La vie juive a Mogador
Boire le thé
C'est également à cet endroit-là que se tenait une autre manifestation de joie publique, qu'on appelait Cherb Attaï, cérémonie du thé. Pendant tout le mois du Ramadan, les Musulmans dorment le jour et veillent le soir.
Pour trouver le temps court, surtout la nuit, car la journée passe assez vite avec un peu de travail et beaucoup de sommeil, chacun s’emploie à quelque occupation, certains s'amusent dans les cafés, d'autres écoutent de la musique et des chants dans les mosquées. Enfin beaucoup passent la nuit à boire du thé à la menthe (cher aux marocains) et s'amusent entre eux en se racontant des histoires, en recevant des amis, (même Juifs) et en tapant sur de petits tambourins suivant un rythme connu et soutenu en contre temps par un autre rythme. Deux clans se forment ainsi, qui vont nuit après nuit frapper à qui mieux-mieux de toute leur force sur leur tambour. L'apothéose est atteinte le dernier soir, lorsque les hommes des deux clans se poussent les uns au devant des autres, en brandissant leur instrument à bras tendus. Ils en venaient presque aux mains, les tambourins jetés se cassaient et ils déclamaient à tue-tête en chantant deux phrases où il était question de la noblesse ou de la vulgarité de l'un ou de l'autre clan.
Finalement, ceux qui se fatiguaient se repliaient et l'autre clan les poursuivait jusqu'à la porte la plus proche du quartier des fuyards. Le lendemain c'était la fête durant laquelle les gens s'associaient avec affabilité, onctuosité, tout imprégnés de l'importance de cette fête solennelle.
La "Nouvelle Casba"
Ainsi, le Méchouar constituait la rue principale de la "Nouvelle Casba", et comme nous l'avons dit, de grands bâtiments et des maisons privées se trouvaient dans les rues latérales. Et là aussi, le rez-de-chaussée servait de magasin et de bureau, quant aux étages supérieurs ils servaient d'habitations aux grandes familles et aux autorités.
Faisant suite aux deux Casba, d'autres rues se sont constituées au fur et à mesure que la ville attirait de nouveaux habitants. Les Juifs s'installèrent dans la rue centrale, les Arabes dans les rues parallèles et les derniers arrivants s'installèrent dans le quartier qui faisait suite à cette rue centrale occupée par les Juifs. Une grande rue commerciale s'était alors formée et faisait suite au Méchouar duquel elle était séparée par les trois arcades citées plus haut. Cette grande rue était commerciale et industrielle.
A la suite de cette rue, nommee la Hadda a cause des forgerons et des maréchaux-ferrants qui y étaient installés, il y avait un petit quartier, sorte d'enclos séparé. On y accédait par quatre portes également fortifiées et fermées la nuit dans le même style que les grandes murailles de la ville. Car il y avait là plusieurs corporations commerciales. Chaque corporation occupait un carré du quartier, le tout nommé Souk Jdid – marché du neuf.
D'autres marchés se sont formés en ligne droite jusqu'à la Porte Doukala : la boucherie arabe, les savetiers arabes et juifs, fabriquant surtout des sandales à l'usage des agriculteurs et des colporteurs qui voyageaient à pied d'un village à l'autre. Après, venaient les marchands de poterie. Deux ou trois grandes écuries hébergeaient bêtes de somme et leurs propriétaires. Elles contenaient des chambres communes pour les hommes et une grande cour à ciel ouvert pour les animaux, qu'on appelait "Fondouk". Quelques petites épiceries arabes ou juives, quelques petits cafés arabes complétaient la Hdada. Venaient ensuite les maraîchers et les marchands de fruits secs et frais. La boucherie juive faisait suite aux magasins de légumes. Après venaient les marchands de volailles, d'œufs, de produits laitiers, de miel et de cire en brèches, et enfin les cafés maures et les marchands de kif et de tabac.
D'autres corporations et marchands se sont installés dans des rues adjacentes. Par exemple, la rue qui va de la Hdada à hauteur de la grande mosquée, Djamaa Ben Youssef jusqu'à la Scala, nommée Ahara, était occupée en partie par les grands commerçants de thé et de sucre en gros. L'autre partie était occupée par les marchands de produits coloniaux en gros. La rue qui allait de la Porte du Souk Jdid jusqu'à la Porte de Marrakech, l'une des plus longues, comportait tout ce qui touchait au commerce indigène. C'est-à-dire qu'il y avait des épiceries, des marchands de beignets, de gâteaux au miel, des gargotes, des traiteurs, des ferronniers ainsi que des écuries publiques (comme celles décrites plus haut.)
La rue centrale qui va de la Aîtara prolongeant l'ancienne Casba jusqu'au Mellah actuel, appelée aujourd'hui Médina, se composait d'une rangée de boutiques de chaque côté de la rue. Ces boutiques assez bien entretenues contenaient toutes sortes de commerces et d'industries. En premier lieu, venaient les boutiques vendant les denrées les plus courantes, comme le sucre, le thé, les bougies, la semoule, l'huile, le pétrole, les savons, surtout le savon noir, les condiments, le riz, les pois-chiches, le café (rare) etc. Dans d'autres boutiques se vendaient des gâteaux, des biscuits, des bouteilles de limonade (dans ces bouteilles étaient enfermées une agate qui se collait vers le haut du goulot.) La bière, le vin et les liqueurs n'étaient vendus que par les magasiniers juifs car il était interdit aux indigènes de boire ou de vendre de l'alcool.
D'autres magasins ne faisaient exclusivement que des légumes en saumure, comme les piments, les carottes, les oignons et même des fruits, tels que les olives, les citrons, et un produit très peu connu dans les autres villes, les câpres qui venaient en général de Safi. Ces boutiquiers poussaient le luxe jusqu'à vendre avec ces produits de la menthe et d'autres herbes aromatiques.
On voyait là des étalages de bocaux bien nettoyés, pleins de citrons, de piments et d'olives. Grossis par le verre et l'eau pure du bocal, ils étaient bien mis en valeur. La menthe présentée en bouquets bien rangés et embaumant l'air, vous donnait l'impression d'être dans un jardin, ce qui vous poussait à acheter même si telle n'était pas votre intention.