BRIT-KNAFO


Brit – 30 La revue des juifs du Maroc Redacteur : Asher Knafo-Nessim Sibony- De Los Angelès Impressions et souvenirs de l’Alliance

Brit – 30

La revue des juifs du Maroc

Redacteur : Asher Knafo

Nessim Sibony- De Los Angelès

Impressions et souvenirs de l’Alliance

Il y a des souvenirs qui ne réclament ni madeleine, ni parfum et qui éclatent au seul nom de l’Alliance Israélite ou plus simplement de l’école de l’Alliance. C’était ainsi que nous avions appelé, des décades durant, notre foyer d’éducation occidentale, des plus épiques au Maroc.

Il faisait bon y vivre soudé aux enfants juifs de notre génération. Rien ne vaut aujourd’hui la douceur de ces souvenirs dans cet univers angélique d’activités ludiques, d’études et d’accomplissement de soi dans la promiscuité des classes surchargées qui ont favorisé des liens d’amitié inébranlables à ce jour.

Je me souviendrais toujours de ma première visite à l’école de l’Alliance aux mains de ma mère pour m’y inscrire. Des élèves des grandes classes avaient donné l’ordre à tous les nouveaux candidats de se mettre debout contre un mur. Le directeur s’en vint désigner tous les garçons qui étaient grands de taille qu’il retira de la longue ligne. Il dit ensuite à tous les autres de rentrer chez eux et de revenir l’an d’après. Je revins l’année suivante accompagné de mon père et ce fut le même manège : le directeur choisit les plus grands de taille et me refoula. Sur quoi mon père me prit par la main à son bureau, lui montra mon acte de naissance pour lui prouver que j’avais déjà 7 ans et signa une redevance d’écolage à payer mensuellement pour que je sois enfin accepté.

Je devais découvrir dans ma classe des élèves plus jeunes et plus petits que moi qui étaient venus par la filière des connaissances aussi bien du directeur que des enseignants ou des dirigeants de la communauté juive.

Mais que d’enfants juifs de mon âge qui n’ont jamais eu accès à cette classe et qui sont restés analphabètes, mis sur la touche de la seule institution qui ouvrait pour les enfants juifs, en ces jours, les seules portes possibles sur l’univers du savoir. Ces enfants devenus adolescents sont restés comme ces morts sur les champs de bataille sans droit à la parole pendant que ceux qui ont profité de la scolarisation procèdent eux, aux louanges des œuvres de l’Alliance. Même à ces derniers, il faut rappeler que la durée des études n’était que de 6 ans dans les écoles primaires et que des 320 élèves des 8 classes de seconde et première de filles et garçons de mon école 24 seulement avaient pu accéder alors à la 6e du cours complémentaire de l’Alliance. Quand ce fut mon tour d’y entrer j’étais représentable à la session d’octobre mais on vint nous annoncer que cette session était annulée et reportée à l’année suivante. Il faut aussi souligner que les enfants de notre âge dont les parents avaient été d’anciens élèves de l’Alliance étaient convoyés à l’école française. Les maîtres de l’Alliance faisaient de même : leurs enfants qui avaient déjà des noms français des plus sophistiqués n’étaient pas faits pour l’école de l’Alliance ni pour l’étude religieuse chez le rabbin. Quand ces élèves avaient des accidents de parcours dans leurs études ils atterrissaient alors à l’école de l’Alliance. Ils avaient quelques privilèges que les autres n’avaient pas et nous prenaient tout simplement notre place. C’est ainsi que j’avais atterri en classe de certificat d’études ou j’avais traîné deux ans.

