Brit-La vie Juive a Mogador


Brit-La vie Juive a Mogador

Brit

Revue des Juifs du Maroc

Numero special

אשר כנפו בבית העלמין במוגדור

אשר כנפו בבית העלמין במוגדור

Salomon Hai Knafo

La vie juive a Mogador

Presente et annote par

Asher Knafo

Ot Brit Kodesh

Hiver 2008 

Le deces de mon pere Salomon Hai Knafo, survenu a Jerusalem le 7 Mai 1995 a laisse un grand vide. On ne peut s’empecher de penser qu'avec lui s'est terminee une epoque ou les gens avaient une grandeur presque demesuree, grandeur que nous ne rencontrons plus aujourd'hui. S.H.Knafo a mene une vie exemplaire, comme pere d'une tres grande famille et comme chef et dirigeant d'une grande communaute. C'etait un puits intarissable de savoir et de connaissances. Les entretiens avec lui, etaient toujours passionnants et enrichissants. Une reflexion, une question, provoquaient immediatement une reponse juste et detaillee. Quand il n'avait pas de reponse il avouait "Je ne sais pas", mais n'en restait pas la et se mettait tout de suite a la recherche d'une reponse satisfaisante. Mon pere avait la plume facile et eprouvait un veritable besoin d'ecrire et de communiquer avec les personnes qui lui etaient cheres. II entretenait avec ses enfants et les membres de sa famille qui etaient a l'etranger, une correspondance reguliere. L'ordinateur personnel n'existait pas encore. II tapait donב ses lettres sur une petite machine a ecrire, et se servait de papier pelure pour obtenir plusieurs exemplaires. Chacune de ces lettres ecrites en lignes serrees etait d'au moins sept pages numerotees. Elles etaient toutes de veritables chefs- d'oeuvre. Elles etaient imagees, pleines d'humour, de philosophic et d'enseignements. Nous les lisions avec ferveur et les faisions lire a d'autres. Ceux-ci etaient emerveilles par son langage chatie en franfais et en hebreu. Ce courrier similaire a plusieurs correspondants inspira son frere le poete Isaac D. Knafo, qui a son exemple ecrivit une "Lettre des lettres" qu'il envoya a tous les membres de la famille. II en composa encore treize, denommees 'Lettre', imprimees en offset qu'il envoyait de son Kibboutz a des centaines de proches et amis. Apres le deces d'Isaac Knafo, l'idee continua de faire son chemin et les descendants de S. H. Knafo fonderent la revue 'Brit' a laquelle lui- meme participa largement jusqu'a ses derniers jours. 

Vie de Salomon Hai Knafo 

Salomon Hai Knafo est ne le 13  septembre 1905  a Mogador (aujourd'hui Essaouira). Son pere etait le Grand Rabbin Rabbi David Knafo, chef du Tribunal rabbinique de Mogador. On disait de ce dernier qu'il n'y eut jamais de divorces a Mogador pendant les annees qu'il exerca en tant que juge car il arrivait toujours a concilier les deux conjoints. Sa mere, Donna, etait une sainte femme qui passait chaque jour de maison en maison pour recolter habits, victuailles et argent qu'elle distribuait ensuite aux necessiteux de la ville. 

Son grand pere etait le Saint tres venere Rabbi Yossef Knafo qui fut l'auteur de nombreux livres parmi lesquels on peut citer deux livres sur la fete de Pessah: " Zevah Pessah " et " Yefe Enaim ", un livre sur la brit : " Ot Brit Kodech ", un livre sur le Shabbat : " Chomer Shabbat ", des livres sur la Thora : " Kol Zimra ", Bade Haaron ", Yossef Besseter ", Ragle Hakisse " et d'autres.   

Rubbi Yossef Knafo etait en troisieme generation, descendant des "Nissrafe Oufrane", les martyrs d'Oufrane qui furent brules vifs car ils n'avaient pas accepte de se convertir a l'Islam.

 Sa grand'mere, Zahara, une sainte femme elle aussi, consacra sa vie au bien de la communaute. Elle aidait les jeunes filles sans dot a trouver un mari, les garcons demunis a feter leur Bar- mitsva, les femmes qui venaient d'accoucher a s'occuper de leur bebe. Elle passait une grande partie de son temps a preparer des medicaments pour alleger les souffrances des pauvres de Mogailor. Elle eut le privilege de venir finir sa vie a Jerusalen vers 1902. Elle est enterree au Mont des Oliviers. 

Enfant, Salomon Hai' Knafo au Heder (Sla) fit des etudes chez plusieurs rabbins tels Rabbi Mss'eud Kidouchim et Rabbin Mordekhay Ohayon. De la, il passa a l'Ecole de l'Alliance. II completa ses etudes religieuses chez son pere puis dans la Yechiva du grand talmudiste le tres venere Rabbi David Attar.

Salomon Hai commenga a travailler tres jeune. Rapidement il devint indispensable dans une grande compagnie commerciale ou il exerga la fonction de chef comptable pendant 36  ans. Meme en travaillant il ne delaissa pas ses etudes. II acquit une erudition tres vaste grace a son amour des livres. Connaissant cet amour, les gens de Mogador lui proposaient d'acheter chaque livre, en francais ou en hebreu qui leur passait entre les mains. Malgre ses moyens plutot modestes il achetait tout ce qu'on lui proposait. C'est ainsi qu'il se constitua une bibliotheque extremement fournie en livres francais et en livres Kodech.

II se maria avec Esther Kadoch, fille de Messan (Moche) et Douani Kadoch. Ensemble ils eurent treize enfants qu'ils eleverent dans le bonheur et qu'ils eduquerent dans les regies strictes de l'honnetete. Leur fille Ruth, nee a Chavouot, trouva sa mort dans un accident de la route la veille de Chavouot alors qu'elle devait feter ses 21 ans.

A la mort de son pere, survenue en 1937 , une delegation de notables de la Synagogue El Kahal, qui fut construite pour Rabbi Yossef Knafo, vint lui demander de remplir les fonctions d'officiant a la synagogue El Kahal comme l'avaient fait avant lui son pere et son grand-pere. II accepta et officia jusqu'en 1953  date a laquelle il passa avec sa famille a Casablanca.

Esther Knafo nee Kadoch, (1910-2003) femme de 1'auteur, mere de treize enfants. Elle fut presidente de la Wizo a Mogador. En 1967, pendant la guerre des six jours, alors que quatre de ses fils etaient engages a l'armee, elle fonda le mouvement AHAY (Meres des soldats d'Israel) qui avait pour but de collecter de l'argent pour l'armee d'Israel. Ce mouvement fut suivi des annees plus tard par le general Raphael Eitan, chef de l'armee israelienne, qui lanca le mouvement de collecte LIBI qui avait exactement les memes buts qu'AHAY.

Sous la direction de Chlomo-Ha'i, la synagogue El Kahal devint le centre des activites sionistes et communautaires des juifs de Mogador. Tous les samedis on pouvait y rencontrer des dizaines voire des centaines de jeunes venus la pour assister au "Oneg Shabbat" (fete du Shabbat) anime par Salomon Hai Knafo et son jeune frere, le poete Isaac D. Knafo. C'est la que s'organiserent les mouvements de jeunesse Bahad (Brit Haloutsim Datiim) et Bne Akiva et c'est la aussi que se forma le mouvement sioniste qui prit en charge la Alia vers Israel des jeunes d'abord puis celle des adultes de Mogador.

Son intelligence et sa perspicacite etaient connues de toute la communaute juive de Mogador et meme en dehors de la ville. Son foyer devint un centre ou on pouvait rencontrer rabbins, notables, intellectuels et Chadarim rabbins emissaires d'Israel. Les Juifs deMogador voyaient en lui un leader spirituel chez qui ils pouvaient venir prendre conseil sur differents sujets et problemes. II devint un des porte-paroles de la communaute et il fut toujours recu avec sympathie et complaisance par les autorites.

Chaque Shabbat, Salomon Hai Knafo tenait des discours enthousiastes sur le nouvel etat hebreu et encourageait les fideles a partir en Israel.

"Apprenez l'Hebreu !  leur disait-il, cela vous facilitera votre absorption en Israel !" Lui-meme parlait un Hebreu chatie et il organisa des cours d'hebreu. D'ailleurs il etait a la tete d'un mouvement sioniste- linguistique denomme "Hoveve Hassafa" – Les Adeptes de la langue (hebrai'que).

Elu au comite de la communaute juive de Mogador il ne tarda pas a en devenir un des membres les plus influents. A la mort de son pere le grand Rabbin de la ville, la communaute voulut le nommer grand Rabbin a sa place. Une petition fut organisee dans ce but et 4600  signatures furent reunies (la communaute comprenait en ce temps la a peu pres 8000  ames). Mais les autorites a Rabat refuserent cette nomination en allegant qu'il etait trop jeune. Salomon Hai etait connu pour sa modestie, c'est ainsi qu'il devoila a ses proches qu'il n'aurait jamais accepte ce poste et que cette petition avait ete faite a son insu.

En 1952  il s'installa a Casablanca pour y preparer son Alia. La il continua de plus belle ses activites communautaires et sionistes. En 1956  pendant la Guerre du Sinai' quand les portes du Maroc furent fermees a l'Alia, il arriva avec sa famille en Israel pour s'y installer definitivement. Apres quelques mois dans un logis provisoire a Afoula, il ne demanda pas de maison a l'Agence Juive et prefera acheter de ses economies une petite maison a Lod. La, il fit differents travaux et remplit plusieurs fonctions communautaires.

Brit-La vie Juive a Mogador

 

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Salomon Hai Knafo

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Asher Knafo

Ot Brit Kodesh

Hiver 2008

II fonda une synagogue au nom de son pere le Grand Rabbin David Knafo. Rapidement cette synagogue devint le centre spirituel de sa famille et de nombreux habitants de Lod qui venaient la pour s'impregner de la sagesse de Salomon et de son harmonieuse priere. Nombreux furent ceux qui venaient avec leurs enfants pour que Salomon Hai leur inculque les traditions et les coutumes de nos ancetres. Sa faculte de communiquer aux autres, enfants comme adultes, les valeurs spirituelles du Judai'sme en firent ici aussi un guide de la communaute.

