Meknes-Portrait d'une communaute juive marocaine- Joseph Toledano

LIMITATION DES DEPENSES SOMPTUAIRES"
Les taqanot des années suivantes indiquaient bien un retour progressif à la prospérité relative après les horreurs du règne précédent, mais il ne touchait qu'une élite réduite, la pauvreté restant le lot commun. Dans ces conditions; les dirigeants de la communauté, sous l'énergique impulsion de rabbi Raphaël Berdugo, adoptèrent des taqanot contre le gaspillage, qu'ils avaient en horreur, en limitant d'autorité les dépenses dites "somptuaires".
La première, datant de 1800, signée par rabbi Yékoutiel et son frère Raphaël Berdugo et rabbi Baroukh Tolédano, limitait le montant des kétoubot. Une autre datée de 1806 signée par rabbi Raphaël Berdugo seul, mettait fin à la coutume lors des banquets de circoncision et de l'appellation des filles d'offrir aux convives toutes sortes de gâteaux, "car c'est une source de conflits entre époux, en particulier de situation modeste et sans grands moyens, remplis de honte de ne pouvoir faire comme les plus riches." De même, elle limitait les dépenses et les présents mutuels entre familles à l'occasion des cérémonies de mariage. La taqana s'attaquait également à une coutume bien ancrée, datant des temps de l'opulence, d'envoyer aux proches en prévision du manque de viander fraîche en hiver, d'amples provisions de viande frite, les khlé', causant de l’embarras aussi bien aux expéditeurs qu'aux receveurs, cet envoi n'étant plus autorisé qu'aux proches parents pauvres dont on est sûr qu'ils n'enverront pas de présents en échange.
Ces limitations n'avaient pas pour seul but d'épargner les finances des membres de la communauté, mais également de ne pas provoquer la convoitise des voisins musulmans par l'étalage de richesses comme cela avait été si fatal avec Moulay Yazid. C'est dans ce sens que l'année suivante, 1807, une nouvelle taqana interdisait aux femmes de sortir dans la rue vêtues de jupes brodées de fils d'or et des bracelets aux pieds. Appel était fait au besoin aux passants de les dénoncer et même, le cas échéant; de leur ôter de force ces bijoux et de les donner aux pauvres.
Cette chasse sans pitié du superflu ne s'arrêtait pas même après la mort, comme l'illustrait la taqana adoptée en 1821 :
" Peuple béni de Dieu, vous êtes témoins de cette funeste coutume qui s'est répandue parmi nous à l'encontre de la volonté de Dieu et de ceux qui le craignent, en matière de linceuls des femmes pour lesquels on gaspille l'argent d'Israël en les ensevelissant avec des tissus brodés de fils d'or ou de soie. En plus de la violation d'un strict interdit religieux, c'est un gaspillage de tout temps réprouvé par nos Sages. Notre maître Maimonide a prohibé la sépulture avec des tissus précieux même pour les rois d'Israël. Ce n'est là qu'une grossière marque d'orgueil et une vile imitation des pratiques des Gentils. C'est pourquoi, nous avons institué qu'à compter de ce jour, le lin sera le seul tissu autorisé pour le linceul des femmes, qu'elles soient jeunes ou vieilles et même jeunes mariées, que Dieu nous en préserve, et à la rigueur de tissus plus chers, à condition qu'ils soient blancs et n'incluent en aucun cas des fils d'or. Et tout celui qui revêtira une femme d'un linceul brodé de fils d'or, inclus les laveuses de la Hébra Kadisha, en portera la responsabilité et sera excommunié. Les biens du contrevenant seront déclarés en déshérence et pourront être saisis par chacun. Et si un jaloux de Dieu venait à détruire une telle tombe et à s’emparer de ce tissu brodé d'or, il serait tout à fait dans son bon droit. Et s'il ne peut détruire la tombe de jour, qu'il le fasse de nuit et il en sera béni.
Signataires, les rabbins Raphaël Berdugo, Mimoun Berdugo, Moshé Toby, Shémouel Ben Malka, Haïm Tolédano, Pinhas Hacohen, Mordekhay Messas, Mordekhay Berdugo, Shélomo Maimran.
