une erreur d'admettre que les contes populaires sont sur­tout destinés aux enfants. Dans le passé — et, dans une mesure non-négligeable, même de nos jours — ils constituaient la litté­rature d'adultes; et quoique la plupart des contes réunis dans ce volume puissent être classés dans la catégorie de la littérature pour enfants, ils sont, en fait, racontés à des adultes, par des adultes.

Si on avait enregistré ces histoires sur magnétophone, dans la langue du narrateur exactement comme elles sont racontées, on s'apercevrait qu'elles constituent une littérature populaire fort évoluée et qu'elles sont présentées sous une forme hautement sa­tisfaisante des points de vue style et langue. La langue du narra­teur est profondément influencée par la tradition, vieille de nom­breux siècles, de l'art de conter des histoires, qui aime employer des métaphores et des tournures de langue imagées. Le style qui lui est particulier, trahit une tradition fort évoluée qui n'a jamais été interrompue. Les rares enregistrements directs de contes ra­contés par des immigrants dans leur langue maternelle, trahis­sent l'originalité de cette littérature. Malheureusement, dans la plupart des cas, les hommes chargés d'enregistrer les textes, ne connaissaient pas la langue parlée par les narrateurs. Les narra­teurs ont essayé d'élargir leur public en s'exprimant en hébreu, mais dans cette langue, qu'ils ne connaissent qu'insuffisamment, leurs histoires perdent beaucoup de leur brillant et de leur beauté linguistique.

Nous nous sommes parfois permis de corriger la langue des textes enregistrés, mais ces corrections se réduisent au strict mi­nimum et nous n'avons touché aux textes que lorsque des consi­dérations de style nous y ont obligés. Nous nous sommes efforcés de maintenir, dans la traduction, l'esprit de l'original. Bien entendu, nous nous sommes abstenus "d’embellir" les contes et nous n'a­vons pas essayé d'enrichir la langue; par contre, nous avons donné la préférence aux contes racontés dans une langue claire et sou­ple malgré la pauvreté du vocabulaire. Nous espérons que si un jour, l'art de raconter des histoires s'implante en Israël, les narra­teurs hébreux développeront un style à eux, digne du conte popu­laire hébraïque.

En préparant ces contes pour leur publication et en les tradui­sant en français, nous ne leur avons fait subir aucun changement de leur contenu. Ils furent racontés en judéo-arabe et en judéo- espagnol, qui sont les langues maternelles des Juifs du Maroc. La version française permet donc aux lecteurs de se documenter à fond sur les sujets traités, malgré le fait que les contes aient perdu, dans la traduction, une partie de leur originalité et de leur fraîcheur. Le nombre relativement petit de contes réunis dans ce volume (les Archives Israéliennes du Conte Populaire ont re­cueilli 340 contes et légendes marocains destinés à une popu­lation juive de 350.000 âmes) ne nous autorise pas à porter un jugement définitif sur ces populations, mais nous avons la possi­bilité d'analyser ces textes et d'en tirer certaines conclusions.

Quels sujets les Juifs du Maroc aiment-ils traiter dans leur littérature folklorique? En lisant ces contes, nous constatons que les narrateurs tout comme leur public, avaient partiellement adopté le style de vie d'un autre peuple qui pratiquait aussi une religion différente. C'est pour cette raison que les relations avec le milieu non-juif occupent une large place dans cette littérature. Dans la plupart des cas, ces relations étaient tendues et marquées par des conflits; le tiers, environ, des histoires publiées dans ce livre reflè­tent cette situation. Comme dans le Livre d'Esther, nous retrou­vons le conflit entre deux courtisans — un Juif honnête et intègre, et un Musulman fourbe et pervers — au service d'un roi juste et généreux (Nos. 20, 46, 47, 49, 50, 57, 62, 68). Le Juif, qui oc­cupe une position élevée — il est ministre ou rabbin de la com­munauté — est souvent obligé, par son rival mal intentionné, de réaliser une tâche difficile, de résoudre un problème ou de payer une somme exorbitante sous forme de taxe. Dans la plupart des cas, le Juif est placé devant l'alternative de réaliser la tâche, de résoudre le problème, de payer la somme demandée, ou d'être exécuté, tout comme les membres de sa communauté. Parfois, la punition infligée consiste à expulser tous les Juifs. Mais le Juif réussit toujours à se tirer d'affaire et à éliminer la menace qui pesait sur la communauté. Les victoires remportées par les Juifs sont de natures différentes. Parfois elles sont dues à des formules magiques obtenues avec l'aide des sciences dont traite la Kabala Nos. 2, 40). Ceci explique la responsabilité qui pèse sur les rab­bins célèbres, censés être des maîtres des sciences occultes et jouir de la faveur du Tout-Puissant dans leurs efforts de protéger leur peuple et leurs frères No. 58).

Sur le plan individuel, cette tension intercommunale et inter­religieuse peut prendre la forme d'un conflit entre Juif et non- Juif. Si le premier est un sage et un érudit, la punition du non- Juif s'opérera par des voies miraculeuses (Nos. 4, 5, 6, 36, 37, 38, 59). Si le Juif, par contre, est un homme simple et le non-Juif, un homme puissant et prospère, nous assistons au triomphe de la justice: l'assassinat du Juif est découvert et l'assassin non-juif, est sévèrement puni (No. 21).

