Meknes-Portrait d'une communaute juive marocaine- Joseph Toledano

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LIMITATION DES DEPENSES SOMPTUAIRES"

Les taqanot des années suivantes indiquaient bien un retour progressif à la prospérité relative après les horreurs du règne précédent, mais il ne touchait qu'une élite réduite, la pauvreté restant le lot commun. Dans ces conditions; les dirigeants de la communauté, sous l'énergique impulsion de rabbi Ra­phaël Berdugo, adoptèrent des taqanot contre le gaspillage, qu'ils avaient en horreur, en limitant d'autorité les dépenses dites "somptuaires".

La première, datant de 1800, signée par rabbi Yékoutiel et son frère Raphaël Berdugo et rabbi Baroukh Tolédano, limitait le montant des kétoubot. Une autre datée de 1806 signée par rabbi Raphaël Berdugo seul, mettait fin à la coutume lors des banquets de circoncision et de l'appellation des filles d'of­frir aux convives toutes sortes de gâteaux, "car c'est une source de conflits entre époux, en particulier de situation modeste et sans grands moyens, rem­plis de honte de ne pouvoir faire comme les plus riches." De même, elle limitait les dépenses et les présents mutuels entre familles à l'occasion des cérémonies de mariage. La taqana s'attaquait également à une coutume bien ancrée, datant des temps de l'opulence, d'envoyer aux proches en prévision du manque de viander fraîche en hiver, d'amples provisions de viande frite, les khlé', causant de l’embarras aussi bien aux expéditeurs qu'aux receveurs, cet envoi n'étant plus autorisé qu'aux proches parents pauvres dont on est sûr qu'ils n'enverront pas de présents en échange.

Ces limitations n'avaient pas pour seul but d'épargner les finances des membres de la communauté, mais également de ne pas provoquer la convoi­tise des voisins musulmans par l'étalage de richesses comme cela avait été si fatal avec Moulay Yazid. C'est dans ce sens que l'année suivante, 1807, une nouvelle taqana interdisait aux femmes de sortir dans la rue vêtues de jupes brodées de fils d'or et des bracelets aux pieds. Appel était fait au besoin aux passants de les dénoncer et même, le cas échéant; de leur ôter de force ces bijoux et de les donner aux pauvres.

Cette chasse sans pitié du superflu ne s'arrêtait pas même après la mort, comme l'illustrait la taqana adoptée en 1821 :

" Peuple béni de Dieu, vous êtes témoins de cette funeste coutume qui s'est répandue par­mi nous à l'encontre de la volonté de Dieu et de ceux qui le craignent, en matière de lin­ceuls des femmes pour lesquels on gaspille l'argent d'Israël en les ensevelissant avec des tissus brodés de fils d'or ou de soie. En plus de la violation d'un strict interdit religieux, c'est un gaspillage de tout temps réprouvé par nos Sages. Notre maître Maimonide a prohibé la sépulture avec des tissus précieux même pour les rois d'Israël. Ce n'est là qu'une grossière marque d'orgueil et une vile imitation des pratiques des Gentils. C'est pourquoi, nous avons institué qu'à compter de ce jour, le lin sera le seul tissu autorisé pour le linceul des femmes, qu'elles soient jeunes ou vieilles et même jeunes mariées, que Dieu nous en préserve, et à la rigueur de tissus plus chers, à condition qu'ils soient blancs et n'incluent en aucun cas des fils d'or. Et tout celui qui revêtira une femme d'un linceul brodé de fils d'or, inclus les laveuses de la Hébra Kadisha, en portera la responsabilité et sera excommunié. Les biens du contrevenant seront déclarés en déshérence et pourront être saisis par chacun. Et si un ja­loux de Dieu venait à détruire une telle tombe et à s’emparer de ce tissu brodé d'or, il serait tout à fait dans son bon droit. Et s'il ne peut détruire la tombe de jour, qu'il le fasse de nuit et il en sera béni.

Signataires, les rabbins Raphaël Berdugo, Mimoun Berdugo, Moshé Toby, Shémouel Ben Malka, Haïm Tolédano, Pinhas Hacohen, Mordekhay Messas, Mordekhay Berdugo, Shélomo Maimran. 