II fut elu comme membre de la municipality de Lod et cette election le consacra comme chef des Juifs Nord-africains a Lod.

En 1982  en s'installant a Jerusalem, il concretisa son reve et celui de son epouse Esther. La comme a Lod, leur maison etait ouverte a tous. De tout le pays les gens venaient a Jerusalem specialement pour leur rendre visite. Ils devinrent le centre familial et celui de tous les ressortissants de Mogador en Israel et dans le monde.

Les connaissances de Salomon Hai Knafo sur l'histoire des Juifs marocains en general et des Juifs mogadoriens en particulier etaient fabuleuses. II ecrivit plusieurs articles qui furent publies dans Brit ־ La Revue des Juifs du Maroc. Plusieurs chercheurs venaient le voir pour enqueter sur l'histoire du Maroc et sur plusieurs sujets qui concernaient la vie des Juifs a Mogador ou au Maroc.

Jusqu'a ses derniers jours il resta attache a la lecture et aux livres. II fonda l'association "Ot Brit Kodech" qui avait pour but d'approfondir l'etude et l'investigation de la culture judeo-marocaine. II fut rempli de joie quand parurent les livres de son grand-pere Rabbi Yossef Knafo "Zakh Venaki" et "Perouch le Pirke Avot". II suivit avec attention la preparation des autres livres a partir des manuscrits de son ai'eul qu'il avait soigneusement conserve.

Salomon Hal Knafo, decede a Jerusalem le 7 nai 1995, etait incontestablement une de grandes figures du Judaism marocain.

La vie juive a Mogador 

Le texte qui suit a été écrit en réponse à des questions qui ont été posées à son auteur, mon père Chlomo Haï Knafo par Mme Brouria Horowitz. Nousn'avons plus les questions mais il me semble qu'elles seront assez évidentes  à la lecture des réponses. Et si vous demandez quel est l'ordre des choses, j'ai mis ici une réflexion de l'auteur dont la place initiale était au milieu du texte. -Asher Knafo

Je crois que je chevauche un peu sur les questions, j'y suis entraîné parce que chez nous tout marche ensemble. Les coutumes, les fêtes, les relations, l'éducation. Tout était tellement partie liée, que les événements se suivent et je ne peux décrire une chose sans en citer une autre, alors elles s'enchevêtrent. J'ai voulu répondre à chaque question bien distinctement, mais je n'ai pu le faire et je suis obligé de mélanger les faits.

Les origines de Mogador

D'après les dernières fouilles et les recherches historiques sur l’emplacement actuel de la ville de Mogador, une ville existait déjà, profondément ensablée. On ne connaît pas la raison de sa destruction. On ne sait s'il faut l'attribuer au climat humide et froid, à la fuite de ses habitants ou si sa destruction est due aux éléments déchaînés. Car encore de nos jours, aux moments des grosses marées, la mer emporte tout un pan de la triple muraille. Elle s'engouffre sous quelques maisons, sape la base des fondations, forme une espèce de tunnel par lequel il est possible de passer, à marée basse, de la rue directement à la mer

Or, selon la légende, la ville n'a pas plus de 200 ans d'existence. C'est ce qu'atteste l'inscription sur le fronton du port de Mogador. Elle mentionne : "Celui qui pénètre dans cette ville avec son seul bâton, en sortira tout habillé."

Il parait que le Sultan qui l'avait bâtie, aurait dit en regardant les environs (où il n'y avait que des dunes de sable) : "Sa subsistance viendra de loin, et sa démolition interviendra un jour de Shabbat ou un jour de fête". Certains disent que ce sont des prédictions

Tout en leur souhaitant bonne chance, le Sultan prévenait les habitants éventuels de se méfier des apparences et de ne pas croire qu'ils auraient une vie facile. Peut-être faut-il voir dans la seconde prédiction, une prédiction relative aux Juifs qui, non seulement ne produisent pas le jour du Shabbat et les jours de fêtes, mais dépensent beaucoup pour ces occasions. D'autant que les tribus des alentours lorsqu'elles venaient à saccager la ville, commençaient par le Mellah habité par les Juifs. Et bien entendu, cela se passait probablement le Shabbat et les jours de fêtes.

La ville d'Agadir, seul port du Maroc sur l'océan atlantique, se révolta contre le gouvernement de Sidi Mohamed Ben Abdallah, Sultan du Maroc, résidant alors à Marrakech

En fait, ce n'était pas une révolte, mais un refus de payer les impôts aux délégués du Sultan. Autrement dit, les habitants ne se considéraient pas obligés d'obtempérer aux ordres du Sultan. En réalité, il n'y avait pas de pouvoir absolu, tout le sud vivait sous un régime féodal, et les Caïds se faisaient souvent la guerre, et les plus gros mangeaient les plus petits.

Il y avait des tribus qui vivaient sous d'autres régimes, surtout dans les pays montagneux dont le pouvoir était entre les mains du Conseil des Anciens

C'est à la suite de cette incartade que le Sultan a fermé le port d'Agadir au commerce intérieur et au commerce extérieur. Pour combler le trou budgétaire produit par cet acte, il avait érigé le port de Mogador. Tout d'abord, il semble qu'il fut le port d'attache de nombreux bateaux pirates que possédait le Maroc. Or, sans population sédentaire le port ne pouvait subsister. Le meilleur moyen d'assurer une subsistance à une population était d'y installer une communauté juive avec tous les moyens en mains. Et c'est ainsi que le Sultan fit appel à quelques-unes des meilleures familles juives issues d'autres villes du Maroc, principalement de Marrakech. Mais revenons à Mogador. Toute la ville était ceinte d'une muraille comme nous l'avons décrit plus haut. Cette muraille formait des remparts plongeants directement dans la mer. Au fait de ces remparts des créneaux dans lesquels s'encastraient les gueules de longs canons en bronze du 17 cmc et 18une siècle

Brit-La vie Juive a Mogador

Plan de la ville

Le port est situé à la suite d'une double rangée de grands rochers qui constituaient une espèce de fortification naturelle. Entre les deux rangées de rochers, les pêcheurs dans leurs embarcations pouvaient naviguer el surveiller de loin les trois points cardinaux. C'est-à-dire Ouest, Nord el Est. I ,e port lui-même était surmonté d'un grand donjon. Cette construction se prolongeait par une grande jetée

La muraille fortifiée qui encerclait la ville était percée de deux portes dont l'une n'était pas fortifiée, car elle se trouvait face aux deux rangées de rochers dont nous avons parlé. Cette porte pouvait servir de porte de service à une tour large et spacieuse qui se trouvait à proximité, où une petite garnison pouvait loger

A une cinquantaine de mètres environ une autre tour se dressait, formant un coin enfoncé dans la ville qui était également le point de départ perpendiculaire vers le nord d'une muraille très fortifiée surmontée d'un chemin de ronde c!ui menait à une autre tour, où une nouvelle tourelle formai( un angle enfoncé dans la mer. Cette tourelle très haute à trois étages, avait aussi un accès a l'intérieur de la ville et était construite à même les rochers el la mer. A ce niveau se trouvait une rangée d'une vingtaine de logements ton( le long d'une allée pavée de pierres dures comme du granit, avec un grand portail, a droite

Appuyée à la muraille, s'ouvrait une grande porte blindée qui donnait accès au premier étage, formant lui aussi une grande allée pavée de grosses pierres, enduites d'une sorte de ciment brillant comme du silex. Cette allée était bordée du côté de la mer par les mêmes créneaux que sur le port où s'encastraient également des canons aux longs cours. Les plus vieux dataient de la Bataille de Marignan, car la date 1510 y était inscrite. Mais la plupart des autres canons ne dataient que du 18ème siècle. On dit que ces canons ont été offerts comme cadeaux au Sultan du Maroc par les derniers rois de France, et que ceux-ci se sont ainsi débarrassés de leurs plus vieux canons. Ils n'auraient donné que quelques-uns des derniers modèles de l'époque

L'allée basse, avait deux issues. L'une, l'entrée principale donnant sur la rue, l'autre, donnant accès à une cour formant le rez-de-chaussée central d'une grande bâtisse. Cette cour comprenait également plusieurs logements desservant des magasins et des bureaux, avec des portes secrètes allant au sous-sol, comme dans tous les châteaux forts, des oubliettes, des magasins d'armements etc. ainsi que des escaliers creusés dans l'épaisseur des murailles et donnant accès à l'étage supérieur que l'on pouvait atteindre également par une montée en pente douce, la Scala

Le premier étage était composé d'une grande esplanade formant l'angle de la bâtisse avec à gauche, une porte sur la grande allée (décrite plus haut) et à droite une autre allée plus petite, également garnie de canons dirigés vers l'horizon nord. D'ailleurs, toutes les tours de fortification en étaient flanquées… Le tout surmonté d'un donjon très haut (par rapport aux autres constructions de la ville) dominant l'horizon au nord, à l'ouest et au sud et d'où l'on surveillait toute la mer par des échauguettes

 La muraille continuait toujours dans la même direction : ouest, nord et est, toujours posée à même les rochers abrupts et déchiquetés, difficiles à escalader et qui formaient un rempart naturel imprenable muni du même chemin de ronde, jusqu'à une porte surmontée d'un petit donjon contenant deux logements exigus, pour les veilleurs