Un dénouement moins dramatique, qui n'entre pas dans les sphères surnaturelles et qui, parfois, s'approche de l'humour, est le triomphe du Juif intelligent sur son adversaire aux ressources intellectuelles limitées. Ces luttes où triomphe l'intelligence, peu­vent aussi opposer deux courtisans, l'un à l'autre (Nos. 23, 35, 64). Il convient de noter que dans ces histoires, l'intelligence du Juif se manifeste souvent par sa capacité de tromper l'adversaire et de hâter la perte de celui-ci par l’emploi de moyens pas tout à fait honnêtes, mais le public applaudit à ses prouesses puisqu'elles hâtent la perte d'un mauvais garnement (No. 11).

L'histoire du partage du monde entre Moïse et Mohammed nous présente un aspect tout à fait particulier de la tension inter­communale (No. 65). La base ethnologique de cette histoire est la question: pourquoi les adhérents de Mohammed sont-ils si nombreux, alors que ceux de Moïse ne constituent qu'une poi­gnée? Dans ce conte, la question de l'origine des lois concernant la Kachrouth (prescriptions alimentaires rituelles des Juifs) est également traitée. Il met en relief la perspicacité juive, qui trouve son expression dans les réponses du rabbin aux questions du re­présentant de l'Islam

Les éléments surnaturels ne dominent pas seulement dans les histoires traitant de la tension intercommunale. Nous les retrou­vons dans les contes qui mettent en relief la supériorité du saint et la sainteté de Dieu, ou nous font assister à la punition de ceux qui ne respectent pas la religion ou ceux qui la représentent, même si ces derniers ne sont pas juifs (Nos. 33, 41). Dans les histoires où interviennent les éléments surnaturels, et qui soulignent une particularité historique, (par l'intermédiaire des personnalités qui y jouent un rôle), ou géographique (en décrivant la scène où se déroule l'action), l'élément religieux prévaut. Elles servent à met­tre en évidence la réalité de la présence divine. Le mécréant est puni et l'homme juste qui marche dans les sentiers de l'Eternel est récompensé (Nos. 18, 42)

Dans les légendes dont les héros sont des sages locaux (Rabbi David Elbaz, No. 61; Rabbi Elicha Ben-Yaïch, No. 50; Rabbi Hayim Ben-Attar, Nos. 27-30, 32, 33; Rabbi Y. Ben-Attar, No. 41 ; Rabbi Eliezer Davila, No. 41 ; Rabbi Hanina Yaguel, No. 31 ; Rab­bi Hayim Pinto, Nos. 5, 37-39; Rabbi Salomon Tamsouth, No. 21), dans celles où il est question de héros nationaux (Moise, Nos. 49, 54, 65; le roi Salomon, Nos. 14, 44, 71; Elie, 34, 57) ou de sages Juifs du Moyen-Age (Maïmonide, Nos. 58, 68; Rabbi Abraham Ben-Ezra, No. 58), l'élément surnaturel est toujours présent et, dans la majorité des cas, même dominant. La plupart des rabbins font preuve de force de caractère et de fermeté dans leurs rela­tions à l'intérieur de leur communauté et avec les représentants du monde extérieur; ils possèdent aussi la capacité d'éliminer les dangers de toute nature qui menacent les membres de la commu- nauté (Nos. 5, 37, 38, 50) Cette capacité, ils la gardent même après leur mort (Nos. 4, 6) Ils ont également le pouvoir de punir les ennemis d'Israël (Nos. 16, 39)

L'élément surnaturel, qui caractérise les légendes des Juifs du Maroc, nous le retrouvons dans les histoires de toute cette région. Dans les histoires non-juives également, l'intrigue se situe au-delà du temps et de l'espace et le héros n'est pas toujours clairement défini. C'est un monde peuplé de créatures surnaturelles, esprits cl génies, qui régnent sur les éléments de la nature, influencent la vie des hommes (Nos. 1, 15, 17, 18, 25, 67)

Contes populaires-racontes par des Juifs du Maroc

Dans nos régions arides, nombreuses sont les histoires qui racontent, comment un dragon demande une vie humaine (généralement une belle princesse) en échange du droit d'accès aux sources d'eau ou de la promesse d'épargner une ville menacée de destruction. Celui qui parvient à vaincre le monstre reçoit, en récompense, la, main de la princesse et souvent même tout le royaume. Parmi les histoires publiées dans ce volume, nous retrouvons ce monstre . Dans d'autres nous voyons le héros ou un ange obtenir la main de la. princesse et accéder au trône

Un autre sujet est le problème soulevé par les souffrances du juste et la prospérité du méchant. Très souvent l'homme juste est pauvre (Nos. 18, 39, 66) et doit supporter des vexations de la part d'un homme riche et méchant. Mais en fin de compte, c'est l'homme juste qui triomphe. La récompense (ou la punition), n'atteint pas nécessairement ceux qui la méritent dans le monde de l'au-delà. L'avarice, qui conduit au refus de faire la charité est plus particulièrement mise en évidence comme l'un, des plus grands péchés, qui est puni par la peine de mort (Nos. 16, 39). La charité est récompensée — elle conduit à la richesse et peut même sauver un homme de la mort certaine, même dans les cas où l'arrêt de mort a déjà été prononcé (No. 16). La ré­compense pour la charité n'est pas forcément accordée de suite, mais elle ne tarde jamais à venir (No. 55). L'avarice et le goût du luxe constituent le sujet du vieux conte sur l'homme qui n'est jamais satisfait (No. 45)

