ארמונות ובוסתנים-דויד אלמוזנינו


Palais et jardins- David Elmoznino

 

 

Le    Hammam 

Marrakech est une cité antique à l'histoire millénaire dont les origines se perdent dans la nuit des temps, dans nombre de récits légendaires et de secrets enfouis. Il y avait dans cette belle cité médiévale aux allures de vaste oasis accueillante et stylisée, un imposant établissement de bains publics réputé, au nom particulièrement suggestif : le hammam. 

Du sol au plafond, les murs carrelés du hammam étaient ornés de mosaïques chatoyantes au dessin traditionnel enjolivé de multiples arabesques et rehaussées de fioritures, enrichies du tracé sinueux de calligraphies en langue arabe, le tout  exécuté de main de maître. Sous les pieds du visiteur s'étendait un simple plancher de bois, alors que le bassin, centre d'attraction de la grande pièce principale du hammam, était revêtu de fine porcelaine importée spécialement de Chine. 

Au niveau inférieur, sous la chaleur du brouillard épais enveloppant la confrérie du hammam, dans la mystérieuse cave sombre abritant un four gigantesque, des hommes habillés de caftans noirs alimentaient le feu de la chaudière qui distribuait l'eau chaude indispensable à la bonne marche de l'établissement. 

Un jour, lors d'un été particulièrement torride, nous allâmes Rina ma mère, Salma notre aide ménagère musulmane et moi-même faire nos ablutions au Hammam. Alors que ma mère et Salma cheminaient d'un pas mesuré, je gambadais autour d'elles, débordant de joie, impatient de sentir les effluves d'eau de rose qui s'exhalaient du hammam vers son impressionnante entrée bigarrée.  

A l entrée du bain se tenait le gardien, grand, basané, le buste dénudé, le corps hâlé tout en muscles, très viril, vêtu d'une paire de pantalons brillants en toile de tente. Il tenait les bras croisés sur sa poitrine huileuse, à la manière des anciens génies légendaires, telle une apparition fraîchement éclose de la lanterne magique d'Aladin : " Vous êtes priés d'entrer, Mesdames et Messieurs " ponctua-t-il en martelant le sol de ses souliers pointus. Sur quoi, débordant d'enthousiasme et ne pouvant plus me retenir, je me ruais à l'intérieur. 

En même temps que Salma et ma mère qui s'attardaient quelque peu, Ali, un jeune garçon de quatorze ans, d'allure et d'apparence adulte en dépit de son jeune âge, franchit la porte d'entrée. Ce même Ali, avec lequel, il y a un an à peine, je jouais au foot avec un ballon confectionné à partir de chiffons et d'élastiques, s'est trouvé à présent un emploi sur la grande place et vend du jus d'orange naturel aux touristes de passage. 

Il semblerait qu'après une semaine passée dans la chaleur du Souk, il ait ressenti le besoin de se laver, de se débarbouiller au moins une fois par semaine et se débarrasser ainsi de cette poussière rouge et gluante qui colle à la peau. Dès son entrée, je l'ai fixé avec nostalgie, de ce regard particulier que portent les jeunes enfants sur leurs aînés. Mais depuis qu'il a commencé à travailler, j'étais devenu invisible à ses yeux, comme si entre temps, j'avais pris la consistance de l'air ambiant. 

Ce matin-là, aussitôt qu'il eut repéré Salma près du hammam, il se colla à ma mère et à sa dulcinée, s'efforçant de la sorte de pénétrer également dans la salle réservée aux femmes, misant sur son jeune âge, espérant, priant, souhaitant qu'on lui permette une seule fois de faire sa toilette, là, en compagnie de ces dames et surtout, en compagnie de Salma.  

Au-delà de l'entrée principale, le corridor se divise en deux sections, l'une abritant un espace réservé aux hommes et l'autre un espace réservé aux femmes. Ali me jette un coup d'œil songeur et après un temps me prend la main. Le gardien, occupé, regarde ailleurs, il réalise vaguement notre présence, nous prenant pour deux frères en bas âge impatients, précédant leur mère. Ali a les yeux brillants, tout comme les miens. Nous voilà de nouveau réunis Ali et moi, prêts à  jouer ensemble, comme auparavant. 

