Les veilleurs de l'aube-V.Malka
LES VEILLEURS DE L'AUBE – VICTOR MALKA
« Nous avons enduré les tourments qui précèdent la venue du Libérateur. Mais nul messie n'a volé à notre secours. » Cela aurait pu être le cri de douleur et d'alarme d'un écrivain juif au cœur de la Shoah. Mais c'est le rabbin-poète marocain David Hassine qui, dans un poème qu'il a intitulé Kina kol milkhama (Élégie pour des bruits de guerre), s'exprime ainsi à l'heure où le mellah et les demeures du quartier juif de Meknès sont saccagés et que des centaines de pillards y violent allègrement de jeunes vierges et s'approprient tout ce qui est à leur portée.
David Hassine est le poète juif du Maroc le plus connu et le plus célébré. Un film racontant sa vie lui a été consacré en Israël par Haïm Shiran, un réalisateur de la telévision, lui-même originaire de la ville de naissance du poète. C'est le célèbre acteur israélien Zeev Revah, fils d'un ancien cantor, qui incarne le personnage du poète.
Hassine naît en 1722. Il a, comme tous les jeunes juifs de cette époque – singulièrement dans sa bonne ville de Meknès -, une formation des plus traditionnelles. Donc etudes à la yéchiva, le collège talmudique, car à quel type d'activités peut se destiner au Maroc un jeune juif en ce xviii siècle ? Le commerce ?
Certes, mais encore faut-il en avoir la bosse. Savoir y faire. Ce n'est assurément pas donné à tout le monde. Sans compter que la profession présente souvent de nombreux risques, surtout quand on n'a pas le sou et qu'il faut, pour ouvrir boutique, s'endetter fortement. Or, David est loin d'appartenir à une famille fortunée. Restent alors les différents métiers qui tournent autour du rabbinat, même si, à l'époque, cette activité confère à ceux qui l'exercent un statut social relativement honorable, elle ne nourrit guère son homme.
C'est de notoriété publique : on ne peut vivre du seul titre de rabbi. Comme son collègue et homonyme Elkaïm de Mogador, David et sa famille vivent donc dans un relatif dénuement. A cette différence près que David Hassine, lui, est père de dix enfants : neuf filles et un garçon. (« L'argent a tari, écrit-il. Dieu, vois ma misère ! La souffrance d'aujourd'hui dépasse celle qui fut la mienne hier. »)
Très jeune, David éprouve le besoin d'écrire des poèmes. Lui aussi revendique l'héritage des poètes juifs d'Andalousie. Il place ses pas dans ceux du piyout (le poème religieux) venu d'Espagne. Les maîtres qui l'inspirent lui aussi s'appellent, entre autres, Salomon Ibn Gabirol, Abraham Ibn Ezra et Yehouda Halévy. Il écrit un livre qui le fera connaître assez vite parmi les amateurs de poésie religieuse. Il l'intitule Tehilla LéDavid (Hymne de David). Il est édité pour la première fois à Amsterdam en 1807. A noter que la plupart de ces poètes juifs qui auront vécu en Afrique du Nord ne trouveront un éditeur (et parfois un mécène) qu'en Europe, à Livourne, Londres ou Amsterdam.
David Hassine considère ces poèmes religieux comme de simples « ornements à la prière ». Ils seraient destinés à l’embellir, à faire d'elle un moment de joie, de reconnaissance et de grâce. C'est pourquoi le personnage principal de son œuvre est Dieu. Il est peu de ses œuvres qui n'en fassent pas mention. Qu'il évoque la nostalgie de Sion ou les espérances messianiques de ses coreligionnaires, qu'il parle de la circoncision ou des événements familiaux dans une vie ordinaire, Dieu est magnifié, glorifié en permanence : «Je chanterai Dieu tant que j'existerai », « Mes yeux s'élèvent vers celui dont la demeure est éternelle. »
Il consacre par ailleurs au prophète Élie un poème aujourd'hui chanté partout dans le monde, en introduction à toute cérémonie de circoncision : « Je veux, avec mes paroles, composer un éloge au Dieu de mon père » (Ehé- rokh mahalal nivi). Il s'agit, en un tel instant, d'exprimer à nouveau l'espoir en la venue du messie : cet enfant que l'on circoncit aujourd'hui, peut-être sera-ce enfin celui que tout Israël attend depuis toujours et qui annoncera le Royaume de Dieu ?
Ce n'est pas le seul poème qu'il consacre à l'attente du Messie, le fils de Jessé. Et d'abord, quel sera son nom ? Le poète n'hésite pas à reprendre, dans son poème, le vieux débat qui, sur ce thème, oppose quatre maîtres du traité Sanhédrin du Talmud (98 b) : Sera-ce Menahem (le consolateur), Shilo, Yinnon ou Hanina ? Et d'ailleurs, quelle sera sa mission ? Écoutons David Hassine :
Le fils de David arrive pour éloigner et rapprocher.
Son domaine c'est la sainteté d'Israël.
A son époque, la connaissance de la Torah augmentera.
Ses appels se répandront sur toute la terre.
Aucun peuple ne lèvera plus l'épée sur un autre peuple :
Ce sont là ses prodiges et ses exploits.