La tension sociale trouve son expression dans le conflit entre le pauvre ouvrier et le riche employeur et la lutte, moins appa­rente, entre l'érudit et l'ignorant. Parfois l'ouvrier peut, grâce à sa sagesse, dominer son employeur (No. 67) tandis qu'en d'autres occasions, le pauvre reçoit un cadeau qui peut faire des miracles (No. 3). Une importance suprême est accordée à la foi en Dieu et tout s'arrange à l'heure fixée par Dieu (No. 18). Le prophète Elie, qui est dans l'imagination de toutes les communautés juives, le sauveur du peuple, remplit également cette fonction dans les légendes des communautés juives du Maroc (No. 34)

Le conflit entre le sage et l'ignorant évolue selon la philosophie contenue dans le dicton rabbinique: "Le coeur est touché par la charité". Le peuple, c'est-à-dire le public qui écoute les histoires, se range, bien entendu, du côté de l'humble cordonnier dont le pouvoir magique n'est pas moins grand que le pouvoir du juste rabbin Hayim Ben-Attar (No. 28). Le peuple aime également le petit berger, qui se met sur la tête pour louer Dieu, et ce geste spontané a la même valeur spirituelle que la prière du juste (No. 32). La croyance dans la force du destin et dans les décrets d'en-haut qui se réalisent plus tard dans la vie, est très forte chez les peuples méditerranéens et il n'est pas étonnant que nous ren­contrions dans nos contes des traces de fatalisme (Nos. 43, 71). Dans la littérature populaire, les chances d'un homme de changer son destin sont minimes et les héros qui réussissent effectivement à améliorer leur sort sont très rares, mais existent néanmoins (Nos. 56, 63). La sagesse et l'intelligence, opposées à la stupidité mal­faisante, sont un thème que les habitants du bassin méditerranéen aiment énormément. Le sot, dont l'ignorance dépasse l'entende­ment, ignore souvent les lois naturelles, et accomplit des actes ab­surdes (Nos. 8, 10, 12). Et le naïf qui croit tout ce qu'on lui dit (mais qui est considéré moins ignorant que le sot) est trompé et exploité (No. 11). L'intérêt du public est stimulé par les four­beries du fripon qui exploite le sot. Djouha représente, dans la littérature populaire, le héros qui, tout en étant naïf, fait preuve d'une certaine débrouillardise (Nos. 10-12). Djouha est un carac­tère que nous retrouvons dans la littérature folklorique de diffé­rents pays: dans les pays de langue turque et dans les Balkans, nous le rencontrons sous le nom de Hodja Natser-ed-Din, en Perse et dans les zones d'influence culturelle perse, il s'appelle le "Mul- lah", tandis que dans les pays de langue afghane, il devient Katchal, le chauve. Ce héros ressemble quelque peu à Till Eulenspiegel et à Herchele Ostropoler, figures populaires bien connues dans de nombreux pays européens

Dans la plupart des cas, il y a une relation entre les contes à am­bitions éducatives et instructives et les histoires se proposant d'ex­pliquer les lois naturelles et qui remplissaient chez les masses popu­laires une fonction semblable à celle de la "science" dans la vie de l'homme moderne. En effet, ces histoires trahissent une cer­taine curiosité intellectuelle, quoique les solutions offertes soient plutôt primitives. C'est ainsi que plusieurs de nos histoires (Nos. 51, 52, 65) expliquent l'origine de certaines institutions sociales, juives et générales. Dans une société plus évoluée, ces histoires sont moins nombreuses et ont un caractère presque humoristique. Il n'en est pas de même des histoires relevant du domaine de l'étiologie de notre collection. Les narrateurs (et leur public égale­ment) croient, sans l'ombre d'un doute, que ces récits sur l'origine de l'argent (No. 51), des tremblements de terre (No. 52) et des lois alimentaires rituelles (Kachrouth) (No. 65), sont tout à fait authentiques 

La vie est un processus complexe et difficile et les parents vou­draient transmettre à leurs enfants, une partie au moins, de l'ex­périence qu'ils ont acquise. Dans les contes populaires, cela se fait par les conseils que le chef de famille mourant donne à ses en­fants. Ceux-ci, s'ils suivent les conseils de leur père, jouissent de la prospérité matérielle et écartent les souffrances et les malheurs que la destinée avait en réserve pour eux (No. 69). Ce conte mérite notre attention particulière, parce qu'il appartient à une catégorie d'histoires où la femme joue un rôle central. Nous y rencontrons trois types de femmes: (1) l'héroïne d'une histoire d'amour qui est demandée en mariage par un jeune homme (Nos. 1, 25, 26) ; (2) la femme mariée dont la fidélité provoque les sym­pathies et l'émerveillement des auditeurs (Nos. 48, 70) ; (3) la mère qui, dans ses relations avec ses enfants et ceux d'un premier lit de son mari ne s'en tient pas toujours aux exigences morales de la société et de la religion (No. 17). Parfois, la fem­me est le symbole de la fidélité et de la loyauté (No. 70) quoi­qu'elle puisse aussi commettre l'adultère et trahir (No. 48). On voit qu'on peut envisager la question sous deux aspects différents et le conte populaire essaye de trancher la question: Salomon, le plus sage des hommes, prend le parti de la femme, tandis que le hibou prétend que la femme ne possède aucune vertu (No. 44)