Arrivé au coude du couloir, Ali lâche ma main et se précipite au pas de course en direction de la salle des femmes. Je lui emboîte le pas, le serrant de près, c'est ainsi que l'on se comporte entre amis, n'est-ce pas ? Ali a presque vu la lumière au bout du tunnel, lorsque, et hélas pour lui, il tombe en arrêt devant l'une des gardiennes du lieu. Et quelle gardienne ! Une femme gigantesque engoncée dans des pantalons brillants, une large chemise ceinte par les extrémités autour de ses hanches couvrait son buste puissant.  De toute la largeur de son corps massif, elle bouchait l'entrée aux bassins, priant ses invitées de lui remettre les objets précieux à confier à sa garde. A ses côtés, s'amoncelaient sacs et portemonnaies en vrac, tous objets confondus. 

"Où crois-tu donc aller, jeune homme ?"   Demande telle à un Ali complètement pris de court, regardant autour de lui l'air hagard et hébété. Encore essoufflé par notre course, je m'approche de lui alors que dans son élan brisé il la fixe médusé, me saisit la main et lève un regard candide vers la dame géante. Nous voilà à nouveau réunis, le grand-frère et son cadet. 

"Non, non et non ! " s exclame-t-elle, en nous détachant l'un de l'autre d'une pression irrésistible. 

"Toi, tu peux entrer " lance-t-elle en me propulsant à l'intérieur de la salle. 

"Et toi "! Ordonne-t-elle à Ali !" assieds-toi là ! " lui dit-elle d'un ton sans réplique.  

Lorsque ma mère et Salma nous rejoignent enfin, c'est pour retrouver un Ali confus installé, l'oreille fort basse, au milieu d'objets empilés, rougissant sous le regard et le sourire que Salma lui adresse.   Laissant derrière elles un Ali orphelin, elles franchissent l'entrée du lieu défendu et me retrouvent dans la salle des ablutions. Et c'est alors que, moins d'une dizaine de minutes plus tard, Victoria fait son entrée au hammam. Victoria, dont le mari occupe un magasin de chaussures de sport au Souk, tout près de l'échoppe à jus d'Ali. 

"Pourquoi ne le laisses-tu pas rentrer ? "  demande-t-elle en sondant la gardienne de son regard perçant, "… c'est encore un enfant ! D'ailleurs, il est toujours imberbe, non ? C'est un enfant de grande taille, voilà tout " argumente-t-elle pour prendre la défense d'Ali. 

"Pour moi, il n'a pas l'air d'être un enfant aussi ingénu que cela2 ! Il n'y a que des honnêtes femmes ici ! " rétorque la surveillante.  

"C'est bon, assez, assez ! " tranche-t-elle,  

Il est vivement recommandé de rester sur ses gardes et de prendre quelque distance lorsque Victoria monte sur ses grands chevaux : "Toi, tu viens avec moi,  jette-t-elle à Ali qui, du fond du cœur, rend grâce à Allah pour sa bonne fortune. D'un geste résolu, Victoria s’empare de la main d'Ali et l'entraîne à l'intérieur du hammam.  

 Ali regarde autour de lui, comme perdu dans un rêve. Des yeux, il fouille les deux salles. La première, la salle de toilette abritait une multitude de femmes dans leur intime nudité rodant autour des deux bassins, l'un pour l'eau chaude et l'autre pour l'eau froide – mais d'où Salma était absente – et la deuxième, la salle de massage, dans laquelle Ali était sûr de trouver l'élue de son cœur en tenue d'Eve. 

Je m'apprêtais à m'élancer derrière Ali, à l'appeler, le ramener vers moi, l'inciter à venir jouer avec moi, lorsque la main de ma mère vint soudain freiner mon élan. Elle m’empoigne fermement et sans crier gare, me plonge d'un seul coup et sans détour dans le bassin rempli d'eau chaude. Transpirant, le corps rougi, elle se met en devoir de me savonner énergiquement, faisant glisser sur mon corps un gros savon couleur vert olive. Alors que ces dames devisaient joyeusement, jouissaient de cet instant de liberté providentielle, s'évadaient de leurs quatre murs, de la cuisine, des travaux ménagers et de leurs enfants, je sentis un gant de toilette vigoureux me labourer le corps et m'étriller la peau. Je n'aimais pas particulièrement ce raclage d'épiderme mais prenais mon mal en patience, en attendant le gratifiant shampooing libérateur qui immanquablement allait suivre. Béat, je me laissais aller sous les doigts courant au-dessus de ma tête, puis, pressé de me débarrasser de toute cette mousse, je me jetais aussitôt après dans l'eau, arrosant et éclaboussant à tout va, en guise de rinçage. 