Cette porte s'ouvrait également sur un petit tertre dominant une crique que l'on atteignait par un petit escalier creusé à même le rocher. Poursuivant son chemin, la muraille continuait à s'enfoncer de plus en plus profondément dans la mer (la ville était construite sur une presqu'île.) Arrivait encore une grande bâtisse ayant presque la forme de la Scala, mais en plus petite. Et là, s'arrêtait le front de mer. Tout le long de cette façade, les remparts étaient blindés de plaques de fer. Cela n’empêchait pas la mer de s'engouffrer lorsque les éléments se déchaînaient dans les fondations des maisons des quartiers accolées à la muraille. Les crêtes des vagues qui venaient battre cette muraille étaient hautes de plus de vingt mètres, car, en cet endroit la muraille atteignait huit à dix mètres. Les maisons qui la surplombaient recevaient de temps en temps des paquets d'eau de mer sur les terrasses. Par temps modéré, certaines personnes debout sur la muraille péchaient à la ligne de grands et coriaces poissons. D'autres péchaient même, à partir .des fenêtres des maisons qui avaient vue sur la mer

Mogador  plan

Quand la mer se retirait, apparaissaient plusieurs petites plages protégées des vents qui soufflaient presque toute l'année. Ces plages étaient les lieux   d'ébats des enfants et même de grandes personnes, surtout de la population juive. (Je reviendrais sur cette distraction par la suite

Au niveau du premier étage de cette bâtisse, la muraille continuait jusqu'à la porte principale Bab Doukala formant encore une allée bordée du côté intérieur des garde-fous, et de l'autre côté de créneaux avec un chemin de ronde, garni de canons semblables aux autres situés sur la Scala. On descendait de cette nouvelleScala par une pente douce terminée par les bâtiments d'une petite garnison. L'entrée de la ville au-dessous de cette Scala formait une voûte ayant à gauche et à droite plusieurs pièces qui servaient de 

Siège du Caïd de cette porte avec le pouvoir de 

La fermer et de l'ouvrir à certaines heures selon ses instructions

La défendre en cas de guerre ou d'invasion par les tribus environnant la ville

Trancher les litiges commerciaux

Condamner les voleurs à la prison provisoire en cas de délits légers, voire leur appliquer la bastonnade

De prison provisoire

De bureaux des employés aux recettes de droits d'entrée etc

De logements pour la sentinelle et les veilleurs de nuit et les gardes de jour

Tout ceci dépendait du Grand Caïd, c'est à dire du Pacha gouverneur de la ville, qui était le maître absolu de la ville après le Sultan et Dieu. Depuis cette tour, la muraille continuait en direction de la Porte de Marrakech et de là jusqu'à la Porte de Bab Sbâa. Elle était flanquée de cinquante mètres en cinquante mètres de petites tours surmontées de petites tourelles. Ces deux portes quoique situées sur le front sud, n'étaient pas aussi bien fortifiées que les précédentes

Il est vrai que la ville était défendue par trois ou quatre contreforts, dont l'un sur le bord de la mer, défendait la ville du côté de la grande baie que formait la plage. L'autre, enfoui dans le sable, dont la construction semblait être plus récente, mais beaucoup plus luxueuse, était plutôt un palais qu'un contrefort

Au premier l'on donnait le nom de Bordj el Bermil, ce qui veut dire : le tonneau, car il avait la forme cylindrique de plusieurs tonneaux. De notre temps, il n'en restait que des moitiés de bloc arrondies par l'érosion. Le second, on l'appelait Dar Elsoultan (la maison du roi) ou Essaouira Elkdima, l'ancienne Mogador

Le troisième à droite de l'entrée de la ville, s'appelait Bordj el Baroud ; comme son nom l'indique, c'était le château de la poudre à canon ou à feu de guerre

Le terrain vague qui se trouvait entre ces trois forts et la route de Safi qui mène à la Porte Doukala, était impraticable. En effet, d'un côté, il y avait de l'eau de mer stagnante que l'on appelait Talbhert ce qui veut dire à peu près: "petite mer", et de l'autre côté, il y avait des fossés pour accueillir les égouts de la ville

Il était extrêmement dangereux de s'y aventurer car on ne savait où mettre le pied sans risquer d'être englouti. D'autre part, la croyance populaire, prêtait à l'air de cet endroit un pouvoir maléfique, et, qui s'y aventurait, risquait d'être frappé par les esprits. Il est possible que les émanations nauséabondes qui s'en dégageaient, agissent sur les personnes faibles de constitution et d'esprit. D'autant plus que le cimetière juif, lui-même voisinant avec les abattoirs, n'était pas loin. Ainsi toutes sortes de légendes fabriquées de toutes pièces par des conteurs publics couraient… Aussi estimait-on, que, de ce côté-là, aucun ennemi n'oserait attaquer la ville

A l'extérieur, entre la petite Scala et l'entrée de la ville Bob Doukala et sous l'allée portant les canons, il y avait une colonnade supportant le toit et formant une galerie couverte, ouverte au public. Elle servait d'une part, d'abri aux voyageurs qui se présentaient à la ville après la fermeture des portes, et, d'autre part, de dépôt pour les marchandises qui craignaient la pluie

La vie Juive a Mogador

Mogador plan

Au-delà de ces contreforts, s'étendaient d'immenses dunes mouvantes et changeantes. Cela dépendait de la direction des vents. Quand le vent venait de l'ouest, le sable volait et se déposait d'ouest en est, et quand il venait de l'est, le sable bougeait d'est en ouest. Alors, pour tout observateur attentif, les formes et les couleurs des dunes déplacées suivant la direction du vent et la position du soleil couchant variaient, imprimant de mystérieux mouvements et des dessins fascinants d'une continuelle étrangeté. Surtout si par hasard le regard accrochait les ombres se dessinant sur le creux des dunes ; alors la forme de leurs propriétaires commençait à apparaître : les fameux hommes bleus, ces hommes du désert, juchés sur leurs dromadaires avançant à grands pas, très lents, silencieux

On comprend qu'il est difficile de surprendre les veilleurs de la ville par ce côté-là. C'est pourquoi il n'y avait là qu'une petite garnison. On craignait plutôt des surprises venant de la mer

 Côté mer

Côté mer encore, le dernier rocher faisant face au port sur la droite, constituait un abri naturel contre les grosses vagues qui déferlaient sur le port en temps de tempête. De plus, il était farci de fortifications et même de canons. On accédait à ce rocher à marée basse, à pied. Ce rocher s'appelait Djira Sghira, la petite île, pour la distinguer de l'autre île qui se nommait l'île de Mogador. Du côté Nord-Ouest, la chaîne de grands rochers dont nous avons parlé plus haut avait pour noms, au centre Gerf Dgeorge, le rocher de Georges, au milieu : Gerf el Metkoub, le rocher troué. Chacun de ces rochers avait sa propre histoire

A tout seigneur tout honneur, commençons par le plus grand qui est l'île de Mogador

D'aucuns disent, se basant sur les dernières recherches scientifiques qui y ont été faites, que les constructions que l'île comportait dataient d'avant la fondation de la ville de Mogador. Elle servait de port aux pirates marocains. D'autres, prétendent qu'elle servait de prison pour les prisonniers politiques du Sultan. La disposition des lieux le laisse entendre. A part la prison elle- même, qui était assez spacieuse avec des logements pour les geôliers, plusieurs forts munis de canons, une grande mosquée avec son minaret, un terrain clos pour les promenades des prisonniers et enfin plusieurs bâtisses servant d'abris pour les pêcheurs

Un petit port de débarquement pour les embarcations qui y accostaient. On ne sait pour quelle raison elle a été abandonnée. Vraisemblablement pour une question économique : le maintien d'une garnison avec des fonctionnaires, pour surveiller quelques malheureux prisonniers dans des conditions très difficiles, constituait un supplément de dépenses lourdes à supporter par la ville ou par le Sultan lui-même

Par mauvais temps, il était presque impossible d'y accoster. Pour y débarquer le ravitaillement, pour l'échange du courrier, il fallait attendre que la mer soit calme, ce qui prenait parfois plusieurs jours. La ville ne disposait pas à l'époque de moyens de navigation adéquats. Comme à la fin il n'y eut plus qu'un seul ou deux prisonniers, il n'était plus nécessaire de la maintenir habitée. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, elle devint site touristique historique et lieu de pêche

De ce fait, les petits bateliers qui vivaient d'une pêche plutôt maigre, y ont trouvé leur compte. Ils faisaient la navette entre l'île et le port, chargés de touristes de passage à Mogador ou même d'habitants de la ville, presque uniquement juifs

C'était même une des seules distractions que les Juifs pouvaient se permettre. Les marins, pour qui ces voyages constituaient une bonne recette, particulièrement les jours de fêtes et les samedis traitaient leurs passagers juifs comme des princes. Le prix du voyage était relativement minime, parce qu'il y avait de la concurrence. Pendant la semaine, le prix était plus cher, car le voyage se faisait sur commande spéciale. On y restait toute la journée, on y mangeait, on s'y promenait. Le batelier était obligé d'aller et de revenir à l'heure fixée par le voyageur

Voici pour ce qu'il en est de l'île. Je ne connais pas l'histoire de la petite île Gerf Hmam (île aux pigeons.) Ce que je sais c'est qu'on pouvait y aller plus souvent qu'à la grande île. Elle possédait une jolie plage minuscule mais bien abritée de tous les côtés, du vent et des regards indiscrets. Gerf Hmam a été le théâtre d'un événement dramatique. C'était avant la première guerre mondiale. C'était les débuts de l'aviation. Deux aviateurs français étaient venus et avaient survolé Mogador, je ne sais pas si c'était pour expérimenter les avions ou s'ils tentaient d'atterrir à Mogador sur ordre de la France. Apercevant le plateau que constituait le haut du rocher très étendu, ils tentèrent d'atterrir et firent une chute vertigineuse et se fracassèrent entre les rochers. A cet endroit où la mer est particulièrement furieuse, on n'a retrouvé ni les hommes, ni l'avion. Ce n'était par la première fois que ce rocher causait des malheurs

