Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale- Rationnement discriminatoire

Epreuves-et-liberation

L’exception espagnole

Si la France républicaine s’était retournée contre les Juifs, ne pouvait-on craindre le pire de l’Espagne nationaliste qui avait assis son régime sur l’aide militaire des pays de l’Axe ? Il n’en fut rien. Ni en matière de statut politique, ni en matière de ravitaillement, aucune discrimination particulière ne devait frapper les communautés juives de sa zone de protection — étendue également sur Tanger — pendant toute la période de la guerre. Même l’école de l’Alliance de Tétouan, la première fondée au Maroc en 1862, continua son enseignement en français alors que l’espagnol était redevenu la langue maternelle des Juifs de la ville.

Pourtant grandes avaient été leurs souffrances au cours des trois années de l’horrible guerre civile. Leurs élites avaient placé les plus grands espoirs dans l’avènement de la République en 1931 et le triomphe du Front Populaire en 1936. Nombreux avaient adhéré alors aux partis de gauche et d’extrême-gauche. Aussi quand le général Franco se servit du nord du Maroc comme d’un tremplin pour reconquérir l’Espagne, à la tête des nationalistes, les représailles n’avaient pas épargné les Juifs qui s’étaient identifiés au régime républicain. Malgré sa proximité idéologique avec le fascisme, le général Franco n’adopta jamais personnellement les thèses raciales du nazisme et du fascisme qui l’avaient aidé à triompher sur les Républicains. D’ailleurs, lui-même n’avait-il pas bénéficié, à ses débuts, de l’aide de la communauté juive ? Un rapport du ministère français des Affaires Etrangères le rappelait, expliquant comment les Israélites avaient été " invités " à faciliter le mouvement de Franco :

II est exact que les Israélites de Tétouan et de la zone espagnole ont soutenu à l’origine le mouvement du général Franco et cela, à l’instigation de Beidbeder, alors Haut-Commissaire. Ce ne fut nullement, comme on l’a dit, par idéalpolitique. La chose aurait été vraiment invraisemblable de la part d’Israélites. Beidbeder ayant besoin d’argent, et de beaucoup d’argent, eut I’idee d’imposer une contribution fort lourde sur la communautejuive de Tetouan, taxant ainsi les immeubles en ville et en tribu et les fortunes acquises dans le commerce. Grande emotion, on s’en doute, chez les interesses qui prirent peur. L’affolement est un element aussi courant que comprehensible dans le mellah.

C’estalors qu’intervint Benmaman, representant a Tetouan de I’importante banque israelite Hassan de Tanger, et en liaison avec son patron,pensant qu’en retour, il n’aurait pas a se repentir de ce geste. Bien au contraire, il proposa a Beidbeder de prendre a la charge de la banque le montant de la contribution demandee, ce qui fut fait. Cela valut les bonnes graces du Haut-Commissaire pour Bentnarnan et comme il etait President de la communaute, tous ses coreligionnaires revinrent en odeur de saintete… »

Au plus haut niveau par contre, rantisemitisme epidermique virulent des partisans des Phalanges s’etalait dans leur presse, et sur le terrain, leur sadisme antijuif se doublait de leur haine des Republicains, surtout pendant les premiers mois de l,insurrection. L’hebdomadaire anti franquiste de Tanger La Democracia, relatait ainsi leurs mefaits en novembre 1936 :

« Les groupes fascists parcourent les rues de Tetouan, Ceuta, Melilla, le revolver a la main, aux cris de : " Vous etes une race meprisable ", envahissant les demeures des Juifs, les obligeant a verser de fortes sommes, en faveur de " I’armee salvatrice ". Une dougaine de Phalangistes entrerent chez un negociant juif connu de Tetouan, M. Sicsu, et apres avoir pille sa maison, I’obligerent a ingurgiter une forte dose d’huile de ricin. Sa femme et ses enfants, ayant proteste contre un tel traitement, furent victimes de la meme sauvagerie…

  1. Larache, M. Cohen, un des plus fougueux militants du Parti communiste, etait un typographe experimente et un excellent propagandiste marxiste. Apres l’avoir incarcere, cinq jours durant, ils lui administrerent la bastonnade quotidienne, les fascistes qui savaient qu’il n’allait pas tarder a mourir, voulurent le voir expier dans d’horribles souffrances et dans ce but, lui firent des piqures de strychnine. Cohen mourut dans d’atroces contorsions. »

