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Epreuves et liberation. Joseph Toledano

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A Marrakech comme à Casablanca, les autorités chérifiennes et résidentielles se mirent d'accord pour ne pas toucher aux situations existantes et pour tenter de résoudre le problème aigu de l'habitat juif, en élargissant le périmètre du mellah. Pour ce qui est de l’emploi des domestiques musulmanes, on adopta un compromis afin d'éviter les risques de séduction ? seules les domestiques d'un âge " respectable ", à l'exclusion des plus jeunes, auraient désormais une autorisation d’embauche au mellah…

L'année terrible

C'est donc en spectateurs inquiets, emportés malgré eux dans la tourmente, que les Juifs vécurent les épreuves de la première confrontation sérieuse entre le mouvement nationaliste naissant et les autorités du Protectorat français, sur fond de très graves difficultés économiques, de misère générale.

Dans son éditorial de janvier 1937, L'Avenir Illustré soulignait combien cette misère des masses, due à la fois à la crise économique mondiale et aux mauvaises récoltes imputées à la sécheresse, accentuait le malaise de l'opinion :

S'il existe manifestement un état d'esprit considéré aujourd'hui comme mauvais et dont la contagion gagne certaines classes de la société, cet état d'esprit doit trouver son origine uniquement dans la misère accablante qui exerce ses ravages dans bon nombre de foyers. Le prolétariat indigène souffre atrocement d'une crise qui paraît devoir durer encore longtemps… »

Les nationalistes avaient placé leurs espoirs en une évolution pacifique du régime du Protectorat avec l'arrivée au pouvoir du Front Populaire mais ceux-ci n'avaient pas tardé à être déçus, confrontés au conservatisme des milieux coloniaux encore dominants en France. Le refus de Paris de prendre sérieusement en considération le plan de réformes présenté en 1935 — qui était pourtant modéré et évitait la revendication à l'indépendance — provoqua la scission du Comité d'Action Marocaine. Allal El Fassi se sépara de Mohammed Ouazzani, fonda le Parti National pour la Réalisation des Réformes et ordonna le passage à l'action directe, à savoir l'organisation de manifestations de masse dans les grandes villes. Après une série de manifestations de rue sans grande conséquence, c'est dans la ville de Meknès, qui était restée calme jusque-là, que les événements prirent en 1937, année restée dans les mémoires comme " l'année terrible ", une tournure dramatique avec la " guerre de l'eau ". Le détournement de la rivière qui alimente la ville, l'oued Boufkrane, en faveur de colons français, fut largement exploité par les dirigeants nationalistes. Le 2 septembre 1937, une grande manifestation fut organisée pour réclamer la libération des protestataires arrêtés la veille. Elle dégénéra en émeute : la police ouvrit le feu sans sommation sur la foule, fit 13 morts et une centaine de blessés. Parmi les premières victimes : un jeune Juif récemment converti à l'islam sous le nom de Saïd Islami. En se repliant, les manifestants s'en prirent aux magasins des marchands juifs de la médina, principalement des bijoutiers et des vendeurs de tissus. Ils pillèrent et incendièrent 42 boutiques tandis que le mellah tout proche s'imposait le couvre-feu. Si aucune victime ne fut déplorée, les dégâts matériels furent considérables et le choc psychologique encore plus important. Ainsi, même sous le Protectorat, rien n'avait fondamentalement changé et tout rassemblement de masse pouvait tourner en attaque sans raison contre les Juifs et leurs biens. Le rapport des Services de Renseignements sur " l'état d'esprit des milieux israélites de Meknès " le révélait bien :

Ils se montrent d'autre part très déçus de l'attitude à leur égard des milieux musulmans qu'ils espéraient disposés à une entente en 1937, grâce à l'action de M. Lacache, Président de la Ligue Internationale Contre l'Antisémitisme. Ils déclarent que ce projet d'entente avait reçu un commencement d'exécution à deux occasions : Lors des discussions à la Commission Municipale au sujet de l'ouverture de la piscine aux Musulmans et aux Israélites, ils auraient soutenu les Musulmans dans leurs revendications et leur auraient même proposé l'organisation d'une manifestation à Bab Amer, projet qui n'eut pas de suite en raison de l'interdiction du pacha. A la veille des événements du 2 septembre 1937, ce serait un israélite qui aurait rédigé en arabe la pétition adressée au sultan su sujet du détournement des eaux de l'oued Bou Fekrane… »