La vie juive a Mogador-Asher Knafo

brit-la-vie-juive-a-mogador

Par temps calme, il paraissait tellement tranquille, que tout nageur était tenté d'y grimper et de s'y promener. Les pêcheurs s'y connaissaient, mais de simples amateurs ont été souvent pris de cours quand la marée montait, et beaucoup n'en sont pas revenus. Le rocher était troué en plusieurs endroits, cela ressemblait à des puits ou à de grandes citernes, en forme de jarres. Nous nous amusions à faire entendre l'écho de nos voix en nous appelant mutuellement. Presque toutes les crevasses communiquaient entre elles. Parfois, nous criions dans l'un et d'autres percevaient nos cris dans l'autre. Au pied de ce rocher, il y avait une espèce d'entonnoir où l'eau tournoyait constamment. Si par malheur on se laissait entraîner par le courant vers cet entonnoir, on était instantanément happé et englouti

Le rocher Djira était l'endroit idéal pour les pêcheurs à la ligne. Seulement pour y monter l'on était obligé de traverser un canal à la nage, ce qui constituait une prouesse même pour les bons nageurs, car le courant qui passait entre les rochers était très violent et les vagues, assez hautes, s'engouffraient avec force dans les cavernes se trouvant au-dessous de ces rochers. Il fallait attendre le moment où le niveau de la mer montait au- dessus de ces cavernes et attraper rapidement le rocher avant que le niveau ne baisse. Autrement, on courait le risque de disparaître dans une de ces cavernes sous-marines

Pour les nageurs, c'était un jeu d'enfant d'aller d'un côté du bord de mer à l'autre à la nage sans passer par le canal. Comme ils y restaient des heures et même des nuits entières, ils mettaient leurs habits et tout leur attirail le plus commodément possible sur la tête avant de traverser à la nage. L'hiver, ils y allumaient un feu pour se chauffer et faisaient cuire le poisson qu'ils attrapaient. En revenant, ils attachaient à leur dos un grand panier, ou plutôt une corbeille faite spécialement cet effet, et ils revenaient à la nage. L'Oustania – du centre, était moins déchiquetée et les vagues ne passaient jamais par-dessus. Cette île dont les rochers étaient plus arrondis présentait aussi des écueils mais l'on disait que jamais les vagues aussi hautes fussent- elles ne la recouvraient complètement. Il y avait de la verdure, (pour ainsi dire une île d'herbes), chose rare pour des rochers se trouvant en pleine mer. Là aussi, la pêche était bonne. Seulement, comme il était un peu plus éloigné que les autres rochers, il fallait avoir le cœur bien accroché pour y arriver. Et pourtant, les pêcheurs y allaient même lorsque la mer était tumultueuse, voire démontée

La pêche

C'était très amusant de suivre les mouvements d'un pêcheur qui lançait sa ligne par-dessus la muraille ou même à travers les fenêtres des maisons ou de les voir nager avec leurs effets sur la tête, s'accrocher aux rochers, grimper et s'installer au sommet ou dans un coin bien abrité des vagues et des vents Les voir surtout batailler avec leur ligne contre les gros poissons, dangereux dans l'eau, et plus encore hors de l'eau

On a vu des pêcheurs qui se sont fait arracher un ou plusieurs doigts par ces gros poissons

Quand les pêcheurs avaient attrapé trois ou quatre poissons, ils estimaient qu'il y en avait assez et ils reprenaient à la nage leur route vers le rivage, à gué quand la marée était basse

Les amateurs de poissons frais, dégringolaient de leur perchoir et couraient vers la mer. Ils attendaient seulement quelques minutes pour acheter un ou deux poissons de cette partie de pêche

En plein hiver, quand la mer était démontée, si le pêcheur réussissait à prendre un seul poison, il s'estimait heureux. Car le poisson en cette saison était difficile à attraper

Alors un vrai débat se déroulait entre l'acheteur et le pêcheur, surtout s'il n'y avait qu'un seul poisson. Ce genre d'échange pouvait varier suivant les deux protagonistes en présence. Car le pêcheur pouvait être Juif ou Musulman, alors que l'acheteur lui, était presque toujours juif. Le pêcheur musulman, considérait le prix de son travail, réalisé dans un moment bien difficile, sans évaluer le temps passé à la prise de ce poisson. Ses attentes n'étaient d'ailleurs pas extraordinaires. Aussi se contentait-il d'un modique salaire

Si le pêcheur était Juif, il savait tirer le meilleur parti de sa pêche, connaissant bien la nécessité où se trouvait l'acheteur qui voulait acquérir son poisson

Souvent, le pêcheur juif allait à la pêche avec l'idée arrêtée de vendre son poisson à un Juif déterminé duquel il pourrait tirer un bon prix. Aussi, adaptait-il sa vente. Si c'était vendredi, il savait que tout bon Juif se faisait un point d'honneur d'avoir du poisson pour samedi. Il pouvait repérer lequel de ses coreligionnaires serait le plus généreux et lui donnerait le maximum. Il savait distinguer ceux qui, un jour courant de la semaine devaient fêter le huitième jour de leur mariage. Ce jour-là, la coutume voulait que les mariés fassent un repas de poisson, en présence de toute la famille. C'était Tqsir el hout, l'écaillage du poisson. Durant cette cérémonie, les nouveaux mariés devaient écailler un gros poisson

Avant de remettre son poisson, le pêcheur arrangeait un peu le poisson, le lavait bien, le posait sur un plateau couvert d'herbes marines et souvent, l'accompagnait d'un bouquet de fleurs

Il faut savoir que le pêcheur juif était doublé d'un jardinier. Ordinairement, il exerçait même trois ou quatre métiers 

Jardinier (ouvrier), pêcheur, fabricant de beignets le matin et vendeur de poissons frits le soir, occasionnellement fabricant de gâteaux à l'huile et au miel et aussi, marchand de graines grillés (pépins, amandes, pois chiches, fèves, etc.) Si ces métiers n'étaient pas des plus honorables chez nous, ils n'en étaient pas moins de ceux qui exigeaient du courage et de l'endurance et parfois une force herculéenne. Je reparlerai de la pêche plus loin

Et enfin le Gerf El Metkoub (le rocher troué) et le Gerf Dgeorge

Et enfin le Gerf El Metkoub (le rocher troué) et le Gerf Dgeorge.Mogador plan

Le Gerf El Metkoub n'avait pas d'histoire, son nom seul parle de lui-même. Car il se dressait au milieu des flots comme un arc de triomphe, sans le soldat inconnu.

Quant au deuxième, lui, avait une histoire s'il n'avait pas de trou. Une histoire sentimentale et assez triste.

On raconte que c'était un jeune homme de la haute société européenne, (Anglais ou Français) beau, fort et sportif, aimant la natation et la chasse. Il faisait des paris avec qui voulait, qu'il atteindrait à la nage tel ou tel rocher. Ce pari, il l'avait gagné plusieurs fois déjà avant son dernier exploit. Il nageait depuis le port en se dirigeant vers l'ouest, le nord ou le sud. Ceci même quand la mer était des plus furieuses. Il faisait des démonstrations sous les yeux des habitants du quartier en passant par les tunnels, nageant au-dessous des maisons juives (le dernier quartier vers la porte de la ville était habité en dernier lieu par la population juive) et revenait triomphant à son point de départ.

Une grosse tempête avait laissé un grand trou béant au-dessous d'une de ces maisons. Les habitants du quartier s'étaient assemblés pour constater les dégâts après la tempête. Il s'est approché du rivage ou plutôt de la muraille et émergea de l'eau se mêlant à cette foule de spectateurs qui l'avaient remarqué.

Parmi la foule il y avait une jeune fille dont la beauté extraordinaire attira son attention. Elle aussi fut frappée par sa beauté et par son courage, mais la persistance avec laquelle il la fixait la mit mal à l'aise. Elle remonta vite chez elle, mais hantée par son regard, elle se mit à sa fenêtre qui se trouvait presque au-dessus de la trouée.

Lui aussi cherchait des yeux où cette belle jeune fille avait bien pu se cacher. Son apparition à la fenêtre le remplit de joie intérieure. Après que la foule eut satisfait sa curiosité, la place se vida il ne restait plus personne en dehors d'eux deux. Il essaya alors de lui parler mais elle ne comprenait pas son langage, n'ayant jamais été à l'école. Du bout des doigts posés sur sa bouche, elle lui envoya un baiser furtif et disparut pour de bon, estimant s'être trop avancée et craignant d'avoir commis un crime. Lui, renouvela plusieurs fois son fameux exploit, et chaque fois il attendait son apparition à la fenêtre et le petit geste devenu rituel : le bout des doigts posés sur ses lèvres.

Mais les marées ne sont jamais semblables. Une semaine elles interviennent le matin, la semaine suivante, l'après-midi ou deux fois le jour et deux fois la nuit. Le niveau de la mer change aussi et les vagues se jettent sur les rochers avec plus ou moins de force.

Un jour donc, entreprenant son petit voyage du port à la mer de Bab Doukala emporté par l'élan de son cœur pour voir sa chère apparition, il ne s'aperçut pas que les vagues étaient pour quelque chose dans le bon train avec lequel il nageait vers elle. Quelle ne fut pas sa déception, en s'approchant de plus près, de se voir refoulé par ces mêmes vagues qui le transportaient. Elles se brisaient contre la haute muraille et revenaient en cascade déversant des torrents d'eau vers la haute mer. Il sentit alors que ses forces allaient le lâcher. Il rebroussa chemin et fut entraîné par ces mêmes vagues du côté droit (nord est) dans la direction du Gerf Dgeorge qui n'avait pas encore ce nom.

A sa connaissance, c'était le coin le plus tranquille par jour de tempête. Il se laissa porter dans cette direction.

Lorsqu'il mit pied sur le récif pour aller vers une hutte destinée aux pêcheurs et aux nageurs attardés en pleine mer, il mit les pieds sur une grosse pieuvre qui enroula ses tentacules autour de ses jambes et l'entraîna vers le fonds de la mer. Malgré de nombreuses recherches effectuées par les siens, on ne le revit plus. L'histoire s'arrête là et ne nous dit pas comment la jeune fille vécut cet accident. Ce jeune homme qui se dénommait Georges laissa son nom au rocher.