SUS AUX DISTILLATEURS DE MAHYA
C'est dans le même souci de ne pas provoquer la colère des voisins que plusieurs taqanot rappelaient avec une virulence sans précédent l'interdiction absolue de vente de mahya aux musulmans. La distillation d'eau de vie était la principale "industrie" du mellah. En plus de la distillation des particuliers pour les besoins de leur famille, il y avait des distillateurs professionnels dans des ateliers appelés taberna. La taxe sur la distillation, dite siza, était une des sources de revenus de la communauté. Elle était attribuée chaque année à un fermier qui la prélevait sur les distillateurs.
" Peuple béni de Dieu, vous êtes témoins de la situation précaire où nous nous trouvons, car par nos péchés l'exil est rude, et chaque jour se renouvellent les édits, et il nous incombe de faire des concessions afin de survivre dans la galout, l'exil, où nous nous trouvons. Nous avons déjà à plusieurs reprises réitéré cette interdiction accompagnée de lourdes sanctions. Mais il se trouve encore des contrevenants éloignés de la crainte de Dieu. Nous tenons donc à vous rappeler que celui qui vendra de l'eau de vie aux musulmans, qu'il soit particulier ou titulaire d'autorisation de distillation, sera excommunié; et l'Eternel ne lui pardonnera pas et amènera sur lui toutes les malédictions écrites dans le livre de la Torah. De plus, il sera permis au Naguid et aux membres de la communauté de le dénoncer aux autorités et de lui faire perdre tous ses biens, alors que le dénonciateur sera lui à l'abri de toute poursuite ou sanction. Par contre, celui qui au courant de tels méfaits, ferme les yeux, se rendra coupable du crime de non -assistance à son prochain. Pour renforcer la vigueur de cette taqana, nous garantissons l'immunité totale à notre Naguid Meyer Sebbag. Dans le cas où le sultan lui infligerait une amende suite à la découverte d'un trafic illégal de vente d'eau de vie à des musulmans, elle sera intégralement prise en charge par l'ensemble de la communauté, car il est l'envoyé du public."
RABBI RAPHAËL BERDUGO (1747 -1822)
Signataire en premier et le plus souvent initiateur de ces taqanot spécifiques à la communauté de Meknès, il fut sans conteste la figure la plus marquante de tout ce demi -siècle et sans doute la plus grande sommité rabbinique de l'histoire de la communauté. Surnommé l'ange Raphaël, il est le fils de rabbi Mordekhay dit Hamartbitz, et petit fils par sa mère de rabbi Moshé Berdugo, surnommé Roch Masbir. Président du tribunal et chef charismatique de la communauté, il lui laissa pour message l'importance suprême des études sacrées. Alors qu'il était à l'agonie, entouré de tous les rabbins et notables de la ville, il délia de son serment de secret un de ses compagnons d'études, rabbi Yossef Maimran et lui demanda de raconter ce qu'il avait vu telle nuit. Rabbi Yossef raconta alors comment une nuit, n'arrivant pas à résoudre une question de Halakha particulièrement ardue, il avait osé malgré l'heure très tardive, se rendre chez rabbi Raphaël pour solliciter ses lumières. Il le trouva plongé dans l'étude, une ficelle enserrant ses cheveux reliée à un clou dans le mur. Il lui expliqua que de cette manière s'il venait à s'endormir involontairement, la ficelle lui tirerait les cheveux et le réveillerait. Pour plus de précautions, il avait disposé à ses pieds un bac plein d'eau afin que s'il venait à s'assoupir, son pied plonge dans l'eau et le réveille. Il lui avait interdit de raconter ce qu'il avait vu, de crainte que cela ne soit interprété comme une manière de se mettre en valeur, mais maintenant qu'il était à l'article de la mort et ne pouvait plus en tirer aucune gloire, il avait voulu donner cela en exemple pour que "vous adonniez toujours nuit et jour à l'étude de la Torah sans jamais vous décourager, car elle est la source de notre vie… ".