Les Juifs étaient également déçus de l'attitude des services de la Résidence, opposés au principe du dédommagement intégral des victimes pour les vols et les dégâts liés à l'émeute. C'eût été en reconnaître la responsabilité… A cela devait se greffer un inutile différend sur le montant des dédommagements à réclamer, entre le Président du Comité, Joseph Berdugo, qui le trouvait exagéré, et les autres membres du Comité. Celui- ci présenta sa démission mais elle fut refusée par les autorités. En fin de compte, la Résidence accepta, à titre " purement humanitaire ", une attribution globale de secours aux victimes les plus nécessiteuses, dont la répartition fut confiée au Président Joseph Berdugo. L'agitation gagna les autres villes du Maroc et la répression fut féroce : des centaines de militants arrêtés, la presse nationaliste bannie. Le chef du P.N.R.R, Allal El Fassi, fut déporté au Gabon. Son séjour dura jusqu'en 1946.

Dans son rapport à Paris, en date du 9 octobre 1937, le Résident Général s'inquiétait de la détérioration du climat de l'opinion européenne et de ses répercussions sur les Musulmans :

Dans la presse d'extrême-droite, les nationalistes trouvent les plus vives attaques contre le gouvernement français et contre ses représentants au Maroc, des incitatins à l'antisémitisme, des commentaires exaltés en faveur de certains gouvernement étrangers » (allusion à l'Allemagne hitlérienne).

Il accusait cette presse de prôner le fascisme sur le modèle du régime hitlérien et de dépeindre la France, depuis l'accession au pouvoir du Front Populaire, en juin 1936, comme une nation en proie à des troubles profonds et au bord de la faillite.

Toutefois, la vigueur de la répression, accompagnée parallèlement de gestes politiques pour renouer avec la population et redorer le prestige du sultan, permirent à Noguès, fin politique formé à l'école de Lyautey, de ramener le calme dans la rue et les esprits. Pour le grand historien Charles André Julien :

Les deux années précédant la guerre furent les plus tranquilles qu'ait connues le Maroc ».

Epreuves et liberation. Joseph Toledano-Le choc de la défaite

Le choc de la défaite

En fervents admirateurs de la France qu'ils pensaient à l'abri de toute invasion derrière l'imprenable ligne Maginot, les Juifs du Maroc ne doutaient pas que son armée, considérée comme la plus forte du monde et encore auréolée de la victoire de 1918, viendrait rapidement à bout de l'ennemi commun ? l'Allemagne nazie d'Hitler. Pour l'heure, ils se sentaient d'autant plus rassurés qu'ils pouvaient se croire à l'unisson du reste des Marocains, sans parler de la colonie française, la première à être directement impliquée. En effet, dès la déclaration de guerre de la France à l'Allemagne, le 3 septembre 1939, le sultan, comblant les attentes de la communauté juive, se plaça sans hésiter dans le camp de la civilisation contre la barbarie nazie, identifiant son destin avec celui de la France — même si son appel à la mobilisation ne s'adressait nommément qu'à ses sujets musulmans :

Le croyant est celui qui reste toujours fidèle à ses engagements. C'est aujourd'hui, alors que la France prend les armes pour défendre son sol, son honneur, sa dignité, son avenir et le nôtre, que nous devons être nous-mêmes, fidèles aux principes de l'honneur de notre race, de notre histoire, de notre religion… partir de ce jour et jusqu 'à ce que l'étendard de la France et des alliés soit couronné de gloire, nous lui devons un concours sans réserve ; il nous faut ne lui marchander aucune de nos ressources et ne reculer devant aucun sacrifice… Nous ne doutons pas que la victoire finale sera pour le droit et la vraie civilisation… »

De son côté, le Résident assurait :

« Fa France n'oubliera jamais avec quel élan généreux le souverain du Maroc et tout son peuple se sont dressés à ses côtés pour la défense de la justice et du droit. »

Le journal de la bourgeoisie juive, L'Union Marocaine, hostile au sionisme et militant en faveur d'une plus grande intégration dans la colonie française, titrait ainsi son éditorial du 8 septembre 1939 : " Notre devoir : servir ! " et affirmait :

Dans ces heures d'angoisse, la France reçoit la récompense de son œuvre civilisatrice. .Autour d'elle, aux côtés de ses fils fervents et résolus, se groupent les populations de son immense Empire. Au Maroc, la préface de cette entière collaboration a été la lettre de Sa Majesté le sultan, adressée à ses sujets. Elle place cette coopération sous le signe de la reconnaissance qui est le plus fécond des sentiments.

