Epreuves et liberation. Joseph Toledano-Le choc de la défaite
Le choc de la défaite
En fervents admirateurs de la France qu'ils pensaient à l'abri de toute invasion derrière l'imprenable ligne Maginot, les Juifs du Maroc ne doutaient pas que son armée, considérée comme la plus forte du monde et encore auréolée de la victoire de 1918, viendrait rapidement à bout de l'ennemi commun ? l'Allemagne nazie d'Hitler. Pour l'heure, ils se sentaient d'autant plus rassurés qu'ils pouvaient se croire à l'unisson du reste des Marocains, sans parler de la colonie française, la première à être directement impliquée. En effet, dès la déclaration de guerre de la France à l'Allemagne, le 3 septembre 1939, le sultan, comblant les attentes de la communauté juive, se plaça sans hésiter dans le camp de la civilisation contre la barbarie nazie, identifiant son destin avec celui de la France — même si son appel à la mobilisation ne s'adressait nommément qu'à ses sujets musulmans :
Le croyant est celui qui reste toujours fidèle à ses engagements. C'est aujourd'hui, alors que la France prend les armes pour défendre son sol, son honneur, sa dignité, son avenir et le nôtre, que nous devons être nous-mêmes, fidèles aux principes de l'honneur de notre race, de notre histoire, de notre religion… partir de ce jour et jusqu 'à ce que l'étendard de la France et des alliés soit couronné de gloire, nous lui devons un concours sans réserve ; il nous faut ne lui marchander aucune de nos ressources et ne reculer devant aucun sacrifice… Nous ne doutons pas que la victoire finale sera pour le droit et la vraie civilisation… »
De son côté, le Résident assurait :
« Fa France n'oubliera jamais avec quel élan généreux le souverain du Maroc et tout son peuple se sont dressés à ses côtés pour la défense de la justice et du droit. »
Le journal de la bourgeoisie juive, L'Union Marocaine, hostile au sionisme et militant en faveur d'une plus grande intégration dans la colonie française, titrait ainsi son éditorial du 8 septembre 1939 : " Notre devoir : servir ! " et affirmait :
Dans ces heures d'angoisse, la France reçoit la récompense de son œuvre civilisatrice. .Autour d'elle, aux côtés de ses fils fervents et résolus, se groupent les populations de son immense Empire. Au Maroc, la préface de cette entière collaboration a été la lettre de Sa Majesté le sultan, adressée à ses sujets. Elle place cette coopération sous le signe de la reconnaissance qui est le plus fécond des sentiments.
Nos coreligionnaires n'ont pas été les derniers à répondre à l'appel du sultan. C'est avec une émotion mêlée de fierté que nous avons vu, dans toutes les couches de la population Israélite, se manifester un élan profond, enthousiaste, vers la France, gardienne suprême des libertés du monde. Cet élan se traduit par des centaines, et demain sans doute, par des milliers d'engagements volontaires. A l'heure où nous sommes, l'Association des Anciens Élèves de l'Alliance, en collaboration avec l'association Charles Netter, a déjà recueilli 1250 demandes d'engagement, les trois quarts pour le service armé… »
Aussitôt en effet, dans les grandes villes, les Juifs aisés se mobilisèrent pour apporter leur contribution financière, comme le signalait le quotidien le plus diffusé, La Vigie Marocaine, dans sa livraison du 19 septembre 1939 : Le Contrôleur Civil de la Région de Casablanca a reçu d'un groupe d'Israélites casablançais׳, une somme de 600.000francs, représentant une première contribution de la colonie d'Israélites de Casablanca à la Caisse Autonome de la Défense nationale. Cette liste comprend les noms de ? MM Tolédano Brothers 100.000 francs ; Tolédano et Pinto 100.000 francs ; Isaac Attias, J.K Benazeraf Moses Bendahan, Albert Bendahan 100.000 ; J. Bonan 30.000 ; Sté Benchaya 20.000 ;José et Salomon Ettedgui 20.000 ; Mordekhay Cohen 20.00 ; Isaac Benarosh 20.000 ; Elie N. Lasri 20.000 ;Haïm M Cohen 20.000 ;Jacob S. Knafou 20.000 ;Jack Cansino 20.000 ;David Hatchuel 15.000 ;A. J". Benazeraf 15.000 ; Elias A. Ettedgui 10.000 ; Tolédano et Levy 10.000 ; Salomon Benaroch 10.000 ; Alphonso Benmergui 10.000 ; Amram Siboni 10.000 ;Albert Fargeon 10.000; Yomtob Attias 10.000… »
Volontaires pour le service militaire
Sortant, sans y être appelée, de sa réserve séculaire, la communauté juive marocaine, voulait pour la première fois prendre une part active au combat et, au-delà d'un soutien financier fourni déjà en 1914-18, mêler son sang à celui des autres défenseurs de la civilisation, alors que de tout temps, les Juifs avaient été dispensés de service militaire. Dans ses rapports à Paris, le Résident général Noguès soulignait l'importance des dons de la communauté juive pour soutenir les efforts de la Défense nationale mais restait discret sur la volonté d'engagement militaire.
Sans attendre de consignes de ses dirigeants timorés, effrayés comme nous l'avons vu par toute perspective d'intrusion dans la vie publique, la jeunesse juive offrait ses services. Sous le titre : " La jeunesse israélite se met à la disposition de la France ", le quotidien indépendant L'Echo du Maroc écrivait le 28 août 1939, avant même le déclenchement de la guerre : « Une délégation de 1'Association des Anciens Élèves des Écoles de l'Alliance Israélite Universelle, composée de son Président d'honneur Samuel D. Lévy, de sa Présidente, Maître Hélène Cazes-Benattar et de l'homme d'affaires Raphaël Benazeraf a rendu visite au Contrôleur Civil de Casablanca. " Nous avons l'honneur de vous rappeler la démarche que nous avons faite, au mois de septembre de l'année dernière, au cours de laquelle nous vous avons informé que la jeunesse israélite de notre ville se tenait à la disposition des autorités supérieures, pour servir la France au cas où elle se trouverait engagée dans un conflit armé. Etant donné les graves circonstances actuelles, nous ressentons comme le moindre de nos devoirs de venir vous confirmer que la même jeunesse se tient, aujourd'hui plus que jamais, et de la façon la plus inconditionnelle, à la disposition de la France. Notre groupement serait heureux de pouvoir organiser et coordonner les concours isolés, suivant les directives que vous voudrez bien nous donner. »