Meknes-Portrait d'une communaute juive marocaine- Joseph Toledano
Page 120
Meknes-Portrait d'une communaute juive marocaine- Joseph Toledano-Rabbi Raphael Berdugo (1747 -1822)

RABBI RAPHAËL BERDUGO (1747 -1822)
Signataire en premier et le plus souvent initiateur de ces taqanot spécifiques à la communauté de Meknès, il fut sans conteste la figure la plus marquante de tout ce demi -siècle et sans doute la plus grande sommité rabbinique de l'histoire de la communauté. Surnommé l'ange Raphaël, il est le fils de rabbi Mordekhay dit Hamartbitz, et petit fils par sa mère de rabbi Moshé Berdugo, surnommé Roch Masbir. Président du tribunal et chef charismatique de la communauté, il lui laissa pour message l'importance suprême des études sacrées. Alors qu'il était à l'agonie, entouré de tous les rabbins et notables de la ville, il délia de son serment de secret un de ses compagnons d'études, rabbi Yossef Maimran et lui demanda de raconter ce qu'il avait vu telle nuit. Rabbi Yossef raconta alors comment une nuit, n'arrivant pas à résoudre une question de Halakha particulièrement ardue, il avait osé malgré l'heure très tardive, se rendre chez rabbi Raphaël pour solliciter ses lumières. Il le trouva plongé dans l'étude, une ficelle enserrant ses cheveux reliée à un clou dans le mur. Il lui expliqua que de cette manière s'il venait à s'endormir involontairement, la ficelle lui tirerait les cheveux et le réveillerait. Pour plus de précautions, il avait disposé à ses pieds un bac plein d'eau afin que s'il venait à s'assoupir, son pied plonge dans l'eau et le réveille. Il lui avait interdit de raconter ce qu'il avait vu, de crainte que cela ne soit interprété comme une manière de se mettre en valeur, mais maintenant qu'il était à l'article de la mort et ne pouvait plus en tirer aucune gloire, il avait voulu donner cela en exemple pour que "vous adonniez toujours nuit et jour à l'étude de la Torah sans jamais vous décourager, car elle est la source de notre vie… ".
Loin de se cantonner dans sa fonction du président du tribunal, il intervint avec énergie dans tous les domaines de la vie communautaire – des questions proprement religieuses aux problèmes sociaux et économiques. Dans son souci d'un code de conduite de la vie communautaire, il entreprit la mise à jour de la compilation des Taqanot des Sages de Castille adoptées à Fès entre 1493 et 1753, compilation qui devait servir de base à leur impression pour la première fois par rabbi Abraham Encaoua de Salé dan son livre Kérem Hémer (Livourne, 1871). Cette source de réglementation tarie, il donna une impulsion décisive à l'autonomie de la communauté en inaugurant le Livre des Taqanot de Meknès, qui devait regrouper les taqanot adoptés dans la ville de 1750 à 1820, dont au moins un tiers prises à son initiative. Ce recueil a servi de base à la publication par le docteur Maury Amar de Paris des deux volumineux tomes des Taqanot hakhmé Meknès (Jérusalem 1999 – 2010) qui nous ont servi de précieuse source dans ce livre. Dans ces taqanot, et ses livres, rabbi Raphaël puisait son audace exceptionnelle dans sa forte personnalité, son extrême érudition reconnue de tous, bien au -delà de Meknès, et dans son souci du bien public.
C'est ainsi par exemple que mettre fin aux dommages causés par les bêtes errantes dans les rues du mellah, il avait fait adopter en 1796 une taqana qui, pour pouvoir poursuivre plus efficacement les propriétaires négligents, faisait une entorse aux règles traditionnelles en matière de témoignage 🙂
" On ne connaît que trop les désagréments causés par les bêtes errantes qui pénètrent dans les maisons et les cours causant toutes sortes de dommages, délits qui restent le plus souvent impunis, faute de témoins autres que les femmes. Aussi, avons -nous décrété que l'auteur du dommage pourra être condamné à réparer, même sur la base d'un seul témoin (alors que la loi en exige ordinairement deux), ou celui d'une femme (dont le témoignage n'est pas valable au tribunal rabbinique) ou même d'un enfant (dont normalement le témoignage ne peut être retenu), s'il est suffisamment éveillé. Même si leur témoignage n'est pas clair et sans équivoque, le juge sera habilité à prononcer la réparation s'il est convaincu qu'il y a eu effectivement dommage. Jusqu'au paiement de la réparation, la bête responsable restera saisie et en cas de refus de réparation, il sera possible de se payer sur elle en la vendant au plus offrant. Car il n'est que justice que ceux qui négligent de surveiller leurs bêtes, en supportent les conséquences..