"Le bain, c'est sacré. Tu devrais faire preuve d'un peu plus de patience ", me disait ma mère.  

Mais voilà, moi je n'étais pas patient. J'avais hâte d'en finir, de courir retrouver Ali et de jouer enfin avec lui. Ma mère s'immergea d'un coup dans le liquide brûlant du bassin. Son visage se crispa un court instant sous l'action de la cuisante caresse, puis, s'abandonnant, elle poussa un long soupir, laissant le fluide imprégner la chair de cette bienfaisante brûlure. Elle se redressa, se mit sur son séant, ferma les yeux et jouissant pleinement de l'agréable sensation, elle dit alors, se parlant à elle-même, ou peut-être susurrant à l'intention de ses paires à la ronde : « Quoi de plus beau, de plus spirituel et de plus élevé que cet instant privilégié. C'est l'unité parfaite entre le corps et l'esprit ».  

Dès cet instant, ma mère n'était plus mienne. Elle semblait s'évader, se retirer en elle-même et me laisser le loisir de m'occuper de moi-même, de me débrouiller par mes propres moyens. Doucement, je tentais alors de m'éloigner à petits pas prudents. Mais aucune de mes tentatives ne lui échappait.  

Les yeux toujours fermés, elle me disait : "où penses-tu donc vouloir aller David" ? , avant de m'intimer : "Reste ici ".

Il ne me restait plus qu'à obéir. Je demeurais près du bassin, fermais les yeux à mon tour et essayais de comprendre ma mère. Comment faisait-elle pour ne pas ressentir l'ennui profond que pouvait générer ce séjour banal somme toute, dans de l'eau brûlante. Je finis par l'imiter et m'allongeais dans le liquide bouillant. Je jetais des regards à droite et à gauche, contemplais le plafond et m'efforçais de comprendre ce que mes yeux découvraient ; une sorte de beauté qui se situe au-delà de l'art, de la liberté totale qui est tellement absolue. Je sentais l'émerveillement me gagner devant les belles mosaïques aux couleurs diaprées et à la vue des versets du Coran incrustés dans le plafond du hammam.  

Je ramenais mes yeux vers ma mère. Je savais qu'au bout d'un certain temps, elle allait se calmer, suffisamment pour me rendre ma liberté, me permettre de papillonner à ma guise et courir retrouver Ali.  

Je pénétrais dans l'épais brouillard flottant dans la salle des massages. Une partie des femmes présentes comptaient parmi nos voisines. C'était l'occasion rêvée pour moi de les découvrir dépouillées de toutes les couches de vêtements qu'elles portaient d'habitude. Elles venaient au Hammam comme pour prendre des vacances et profitaient de l'opportunité pour s'aérer, sortir du confinement de leurs maisons. Dans cet espace social de grande convivialité, elles pouvaient rencontrer leurs paires, discuter de tout et de rien, échanger des idées. Le temps d'un bain, elles s'évadaient de l'ennui du quotidien, de la cuisine, des enfants, de l'éternel retour des tâches prosaïques et des nettoyages répétitifs. Un jour, un seul jour par semaine, loin de tout, les soucis disparaissent, l'esprit se détend. C'est la récréation, le délassement, le repos véritable. 

Mes yeux scrutaient les formes mouvantes à travers le rideau de brume, à la recherche de mon ami de jeux. Il se tenait dans une encoignure au fond du local, les yeux rivés sur le corps de Salma offert aux mains de la masseuse. De toute évidence, sa présence était loin de plaire à toutes ces dames exposées, qui, à l'instar des regards qu'il jetait à Salma, le fixaient à leur tour, mais courroucées, s'efforçant de cacher leur intimité sous leurs serviettes de toilette et marmonnant entre leurs dents leur intention d'aller se plaindre aux propriétaires du hammam.  