Le public auquel ces contes s'adressaient ne constituait pas seu­lement une société religieuse. Les Juifs du Maroc, par exemple, aspirent à un centre national qui, il est vrai, est le caractère reli­gieux. Jérusalem est identique à Erets-Israël, et un certain nom­bre de personnages que nous rencontrons dans ces histoires, sont animés par le désir de vivre en Terre sainte. Le chadar (rabbin- émissaire) qui visite les pays de la Dispersion pour collecter de l'argent pour les yechivotli d'Erets-Israël a déjà réalisé cette am­bition. Au cours de ses pérégrinations, il arrive aussi au Maroc, où il enseigne la morale aux Juifs (No. 16). Dans un autre conte, un rabbin réalise personnellement la recommandation de s'établir en Erets-Israël après avoir subi un échec lors d'une première ten­tative (No. 31). Parfois, le paysage palestinien sert de fond aux histoires et pas seulement à celles qui ont un caractère biblique et dont l'action se passe forcément en Erets-Israël. C'est ainsi que les âmes des morts sont purifiées dans le Lac de Galilée (No. 27). L'aspiration à l'indépendance et à l'égalité avec les Gentils trouve son expression dans les comptes rendus de batailles que des héros juifs ("Les fils de Moïse") ont livrées aux ennemis de leur peuple (No. 2)

Pour terminer, quelques remarques d'ordre général

Le nombre d'histoires dont les héros sont des animaux ou qui se classent dans la catégorie des fables, est très petit, mais cette remarque s'applique à toute la littérature de cette région cultu­relle. L'histoire où un serpent sert fidèlement son maître (No. 60), constitue l'exception qui confirme la règle. La deuxième histoire d'animaux de cette collection (No. 53) est, en fait, une allégorie pleine d'esprit

Les légendes dont l'action se passe à des endroits qui ne sont pas liés, d'une manière ou d'une autre, à la religion, sont, elles aussi, très peu nombreuses. Le conte où il est question de la mon­tagne où la fille du roi, à la recherche d'un trésor, reste enfermée à jamais, (No. 13) et de "la chambre de la Juive de Marrakech" (No. 22) sont uniques en leur genre

Nous ne pouvons pas nous étendre ici, sur la question de la relation qui existe entre les contes populaires réunis dans ce volume et la littérature ancienne de notre peuple. Mais il nous semble intéressant de signaler que plusieurs contes (Nos. 19, 45, 57) ac­cusent, sous des formes nombreuses et variées, l'influence de la littérature talmudique et midrachique

LE JEUNE HOMME QUI A REUSSI A FAIRE PARLER LA FILLE DU ROI

contes populaires

LES NARRATEURS ET LES ENREGISTREURS

Les Archives Israéliennes du Conte Populaire sont en relation avec les "conteurs d'histoires" par l'intermédiaire des personnes qui enregistrent ces contes par écrit. La "famille des enregistreurs" comprend près de soixante membres, qui remplissent leur mission avec beaucoup de dévouement. La plupart d'entre eux sont des membres fondateurs de la "famille", établie il y a sept ou huit ans, tandis que les autres l'ont rejointe plus tard.

Un groupe de vingt d'entre eux a enregistré plus de 50 contes et un autre groupe de onze membres a gardé pour la postérité plus de 100 contes.

La plupart des renseignements sur les narrateurs et les enre­gistreurs que nous publions plus loin, nous ont été fournis par ces derniers. Us ont puisé une partie de leur documentation dans leurs propres souvenirs; pour le reste, ils se sont adressés aux conteurs. Il ne nous a pas toujours été possible de vérifier les ren­seignements obtenus, mais nous avons pleine confiance dans les conteurs et enregistreurs et, dans de nombreux cas, nous reprodui­sons textuellement ce qu'ils nous ont dit. Nous avons inclus dans ces notes, des renseignements non-biographiques s'ils sont de na­ture à nous renseigner sur la personnalité du conteur, sur son milieu social, sur l'éducation qu'il a reçue au Maroc, sur les difficultés de son acclimatisation en Israël et sur ses occupations actuelles. A ces renseignements personnels, qui nous ont été four­nis par écrit, nous avons ajouté des informations sur les contribu­tions faites aux "Archives" jusqu'au mois de juin 1963.

Les noms des membres de la "famille" sont arrangés selon l'or­dre de l'alphabet hébreu et nous avons mentionné chaque fois, s'il s'agit d'un narrateur ou d'un enregistreur.

Yaacov Avitsouc (enregisteur; textes Nos. 1 à 23) : est né en 1924, à Vasloui (Roumanie), sixième enfant de David et Rahel Itzkovits, qui eurent, en tout, neuf enfants. Le père de Yaacov était tapissier. L'enfant fut élevé au Hêder et dans une école juive dont le programme accordait une place modeste à l'enseignement de l'hébreu. La famille Itzkovits était pratiquante et Yaacov fut membre des mouvements sionistes Gordonia et Bousliya; il fit sa hakhchara avant de venir en Erets-Israël. Durant la Deuxième Guerre, il travailla dans des camps de travaux forcés hitlériens.