Autre taqana à caractère éminemment social, celle adoptée suivante, en 1797 et qui allait devenir la norme, protégeant les locataires. Pour être plus facilement compréhensible, elle fut rédigée en judéo -arabe. Adaptée au calendrier hébraïque, elle tenait compte du fait que dans la société juive traditionnelle l'année économique commençait au printemps, au lendemain de Pessah :
"A dater de ce jour, le propriétaire d'une maison ne peut en expulser le locataire avant la fin de l'année (qui commence au début du mois de Iyar (avril -mai) et se termine au mois de Iyar de l'année suivante); que ce soit pour la louer à un autre, soit même pour y habiter lui -même. Il sera de même interdit d'augmenter le loyer au cours de cette période. Même si le contrat stipule une location pour six mois, il ne pourra l'expulser avant le premier jour du mois de Iyar… "
Pour rendre plus compréhensibles les actes de divorce, il y introduisit une traduction en judéo -arabe. Dans le même souci pédagogique, il mit à jour la traduction en arabe des textes sacrés, en premier lieu le Pentateuque, qui avait subi au fil des siècles de graves altérations. Cette version écrite devait prendre le relais de la traduction orale, shrh connue, "afin de corriger les erreurs transmises par les maîtres.
Ce livre permettra au mélamed d'éviter la transmis sion d'interprétations erronées au mélamed d'éviter la transmis
ou tordues. " Effectivement le livre Lashon limoudim, bien que non imprimé, fut désormais entre les mains de tous les enseignants de la ville, recopié à la main à toutes les générations. Ce n'est qu'en 2001 que le livre, avec un grand appareil critique scientifique, a été publié par le président de l'Académie de la Langue Hébraïque, Moshé Bar Asher.
Paradoxalement la communauté en tant qu'organisme, bien qu'elle n'ait d'autre idéal que la perpétuation de la tradition, ne prenait pas en charge l'éducation religieuse primaire des enfants mâles – les femmes en étant exemptées – sachant pouvoir compter sur la vigilance des parents qui trouvaient toujours un mélamed pour préparer leurs fils à la vie religieuse. N'ayant pas de responsabilité directe dans l'éducation, il fallait toutefois lever les éventuels obstacles à son développement. Dans l'extrême promiscuité du mellah, le bruit des élèves récitant à haute voix les versets pouvait être une gêne certaine pour les voisins – mais il fallait qu'ils la supportent. C'est le sens de taqana qu'il édicta en 1798 :: " Les voisins ne peuvent interdire aux maîtres de donner des cours aux jeunes enfants dans leur domicile. Toutefois, pour ne pas leur donner des causes de plaintes; ces derniers devront surveiller en permanence leurs élèves. Ils doivent également s'engager à rembourser tous les dégâts éventuels que leurs pupilles pourraient causer dans la cour commune…"
Meknes-Portrait d'une communaute juive marocaine- Joseph Toledano-Rabbi Raphael Berdugo (1747 -1822)
Page 122
Meknes-Portrait d'une communaute juive marocaine- Joseph Toledano-Rabbi Raphael Berdugo (1747 -1822)

LA TAQANA DE LA BEHIRA
Sur le plan de la justice rabbinique; sa réforme la plus audacieuse et qui souleva le plus d'âpres controverses fut l'introduction par la taqana de 1818, après plusieurs rejets, de la clause dite de la béhira, textuellement le choix, l'option pour le mari en cas du décès de son épouse, entre le partage de ses biens avec ses fils et ses filles non -mariées ou de le versement du montant de la kétouba de la défunte à ses ayant -droit. S'il n'y a pas de descendant, il peut restituer à sa famille ce qui est resté de sa dote. Ceci en contradiction avec les règles considérées jusque là comme intangibles établies par les Sages de Castille qui ne prévoyaient que le partage moitié -moitié avec les autres héritiers – ses enfants; son père, ses frères et soeurs. Rabbi Raphaël trouvait cette règle contraire au bon sens et à l'équité, le mari au lieu d'hériter de sa femme devant partager sa propre fortune avec ses héritiers au risque d'en sortir lui -même ruiné. Autant que son contenu, cette taqana posait la question cardinale de la marge de liberté d'interprétation de la Halakha, du droit des rabbins contemporains d'en adapter les règles à leur temps et de statuer différemment des "premiers". D'où l'opposition de nombre de rabbins à la hardiesse de son initiative. Ce n'est six mois après sa disparition, qu'elle fut définitivement levée, les rabbins et les notables se réunirent pour la ratifier; cette fois à l'unanimité.