Visiblement, Ali semblait ne rien entendre ni rien remarquer autour de lui. Ce n'est que lorsque j'arrivais auprès de lui et que je m’emparais de sa main,  qu'il réalisa qu'un petit bonhomme le fixait. Il me jeta un rapide coup d'œil distrait, puis son regard rebondit aussitôt sur Salma. Mais sa main tenait toujours la mienne. Je compris et me réjouis de constater que nous étions toujours amis. Seulement, plus j'essayais de lui parler, de l'entraîner au loin, de l'inciter à me courir après, voire de provoquer une petite bagarre et plus Ali se minéralisait. Il était comme pétrifié et s'accrochait à son coin les pieds cloués, semblait-il, au parquet du hammam.  

Dans la pénombre brumeuse du hammam, sous les rayons de soleil qui filtraient à travers la lucarne et caressaient ses petits seins bruns, Salma, la bien-aimée, telle une colonne lumineuse, apparut à Ali. De tous ses yeux, il dévorait le corps longiligne offert, dans la crainte que les grands yeux noirs ne se heurtent à son regard brûlant, scrutateur. 

Assoupie, alanguie, rêveuse, Salma était allongée sur un large banc de bois, la tête enfouie dans ses cheveux, cachée dans un enchevêtrement de nattes noires torsadées. Elle s'étirait et ondulait sous les doigts experts de la masseuse, tel un chat sauvage fraîchement capturé, se laissant apprivoiser par les bienfaits de la captivité. Ali, bouche bée, frissonna lorsqu'il l'a vît se déployer comme une chatte sous les caresses habiles de la masseuse. Incontrôlée, sa langue lui pendait entre les lèvres.  

Les doigts potelés de la masseuse exploraient toute la largeur du dos raidi et crispé de Salma, se lançaient à l'assaut des chairs, se lovaient entre les os, pétrissaient les muscles fins et palpaient longuement la peau satinée. Le postérieur de Salma était pudiquement recouvert d'une serviette cachant son intimité, jusqu'au moment où la masseuse lui plongea ses paumes juvéniles dans un récipient à huile avant de laisser courir ses doigts sur les parties charnues minces et fermes de son anatomie. 

L'huile chauffée inondait son corps et s'insinuait dans l'entre-jambe. Salma, au sommet de l'extase, roulait des yeux et laissait son corps s'incruster davantage dans la planche de bois. La masseuse glissa alors vers le bas du corps, visant les longues cuisses fuselées, commença par les oindre d'huile et les caresser, pour ensuite les pétrir, alternant sur les muscles fins, massages tendus et souples relaxations. Pour couronner le tout et, se préparant à donner des soins minutieux d'une autre nature, elle plongea encore une fois ses mains dans l'huile chaude et se consacra avec une attention particulière aux plantes des pieds de Salma. 

C'est le moment que choisi Ali pour intervenir. D'un mouvement brusque, il retira ses mains, se détacha de moi et, rapide comme l'éclair, rampa tel un félin impatient vers la masseuse à qui il remit quelques pièces de monnaie en guise de pourboire. Celle-ci lui céda aussitôt sa place, abandonnant les pieds de Salma aux bons soins d'Ali.  

Salma sursauta violemment et faillit tomber de son siège en sentant sur son corps ce contact familier.  

" Chut, que t'arrive-t-il, un mauvais rêve ?"  lui demande-t-il souriant.

" Ali ! Que fais-tu ici ? Comment es-tu entré ? "  Salma le regardait éberluée.

"C'est interdit, tu ne peux pas rester ici ", lui souffla-t-elle en se reprenant, réalisant qu'elle devait éviter d'attirer de plus belle l'attention de toutes ces femmes qui ne décoléraient pas, toujours indignées par la présence d'Ali dans leur sanctuaire intime."Je sais, je sais "! dit-il baissant la voix, essayant de la calmer, "mais moi je t'aime et souhaite que tu m'aimes jusqu'à la fin de mes jours ". 

Salma s'apprêtait à lui répondre lorsqu'elle fut interrompue par des clameurs, un remue-ménage provenant de l'autre côté de la salle. Une des habituées, exaspérée, s'en était allée quérir la gardienne, une grande femme bien enrobée, qui ne portait pour tout habit qu'une sorte de collier de coquillages blancs. Elle agrippa le bras d'Ali, souleva ce dernier d'un coup de rein et sur son élan l'entraîna hors du bastion sacré réservé aux femmes.  

"C'est la dernière fois que tu pénètres chez les femmes. Tu peux aller te laver chez les hommes à présent. Tu n'es plus un petit enfant." 