Yaacov se rendit en Israël en 1946, à bord du bateau "Hagana" qui transportait des immigrants "illégaux". A son arrivée en Erets- Israël il fut interné au camp d'Atlith. A sa libération, il se joignit à un noyau de pionniers, au Kibouts Ayanoth (Ramath David). En 1948, le groupe passa à Hédéra comme unité indépendante, puis s'établit sur ses terres à Tel Guézer, à proximité de Latroune. Après la Guerre d'Indépendance, le kibouts ne put se maintenir et fut dissout. Yaacov travailla comme moniteur de jeunesse dans des villages de nouveaux immigrants. En 1955, il obtint le diplôme qui lui permit d'enseigner à l'Ecole Normale de Beerchéva, puis il enseigna au Centre de Jeunes de Kiryath Gath et aux écoles des villages Arougoth et Talmé Yéhiel. Pendant un certain temps il fut instituteur au Centre de Jeunes de Kiryath Malahi, où il commença à écrire: articles de journaux, nou­velles et poèmes. En 1961 il fit paraître une plaquette de poèmes.

Yaacov Avitsouc compte parmi les meilleurs enregistreurs des "Ar­chives Israéliennes du Conte Populaire". Il a enregistré 136 histoires dont quelques-unes lui furent transmises par des membres de sa fa­mille, mais dont la grande majorité furent recueillies parmi les ha­bitants du village d'immigrants de Kiryath Malahi qui compte des représentants de nombreuses communautés.

Avraham (Albert) Allouche (narrateur; textes Nos. 1 à 12): Est né à Mogador, ville portuaire, en 1918. Sa mère était la fille d'un cordon­nier qui avait sa boutique au marché arabe. Son père était mar­chand de fruits.

Quand Avraham avait cinq ans, sa famille se fixa à Casablanca et c'est là qu'il passa sa jeunesse avec ses trois soeurs (dont deux se trouvent maintenant à Paris) et ses cinq frères (dont deux sont établis aujourd'hui à Acre et à Beerchéva). Avraham a épousé, à l'âge de 26 ans, Sultana, fille d'un inspecteur du domaine de Léon Corcos, qui est l'un des Juifs les plus riches du Maroc. Avraham a cinq fils, dont l'aîné qui a été élevé au Kibouts Afikim, accomplit aujourd'hui son service militaire. La famille est pratiquante et, au­jourd'hui encore, la langue parlée à la maison est l'arabe marocain. Avant sa venue en Israël, en 1955, Avraham était mécanicien, mais aujourd'hui il possède un camion et exerce le métier de chauffeur à Kiryath Malahi.

Avraham a entendu les histoires de Yaïch Odmizguine aujour­d'hui âgé de 90 ans, qui a exercé pendant longtemps le métier de pêcheur. Yaïch était ami de la famille Allouche et le soir il aimait raconter des histoires aux enfants de la famille. Il habite en­core aujourd'hui à Casablanca avec un des frères Allouche. Avraham, qui a transmis ses histoires à Yaacov Avitsouc, nous informe que le vieux Yaïch est une véritable mine de contes et de légendes. "Je re­grette", nous dit-il, "qu'il ne soit pas venu en Israël, car il aurait pu me raconter un grand nombre d'histoires".

LE JEUNE HOMME QUI A REUSSI A FAIRE PARLER LA FILLE DU ROI

Il était une fois un roi, qui avait une fille très belle et sur le mur du palais se trouvait l'inscription: Celui qui réussit à faire parler la fille du roi, obtiendra sa main et sera le gendre du roi

Quatre-vingt-dix-sept jeunes gens tentèrent leur chance, mais ils ne réussirent pas à faire parler la princesse, qui resta sans réagir à leurs efforts et chaque prétendant, qui n'avait pas réussi à la faire parler subit la peine de mort: on lui coupa la tête et la planta sur un pieu, qui fut fixé au mur du château. Et ceux qui passaient devant le château voyaient, ainsi exposées, des dizaines de têtes de prétendants, qui avaient tenté leur chance et qui n'avaient pas réussi et qui avaient été mis à mort

Dans ce pays vivait un vieux couple, qui avait trois fils. Le chef de famille mourut et de mauvais voisins s’emparèrent de tout ce qui se trouvait dans la maison, en disant: "Votre père nous devait de l'argent

En voyant cela, le fils aîné devint triste. Il dit à sa mère: "Je m'en vais dans une autre ville pour y tenter ma chance! Je n'ai plus rien à faire ici

La mère lui dit: "Quel conseil puis-je te donner, mon fils? Va et que la chance te sourie!" Elle lui donna un peu d'argent et une réserve de vivres et il se mit en route. Pour aller où? Dans la capitale du pays. Là, il passa devant le château du roi et il vit les têtes fixées au mur. Il se mit à les compter et arriva au nombre de 97. Il s'adressa alors aux passants pour leur de­mander ce que cela signifiait et ils lui racontèrent toute l'histoire: celui qui réussit à faire parler la fille du roi, l'obtiendra comme femme et ceux qui échouent, voilà le sort qui les attend

"Peut-être dois-je tenter ma chance?" se dit le jeune homme. Peut-être réussirai-je, moi, à m'entretenir avec la fille du roi et à l'obtenir comme épouse

Il entra dans le palais et le gardien lui demanda: "Que viens- tu chercher ici

"Je veux faire parler la fille du roi

Le gardien lui dit: "Tu n'y réussiras pas

"Peut-être", répondit le jeune homme

Il entra dans le palais et on le conduisit à la douche et on lui donna des vêtements neufs. Il se doucha, se rasa, mit les vête­ments neufs et entra dans la chambre de la fille du roi. Là, il se mit à parler et à parler. Il raconta des histoires et posa des questions toute la nuit, mais rien ne se produisit et la fille du roi n'ouvrit pas la bouche. Le matin, on lui coupa la tête, on la planta sur un pieu, qui fut fixé au mur. Le nombre de têtes augmenta d'une unité •— 98