Huit ans plus tard, un certain Shémouel Bar Asher fut excommunié " pour avoir osé médire de Dieu et de son prophète, le rabbin de toutes les galouyot, à la lumière duquel se dirigent des peuples entiers; la lumière de sa Torah qui a éclairé toutes les communautés; la gloire de sa génération, le grand rabbin Raphaël Berdugo" : Sanction valide jusqu'à ce qu'il se repente et fasse un don conséquent aux pauvres
Cet acte fut contresigné par 15 rabbins Shélomo Tolédano, Yaacob Berdugo, Eliezer Tolédano, Mimoun Boussidan, Mordekhay Berdugo, Mordekhay Messas, Moshé Tolédano, Shélomo Elbaz, Azaria Sebbag, Itshak Hassine, Yahya Elkrief, Shémouel Lévy Ben Yuli et Itshak Abensour
Ce ne sera que des décennies plus tard que la taaqna de la béhira sera ratifiée également par la communauté de Fès et à sa suite celle de Séfrou.
Sa réputation de sainteté avait dépassé les frontières du mellah et s'était étendue à la médina; donnant naissance à de pieuses légendes. Avant sa mort, il avait demandé, contrairement à la coutume, à être enterré dans un cercueil car "tout au long de sa vie il n'avait jamais déversé en vain sa semence même en dormant.". Son vœu fut exaucé. Heureusement, car un an après sa mort, son corps fut déterré sur ordre du pacha en furie en apprenant que le petit -fils qu'il chérissait tant, était né suite au pèlerinage de sa fille sur la tombe de ce hazan. Et la tradition rapporte que l'on le retrouva dans son cercueil comme au jour de sa mort, comme s'il ne n'était qu'endormi.
Il a laissé une œuvre considérable et bien que plusieurs de ses manuscrits n'aient pas encore été imprimés, il est sans conteste le rabbin de Meknès du passé dont le plus d'ouvrages ont été publiés.
Le premier tome de son livre de Respona, Michpatim yésharim, a été édité en Pologne, à Cracovie en 1891.
Mé menouhoat, commentaires bibliques (tome I Jérusalem 1910; tome 2 Djerba, 1942);
Torot Emet, commentaires du Shoulhan Aroukh (Meknès, 1939)
Sharbit Hazahav. Novella sur la Michna (Jérusalem 1975 -78)
Rab Pninim, sermons (Casablanca, 1970)
Sefer Méssamhé leb; commentaire biblique (Jérusalem, 1990)
Sefer Lashon limoudim; traduction de la Bible en judéo -arabe (Jérusalem, 2001) Son frère rabbi Yékoutiel, mort en 1802, fut également un rabbin célèbre et deux de ses quatre enfants, Pétahia et Yaacob surnommé El hakham dont une des synagogues du vieux mellah portait son nom jusqu'au grand exode, le furent encore plus.
Meknes-Portrait d'une communaute juive marocaine- Joseph Toledano-Rabbi Raphael Berdugo (1747 -1822)
Page 123
LA TAQANA DE LA BEHIRA
Meknes-Portrait d'une communaute juive marocaine- Joseph Toledano-Rabbi Raphael Berdugo (1747 -1822)- Fin mouvementee de regne

FIN MOUVEMENTEE DE REGNE
Les dernières années du règne de Moulay Slimane furent mouvementés, ponctuées de nouvelles rebellions des tribus berbères du Moyen Atlas.
