Le Mossad – Michel knafo-Les institutions culturelles
Les institutions culturelles
l'Association des Anciens Elèves de l'Alliance était très active avant l'Indépendance dans l'organisation de rencontres, conférences, soirées dansantes et activités sportives. Elle est restée active même après l'Indépendance, lui valant es hommages des recteurs des universités et du ministre de l'Éducation. Elle a organisé des concerts et des conférences données par des conférenciers de renom mondial auxquels étaient également conviés des intellectuels musulmans et même français. Le club de basket-ball de Casablanca était d'un haut niveau reconnu. Avant l'Indépendance, le mouvement "Charles Netter" comptait des centaines de jeunes adhérents prenant part à ses activités culturelles, sociales et sportives. L'activité sociale a baissé après l'Indépendance, ne laissant place qu'aux activités sportives – en plus du bal annuel dont les recettes servaient à financer la branche sportive. Le Cercle de l'Union est un club plus fermé, réservé aux notables dont activité principale est le jeu de Bridge et de temps à autre des conférences. Il existait à Casablanca et avait des filiales à Rabat et Tétouan.
Autres institutions sociales
l'O.S.E. Oeuvre de Secours aux Enfants sous la direction de M. Marciano a organisé les soins médicaux pour l'ensemble de la population essentiellement pour les élèves des écoles de l'Alliance et d'autres enfants.
Au centre social de Casablanca se trouvaient à l'époque 200 enfants dont les parents ne pouvaient s'occuper pour une raison ou une autre. Il y avait dans les diverses communautés des asiles pour vieillards et de soupes populaires. "Em Habanim" à Casablanca était à la fois une école et un orphelinat avec quelques 400 pupilles. Il faut aussi ajouter l'orphelinat du "Home Bengio" avec 50 enfants. Les enfants pauvres des écoles étaient nourris par l'œuvre de "l'Aide Scolaire". Elle organisait aussi des colonies de vacances.
Quelques 23,000 enfants bénéficiaient chaque année de ses services. Il faut y ajouter l'œuvre "Malbich Aroumim" fournissant des vêtements aux démunis et l'œuvre d'aide aux petits artisans par l'octroi de prêts, la Caisse Israélite de Relèvement Economique.
Les rapports avec la communauté française du Maroc
Les relations avec la communauté française étaient en général amicales. Les familles juives de la classe bourgeoise entretenaient des liens d'amitié avec des familles françaises, le plus souvent par l'intermédiaire de familles juives françaises du même cercle social.
La majorité des juifs avaient surtout des liens économiques avec les français. Il convient de souligner le rapport favorable de la communauté française envers la communauté juive. Sans doute à cause du sentiment de communauté de destin. Cette communauté était inquiète des restrictions à la liberté de circulation imposées aux juifs et avait partagé leurs craintes lors de la visite de Nasser à Casablanca. Ils avaient apprécié la libéralisation dans l'attribution des passeports. Ils comprenaient les motifs de l'émigration juive, attribués à l'appauvrissement du pays dans lequel les juifs avaient jadis joué un grand rôle et de grandes responsabilités en particulier dans les entreprises françaises, ce qui leur donnait à réfléchir sur leur propre avenir au Maroc.
Manifestations d'antisémitisme
Sans aucun doute y avait-il des manifestations d'antisémitisme de la part d'individus isolés. La jalousie de la fortune réelle ou imaginaire des juifs faisait son effet. Dans les articles de la presse, plus particulièrement celle de l'Istiqlal. n'étaient pas rares les allusions à la domination économique des juifs. Le mépris traditionnel du Marocain des villes et des compagnes – pour le juif est resté vivace. mais il conduisait plus à l'isolement qu'à l'hostilité et au sentiment de la nécessite de protéger le juif inférieur, le dhimmi.
Tout cela est loin de constituer l'infrastructure à une propagande antisémite, ou à la formation de mouvements faisant de l'antisémitisme leur raison d'être, l'ancienneté de la présence juive au Maroc – ne pouvant ainsi être accusés d'avoir pris la place de quiconque contribuait également à cette absence d'antisémitisme à la mode européenne.