Cette atmosphere d’hostilite de la part des colonisateurs trouvait un terrain favorable dans la population musulmane de la zone, de tout temps plus attentive aux evenements de Palestine, comme s’en inquietait le President de la communaute de Larache en 1939 ? « Ce qui nous parait grave, ce sont les manifestations antijuives dans les milieux arabes. Cela fait quelquesjours que le secretaire du grand Mufti de Jerusalem est en tournee de propagande dans le Maroc espagnol, pour recueillir des fonds pour les Arabes de Palestine… »

Toutefois, l’Agence Telegraphique juive de Londres, ayant l’annee suivante (octobre 1937) publie une description assez apocalyptique de la situation des Juifs dans la zone nord, le directeur de l’ecole de l’Alliance de Tanger, M. Sagues, ecrivit a Paris que la situation etait deja assez dramatique pour n’avoir pas besoin d’etre exageree davantage. II faisait d’ailleurs etat d’une amelioration progressive :

« II est certain que les Israelites residant en zone espagnole vivent dans un etat d’insecurite et de terreur. Ceux qui ont pu quitter la zonepour se refugier a Tanger observent sur les incidents dont ils ont pu etre temoins un mutisme qui est lui-meme tres significatif. Ils demeurent terrorises meme a distance.

Nos coreligionnaires etaient, surtout au debut de la guerre, victimes des requites des Phalangistes, formations fascistes dont I’activite echappait a l'autorite du gouvernement nationaliste. Depuis quelque temps cependant, ces groupements ont ete places sous le controle ejfectif des autorites officielles.

La propagande allemande est tres active. Elle a reussi a troubler les relations tres cordiales qui existaient autrefois entre Israelites et Espagnols. Une vague d’antisemitisme a balaye la zone , mais cet antisemitisme n’a rien de comparable a la haine raciale du Troisieme Reich… On en veut surtout a leur fortune, a leurs biens, et la population, aussi bien arabe qu’espagnole, s’inspire de I’exemple donne par les autorites officielles qui jouent du moindre pretexte pour extorquer, soit aux communautes juives, soit individuellement aux Israelites aises, des contributions " volontaires " ou des amendes qui les conduisent a la ruine… Seuls les biens des Arabes sont respectes, mais on leur demande, par contre, des recrues pour se battre en Espagne. L'antisemitisme n’a donc qu’un caractere officiel et n’a que superficiellement entame les masses. Je le crois passager, il disparaitra avec la tourmente… »'

II en fut effectivement ainsi, comme le montra la premiere epreuve : l’occupation de Tanger par les troupes espagnoles, en juin 1940, et l’abolition de son statut international. Aucune mesure discriminatoire particuliere ne fut edictee contre la tres influente communaute juive de la ville qui comptait plus de 10.000 ames. Ni contre les quelque 1500 Juifs d’Europe centrale et des Balkans qui y avaient trouve refuge, au cours des deux dernieres annees. Si l’entree de nouveaux refugies fut pratiquement interdite, ce ne fut pas sur une base ethnique. L’ecole de l’Alliance Israelite Universelle, la plus ancienne du Maroc, apres celle de Tetouan, fondee en 1864, continua a fonctionner malgre la connotation tres antifrancaise de la nouvelle administration. Meme l’installation dans l’ancien batiment de l'Administration Internationale d’un grand consulat d’Allemagne, un veritable nid d’espions, ne perturba pas la vie de la communaute juive qui conserva de cette epoque un souvenir presque idyllique, si on se fonde par exemple sur le temoignage d’Aida Toledano-Pinto dans son autobiographic, Mon passe marocain .

«Je n ’oublie pas que nous avons vecu pendant la Seconde Guerre Mondiale sous un regime franquiste, neutre mais fasciste, au service des Allemands. Neanmoins, les Espagnols n’ont pas pour autant applique les lois antismites, ni en Espagne ni a Tanger, et ce, malgre les fortes pressions nazies.. .Le sort nous avait epargnes. La France n’etaitplus notre idole ? elle nous avait trahis… »

Les regimes s’effondraient, les peuples se soulevaient, mais Tanger restait immuable, epargnee par le sort, eloignee des massacres du nazisme, un havre de paix, un veritable paradis terrestre. Nous n ’avons souffert de rien. Au contraire des habitants du Maroc francais, nous avons meme eu le superflu, un afflux de produits ararrives de tous les coins du monde. Nous avons vecu, nous Juifs marocains tangerois, avec une insouciance honteuse devant toutes les horreurs de cette guerre qui vit six millions de Juifs extermines… »

 

Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale Rationnement discriminatoire

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