Je garde donc un vif souvenir de toute ma scolarité et je revois encore ma première classe énorme, surchargée d’élèves. C’était déjà une classe de divers maîtres. Je dois tout de ma découverte du système de lecture non aux livres de lecture « Line et Pierrot », « Mon syllabaire » ou le livre de Dumas avec son premier texte « René va l’école » mais à Monsieur Pichoto et ses démonstrations plus raffinées que celles de tous nos rabbins et maîtres qui nous enseignaient alors d’après ce système de lecture global, cause de bien d’échecs dans les années 60 en France. Une fois ce maître parti je ne sais où, nous avions reçu divers maîtres dont certains n’avaient jamais fait leur apparition : ils nous envoyaient leurs élèves pour nous apprendre à reproduire les lettres de l’alphabet en écriture scripte. Je passais mon temps à recopier sur mes cahiers ce livre de lecture de Dumas, car on devait nous le reprendre en fin d’année et j’avais aussi dressé, sur deux pages d’un cahier, la liste de tous les nombreux élèves de ma classe. L’année suivante avait connu le même régime : une classe de divers maîtres. Madame Castiel nous donnait des devoirs à faire à la maison et un autre maitre que je ne veux pas nommer gardait les cahiers à la fin des cours dans le placard. C’est dire comment les tâches étaient coordonnées entre les enseignants. Ce maître punissait les enfants plus qu’il ne les éduquait. Il était censé nous enseigner l’addition, la soustraction ainsi que la multiplication ce qu’on appelait l’arithmétique, mais beaucoup d’élèves étaient désemparés, car il était avare de son temps et s’appliquait à faire des corrections de devoirs d’élèves d’autres classes pendant qu’on devait résoudre, sans la moindre directive ou la moindre aide, notre liste d’additions et de soustractions. Les retardataires étaient punis de deux coups de bâtons sur les mains jointes par le directeur, Monsieur Yani et ce maître prenait plaisir à doubler ce châtiment par une fessée délivrée sur le postérieur des élèves retardataires qu'il installait couchés sur le premier banc. Beaucoup d’élèves préféraient retourner chez eux ou traîner au cimetière pour éviter cette humiliation. Une fois cependant un dénommé Issan Armand arriva très en retard à notre étonnement. Il reçut sa fessée mais avait malheureusement souri. Sur quoi ce maître vicieux avec un surnom que je n’oserai rappeler lui dit d’enlever son short. Ce qu’il fit aussitôt. Issan avait un second short dessous. Il le battit, mais il n’avait pas crié et c’est alors qu’il lui dit d’enlever son deuxième short. Il en avait encore un dessous. Il lui dit de l’enlever et Issan refusa en ce temps où les caleçons n’étaient pas d’un usage très répandu et c’est alors qu’il punit notre compagnon qui cria et pleura. Je recopiais encore les textes de lecture parmi lesquels «Comment renard monta en bateau» avec trois illustrations très expressives et un tout autre à nous faire mourir de remord : « Tu dis que ce n’est qu’un mouchoir ». Ma troisième année fut commencée avec Madame Harrus, s’était poursuivie avec Mlle Ohana et fut terminée avec Mlle Amar. Elle punissait son neveu, André Touaty, qui était parmi les élèves de notre classe, en le privant de dessert.

A l’âge de 10 ans j’étais devenu très proche des élèves de ma classe et de leur habitation au Mellah que j’étais loin de pouvoir imaginer. Quelle n’était la crevasse entre le système scolaire auquel on était soumis et le mode de vie de ces pauvres enfants qui manquaient de tout. Il fallait être aveugle à leur condition pour exiger de ces élèves d’être à l’heure et les punir eux qui n’avaient ni ne savaient même lire les aiguilles d’une montre. Beaucoup de leurs voisins voire leurs grands frères ne furent jamais scolarisés alors que d’autres furent renvoyés de l’école. Lors de notre passage en classe de 2e chez madame Yani à la fin du mois de Juin, les parents de Hazan Hanania étaient venus voir leur fils mais ne l’avaient pas trouvé installé dans sa nouvelle classe. Madame Yani vérifia bien qu’il était inscrit sur sa liste et en fut indignée par son absence non autorisée. Elle raya son nom de la liste et dit aux parents ébahis qu’il était renvoyé de l’école, ni plus ni moins. Un autre élève Haroch venait d’être désigné pour cette classe. A peine était-il arrivé qu’elle prit sa règle pour le battre. Il s’empara de la règle, sauta sur un banc puis sortit par la fenêtre comme dans la chanson « gai, gai, l’écolier ». Lui aussi avait fini sa scolarité. Plus tard ce fut Cohen Charles qui refusa d’avoir les cheveux coupés très courts ce qui mit un court terme à sa scolarité.

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