La propagande menée par les palestiniens et l'ambassade de la République Arabe Unie au Maroc, avec la distribution de tracts en 1959, ne devait pas avoir d'effet notable. Les tracts reproduisaient le Magen David comme symbole de la domination juive sur le monde. Des tracts de ce genre devaient de nouveau être diffusés au cours de l'été 1960, mais les autorités étaient déterminées à punir les responsables. Au moment de la flambée de l'antisémitisme en Europe en 1960, le Maroc est resté calme. Une croix gammée tracée sur le mur d'une synagogue devait être aussitôt effacée par la police qui a activement recherché les coupables. Les Marocains, et leur roi en tête, ont toujours été fiers d'avoir refusé l'application des lois raciales de Vichy au cours de la Seconde Guerre mondiale. Malgré cela, les germes de l'antisémitisme existent et la politique pro-arabe extrémiste des années 1959-60 qui avait entraîné la rupture des relations postales avec Israël, avait provoqué une psychose de peur au sein de la population juive. En 1960, les autorités ont conseillé aux juifs de ne pas porter de couleur bleu-blanc, et des policiers à Rabat devaient interdire aux bijoutiers juifs de vendre des bijoux en forme d'étoile de David. C'était une initiative privée locale d'excès de zèle. A la même époque, la presse s'était attaquée au Magen David, qualifié de symbole du sionisme. Au cours de l'été 1960, le pacha de Salé devait demander d'effacer les nombreuses étoiles de David sur les tombes du cimetière de la ville pour ne pas indisposer les musulmans – et les juifs durent s'y plier.
Il convient de ne pas oublier la facilité avec laquelle il est possible d'enflammer les foules par une bonne propagande et combien il fut facile aux musulmans d'Oujda et de Djérada de massacrer des juifs en 1948, suite à la proclamation de l'État d'Israël. Il convient de souligner que les autorités s'efforcent de prévenir la diffusion de termes et de thèmes antisémites, estimés contraires à l'esprit de la nation marocaine, mais cela ne devait pas prévenir les campagnes de presse incontrôlées présentant un grand risque de débordement. C'est ainsi que le journal Al Fajar devait aller jusqu'à remettre en cause le statut juridique des juifs au Maroc.
Palais et Jardins- David Ekmoznino-Amour interdit
C'est alors que mon père se pencha sur moi et me murmura des paroles affectueuses. Il voulait me réconforter. J'eus tout à coup mal pour lui et compris que je devais être courageuse. Je pris une profonde inspiration, me redressais et regardant droit devant moi, et me hissais sur la charrette. Nous prîmes le chemin qui devait nous mener à ma nouvelle destination. Je remarquais que mon père contrôlait l'allure du cheval et ralentissait le pas de l'attelage. Il voulait me laisser le temps de voir le paysage de mon enfance défiler doucement devant mes yeux. Mes yeux qui se remplissaient de larmes à la vue de ce spectacle familier qui s'éloignait de moi inexorablement.
Je me répétais maintes fois que j'étais déjà une grande personne, qu'il ne m'était plus permis de pleurer. Mon père, qui devinait ce qui se passait en moi, s'efforçait par tous les moyens d'étirer le voyage en longueur, de prolonger ces instants qui nous permettaient d'être encore ensemble. Nous fîmes une halte dans l'un de ces villages qui bordaient notre route. Le temps de nous dégourdir les jambes en faisant quelques pas, la main dans la main. Il me dit "Salma ma fille, n'oublies jamais que tu es une musulmane et qu'un jour tu reviendras au village pour te marier. Je te confie aux bons soins d'une famille juive, ce sont des gens bons et droits. Tu travailleras chez eux comme aide ménagère. Prends bien soin de toi, donne-toi du courage et ne sois pas triste".
Il se dirigea vers notre carriole, je le suivis sans prononcer une seule parole. Nous repartîmes. Nous reprîmes notre allure modérée, mesurée. Le voyage se poursuivit au rythme que mon père lui imposait. Il se mit à pleuvoir. J'étais contente. Les bois et les arbres m'apparurent plus beaux, la pluie les irisait de mille reflets lumineux. Sous l'ondée, les chemins se transformaient et prenaient toutes les tonalités du gris. Je me sentis un peu moins triste. Il me présenta à Rina ta mère, la brunette, la maîtresse de maison. Elle devait avoir la trentaine, ses cheveux noirs étaient relevés et enserrés au- dessus de la tête. Puis elle me présenta à son mari, Raphaël, ton père. Ils avaient l'air gentil et pas du tout intimidant. Avant de me quitter et de me laisser à mon sort, mon père m'attira à l'écart et me chuchota avec tendresse :
"Je reviendrais te rendre visite."