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Description de l'intérieur de la ville.ברית..גיליון מיוחד

Passons à la description de la disposition des constructions à l'intérieur de la ville.

A ses débuts, la ville n'était pas tellement spacieuse. Elle avait été conçue par un ingénieur français, Cornut, suivant un plan dit "à la Vauban" : ses dimensions ne dépassaient pas celles d'un grand château-fort.

Tout à côté du port, il y avait le quartier administratif et semi-résidentiel. Composé d'une grande bâtisse qui servait aux douanes, avec un logement pour les chefs de service au premier étage, et les bureaux au rez-de- chaussée. Tout près de la bâtisse se trouvaient quelques maisons de hauts fonctionnaires dont une, connue sous le nom de Dar Essoultan, la maison du roi. D'un autre côté était la maison du Cadi avec ses services dont quelques boutiques à l'usage des Adonis.

Dans le prolongement de la Grande muraille vers l'intérieur du quartier, se situait la grande mosquée. Elle était vraiment d'une dimension importante et avec son minaret elle était le plus haut bâtiment de la ville. C'est face à la Mosquée, au moment de la grande prière du vendredi, que se faisaient les ablutions des fidèles. Depuis la rue, on voyait les hommes assis autour d'un bassin où coulait l'eau dont ils se servaient pour se laver la figure, les bras et les pieds.

Tous les hommes qui voulaient passer pour des gens civilement et religieusement bien éduqués procédaient de la même façon. Pourtant, les hauts fonctionnaires, les magistrats et les gens vraiment bien élevés ne se lavaient pas en public. Cet endroit s'appelle Dar Lodo. L'officiant qui était le Caïd, y allait assez cérémonieusement. Mais la vraie cérémonie, c'était la procession du Pacha (ou du gouverneur) de chez lui à la grande place de Dar Elassor ainsi nommée à cause de la bâtisse où était installée la douane, nommée par la suite : la Caserne du Chayla.

 En effet, la bâtisse désaffectée depuis longtemps (les services de la douane ayant été transféré dans un autre endroit) avait servi de caserne aux forces du débarquement français qui avaient occupé Mogador en 1913. Le bateau qui les a débarqués s'appelait Chayla.

Le grand portail de cette caserne est un chef-d'œuvre de l'art marocain et les français en ont fait un site historique et touristique. Il avait inspiré tous les artisans, menuisiers, bijoutiers, dessinateurs, photographes, peintres et comme de bien entendu, les maîtres maçons. Tous ont essayé de reproduire cette œuvre.

Nous disions donc que le Pacha se rendait officiellement à ce Djamaa le vendredi, quelques Mokhaznis ou gardes du corps, s'avançaient au-devant de lui, déblayant le chemin, écartant la foule, les mouches, les chiens et tout ce qui pouvait entraver sa route ou salir ses habits éclatants de blancheur, ajoutant une certaine dignité à la majesté avec laquelle il avançait pas à pas, imitant en cela le cortège du Sultan.

Après lui venaient certains dignitaires de la ville, ses amis, le chef des Mokhaznis (son Khalifat honore un autre Djamaa mais avec moins de cérémonial) et tous les autres Mokhaznis. Après la prière, les Mokhaznis sortent les premiers et s'alignent en face de la mosquée, au garde à vous. Leur chef, qui fait fonction en cette occasion du chef du protocole, leur dit : "Galkoum, el Bacha Allah yaouenkoum".

Eux se plient en avant, faisant une profonde révérence et lui répondent : "Ambarkfi amar Sidi !"

Ce qui revient à dire ceci : "Le Pacha vous dit que Dieu vous aide, que Dieu bénisse votre vie". Leur réponse : "Nous voici à la disposition de notre seigneur pour œuvrer pour sa gloire et son bonheur pendant toute notre vie". Après, le cortège prend le chemin du retour à la maison. Cette cérémonie n'est dépassée en ampleur et en mise en scène que par celle présidée par le Cadi le jour de la Dhiia, la fête du mouton. Les dignitaires de plusieurs confréries s'alignent en un cortège composé de personnes de qualité.

Les plus vénérables, habillés de leurs plus riches habits, vont en tête, tenant des porte-drapeaux avec des emblèmes aux couleurs chatoyantes, surmontés par une boule dorée. Ils chantent d'une voie mélodieuse, leur profession de foi, en une phrase rituelle, répétée en canon. Un groupe commence à réciter la première partie de cette phrase et l'autre groupe la termine en chantant la fin de la phrase. Ils vont ainsi en chantant jusqu'à ce qu'ils arrivent devant l'immeuble du Cadi. Celui-ci sort alors de sa maison avec sa suite personnelle et se joint au cortège, reprenant le même refrain. Ensemble, ils se dirigeaient vers une autre grande mosquée où avait lieu la prière en commun sur une grande place découverte.

A la fin de la prière, le Cadi prenait la parole et haranguait la foule longuement. Après quoi l'on procédait à l'abattage ou plutôt à l'immolation du mouton. Cet acte était considéré comme symbolisant le sacrifice d'Ismaël par le patriarche Abraham, à la place d'Isaac. La coutume consistait à traîner ce mouton pendant tout le trajet de la Medersa – nom donné à la mosquée où ce sacrifice se passait – jusqu'à la maison du Cadi. Et si le mouton restait encore vivant devant cette porte, c'était bon signe pour toute l'année, une année de prospérité et de bonheur. Mais si par malheur le mouton mourait en route, c'était alors un signe de mauvais augure. La fête se poursuivait plus ou moins joyeuse, selon que le mouton avait résisté ou non jusqu'à la maison du Cadi.

Le quartier qui vient ensuite, est le quartier dit "commercial". En réalité, dans toutes les rues que comportait la cité, il n'y en avait pas une qui ait été conçue à cet effet. Tout au plus la rue centrale comprenait une vingtaine de boutiques ou de magasins en deux rangées face à face, distants les uns des autres de la largeur de la rue, c'est-à-dire six à sept mètres. La longueur de la rue est à peu près d'une centaine de mètres. Dans ces magasins se vendait un peu de tout, épicerie, principalement sucre et thé, sucreries et boissons II y avait aussi deux ou trois coiffeurs. Mais le négoce, le vrai commerce se faisait plus prosaïquement, dans les maisons même des négociants.

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La maison

Voici ce qu'il en était. Lorsque le Sultan voulut faire peupler la ville, il fit appel à quelques-unes des meilleures familles juives. Il les avait installées principalement dans ce quartier. Il leur avait donné gratuitement le terrain et les avait financés pour que chacun construise sa maison à sa mesure et selon son goût. C'est pour cela qu'on trouve à Mogador des maisons différentes quoique de plans à l'origine presque identiques. C'est-à-dire un rez-de- chaussée à usage commercial, au-dessus deux étages pour l'habitation plus une terrasse avec une buanderie et une pièce servant de Soucca, de forme carrée ou rectangulaire.

Les chambres étaient très spacieuses et avaient de hauts plafonds. Elles communiquaient généralement entre elles et couraient tout autour d'une galerie, elle-même, protégée par une balustrade à ciel ouvert au centre de la maison. Ce qui veut dire que les habitants d'en haut avaient vue sur les étages inférieurs et sur le rez-de-chaussée.

Comme de bien entendu, les maisons avaient vue sur la rue centrale. Elles étaient plus claires et plus aérées que celles qui étaient à l'intérieur des rues latérales. Mais en ces temps-là on n'attachait pas beaucoup d'importance à la vie au grand air. On considérait que plus l'intérieur était fermé plus il y avait intimité et discrétion. La vie de la femme se passait davantage à l'intérieur qu'à l'extérieur.

Selon la religion juive, la femme ne doit pas être exposée à la vue des étrangers, surtout si elle est mariée. Comme il est dit dans le psaume 45-15": "Kol Kevodah Bat Melekh Pnima" "Tout l'honneur d'une princesse est à l'intérieur" et c'est pour cela que les maisons étaient agencées de cette manière-là. Cela permettait à la Dame de passer d'une chambre à l'autre, sans passer par le couloir, de peur d'être vue par des yeux étrangers. Ceci dit, ce principe n'était pas appliqué rigoureusement. La femme était assez libre d'aller et venir à sa guise, mais quand c'était nécessaire, et non à tout bout de champ.

Les femmes donnaient des fêtes entre elles, sans compter les fêtes

familiales, mariages, circoncisions, Bar Mitsva, qui se faisaient en grande

pompe, où, hommes et femmes étaient reçus ensemble.

Les maisons avec leurs salons immenses étaient conçues à cette fin. Car les

réceptions dans les établissements publics n'étaient pas connues à cette

époque.

Aux yeux des personnes religieuses la seule anomalie de ces réceptions tenait au fait de faire asseoir-tout le monde à la même table, sans séparer les hommes des femmes comme le veut la coutume.

Chez les Arabes, aucun homme étranger n'avait le droit de pénétrer dans la maison si le mari ou le chef de famille ne l'y introduisait lui-même. Toutes les femmes se tenaient cachées dans leurs chambres.

Pour revenir à notre sujet, le commerce se faisait au rez-de-chaussée et le négociant habitait les étages supérieurs. Ainsi, il mettait toute l'affaire entre les mains de son comptable, et lui, supervisait de loin sans avoir besoin d'être constamment à son bureau.

Les négociants menaient une vie princière. Ils avaient le monopole du commerce entre leurs mains et n'avaient pas d'autres concurrents. Ils étaient liés entre eux par des liens de famille.

Les Musulmans, qui habitaient à cette époque la ville étaient des soldats au service du Sultan, placés là pour remplir diverses fonctions. Ils étaient prêts à défendre la ville contre une invasion éventuelle. Ce n'est que bien après la fondation de la ville que la population arabe s'y est installée en grand nombre.