Nos coreligionnaires n'ont pas été les derniers à répondre à l'appel du sultan. C'est avec une émotion mêlée de fierté que nous avons vu, dans toutes les couches de la population Israélite, se manifester un élan profond, enthousiaste, vers la France, gardienne suprême des libertés du monde. Cet élan se traduit par des centaines, et demain sans doute, par des milliers d'engagements volontaires. A l'heure où nous sommes, l'Association des Anciens Élèves de l'Alliance, en collaboration avec l'association Charles Netter, a déjà recueilli 1250 demandes d'engagement, les trois quarts pour le service armé… »

Aussitôt en effet, dans les grandes villes, les Juifs aisés se mobilisèrent pour apporter leur contribution financière, comme le signalait le quotidien le plus diffusé, La Vigie Marocaine, dans sa livraison du 19 septembre 1939 : Le Contrôleur Civil de la Région de Casablanca a reçu d'un groupe d'Israélites casablançais׳, une somme de 600.000francs, représentant une première contribution de la colonie d'Israélites de Casablanca à la Caisse Autonome de la Défense nationale. Cette liste comprend les noms de ? MM Tolédano Brothers 100.000 francs ; Tolédano et Pinto 100.000 francs ; Isaac Attias, J.K Benazeraf Moses Bendahan, Albert Bendahan 100.000 ; J. Bonan 30.000 ; Sté Benchaya 20.000 ;José et Salomon Ettedgui 20.000 ; Mordekhay Cohen 20.00 ; Isaac Benarosh 20.000 ; Elie N. Lasri 20.000 ;Haïm M Cohen 20.000 ;Jacob S. Knafou 20.000 ;Jack Cansino 20.000 ;David Hatchuel 15.000 ;A. J". Benazeraf 15.000 ; Elias A. Ettedgui 10.000 ; Tolédano et Levy 10.000 ; Salomon Benaroch 10.000 ; Alphonso Benmergui 10.000 ; Amram Siboni 10.000 ;Albert Fargeon 10.000; Yomtob Attias 10.000… »

Volontaires pour le service militaire

Sortant, sans y être appelée, de sa réserve séculaire, la communauté juive marocaine, voulait pour la première fois prendre une part active au combat et, au-delà d'un soutien financier fourni déjà en 1914-18, mêler son sang à celui des autres défenseurs de la civilisation, alors que de tout temps, les Juifs avaient été dispensés de service militaire. Dans ses rapports à Paris, le Résident général Noguès soulignait l'importance des dons de la communauté juive pour soutenir les efforts de la Défense nationale mais restait discret sur la volonté d'engagement militaire.

Sans attendre de consignes de ses dirigeants timorés, effrayés comme nous l'avons vu par toute perspective d'intrusion dans la vie publique, la jeunesse juive offrait ses services. Sous le titre : " La jeunesse israélite se met à la disposition de la France ", le quotidien indépendant L'Echo du Maroc écrivait le 28 août 1939, avant même le déclenchement de la guerre : « Une délégation de 1'Association des Anciens Élèves des Écoles de l'Alliance Israélite Universelle, composée de son Président d'honneur Samuel D. Lévy, de sa Présidente, Maître Hélène Cazes-Benattar et de l'homme d'affaires Raphaël Benazeraf a rendu visite au Contrôleur Civil de Casablanca. " Nous avons l'honneur de vous rappeler la démarche que nous avons faite, au mois de septembre de l'année dernière, au cours de laquelle nous vous avons informé que la jeunesse israélite de notre ville se tenait à la disposition des autorités supérieures, pour servir la France au cas où elle se trouverait engagée dans un conflit armé. Etant donné les graves circonstances actuelles, nous ressentons comme le moindre de nos devoirs de venir vous confirmer que la même jeunesse se tient, aujourd'hui plus que jamais, et de la façon la plus inconditionnelle, à la disposition de la France. Notre groupement serait heureux de pouvoir organiser et coordonner les concours isolés, suivant les directives que vous voudrez bien nous donner. »

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