La mère attend le retour de son fils. Elle pleure sans arrêt. Elle ne fait que pleurer et pleurer. Un jour, le deuxième fils s'adressa à sa mère, disant: "Mère, je prendrai la route qu'a empruntée mon frère. Je n'ai plus rien à faire ici; je veux partir pour tenter ma chance

La mère malheureuse n'arriva pas à le convaincre de rester. Elle lui prépara une réserve de vivres et il quitta la maison. Il arriva, lui aussi, à la capitale et passa devant le château du roi. Et il vit les têtes exposées le long du mur. Il les compta et arriva au chiffre 98. La dernière était la tête de son frère aîné. Il se mit à pleurer. "Mon frère, mon frère, qu'as-tu fait? Quel péché as-tu commis pour qu'on t'ait coupé la tête?" Les passants lui racontèrent toute l'histoire: celui qui réussit à s'entretenir avec la fille du roi, l'obtiendra comme femme, mais celui qui n'y réussit point, voici le sort qui l'attend . . . Vois-tu, ton frère, non plus, n'a pas réussi et on lui a coupé la tête

Le jeune homme fil exactement ce qu'avait fait son frère et il subit le même sort: toute la nuit il parla et parla, toute la nuit il posa des questions et raconta des histoires, mais la fille du roi n'ouvrit pas la bouche. Le matin, on lui coupa la tête, on la planta sur un pieu, qui fut fixé au mur — 99 têtes

Le frère cadet était le plus courageux de tous et on l'appelait: Arva — harak — mazar, ce qui veut dire en arabe: "Le déracineur d'arbres", car il était assez fort pour déraciner même les plus vieux arbres

Un jour, il dit à sa mère: "Mon frère aîné est parti et n'est pas revenu. Mon deuxième frère est parti et n'est pas revenu. A mon tour, je dois partir pour les ramener à la maison

La mère lui dit: "Que Dieu t'accorde son aide, mon fils

Le jeune homme se mit en route et arriva, lui aussi, dans la capitale. Il passa devant le château du roi et vit les 99 'têtes exposées le long du mur. Il s'aperçut que les deux dernières têtes étaient celles de ses frères. Il s'exclama: "O mes frères! Quel sort cruel! Qu'avez-vous fait pour subir une fin aussi mi­sérable?" Les passants lui racontèrent toute l'histoire: celui qui réussit à faire parler la fille du roi, l'obtiendra comme épouse; et celui qui échoue — voilà la fin qui l'attend 

Le jeune homme jeta un regard sur la ville et voici, il aperçut un restaurant arabe. Il y entra et commanda un café. Il était tres excité et nerveux et ne pouvait détourner son regard des têtes exposées. Le propriétaire du restaurant l'observa et lui dit: "Toi aussi lu cours après le malheur? C'est bien dommage pour toi! Tu es jeune et pourquoi courir ce danger

Mais le même jour encore le jeune homme se présenta à l'en­trée du palais. Les gardiens lui demandèrent: "Que cherches-tu ici?" Il leur dit ce qu'il voulait

"ais-tu quel sera ton sort, si tu ne réussis pas"

"Oui, je sais

On l'envoya à la douche et on lui remit des vêtements neufs. Puis on le fit entrer dans la chambre de la fille du roi

En paraissant devant la fille du roi, le jeune homme ne dit rien. Aucune salutation, aucune parole — il s'asseoit simplement dans un coin de, la chambre, tandis que dehors les gardiens sont réunis comme d'habitude, pour voir et entendre ce qui se passe à l'intérieur

Que fait le jeune homme? Il se tait

La fille du roi est assise sur un lit et lui, il s'installe sur le deuxième lit. Ensuite, il sort de sa poche un chandelier et commence à s'entretenir avec lui. La fille du roi se lève et lui demande: "Que fais-tu? Es-tu fou? Tu parles à un chandelier?" Il lui répond: "Qu'est-ce que ça peut bien te faire? Je ne t'ai pas adressé la parole

Elle dit: "Tu parles à un chandelier. Cela signifie que tu es fou

Et dehors, les gardiens réunis entendent la fille du roi s'entre­tenir avec le jeune homme

Le matin, avant qu'on ne vienne ouvrir la porte de la cham­bre, le jeune homme prit la fille du roi sur son dos, car elle lui appartenait à présent. Ne lui a-t־elle pas parlé durant la nuit? Les gardiens lui dirent: "En effet, la jeune fille t'appar­tient en propre, mais tu ne devrais pas t’emparer d'elle de cette manière. Bientôt viendra le roi pour t'accorder la main de sa fille, comme il est écrit sur le mur du palais

Le matin, le Premier Ministre du roi arriva sur les lieux. De­puis longtemps, il désirait que son fils épousât la fille du roi et c'est lui qui avait inventé ce jeu cruel, car il s'était dit: "Les prétendants se feront de plus en plus rares, et finalement, la fille du roi épousera mon fils". Quand il eut entendu que la fille du roi s'était mise à parler cette nuit et réalisé que son fils ne l'obtiendra pas comme épouse, il suggéra au roi: "Si ce jeune homme est tellement fort et intelligent, qu'il t'apporte le coq qui sait chanter. S'il peut faire cela, qu'il épouse ta fille, mais s'il n'y réussit point — qu'il meure