Brit-La vie Juive a Mogador-Tojar el Soultan

brit-la-vie-juive-a-mogadorTojar el Soultan

Voici d'ailleurs comment la ville s'est peuplée :

D'abord les douze familles subventionnées par le Sultan qu'on appelait Tojar el Soultan, négociants du Sultan, lesquels ont fait venir leurs protégés, leurs hommes d'affaires. Ensuite vinrent d'autres commerçants des autres régions du Maroc. Après eux s'installèrent en ville des consulats, des agents, des banquiers et des médecins ainsi que quelques familles de Juifs européens, venant de Londres, de Gibraltar, etc. Ainsi la Casba, le quartier dont nous parlons, se peupla en entier. Puis d'autres familles juives arrivèrent et s'installèrent en dehors de la Casba occupant la partie nord de la ville. Parmi les nouveaux venus, il y avait des familles non moins riches que les premières.

Revenons à la disposition de la ville et de ses bâtiments Notamment, l'immeuble où l'Alliance Israélite de France avait installé une école qui était probablement le plus grand bâtiment de la ville. Elle faisait le coin de l'avenue du Méchouar et de l'avenue de Bab Sbâa, où se trouvait son entrée principale. Le rez-de-chaussée sur la façade donnant sur la rue qui précède était constitué de trois grands édifices :

  1. L'église protestante.
  1. Les bureaux et magasins appartenant à la maison "Afriat" (devenue par la suite "Cabessa et Afriat") qui était le propriétaire de l'immeuble ou du moins qui possédait un contrat de copropriété avec l'Etat depuis plus de cent ans.
  1. La banque d'Etat du Maroc composée de plusieurs bureaux et d'une immense salle pour la réception du public.

En face, la banque d'Etat possédait des entrepôts avec de grands magasins (pour les marchandises déposées en garantie ou hypothéquées) et divers autres établissements. Une autre porte donnait accès à un grand appartement ayant ses fenêtres et ses balcons sur l'Avenue du Méchouar dont la famille Bensoussan était propriétaire.

   Voici pour ce qui est du rez-de-chaussée. Quant au premier étage, il était composé de deux ailes principales. L'aile droite contenait une immense cour carrée. On y entrait par un large et grand couloir menant, à droite, à cinq grands salons dont deux étaient de véritables salles pouvant contenir deux cents places assises, alignées comme dans une salle de spectacle, avec un espace vide à l'arrière et un espace vide à l'avant pour l'estrade, la chaise et le tableau noir. Les trois autres salons étaient moins grands mais aussi plus larges, sinon plus larges.

Au fond, une rangée de salles de bains avec W-C.

A gauche, une autre rangée de salles de dimensions respectables et enfin encore plus à gauche de l'entrée du couloir trois grandes salles pouvant contenir facilement des classes de soixante-dix à quatre-vingt élèves comme cela était admis dans le temps.

Toutes ces salles avaient de grandes fenêtres donnant sur les diverses façades de la maison et recevaient de la lumière et de l'air des deux côtés par la porte et par les fenêtres sauf les trois dernières qui ne recevaient de l'air que par l'entrée. De ce fait, elles étaient plus sombres et moins aérées. Mais comme la cour était très large et qu'il n'y avait pas d'étage supérieur, l'air et le soleil n'y manquaient pas une majeure partie de la journée.

Quant à l'aile gauche, elle était conçue d'une autre façon. Elle était partagée en plusieurs appartements occupés par trois ou quatre familles nombreuses qui y trouvaient davantage leurs aises que dans les maisons individuelles.

J'ai parlé du Méchouar plus haut. Voici ce qu'on appelait ainsi :

 Le Sultan jugeant que les nouveaux arrivants installés là étaient en nombre suffisant, avait cloisonné leur installation par une aussi forte muraille que l'ancienne, avec les mêmes fortifications et les mêmes soins. Cependant il y eut un petit changement entre les premières murailles et les nouvelles constructions dont nous avons parlé. Une place resta vide tout le long de ce nouveau quartier large de trente à quarante mètres. Ce qui formait une bonne avenue… Du jamais vu dans les autres villes du Maroc !

 Aux deux bouts de cette avenue se dressaient deux monuments supportés par trois grandes arcades, formant un triple arc de triomphe. L'arc du milieu était plus large que les deux autres. Sur l'un des arcs adjacents était construite une petite loge pour des gardiens de nuit et l'on voyait là des emplacements pour un certain nombre de canons. Tandis que sur le second étaient construites trois Koubba, sorte de toits en forme de pyramides recouvertes de tuiles multicolores. A l'intérieur se trouvaient trois grandes pièces avec des fenêtres donnant des deux côtés. D'un côté, on avait vue sur la plage, la mer et le port ; de l'autre, sur l'avenue. C'est cette avenue qu'on appelait le Méchouar, tandis que les autres arcades s'appelaient Dar Essoultan. C'est au pied de ce monument le Méchouar, que le sultan avait attaché un jeune lion qui était la curiosité de l'époque. C'est pour cela qu'on l'appelait Bab Sbâa (porte du lion) bien qu'à mon avis, il s'agit là d'une légende enfantine. Je crois plutôt que c'était la "Septième Porte", installée en dernier lieu Sbâa signifiant aussi bien lion que le chiffre sept.

Fêtes mogadoriennes- La vie juive a Mogador

brit-la-vie-juive-a-mogadorFêtes mogadoriennes

C'est dans ce Méchouar que les fêtes se passaient. Je parle des fêtes arabes populaires. Ainsi, la fête de l'Achoura prenait l'air d'une espèce de foire. Appuyés à la muraille de la Casba, s'alignait une rangée de manèges : les grandes roues qui tournaient comme une noria, les seaux d'eau remplacés par de petites cabines à une ou deux personnes. Les roues supportaient deux cabines par rayon, soit au total huit cabines. Elles étaient actionnées par des hommes qui faisaient tourner les roues en psalmodiant : "Naoura el meziana elli ka tedor" -La seule belle roue est celle qui tourne.

Bien entendu, les propriétaires de ces roues appartenaient à la corporation des grands menuisiers ou maîtres menuisiers. Il fallait être assez ingénieux pour construire un appareil solide, pratique et artistique. Ces cabines changeaient de forme et de couleur, suivant le goût de leurs créateurs. Il fallait avoir de bons ouvriers et du bon matériel, et à ma connaissance il n'y eut jamais d'accident. Ces roues étaient l'attraction principale de la fête.

Après les manèges il y avait une deuxième rangée, composée de grandes tables supportant d'innombrables gâteaux de toutes sortes et des boissons rafraîchissantes qui en réalité se réduisaient en une seule et unique boisson : la Charavat : de l'eau sucrée teintée de rouge aromatisée à la cannelle. Ce qui faisait la curiosité de cette boisson, ce n'est pas sa composition qui était des plus simples, même pas fraîche, (les glaçons n'étaient pas encore connus), mais plutôt les bouteilles et les fioles contenant cette boisson. Chaque marchand en possédait une collection de toutes les grandeurs et de toutes les formes. Il n'y avait pas de verres pour la boire. Chaque fiole avait son prix et il fallait payer d'avance et vider la bouteille sur place. A peine bue, elle était remplie de nouveau et reposée sur la table à la place qu'elle occupait, sans avoir été ni lavée ni essuyée. Le service d'hygiène n'existait pas. Et souvent on voyait des enfants qui s'associaient à deux ou trois pour acheter une seule fiole qui passait de bouche en bouche. Une autre distraction qui paraissait la plus extraordinaire était Sendok el Ajeb, la caisse au mystère. C'était une boîte cubique en bois de soixante centimètres. Sur la face présentée au public, il y avait un simple trou (un viseur) par lequel l'on regardait à l'intérieur de la boîte. Le dessus de la boîte contenait plusieurs autres trous desquels dépassaient des fils multicolores. Le propriétaire déclamait le boniment suivant :

"Ksendria, mriia ou thrabha zaâfran" Alexandrie miroir et sa terre de safran. Il ajoutait d'autres boniments concernant le Prophète Mahomet et l'histoire sainte de Jérusalem. C'était pour ainsi dire la télévision de l'époque.

De l'autre côté face à la muraille, se plaçaient d'autres attractions formées en Halkat : c'est-à-dire des groupes artistiques ambulants avec chacun sa spécialité. D'abord, il y avait les acrobates qui choisissaient les plus grands emplacements et se plaçaient au centre d'un grand cercle formé par les spectateurs. Comme il ne pouvait pas être question de vendre des billets d'entrée, ils exécutaient quelques petits numéros et une fois que le nombre de spectateurs était jugé suffisant, ils s'arrêtaient et commençaient à dire : "Maintenant, chers spectateurs, si vous voulez qu'on vous montre le grand jeu, vous devez payer, chacun selon son cœur".

Ils ramassaient les premières offrandes et disaient que ce n'était pas assez, qu'il en fallait encore, et les retardataires finissaient par mettre la main à la poche pour voir la suite des jeux. Ils terminaient leur spectacle par la pyramide humaine habituelle. Ensuite, venaient par ordre d'importance, les dresseurs de singes et les charmeurs de serpents, puis c'était le tour des chanteurs, des joueurs de flûtes, des danseuses, des conteurs d'histoires. Il y avait même les lecteurs de la loi, du Coran et de ses commentaires. Il y avait aussi des sorciers, des guérisseurs, (souvent le sorcier était aussi guérisseur), des cracheurs de flammes, des avaleurs de sabres et d'eau bouillante. Il y avait également des imitateurs et des comédiens. Et aussi des suborneurs : ils annonçaient qu'ils allaient faire telle chose ou telle autre, et à la fin, après  avoir encaissé une somme assez rondelette ils se retiraient sans avoir rien fait, sous un prétexte quelconque.