En 1818, l'armée royale fut battue; son fils Moulay Brahim tué et le sultan fait prisonnier, mais il fut libéré au bout de quelques semaines. En 1820, une fausse rumeur annonçait la mort du sultan à Marrakech où il guerroyait contre un le ses frères entré en dissidence. Les Oudaya qui n'avaient pas pardonné aux juifs de les avoir délogés pour retrouver leur quartier, en profitèrent pour attaquer le mellah de Fès. A Meknès, on retrouve les mêmes scènes de panique comme le rapporte un témoin, rabbi David Messas "Dès l'annonce de cette nouvelle, le mellah devait rester fermé 40 jours – à l'égal des 40 punitions révues dans la Torah… "
aggravation globale de la situation économique devait se doubler d'une très grave atteinte aux finances de la communauté de Meknès privées par un lit du sultan de la plus grande partie de recettes traditionnelles – on ne sait trop pour quelle raison, les sources juives restant muettes à ce sujet – comme rapportait rabbi Raphaël Berdugo en 1821, une année avant son décès :
Dans l'ancien temps pour faire face au poids des impôts, les Premiers avaient institué une taxe sur les bouchers de 9 proutot par livre de viande, appelée en arabe siga que les bouchers reportaient sur le public. Du fruit de cette taxe, on payait les salaires des shohatim et des dayanim, rabbins -juges. Les bouchers fournissaient gratuitement la viande aux shohatim et aux dayanim en augmentant de 2 proutot le prix de la livre de viande. Et voilà que maintenant le sultan a annulé toutes les taxes, aussi bien sur la viande que sur l'eau de vie mahya, l'huile et tout autre produit…"
La détérioration de la situation économique était si désespérée que la communauté avait décidé d'appeler au secours les Juifs d'Algérie mieux lotis. Un des notables de la ville, rabbi David Attia, fit la tournée des communautés d'Alger, Oran, Tlemcen, Blida, Miliana et Mostaganem, porteur d'un poignant message 🙂
" Sa Majesté le sultan vient d'annuler toutes les taxes communautaires, les sources se sont asséchées, les mains se trouvent liées et les lumières éteintes, alors que le poids des impôts s'alourdit. Le nombre de riches a diminué et celui des malheureux a grandi; le manque de donateurs rencontre la multiplication des indigents. Tout le peuple demande du pain et il n'y en a point. Et si telle est la situation des gens aisés, que dire alors des talmidé hakhamim restés sans exagération sans aucune ressource. Toutes leurs sources de revenus se sont taries; toutes les portes se sont fermées et il n'y a presque plus d'élèves dans les bâté midrash. Ceux qui ont quitté les études à la recherche de travail, sans avoir la moindre expérience des affaires, n'ont rencontré qu'échec et désillusion; et les anges de la paix pleurent – est -cela là la Torah et sa récompense ? Est -ce là le sort des serviteurs de Dieu ? De plus, en ces temps de troubles bien connus, une vague de malheurs nous submerge et menace de nous noyer. Dehors l'épée tue, et à l'intérieur règne la terreur; il n'y a de paix ni pour celui qui part ni pour celui qui reste.
Chaque jour des rumeurs plus alarmantes les unes que les autres, circulent sur l'intention de nos méchants voisins de nous attaquer et de nous piller comme ils l'ont déjà fait contre d'autres communautés…Malheur à la génération qui doit faire face à de tels tourments, alors que la Torah est en voie d'oubli en Israël, et que presque toutes les yéchïbot ont été désertées…C'est pourquoi aiguillonnés par les pleurs des pauvres, nous vous avons dépêché un émissaire pour vous informer, vous nos frères, de nos tourments et de nos souffrances, afin que guidés par votre sens de la solidarité et de la justice; vous preniez pitié de notre dénuement…"
Signataires les rabbins Raphaël Berdugo, Mimoun Berdugo, Yossef Berdugo, Moshé Toby, Shélomo Tolédano, Shémouel Malka, Mordekhay Berdugo, Haïm Tolédano; Abraham Benharosh; Shélomo Maimran, Shélomo Ben- simhon, Abraham Berdugo, Eliezer Berdugo, Mordekhay Messas, Yéhouda Abensour, Yaacob Berdugo, Yossef Hacohen, Pinhas Hacohen, Mordekhay Elbaz, Shémouel Tolédano.
Dès son arrivée à sa première étape, Oran, les rabbins de la ville, Yéhouda Moatti, Farouz Karsenty, Yéhouda Darmon et Mordekhay Benichou, le munirent d'un message pour les autres communautés d'Algérie, leur recommandant de se montrer généreux avec lui à l'égal "des émissaires d'Eretz Israël, car c'est une bonne action équivalente au commandement de rachat de prisonniers. Que le riche donne plus, et que le faible dise je suis un héros. Il est du devoir de chacun de porter au secours de son frère et de renvoyer l'émissaire heureux et comblé…"
Deux ans plus tard, en 1822, quand la mort du sultan, épuisé par la lutte incessante contre les tribus, fut confirmée, le même témoin, rabbi David Messas ajoute que "les portes du mellah ont été fermées sur ordre des rabbins et tous les Juifs ont pris leurs biens et se sont réfugiés avec femmes et enfants chez leurs amis musulmans et il n'est resté en ville que très peu de personnes – que Dieu nous prenne en pitié et nous envoie son sauveur… "
Si cette fois la communauté de Meknès fut épargnée, il n'en fut pas de même de celle de Fès, payant le prix d'être redevenue la capitale officielle, le mellah de nouveau envahi et pillé par les irréductibles Oudaya.