Le matin, le roi dit au jeune homme: "Ma fille est à toi, mais puisque je suis ton beau-père à présent, je te demanderai un service — apporte-moi le coq qui sait chanter

Le jeune homme répondit: "C'est tout ce que tu me deman­des? Je pourrais t'en apporter deux, les yeux bandés

Mais le Premier Ministre savait que le jeune homme était condamné à mourir, car il ne réussirait point à apporter ce qu'on lui avait demandé

Avant de se mettre en route, le jeune homme remit à la fille du roi trois plantes et lui dit: "Vois, je te donne ces trois plantes. Et je te demande de les embrasser une fois par semaine

Si l'une d'elles meurt, sache que j'ai perdu une partie de mes forces. Si la deuxième plante meurt, sache que la moitié de mes forces m'ont abandonné et si la troisième plante meurt, sache que j'ai cessé de vivre

Le jeune homme prit des provisions de pain et d'eau, et se mit en route. Sur son cheval, il voyagea un mois, deux mois, trois mois, jusqu'à ce qu'il arrivât à une croisée de chemins, qui lui laissa le choix entre deux directions. Sur l'une des routes, il était écrit: "Celui qui s'engage sur cette route, ne reviendra pas". Et sur la deuxième était écrit: "Bon voyage!" Le jeune homme hésita pendant plus d'une heure et ne savait pas sur quelle route s'engager. Finalement, il décida de prendre la route sans retour, arrive que voudra. Il avait parcouru une petite distance losqu'une vieille femme parut devant lui et lui dit: "Jeune homme, prends garde! Où vas-tu sur cette route?" Le jeune homme lui répondit: "Qu'est-ce que cela peut bien te faire, à toi

Elle lui dit: "Si tu veux voyager sur cette route, viens et je te dirai ce que tu dois faire. Tu es trop jeune pour mourir déjà. Mais si tu fais ce que je te dis, tu as une chance d'avoir la vie sauve. Celui qui s'engage sur cette route peut ramener ce qu'il désire et je sais que toi, tu dois ramener le fameux coq qui chante. Continue sur cette route, jusqu'à ce que tu aperçoives un grand champ avec de grands arbres. Il y a, là-bas, une grande cage à l'intérieur de laquelle se trouve le coq qui chante. Mais ne t'approche pas de la cage. De loin, tu verras un monstre à sept têtes; c'est lui qui garde la cage. Si les yeux du monstre sont ouverts, tu peux t’emparer du coq, car le monstre dort les yeux ouverts. Mais si ses yeux sont fermés, prends garde, car alors il est éveillé. Si tu réussis à t’emparer du coq et à t'enfuir, tu devras passer par trois endroits dange­reux

"Le premier danger t'attend à un chemin qui s'arrête au milieu. Quand tu arrives à cet endroit, prononce cette phrase

"Quelle splendeur de chemin! Si tous les chevaux de mon père, le roi, étaient à ma disposition, je me serais mis à danser ici". Le chemin alors s'ouvrira devant toi et tu pourras continuer ton voyage

"Le deuxième danger est constitué par un oued rempli de boue dont le passage est impossible. Lorsque tu arriveras devant ce oued, prononce ces paroles: "Quelle merveille de oued rempli de miel! Si quelqu'un pouvait m'apporter un peu de ce miel dans le château de mon père, le roi, je le mangerais avec beau­coup de plaisir". Le oued se desséchera alors et tu pourras le traverser

"Le troisième danger se présentera sous forme d'un oued rem­pli de sang et de pus et de toutes sortes de bêtes sauvages. En arrivant là tu diras: "Quel beurre appétissant. Si j'avais le pain de mon père, le roi, je l'aurais beurré avec ce beurre magnifique". Le oued se desséchera et tu pourras le traverser avec le coq dans ta main et lorsque tu reviendras ici, chez moi, nous verrons ce qu'il y a lieu de faire ensuite

Le jeune homme prit bonne note des conseils de la vieille et se mit en route. Il parcourut des kilomètres et des kilomètres jusqu'à ce qu'il arrivât devant le champ et aperçût la cage. Et tout près de la cage, il vit le monstre dont les yeux étaient fermés. Le jeune homme savait alors que le monstre était éveillé et qu'il devait attendre trois mois, car trois mois constituent pour le monstre l'équivalent d'une nuit

Le jeune homme attendit trois mois, et, subitement, les yeux du monstre s'ouvrirent, signe évident qu'il était endormi. Il prit la clé attachée à un doigt du monstre et ouvrit la cage. Il s’empara en vitesse du coq, enfourcha son cheval et s'enfuit au galop. Après trois mois de route, il arriva devant le chemin. C'est à ce moment précis que le monstre se réveilla et s'aperçut immédiatement que la clé avait disparu. Il jeta un regard dans la cage et constata que le coq aussi avait été volé. Il ne fallut qu'une minute au monstre pour parcourir la distance que le jeune homme avait couverte en trois mois. Mais au moment où il était sur le point de rattraper le jeune homme celui-ci prononça la formule que la vieille femme lui avait apprise: "Quelle splendeur de chemin. Si tous les chevaux de mon père, le roi, étaient à ma disposition, je me mettrais à danser ici". Le chemin s'ouvrit immédiatement devant le jeune homme et il le traversa en une minute. Le monstre, qui courait derrière lui, trébucha et tomba. Mais au moment où le jeune homme arriva devant le premier oued, le monstre était sur le point de le rat­traper à nouveau et le jeune homme suivit de nouveau le conseil de la vieille femme et parvint à traverser le oued. Il en fut de même du deuxième oued