Souvent, il s'agissait de couper la tête de l'un des spectateurs et de la lui remettre en place. Comme il n'y avait personne qui voulut s'offrir cette fantaisie, le combat cessait "faute de combattants". A propos de combattants, il y avait des jeux d'escrime, mais avec de simples bâtons. Dans le groupe de sorciers, on distinguait plusieurs catégories : Ceux qui prétendaient prédire l'avenir, employant certains éléments comme des os d'animaux, ceux qui lisaient dans les lignes de la main, ceux qui lisaient dans le sable, ceux qui fabriquaient des amulettes, ceux qui lisaient dans les yeux de la personne.

Les prestidigitateurs, qu'on appelle Khalka Tira, que l'on peut traduire par "création qui s'escamote". J'en ai connu un, qui s'était fait une solide réputation. Il pouvait faire descendre sur terre le croissant de lune en plein jour. Parmi les numéros qu'il a exécutés devant moi, il y en avait un surtout qui épatait la galerie. Il prenait un grand plateau en cuivre sur lequel il n'y avait rien et qu'il couvrait d'une large serviette puis brusquement il découvrait le plateau qui se retrouvait plein d'oranges, de pommes, de limons qu'il donnait à manger aux spectateurs pour faire constater leur réalité. En fait, cela ne pouvait pas en être autrement, car moi, de mes propres yeux, j'ai aperçu ces fruits dégringoler de sa manche dans le plateau, après un petit mouvement impulsé à son épaule.

Ce qui était remarquable dans ces occasions, c'était le vendeur d'eau fraîche. Le vendeur d'eau avait un habit spécial, par-dessus ses habits quelque peu en haillons, il mettait un tablier en cuir. Une courroie également en cuir ou plutôt deux pendaient à son cou. Une, sur le côté droit, à laquelle étaient accrochée une quantité de tasses en cuivre brillantes et bien lavées soutenait une grande outre. Sur l'autre courroie pendait une gibecière. Par-dessus le tablier il avait une ceinture ornée de clous plats à tête de cuivre aussi brillants que les tasses. L'outre se terminait par un bec en cuivre, un simple tube en cuivre, qu'il bouchait avec son pouce. Le vendeur d'eau passait parmi la foule et faisait la tournée des magasins et boutiques en criant :

"Al Ma Lillah ! Ligharra Lillah, Oulli Aatha Si Lillah", l'eau est uniquement à Dieu.

Les tasses étaient de grandeurs différentes : depuis la petite tasse individuelle jusqu'à la tasse qui permettait d'abreuver un groupe de personnes.

L'eau claire et fraîche qui tombait dans le fond de la tasse avait un assez joli attrait et donnait envie de boire, même si l'on n'avait pas soif. Mais ce qui attirait le plus en lui, c'était la légende qui auréolait ce personnage. Cette légende dit que celui qui fait ce métier avait fait vœu d'accomplir un acte méritoire aussi bien aux yeux des mortels qu'aux yeux du bon Dieu.

Parce qu'il était un grand pécheur, peut être même un assassin, il s'affligeait lui-même, en choisissant ce pénible métier pour rendre service à ses semblables et pour se racheter et mériter le pardon de Dieu. Il tournait donc du matin au soir avec sa charge, allant d'une ville à l'autre à pied sans jamais s'enrichir et en se contentant du peu qu'il recevait pour vivre.

La vie juive a Mogador

brit-la-vie-juive-a-mogadorBoire le thé

C'est également à cet endroit-là que se tenait une autre manifestation de joie publique, qu'on appelait Cherb Attaï, cérémonie du thé. Pendant tout le mois du Ramadan, les Musulmans dorment le jour et veillent le soir.

Pour trouver le temps court, surtout la nuit, car la journée passe assez vite avec un peu de travail et beaucoup de sommeil, chacun s’emploie à quelque occupation, certains s'amusent dans les cafés, d'autres écoutent de la musique et des chants dans les mosquées. Enfin beaucoup passent la nuit à boire du thé à la menthe (cher aux marocains) et s'amusent entre eux en se racontant des histoires, en recevant des amis, (même Juifs) et en tapant sur de petits tambourins suivant un rythme connu et soutenu en contre temps par un autre rythme. Deux clans se forment ainsi, qui vont nuit après nuit frapper à qui mieux-mieux de toute leur force sur leur tambour. L'apothéose est atteinte le dernier soir, lorsque les hommes des deux clans se poussent les uns au devant des autres, en brandissant leur instrument à bras tendus. Ils en venaient presque aux mains, les tambourins jetés se cassaient et ils déclamaient à tue-tête en chantant deux phrases où il était question de la noblesse ou de la vulgarité de l'un ou de l'autre clan.

Finalement, ceux qui se fatiguaient se repliaient et l'autre clan les poursuivait jusqu'à la porte la plus proche du quartier des fuyards. Le lendemain c'était la fête durant laquelle les gens s'associaient avec affabilité, onctuosité, tout imprégnés de l'importance de cette fête solennelle.

La "Nouvelle Casba"

Ainsi, le Méchouar constituait la rue principale de la "Nouvelle Casba", et comme nous l'avons dit, de grands bâtiments et des maisons privées se trouvaient dans les rues latérales. Et là aussi, le rez-de-chaussée servait de magasin et de bureau, quant aux étages supérieurs ils servaient d'habitations aux grandes familles et aux autorités.

Faisant suite aux deux Casba, d'autres rues se sont constituées au fur et à mesure que la ville attirait de nouveaux habitants. Les Juifs s'installèrent dans la rue centrale, les Arabes dans les rues parallèles et les derniers arrivants s'installèrent dans le quartier qui faisait suite à cette rue centrale occupée par les Juifs. Une grande rue commerciale s'était alors formée et faisait suite au Méchouar duquel elle était séparée par les trois arcades citées plus haut. Cette grande rue était commerciale et industrielle.

A la suite de cette rue, nommee la Hadda a cause des forgerons et des maréchaux-ferrants qui y étaient installés, il y avait un petit quartier, sorte d'enclos séparé. On y accédait par quatre portes également fortifiées et fermées la nuit dans le même style que les grandes murailles de la ville. Car il y avait là plusieurs corporations commerciales. Chaque corporation occupait un carré du quartier, le tout nommé Souk Jdid – marché du neuf.

D'autres marchés se sont formés en ligne droite jusqu'à la Porte Doukala : la boucherie arabe, les savetiers arabes et juifs, fabriquant surtout des sandales à l'usage des agriculteurs et des colporteurs qui voyageaient à pied d'un village à l'autre. Après, venaient les marchands de poterie. Deux ou trois grandes écuries hébergeaient bêtes de somme et leurs propriétaires. Elles contenaient des chambres communes pour les hommes et une grande cour à ciel ouvert pour les animaux, qu'on appelait "Fondouk". Quelques petites épiceries arabes ou juives, quelques petits cafés arabes complétaient la Hdada. Venaient ensuite les maraîchers et les marchands de fruits secs et frais. La boucherie juive faisait suite aux magasins de légumes. Après venaient les marchands de volailles, d'œufs, de produits laitiers, de miel et de cire en brèches, et enfin les cafés maures et les marchands de kif et de tabac.

D'autres corporations et marchands se sont installés dans des rues adjacentes. Par exemple, la rue qui va de la Hdada à hauteur de la grande mosquée, Djamaa Ben Youssef jusqu'à la Scala, nommée Ahara, était occupée en partie par les grands commerçants de thé et de sucre en gros. L'autre partie était occupée par les marchands de produits coloniaux en gros. La rue qui allait de la Porte du Souk Jdid jusqu'à la Porte de Marrakech, l'une des plus longues, comportait tout ce qui touchait au commerce indigène. C'est-à-dire qu'il y avait des épiceries, des marchands de beignets, de gâteaux au miel, des gargotes, des traiteurs, des ferronniers ainsi que des écuries publiques (comme celles décrites plus haut.)

La rue centrale qui va de la Aîtara prolongeant l'ancienne Casba jusqu'au Mellah actuel, appelée aujourd'hui Médina, se composait d'une rangée de boutiques de chaque côté de la rue. Ces boutiques assez bien entretenues contenaient toutes sortes de commerces et d'industries. En premier lieu, venaient les boutiques vendant les denrées les plus courantes, comme le sucre, le thé, les bougies, la semoule, l'huile, le pétrole, les savons, surtout le savon noir, les condiments, le riz, les pois-chiches, le café (rare) etc. Dans d'autres boutiques se vendaient des gâteaux, des biscuits, des bouteilles de limonade (dans ces bouteilles étaient enfermées une agate qui se collait vers le haut du goulot.) La bière, le vin et les liqueurs n'étaient vendus que par les magasiniers juifs car il était interdit aux indigènes de boire ou de vendre de l'alcool.

D'autres magasins ne faisaient exclusivement que des légumes en saumure, comme les piments, les carottes, les oignons et même des fruits, tels que les olives, les citrons, et un produit très peu connu dans les autres villes, les câpres qui venaient en général de Safi. Ces boutiquiers poussaient le luxe jusqu'à vendre avec ces produits de la menthe et d'autres herbes aromatiques.

On voyait là des étalages de bocaux bien nettoyés, pleins de citrons, de piments et d'olives. Grossis par le verre et l'eau pure du bocal, ils étaient bien mis en valeur. La menthe présentée en bouquets bien rangés et embaumant l'air, vous donnait l'impression d'être dans un jardin, ce qui vous poussait à acheter même si telle n'était pas votre intention.

Brit-La vie Juive a Mogador

brit-la-vie-juive-a-mogadorArtisanat

Quant à la petite industrie, on y trouvait des fabricants de plateaux en cuivre bien ciselés au poinçon, de lanternes appelées magiques, même si celles-là ne l'étaient pas. Depuis les lanternes simples constituées par quatre vitres formant un cube abritant une bougie contre le vent, jusqu'à la grande lanterne aux vitres multicolores en forme de château fort, qui embellissaient les fêtes nocturnes. Les ferblantiers étaient à la fois vitriers et fabricants d'ustensiles ménagers, comme les cafetières, les théières, les bougeoirs, les boîtes bien décorées pour le sucre et le thé pour les réceptions. Ils fabriquaient aussi différents objets décoratifs à la mode du temps.