Le souverain avait pris la précaution de désigner avant sa mort son successeur, le fils de son frère Moulay Hicham, Moulay Abderrahman, épargnant au moins au pays une nouvelle guerre de succession.
Meknes-Portrait d'une communaute juive marocaine- Joseph Toledano-Rabbi Raphael Berdugo (1747 -1822)- Fin mouvementee de regne
Page 125
Meknes-Portrait d'une communaute juive marocaine- Joseph Toledano-Rabbi Raphael Berdugo (1747 -1822)- Il un regne cahotique: Moulay Abderrahman

IL UN REGNE CAHOTIQUE :
MOULAY ABDERRAHMAN
Son règne commença sous le signe d'une très grave sécheresse qui entraîna dans l'intérieur surtout, une famine meurtrière. Cette famine jointe au retour de l'insécurité, allait déclencher une vague de banditisme et de révoltes sporadiques dans les campagnes. En 1825, rapportent les chroniqueurs juifs, le prix du blé était quarante fois supérieur à son cours ordinaire et les morts par famine se comptaient par milliers. Un témoin de l'époque, rabbi Habib Tolédano que nous avons déjà cité, estimait dans la préface à son livre Péyécharim, le nombre de victimes dans la seule communauté de Meknès à 3500. Même une partie de ceux qui avaient cru trouver un meilleur sort en émigrant à Fès devaient y succomber, le chroniqueur relatant que "d'après ce qu'on raconte 1800 juifs moururent de faim, pour la plupart des étrangers venus d'autres lieux". La situation était si précaire qu'elle exigea l'envoi de nouveau d'émissaires auprès des communautés d'Afrique du Nord et d'Europe pour tenter de lever des secours d'urgence. La mission de ce rab Habib Tolédano en Tunisie, en Italie et à Gibraltar fut couronnée de succès, les originaires du Maroc en particulier dans cette colonie britannique, se montrant particulièrement généreux. Mais à son retour dans sa ville natale, il trouva la communauté décimée, les synagogues fermées et il décida de quitter définitivement le Maroc pour s'établir en Terre Sainte.
L'autre émissaire, rabbi Abraham Halioua, descendant d'une grande dynastie de rabbins depuis l'arrivée des expulsés d'Espagne, fut dépêché à Londres auprès de la prospère communauté séfarade où les originaires du Maroc, en particulier de Mogador, commençaient à devenir nombreux et influents. Aussi à la fin de sa mission, répondit -il volontiers à leur invitation de rester dans la capitale anglaise comme enseignant et officiant. Très attaché au patrimoine de sa communauté d'origine, il y édita le livre de rabbi Yaacob Berdugo, Kol Yaacob, auquel il joignit un recueil de sermons de son propre père, rabbi Yossef Halioua.
En 1826, l'insécurité autour de Meknès atteignit son sommet. Une caravane de Juifs du petit village berbère d'Agouraï, en route pour Meknès, fut attaquée par des bandits qui les dépouillèrent et tuèrent ses membres dont les frères Ben Mezouz et le négociant Moshé Malka. Après ce malheur, tous ses habitants juifs abandonnèrent définitivement le village pour se replier sur Meknès. Ce n'était pas la première fois que ce village du Moyen Atlas était déserté. Déjà en 1735, lors de la guerre de trente ans pour la succession de Moulay Ismaël et après la mort de leur grand rabbin Makhlouf Benchétrit; ils avaient regagné la capitale dont beaucoup étaient d'ailleurs originaires. De la présence séculaire des Juifs à Agouraï, il ne devait désormais rester que la tombe de ce saint homme devenue un lieu de pèlerinage pour les Juifs de Meknès qui s'y rendaient une fois l'an au cours des mi -fêtes de Souccot – jusqu'à nos jours. Avec le temps le nom du saint devait être oublié et on ne l'invoquait plus que sous le nom du sadik d'Agouraï.