Finalement, le jeune homme revint chez la vieille femme, te­nant dans sa main le coq chanteur

Alors, la vieille dit au jeune homme

"Tu es fort et vaillant, mais à présent tu es très fatigué. Je te préparerai à manger et tu te reposeras chez moi; tu mangeras et tu dormiras et puis tu continueras ton voyage

La vieille sortit aux champs; elle sema du blé, le récolta, le moulut, puis en prépara un plat de couscous et tout cela, elle le fit en une minute. Mais entre-temps, le coq s'était mis à parler au jeune homme

"C'est bien triste pour toi, mon brave, tu t'es donné tant de peine pour m'avoir, mais dès que tu t'endormiras, la vieille s’emparera de moi. Ecoute bien, jeune homme: lorsque la vieille se baissera pour te donner à manger de la casserole, sois sur tes gardes. Elle en sortira deux baguettes, l'une en or et l'autre en argent. Si elle te donne un coup avec la baguette en argent, elle te transformera en chien; et si elle te touche avec la baguette en or, tu redeviendras un homme comme auparavant. Fais donc bien attention! Lorsqu'elle se baissera, arrache-lui les deux ba­guettes et donne lui un coup avec la baguette en argent avant qu'elle ne puisse s'en servir contre toi

Le jeune homme fit ce que le coq lui avait conseillé. Et voici, la vieille se transforma en chienne. Le jeune homme lui mit une laisse et la chienne le suivit partout

Un jour, la fille du roi monta sur le toit, pour arroser les plantes et elle s'aperçut que deux d'entre elles étaient mortes, tandis que la troisième était bien vivante et sa tige s'était enrichie d'une nouvelle feuille verte. La fille du roi se mit à danser de joie, car cela signifiait que son mari était en vie et en possession de ce que son père lui avait demandé

Le roi entendit le chant de sa fille et la vit danser. Il lui de­manda: "Que fais-tu là? Que signifie  cette joie

La fille répondit

"Je sais que mon mari est en vie et qu'il rentre à la maison. C'est la raison pour laquelle je me réjouis tan.

Lorsque le ministre du roi apprit la nouvelle, il se dit: "Ce jeune homme est un vrai héros, mais je le tuerai". Il monta avec le roi sur le toit du palais et de loin ils virent le jeune homme sur son cheval, s'approchant du palais et tenant dans la main le coq qui savait chanter; il était suivi par une chienne

Le roi dit à ses gardes du corps d'aller à la rencontre du jeune homme et de le conduire au palais. Après que le roi eut salué et félicité le jeune honnne, il fit mettre le coq dans une cage et ordonna à plusieurs de ses serviteurs de la garder jour et nuit. On conduisit le jeune homme à la chambre de la fille du roi où il resta pendant dix jours

Après dix jours, le jeune homme sortit de la chambre et dit au roi: "Que le roi ait la grâce d'inviter les ministres et hauts fonctionnaires, les officiers et les représentants des pays étrangers pour que tous voient ce que j'ai apporté

Lorsque toutes ces personnalités furent réunies dans la cour du palais, le gendre du roi prit le coq, l'attacha à la balustrade du toit et s'adressa à lui par ces paroles: "O coq, mon coq! Je veux que tu parles et que tu chantes, afin que tous ceux qui sont réunis ici, en soient émerveillés

Le coq déploya ses ailes avec grand bruit, puis il ouvrit le bec et se mit à parler et à chanter. Et le roi et tous ceux qui étaient autour de lui n'avaient jamais entendu pareille chose

Quand le coq eut terminé son chant, le gendre du roi dit

"Que Votre Majesté me permette également de montrer à tous la chienne que j'ai apportée

Il prit la baguette en or et en donna un léger coup à la chienne. Immédiatement celle-ci se transforma en une vieille femme. Tous les assistants en furent stupéfaits et étaient in­capables de prononcer une parole

Le gendre du roi voulait expliquer à tous les assistants ce que la vieille avait eu l'intention de faire, mais le coq l'en empêcha et lui dit: "Non, mon brave! Ne leur raconte rien, moi je leur dirai ce qui est arrivé

Mais le coq se mit à raconter, non pas la vie de la vieille femme, mais celle du jeune homme et il termina son discours par ces paroles: "Et le jeune homme se mit en route pour chercher une chose miraculeuse — et voici, il en rapporte deux

  ?Alors, le roi demanda à son gendre: "Et que vas-tu faire à présent

Le jeune homme prit dans sa main la baguette en argent, en toucha la vieille femme et voici, celle-ci se retransforma en chienne. Puis il dit au roi: "Je veux m'en aller avec ma femme, car elle m'appartient

Le roi, voyant que le jeune homme était dans son droit, ne s'y opposa pas. Le jeune homme installa la fille du roi sur son cheval et rentra chez lui. De retour à la maison, il dit à sa mère: "Regarde cette jeune femme, à cause d'elle deux de tes fils — mes deux frères — sont morts

Après avoir prononcé ces paroles, il s’empara de son épée, coupa la tête de sa femme et l'envoya au père de celle-ci, le roi, accompagnée d'une courte lettre: "Voici la centième tête! Tu as tué 99 jeunes gens pour elle et voici une tête de plus pour arrondir le chiffre. Je ne désire point être le gendre d'un roi meurtrier. Je ne veux point être le mari d'une femme, qui a causé la mort de mes deux frères

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