Il y avait aussi des petites menuiseries ainsi que des petits ateliers où l'on fabriquait des babouches pour femmes juives et arabes, dont le dessus était brodé de fil d'or, d'argent ou de soie. Les brodeurs (ou brodeuses) faisaient  egalement de la broderie sur velours ou sur soie pour parer les costumes, les rideaux les panneaux commémoratifs des synagogues

La rue latérale, qui allait de la Médina à la Hdada, continuait vers les quartiers parallèles à la Hdada.

Il y avait dans le premier tronçon les artisans travaillant la marqueterie, principalement des tables basses, rondes ou octogonales, incrustées de bois rares, de nacre, d'ivoire, de métal. Il y avait là aussi d'autres tables sur pieds qui imitaient la forme de l'arcade de la "Chaouia" dont nous avons parlé plus haut.

Des tourneurs façonnaient sur leur tour, différentes pièces nécessaires dans la menuiserie pour la fabrication de boîtes de toutes formes et de toutes grandeurs, de coffrets à fonds secrets pour les bijoux, d'écrins et de tabatières et de petits bureaux fantaisie pour les salons arabes. Dans le deuxième tronçon de la rue et dans les deux rues latérales s'étendait la bijouterie. Il faut comprendre par bijouterie plusieurs catégories : il y avait les bijoutiers artistes qui travaillaient l'or et l'argent et les ciselaient très finement, parmi eux figuraient en bonne place les bijoutiers juifs. Il y avait aussi des indigènes qui fondaient de grosses pièces, bracelets anneaux et boucles d'oreilles grossièrement fabriquées. Ils façonnaient aussi des boucles de ceintures, des poignards recourbés ou Kmaia avec leurs étuis ciselés. Ce poignard porté en ville comme ornement plutôt que comme arme, était plus ou moins artistique selon la richesse de celui qui l'avait commandé.

La communauté Juive au Maroc. Conditions matérielles : Occupations, principales professions

La communauté Juive au Maroc.

  • Conditions matérielles :

 Occupations, principales professions

Les professions libérales n'existaient pas pour ainsi dire au Maroc, ni avocats, ni docteurs, ni ingénieurs. On trouvait bien quelques plaideurs auprès des Rabbins-juges (les tribunaux rabbiniques ne sont apparus qu'avec l'occupation française). Les guérisseurs et les petits entrepreneurs n'existaient pas encore. La profession la plus importante était le négoce.

Mogador-hiloula

Hiloula de Rabbi Chimone Bar Yohay à Mogador, 1934. (Site Mogador – Haïm Melca) On peut reconnaître : debouts de droite à gauche : (-), Pinhas Serfaty, Chimone Benhamou, Joseph Bohbot, Mimoun Besmihen et Joseph Bensmihen – le bras sur l'épaule du précédent, Méir Sebag, Samuel Levy-Corcos en chapeau gris, Joseph Reboh, Avraham Mamane (chapeau noir). Assis de droite à gauche : Mme Lévy (l'institutrice ?) Le Rabbin Yossef Melca,2Mr Lévy. Assis parterre : Aharon Elmoznino.

Les Juifs avaient acquis le monopole du commerce par la force des choses. Le Sultan et les gouverneurs avaient besoin d'eux parce qu'ils savaient entretenir des relations commerciales avec les pays étrangers, ils leur donnaient toute latitude pour exercer cette profession, presque exclusivement et librement. Ils savaient que lorsqu'ils auraient besoin d'argent, ils le trouveraient chez les Juifs.

D'un autre côté, les Européens ne pouvaient pas rivaliser car ils n'avaient pas accès au Maroc, surtout pas aux villes intérieures. Les Arabes ne pouvaient pas non plus exercer cette profession car celui qui l'exerçait était supposé être riche, et par conséquent pouvait être dépossédé par le Pacha ou le gouverneur sous un prétexte quelconque. Les Juifs, eux, étaient protégés par les nations étrangères.

Sources de gagne-pain

Les citadins

On distinguait deux genres de citoyens : les citadins et les villageois. Les citadins se divisaient également en deux catégories : ceux des villes côtières et ceux des villes intérieures. Les villes côtières abritaient les grands négociants, les commerçants et les boutiquiers, l'artisanat partiel, tel que les bijoutiers, les savetiers, les peintres en bâtiment, les ferblantiers-vitriers (cela allait de pair), les fabricants de cire d'abeille et de bougies, les tailleurs indigènes. Voilà pour les hommes. Les femmes, elles, faisaient de la couture indigène à la maison, de la fabrication de boutons, de la filature de soie et de laine, de la broderie à fils d'or et d'argent.

Toutes ces activités occupaient une grande partie de la population. Chaque corporation employait un intermédiaire entre les fournisseurs et les consommateurs.

Ainsi, chaque commerçant ou négociant était entouré de courtiers attitrés ou indépendants, dont le rôle consistait à faire l'intermédiaire entre le vendeur et l'acheteur, surtout entre Arabes et Juifs et vice-versa. Le courtier pouvait être ou acheteur ou vendeur ou remplissait les deux rôles à la fois. Les Arabes ne savaient pas acheter ou vendre une marchandise sans l'aide d'un intermédiaire juif.

Parmi ces courtiers il y en avait qui étaient riches et qui achetaient la marchandise pour leur propre compte et la revendaient de même. Ils étaient bien connus à la campagne et en ville. Parfois, eux-mêmes employaient d'autres intermédiaires. L'état de ces courtiers variait, suivant la marchandise, la clientèle, la situation sociale, depuis les gagne-petit jusqu'aux riches vivant fastueusement.

L'ensemble des portefaix formait une corporation qu'on pouvait considérer comme faisant partie du commerce.

Les moyens de locomotion et de transport n'étaient pas développés, même jusqu'à la veille de la première guerre mondiale. On transportait donc les marchandises à dos de chameaux (dromadaires plutôt), de mulets, d'ânes et surtout à dos d'hommes pour les petites distances comme du magasin au port.

Avec les portefaix il faut compter aussi les emballeurs de la petite industrie, c'est-à-dire pratiquant le conditionnement des marchandises, telles que les peaux de chèvres, de moutons, de bœufs.

Le marché des peaux de chèvres occupait au moins cinquante pour cent de la population. Pour vous faire une idée du nombre d'ouvriers spécialisés dans ce commerce, prenez l'itinéraire du bétail depuis sa sortie de la bergerie jusqu'au moment ou pour finir, la peau devenait cuir et voyez le nombre de personnes nécessaire pour arriver au produit final. Suivez sa route vers l'abattage. Aussitôt l'animal égorgé, on lui enlevait la peau, qu'on soumettait ensuite à une préparation spéciale qui permettait de la préserver. Ajoutez à cela toutes les manipulations qu'il fallait faire pour la transporter en ville, puis sur le marché, la faire ramasser par les petits acheteurs, la vendre aux marchands en gros, la revendre aux petits acheteurs et les nouvelles préparations pour la livrer sur place à l'industrie locale ou pour l'expédier en Europe. Puis toutes les manipulations nécessaires pour la porter sur les bateaux.

L’emballage des peaux en lui-même occupait un grand nombre d’employés spécialisés. Le conditionnement des marchandises nécessitait l’emploi de travailleurs divers.

Le Maroc étant riche en produits très rares et le fait que les machines n'étaient pas encore utilisées, permettaient à un grand nombre de Juifs de vivre et de travailler sans spécialisation comme dans la vente d'amandes douces et amères, d'amandes de noyaux de divers fruits, prunes, abricot, pêches, de graines de cumin, de gommes de plusieurs sortes, dont la gomme sandaraque très particulière au sud marocain et surtout à Mogador. La gomme sandaraque nécessitait des soins très méticuleux et avait plusieurs qualités, très utiles dans la haute industrie depuis les vernis et même jusqu'aux gaz asphyxiants. Une autre occupation des Juifs non qualifiés était la vente de céréales qui demandait des soins très importants également. La liste de tous ces produits serait très longue.

La corporation des comptables était également très active et enviable. La comptabilité ne s'apprenait pas à l'école, je crois qu'elle a été importée au Maroc par les Juifs européens ou par les fils de familles qui allaient faire des stages dans des maisons de commerce en Europe, à Londres, Hambourg et Amsterdam.

Un comptable dans une grande maison vivait sur le même pied que son employeur si ce n'était plus haut. La comptabilité en Judéo – Arabe était plus compliquée qu'en Europe.

Chaque marchandise se traitait dans des conditions variables, l'une de l'autre. L'unité de poids et mesures changeait pour chaque produit. Un petit exemple : le quintal se convertissait en Kentar. 

quintaln. quintal (unité de mesure – masse de 100 kg)

Le Kentar n'était pas le même pour chaque marchandise, le cumin se vendait par sac de cinquante kilogrammes, celui de sucre par sac de cinquante-quatre kilogrammes, le thé par le Kentar anglais, la cire d'abeille par quatre-vingt kilogrammes, la sandaraque par cent soixante-seize kilogrammes etc.,… Comme on faisait le commerce avec les pays européens, le change occasionnait des opérations de calculs compliquées. Il fallait compter avec le hassani (monnaie locale), le franc, la livre, la peseta etc. De sorte que le comptable devait faire face à de vrais problèmes rapidement en faisant attention à ne pas se tromper, car il était difficile de donner l'argent à l'indigène et de le lui reprendre ensuite, même si l'erreur était flagrante. Le rôle donc du comptable était assez délicat et il avait une grande responsabilité. Après l'arrivée des Européens et surtout des Français, le rôle de comptable était devenu encore plus important, comme je l'expliquerai plus loin. Voilà pour les citadins.

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