Le village voisin d'Azrou connut le même sort à la même époque, ses habitants juifs se dispersant dans les diverses villes du Maroc, principalement à Meknès, suite à l'assassinat d'un négociant de Meknès qui y avait ses affaires, rabbi Moshé Halioua, le frère de l'émissaire envoyé à Londres. Là encore, il ne resta comme vestige de la présence juive séculaire que le tombeau d'un saint dont le nom même a été oublié malgré son grand prestige, connu uniquement comme le saint d'Azrou, Sdiq di Azrou.
Dans cette situation de détresse économique l'émigration vers d'autres villes du Maroc s'intensifie. Ainsi rabbi Elisha Berdugo, petit -fils de rabbi Yékoutiel, le frère de rabbi Raphaël, s'installa à Rabat où il fut immédiatement adopté, fondant une nouvelle et illustre branche de la famille :
" En arrivant tard à destination avec ses disciples, ils furent hébergés dans la maison d'une famille modeste. Leur hôte dépêcha sa fille cadette pour leur apporter une lampe pour pouvoir étudier la Torah. Pendant tout le parcours, elle prit soin de bien protéger la lampe sachant à quoi elle était destinée. Rabbi Elisha la bénit en lui disant : "De même que tu nous as apporté la lumière pour étudier la Torah; puisse -tu avoir un fils qui éclairera Israël de son érudition". Le maître de maison reconnut la grandeur de son hôte et lui donna pour épouse sa fille qui donna naissance à rabbi Yossef Berdugo."
Effectivement rabbi Yossef fut une grande autorité à la génération suivante. Il présidera le tribunal rabbinique de Rabat jusqu'à sa mort en 1890, succédant à un autre originaire de Meknès, rabbi Moshé Tolédano. Son propre cousin, rabbi Yékoutiel; lui succéda à la tête du tribunal rabbinique de la ville avant de présider le Haut Tribunal Rabbinique du Maroc de 1935 à sa mort 1941. C'est un autre membre de la famille Berdugo de Meknès, qui lui succédera à la tête de cette instance d'appel instaurée par le Protectorat en 1918, rabbi Yoshoua Berdugo.
C'est dans ce climat d'insécurité que se place une des premières tentatives connues de alya en Terre Sainte qui jette une lumière sur les relations spéciales de la communauté avec la terre des ancêtres. Dans une de ses sentences, rabbi Moshé Tolédano (1724 -1773) avait statué que le devoir de monter en Terre Sainte était bien en vigueur sauf en cas de péril sur les routes, ou de manque de moyens financiers. De son côté, rabbi Raphaël Berdugo avait autorisé pour ce faire la vente du Séfer Torah – vente prohibée dans les autres circonstances, assimilant la montée en Terre Sainte à l'étude de la Torah.
En 1830, rabbi Zichri Messas, descendant d'une famille de rabbins de mégourachim de Debdou installée de longue date à Meknès, avait décidé de monter terminer ses jours à Jérusalem et vendu tous ses biens, dont sa synagogue, à rabbi Itshak Abensour. Il choisit l'itinéraire terrestre par l'Algérie et arriva jusqu'à Oujda. Il ne put aller plus loin en raison des troubles consécutifs au débarquement français dans la Régence. Dans l'attente de la réouverture des routes vers l'Algérie, il patienta trois ans dans la ville frontalière avant de se résoudre à revenir dans sa ville natale. Là, il demanda l'annulation des transactions immobilières en arguant qu'il ne les avait conclues que pour monter en Eretz Israël, et que maintenant qu'une force majeure l'en avait empêché; il n'était que justice qu'il récupère ses biens. L'acheteur nia naturellement que la vente avait été conditionnelle et refusa son annulation. Chacune des deux parties trouva des partisans et une grande controverse divisa la communauté. Le président du tribunal, rabbi Yaacob Berdugo, dit Elhakham prit partie en faveur de l'acheteur, qui était son disciple, alors qu'un autre membre du tribunal, rabbi Haïm Tolédano, donna raison au vendeur, s'appuyant sur les avis motivés des dayanim de Fès et Séfrou. En fin de compte, l'intervention des notables permit de ramener le calme dans les esprits par un compromis : l'acheteur acceptant de restituer au vendeur la synagogue et quelques terrains, moyennant compensation financière.
Meknes-Portrait d'une communaute juive marocaine- Joseph Toledano-Rabbi Raphael Berdugo (1747 -1822)- Il un regne cahotique: Moulay Abderrahman
Page 127