Je vis alors mon père que j'aimais tant s'éloigner sur sa charrette. Je regardais dans sa direction jusqu'à ce qu'il ne fût plus qu'un tout petit point à l'horizon. Je retenais mes larmes de peur que les maîtres de maison ne me grondent. Je me sentais déjà devenir adulte, car dans ces moments parmi les plus durs de ma vie, à l'instant même où je me retrouvais brisée, perdue et seule au monde, je suis arrivée à me contenir et à ravaler mes larmes. Une nouvelle vie s'ouvrait devant moi. Rina devint très vite une mère pour moi et ce dès le premier soir. Je fus reçue avec beaucoup de chaleur, d'affection et de tendresse au sein de la famille juive, au même titre qu'une fille de la famille. Et les enfants m'aimèrent tout particulièrement, n'est-ce pas David ?"
Le matin tôt, Salma était la première levée pour allumer le feu de charbon de bois. Rina la rejoignait un peu plus tard et, ensemble, elles se mettaient en devoir de préparer le petit-déjeuner pour toute la famille. Pendant la journée, Salma s'occupait des travaux domestiques, nettoyait, récurait, apportait son aide à toutes et à tous. Elle était toujours prête à répondre aux besoins de la maisonnée, petits et grands.
Des jours et des jours passèrent après l'épisode mémorable où son père l'avait confiée à la famille juive. Un beau matin, le maître de maison, Raphaël, la pria de se joindre à lui et de l'accompagner à l'extérieur. Adossée à la maison de la ruelle, se dressait une synagogue, le lieu de prière, le temple du culte juif. Raphaël en était le Gabay. Devant l'entrée, il se tourna vers Salma et lui fournit quelques explications. Il lui demanda de veiller désormais à la propreté du bâtiment, de nettoyer le sol de la synagogue surtout à la veille d'événements liturgiques importants comme le Shabbat, les fêtes juives et autres activités religieuses festives. Tremblante de peur, Salma tendit la main vers la grosse clé pendue au mur de l'édifice, la décrocha lentement de son clou et se dirigea sur la pointe des pieds vers le lourd portail de la maison de prière, qu'elle déverrouilla avant d'en écarter les battants grinçants.
Devant elle se profila un couloir étroit qui s'enfonçait à l'intérieur du bâtiment. Cet endroit lui inspirait une grande crainte, toujours renouvelée en dépit de ses visites répétées. L'impression qui s'en dégageait lui paraissait tout aussi angoissante et l'état des lieux ne manquait pas de susciter quelques inquiétudes. Vraisemblablement, la maison juive de prière avait connu des jours meilleurs. La vue du mobilier défraîchi, des bancs et chaises de bois usés par les années, par l'usage des fidèles, était des plus désolante.
Au centre de la synagogue se dressaient quatre colonnes imposantes. De dimension honorable, elles soutenaient un haut plafond grisâtre et entouraient une Tebah bancale, abritant les sièges fatigués des chantres- poètes et des ministres officiants. Salma la caressait délicatement et l'effleurait de son chiffon humide, désempoussiérait coins et recoins, priant le ciel pour que rien ne lui tombe sur la tête avant la fin de sa tâche. Le Heikhal, le Aron Hakodesh où se trouvaient les rouleaux de la Torah rangés dans leurs longs cylindres, était d'un autre âge, antique et patiné.
La Parokhet qui le recouvrait était pâle, usée, les lettres d'or à peine lisibles qui l'ornaient, flottaient intemporelles dans l'espace. Salma, respectueuse, l'observait à distance, Raphaël l'avait prévenue : il ne lui était pas permis de s'approcher de l'armoire sacrée. Ses yeux fixaient les caractères hébraïques qu'elle avait découverts pour la première fois de sa vie, lors du premier passage à la synagogue en compagnie de Raphaël. Depuis, chaque fois qu'elle pénétrait dans ce lieu saint, un sentiment étrange s’emparait d'elle. Elle se sentait complètement transformée, métamorphosée. Elle se forçait à contrôler sa respiration et à se calmer, avant de commencer son travail. Elle entamait alors le nettoyage des fenêtres en forme d'arc de la maison de prière. Elle se souvenait d'avoir toujours ressentie une grande crainte envers le Dieu des Juifs, mais depuis son installation au sein de la famille juive, sa peur allait grandissant.
Du haut du deuxième étage de la maison de la ruelle, Salma la belle pris l'habitude, entre deux travaux, d'observer les faits et gestes des voisines qui s'activaient dans le patio. Elle les contemplait et sentait une vague de nostalgie la submerger. Le matin, après le départ des hommes vers leur travail, les femmes sortaient de leurs foyers pour se retrouver dans la cour, chacune avec ses propres ustensiles dans les mains. Elles éparpillaient les bébés autour d'elles afin qu'ils jouent ensemble alentour, les abandonnaient à leurs babillages et entamaient leur journée. Elles reprenaient leur place en se regroupant, oeuvraient en société dans une chaude convivialité.
