La vie Juive a Mogador
Au-delà de ces contreforts, s'étendaient d'immenses dunes mouvantes et changeantes. Cela dépendait de la direction des vents. Quand le vent venait de l'ouest, le sable volait et se déposait d'ouest en est, et quand il venait de l'est, le sable bougeait d'est en ouest. Alors, pour tout observateur attentif, les formes et les couleurs des dunes déplacées suivant la direction du vent et la position du soleil couchant variaient, imprimant de mystérieux mouvements et des dessins fascinants d'une continuelle étrangeté. Surtout si par hasard le regard accrochait les ombres se dessinant sur le creux des dunes ; alors la forme de leurs propriétaires commençait à apparaître : les fameux hommes bleus, ces hommes du désert, juchés sur leurs dromadaires avançant à grands pas, très lents, silencieux
On comprend qu'il est difficile de surprendre les veilleurs de la ville par ce côté-là. C'est pourquoi il n'y avait là qu'une petite garnison. On craignait plutôt des surprises venant de la mer
Côté mer
Côté mer encore, le dernier rocher faisant face au port sur la droite, constituait un abri naturel contre les grosses vagues qui déferlaient sur le port en temps de tempête. De plus, il était farci de fortifications et même de canons. On accédait à ce rocher à marée basse, à pied. Ce rocher s'appelait Djira Sghira, la petite île, pour la distinguer de l'autre île qui se nommait l'île de Mogador. Du côté Nord-Ouest, la chaîne de grands rochers dont nous avons parlé plus haut avait pour noms, au centre Gerf Dgeorge, le rocher de Georges, au milieu : Gerf el Metkoub, le rocher troué. Chacun de ces rochers avait sa propre histoire
A tout seigneur tout honneur, commençons par le plus grand qui est l'île de Mogador
D'aucuns disent, se basant sur les dernières recherches scientifiques qui y ont été faites, que les constructions que l'île comportait dataient d'avant la fondation de la ville de Mogador. Elle servait de port aux pirates marocains. D'autres, prétendent qu'elle servait de prison pour les prisonniers politiques du Sultan. La disposition des lieux le laisse entendre. A part la prison elle- même, qui était assez spacieuse avec des logements pour les geôliers, plusieurs forts munis de canons, une grande mosquée avec son minaret, un terrain clos pour les promenades des prisonniers et enfin plusieurs bâtisses servant d'abris pour les pêcheurs
Un petit port de débarquement pour les embarcations qui y accostaient. On ne sait pour quelle raison elle a été abandonnée. Vraisemblablement pour une question économique : le maintien d'une garnison avec des fonctionnaires, pour surveiller quelques malheureux prisonniers dans des conditions très difficiles, constituait un supplément de dépenses lourdes à supporter par la ville ou par le Sultan lui-même
Par mauvais temps, il était presque impossible d'y accoster. Pour y débarquer le ravitaillement, pour l'échange du courrier, il fallait attendre que la mer soit calme, ce qui prenait parfois plusieurs jours. La ville ne disposait pas à l'époque de moyens de navigation adéquats. Comme à la fin il n'y eut plus qu'un seul ou deux prisonniers, il n'était plus nécessaire de la maintenir habitée. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, elle devint site touristique historique et lieu de pêche
De ce fait, les petits bateliers qui vivaient d'une pêche plutôt maigre, y ont trouvé leur compte. Ils faisaient la navette entre l'île et le port, chargés de touristes de passage à Mogador ou même d'habitants de la ville, presque uniquement juifs
C'était même une des seules distractions que les Juifs pouvaient se permettre. Les marins, pour qui ces voyages constituaient une bonne recette, particulièrement les jours de fêtes et les samedis traitaient leurs passagers juifs comme des princes. Le prix du voyage était relativement minime, parce qu'il y avait de la concurrence. Pendant la semaine, le prix était plus cher, car le voyage se faisait sur commande spéciale. On y restait toute la journée, on y mangeait, on s'y promenait. Le batelier était obligé d'aller et de revenir à l'heure fixée par le voyageur
Voici pour ce qu'il en est de l'île. Je ne connais pas l'histoire de la petite île Gerf Hmam (île aux pigeons.) Ce que je sais c'est qu'on pouvait y aller plus souvent qu'à la grande île. Elle possédait une jolie plage minuscule mais bien abritée de tous les côtés, du vent et des regards indiscrets. Gerf Hmam a été le théâtre d'un événement dramatique. C'était avant la première guerre mondiale. C'était les débuts de l'aviation. Deux aviateurs français étaient venus et avaient survolé Mogador, je ne sais pas si c'était pour expérimenter les avions ou s'ils tentaient d'atterrir à Mogador sur ordre de la France. Apercevant le plateau que constituait le haut du rocher très étendu, ils tentèrent d'atterrir et firent une chute vertigineuse et se fracassèrent entre les rochers. A cet endroit où la mer est particulièrement furieuse, on n'a retrouvé ni les hommes, ni l'avion. Ce n'était par la première fois que ce rocher causait des malheurs