SUS AUX DISTILLATEURS DE MAHYA

C'est dans le même souci de ne pas provoquer la colère des voisins que plu­sieurs taqanot rappelaient avec une virulence sans précédent l'interdiction absolue de vente de mahya aux musulmans. La distillation d'eau de vie était la principale "industrie" du mellah. En plus de la distillation des particuliers pour les besoins de leur famille, il y avait des distillateurs professionnels dans des ateliers appelés taberna. La taxe sur la distillation, dite siza, était une des sources de revenus de la communauté. Elle était attribuée chaque année à un fermier qui la prélevait sur les distillateurs.

" Peuple béni de Dieu, vous êtes témoins de la situation précaire où nous nous trouvons, car par nos péchés l'exil est rude, et chaque jour se renou­vellent les édits, et il nous incombe de faire des concessions afin de survivre dans la galout, l'exil, où nous nous trouvons. Nous avons déjà à plusieurs re­prises réitéré cette interdiction accompagnée de lourdes sanctions. Mais il se trouve encore des contrevenants éloignés de la crainte de Dieu. Nous tenons donc à vous rappeler que celui qui vendra de l'eau de vie aux musulmans, qu'il soit particulier ou titulaire d'autorisation de distillation, sera excommu­nié; et l'Eternel ne lui pardonnera pas et amènera sur lui toutes les malédic­tions écrites dans le livre de la Torah. De plus, il sera permis au Naguid et aux membres de la communauté de le dénoncer aux autorités et de lui faire perdre tous ses biens, alors que le dénonciateur sera lui à l'abri de toute poursuite ou sanction. Par contre, celui qui au courant de tels méfaits, ferme les yeux, se rendra coupable du crime de non -assistance à son prochain. Pour renforcer la vigueur de cette taqana, nous garantissons l'immunité totale à notre Naguid Meyer Sebbag. Dans le cas où le sultan lui infligerait une amende suite à la découverte d'un trafic illégal de vente d'eau de vie à des musulmans, elle sera intégralement prise en charge par l'ensemble de la communauté, car il est l'envoyé du public."

RABBI RAPHAËL BERDUGO (1747 -1822)

Signataire en premier et le plus souvent initiateur de ces taqanot spécifiques à la communauté de Meknès, il fut sans conteste la figure la plus marquante de tout ce demi -siècle et sans doute la plus grande sommité rabbinique de l'histoire de la communauté. Surnommé l'ange Raphaël, il est le fils de rabbi Mordekhay dit Hamartbitz, et petit fils par sa mère de rabbi Moshé Berdugo, surnommé Roch Masbir. Président du tribunal et chef charismatique de la communauté, il lui laissa pour message l'importance suprême des études sacrées. Alors qu'il était à l'agonie, entouré de tous les rabbins et notables de la ville, il délia de son serment de secret un de ses compagnons d'études, rabbi Yossef Maimran et lui demanda de raconter ce qu'il avait vu telle nuit. Rabbi Yossef raconta alors comment une nuit, n'arrivant pas à résoudre une question de Halakha particulièrement ardue, il avait osé malgré l'heure très tardive, se rendre chez rabbi Raphaël pour solliciter ses lumières. Il le trouva plongé dans l'étude, une ficelle enserrant ses cheveux reliée à un clou dans le mur. Il lui expliqua que de cette manière s'il venait à s'endormir involon­tairement, la ficelle lui tirerait les cheveux et le réveillerait. Pour plus de pré­cautions, il avait disposé à ses pieds un bac plein d'eau afin que s'il venait à s'assoupir, son pied plonge dans l'eau et le réveille. Il lui avait interdit de raconter ce qu'il avait vu, de crainte que cela ne soit interprété comme une manière de se mettre en valeur, mais maintenant qu'il était à l'article de la mort et ne pouvait plus en tirer aucune gloire, il avait voulu donner cela en exemple pour que "vous adonniez toujours nuit et jour à l'étude de la Torah sans jamais vous décourager, car elle est la source de notre vie… ".

 

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