Simy, assise par terre, déposait sur ses jambes repliées un grand plateau contenant une petite montagne de grains de riz. Avec un art consommé, des gestes rapides et expérimentés, elle le prenait à pleines mains, lui faisait subir un contrôle des plus sévères, le nettoyait, en retirait les graines étrangères et déchets divers.
Sarah, son amie, assise sur un court tabouret de bois, soumettait ses lentilles à un examen minutieux. Ses pieds semblaient être étroitement soudés à son siège, ses jambes serrées étaient entièrement recouvertes d'une longue robe aux couleurs neutres. A ses côtés se trouvait Esther, une grande femme approchant la quarantaine, vêtue d'une légère robe fleurie, dont la partie supérieure attirait les regards. A son corsage pendaient, de part et d'autre d'une poitrine généreusement découverte, deux cordons de fermeture qu'elle n'utilisait jamais, exposant à la ronde une gorge exubérante.
Tout près d'Esther, se trouvait Aliza, assise dans une posture typiquement orientale. Elle tenait un petit couteau dans la main droite et un concombre dans la main gauche. Elle pelait soigneusement son concombre et les épluchures tombaient lentement par terre. Elle le débitait en fines tranches directement dans une casserole posée sur son ventre. Le plaisir d'être ensemble et en bonne compagnie ; facilité, aisance et bien-être. Les travaux routiniers devenaient légers et supportables. D'autant que l'on ne tardait pas à se lancer dans un bavardage soutenu où l'on pouvait rapporter et colporter les derniers potins et ragots, glissant insensiblement sur les soucis et les tracas quotidiens.
Et Salma observait du haut du son perchoir, réservée et attentive.
Au milieu de la matinée, arrivait le temps de la pause, le temps de prendre un repos bienvenu. Simy, la généreuse au grand coeur, se levait en secouant ses vêtements et se dirigeait vers la maison. Elle allait préparer le thé traditionnel. Un soupir d'aise général l'accueillait lorsqu'elle réapparaissait tenant la Séniya, un grand et beau plateau trépied en cuivre ciselé, portant le Berad, la théière au joli décor gravé au burin, entourée de délicieux gâteaux sucrés et de cinq verres fins transparents au bord doré. Bien-être et détente, la sacro-sainte récréation et le rituel du thé. Les femmes le boivent à petites gorgées, dégustent leurs pâtisseries, devisent, conversent et se confient mutuellement leurs petits secrets. Salma se tenait à l'écart et ne participait guère à ce genre de distractions. Elle passait une grande partie de la journée dans la solitude et allait parfois rendre visite à Tsipora.
Tsipora et son mari habitaient de l'autre côté de la maison. Salma les aimait beaucoup, plus particulièrement la belle Tsipora. Aux yeux de Salma, Tsipora la femme juive et son mari apparaissaient comme des géants véritables, tels ces personnages dans les récits des Mille et une Nuits. La femme juive était très belle, avait une peau claire au grain pur, de grands yeux verts. Son mari portait une barbe noire et avait belle allure dans ses tenues vestimentaires claires de coupe occidentale. Salma estimait que l'homme juif était plus âgé que sa femme, d'une bonne dizaine d'années, pour le moins. Le foyer de Tsipora était égayé par la présence de deux enfants en bas âge, un nourrisson et son aîné âgé de six ans. Tous les matins l'homme se rendait à son travail. Il était transporteur au Souk, le marché local de Marrakech. Tsipora la belle, elle, passait ses journées dans sa chambre s'occupant de ses enfants et de son intérieur.
Salma savait que le couple venait de Ouarzazate, une petite ville idyllique du sud, non loin de Marrakech- la-rouge où il avait emménagé. La majorité de ses habitants étaient des Berbères et les femmes juives de la petite bourgade se mariaient très jeunes, à l'instar des parents de Salma, l'ensemble des membres de sa famille et de toutes les personnes qu'elle connaissait. Les jeunes filles s'unissaient avec celui que leur père avait choisi et devaient l'accepter de gré ou de force. Salma supputait que Tsipora, la belle femme aux yeux verts, avait connu le même sort, subi le même destin. Destin qui sera aussi le sien, elle le savait. Les lignes en étaient déjà tracées. De la maison du père à la maison de la famille juive et, le moment venu, de la maison de la famille juive à celle de son époux. Celui que son père lui désignera.
A suivre……