Juifs du Maroc a travers le monde –Robert Assaraf



Regrets d’un côté, raison d’État de l’autre… Ce ne fut pas pour ce motif que, le 20 juin 1962, le même Driss ben Omar ordonna une nouvelle fois la fermeture des bureaux de la Hias. Le retour du roi de la conférence du Sommet arabe du Caire, quelques jours plus tôt, pouvait paraître expliquer cette décision. La raison en était plus prosaïque. Parmi les précautions prises, on logeait les familles évacuées des villages du Sud marocain à l’hôtel Bonaparte de Casablanca, où il leur était interdit de sortir jusqu’à l’heure du départ. Dans une de ces familles, la fille se livrait habituellement, chez elle, à la prostitution, sous la surveillance de sa mère. Pour l’éloigner de cette situation exceptionnelle, le père avait décidé de l’emmener avec lui en Israël. La mère, arrivée à Casablanca, trouva sa fille enfermée à l’hôtel. Elle se déchaîna, poussant des cris de colère et ameutant les passants en les appelant au secours contre les « sionistes qui voulaient enlever sa fille de force ». Elle provoqua un scandale sur la voie publique, obligeant le gouverneur en personne à se rendre sur les lieux. On imagine sa confusion : être accusé de détournement vers Israël, en plein cœur de Casablanca ! Il décida alors l’arrêt immédiat des départs organisés à partir de cette ville.

Un autre scandale, plus grave, intervenu peu après, l’amena à persister dans sa décision. La police de Casablanca avait démantelé un réseau de fabrication de faux passeports dans lequel étaient impliqués plusieurs fonctionnaires du port dont un proche de la famille du gouverneur. Ils vendaient ces passeports à des Juifs marocains gravitant autour du prétendu « astrologue » Georges Elharrar et du rabbin Isaac Ohana, spécialisé dans le recrutement et l’envoi de jeunes garçons dans les yeshivot (écoles talmudiques) ultraorthodoxes du mouvement loubaviich Habad, en France et aux États-Unis.

Bien que la Hias n’eut absolument rien à voir avec cette affaire, le colonel Driss ben Omar resta sourd à toutes les explications de ses dirigeants. Il était décidé à lutter contre la corruption, et d’autant plus déterminé à sévir qu’il avait tout fait pour délivrer, sans entrave, des passeports à tous ceux qui en avaient fait la demande. Malgré certaines inter­ventions de membres du gouvernement et le souhait de son ami personnel, le ministre de l’Intérieur, Ahmed Reda Guedira, le gouverneur persista dans son refus, allant jusqu’à obliger la Hias à fermer ses bureaux pendant plus de deux mois.

Toutefois, afin de montrer qu’il n’avait pas d’opposition de principe à l’émigration juive légale, le gouverneur laissa des employés de la Hias organiser des départs de détenteurs de passeports individuels distribués avec générosité par ses services. Les départs avec des passeports collectifs reprirent à partir d’août 1963, entourés d’un luxe de précautions pour ne pas prêter aux critiques de l’opposition.

En 1963, le chiffre des départs pour Israël battit tous les records. Le nombre d’émigrants, 37 078, dépassa même le chiffre atteint lors de la dernière année du Protectorat, 36 301. Dès la fin de l’année, l’essoufflement était sensible et le chiffre des partants tomba à 15 843 en 1964. L’opération « Yakhine » prit alors fin. La bienveillance des autorités étant assurée et le droit de sortie garanti, il n’y avait plus besoin d’une opération de grande envergure. Tous ceux qui avaient voulu partir avaient pu le faire, et ceux qui envisageaient un jour de partir pour Israël ou tout autre pays n’avaient plus besoin de se presser.

Malgré l’énormité des chiffres, il ne s’agissait pas d’un mouvement collectif orga­nisé, mais bien de la conjonction de décisions individuelles, la direction officielle de la communauté n’ayant jamais préconisé et encore moins pris en charge et organisé ce mouvement qui la dépassait. Il n’y eut pas d’idéologie et encore moins d’obligation de partir, comme ce fut le cas pour les communautés juives d’Europe orientale au xixe siècle, qui choisirent d’émigrer conformément au mot d’ordre du mouvement Bilou : « Maison d’Israël, levons-nous et partons ! » C’est en individualistes, et non en obéissant à un mot d’ordre collectif, que les Juifs marocains firent leur choix : partir ou rester.

Juifs du Maroc a travers le monde –Robert Assaraf

PAGE 91

כתיבת תגובה

האימייל לא יוצג באתר. שדות החובה מסומנים *

הירשם לבלוג באמצעות המייל

הזן את כתובת המייל שלך כדי להירשם לאתר ולקבל הודעות על פוסטים חדשים במייל.

הצטרפו ל 229 מנויים נוספים
דצמבר 2024
א ב ג ד ה ו ש
1234567
891011121314
15161718192021
22232425262728
293031  
רשימת הנושאים באתר