 Elle le libéra et Ali s’empressa de prendre ses jambes à son cou, heureux de s'en tirer à si bon compte. Je quittais le hammam en compagnie de Salma qui me tenait la main et m'entraînait vers le chemin de retour. Ma mère, en grande conversation avec ses amies, s'attardait derrière nous.  

Posté dans une petite ruelle en face du hammam, Ali attendait Salma. Dès qu'elle le vit, elle me lâcha la main pour s’emparer des siennes et je pus voir comment leurs doigts s'entremêlaient, s'imbriquaient les uns dans les autres 

"Depuis que je te connais, je me trouve dans une confusion totale. J'oublie tout, le passé, la tradition, la conduite à suivre que les gens attendent d'une femme musulmane. Depuis que tu m'as dit que tu m'aimais, je suis devenue une partie de toi-même". Ils resserrèrent leur étreinte et s'éloignèrent étroitement enlacés.  

Moi, je les observais alors qu'ils bifurquaient vers la ruelle menant à Djamaâ-El-Fna. Dès cet instant, dans cette rue, je sus alors qu'Ali et moi n'étions plus les amis d'antan.

 Le hammam, du verbe hamma, chauffé, en arabe. C'est le bain collectif par excellence. Propagé par la religion musulmane, qui fait de l'hygiène une vertu rituelle, à une époque où les maisons privées n'étaient pas encore équipées de salles de bains. C'est le descendant des bains romains de l'antiquité, que les romains ont apportés avec eux en Orient, lors de leurs multiples conquêtes. 

   Pour les jeunes garçons, le hammam est un lieu de découvertes dans lequel ils pénètrent tout d'abord en compagnie de leur mère, dans l'espace réservé aux femmes, qui leur est ouvert – selon la tradition musulmane – jusqu'à leur circoncision. Une fois celle-ci effectuée, il n'est plus question de permettre à ces jeunes garçons de côtoyer ces dames, ils devront désormais rejoindre l'espace réservé aux hommes, vers l'entrée dans le monde des adultes en quelque sorte, souvent aux côtés de leurs pères ou de leurs amis.

La Colombe de la Paix – David Elmoznino

La    Colombe  de  la  Paix

David Elmoznino

   Par beau temps, à vol d'oiseau, d'un seul et même point de vue, un vaste panorama englobant quatre pays s'offre devant les yeux : là devant soi, c'est Israël ; sur la gauche, au-delà des eaux du golfe se profile Aqaba en Jordanie ; les monts éloignés sur la droite, c'est le Sinaï et à l'horizon oriental, en regardant attentivement, il est possible de distinguer l'Arabie Saoudite.

   Eilat a la particularité de chevaucher ces quatre points géographiques. Dans le golf Aqaba-Eilat, deux localités qui, vues du ciel, paraissent se fondre en une seule et même grande agglomération, on observe depuis de nombreuses années l'apparition d'un fait insolite. Une sorte de phénomène naturel unique en son genre. De massives migrations d'oiseaux en quête de nourriture, faisant un va et vient constant et spectaculaire entre les deux localités.

   Un couple de pigeons avait pris ses quartiers sur le rebord d'une fenêtre au cinquième étage d'un immeuble locatif à Eilat, virevoltant, souillant et roucoulant  jour et nuit. Ce fut d'abord un pigeon mâle qui atterrit sur le rebord de la fenêtre, le col brillant, éclatant, affichant une gorge puissante au-dessus d'un abdomen impressionnant. Sa compagne atterrit derrière lui, petite et gracieuse, le plumage blanc comme neige. Le mâle se cambre en arrière, s'étire, redresse le corps et bombe le torse, le regard flou, les yeux dans le vague. Elle s'approche de lui. Il se rengorge et s'envole, paradeur, dans un déploiement d'ailes, fier de sa beauté et de ses atouts. Il fait le tour du bâtiment et revient.

   Elle se tient sur l'extrémité de son perchoir et lance de petits regards saccadés alentour. Il la fixe un instant, elle lui rend un regard intimidé. Il s'approche d'elle, enfouit le bec dans sa tête et dans son ventre, puis leurs becs se soudent, ils "s’embrassent". Il se sépare d'elle et entame une ronde, une parade de séduction riche d'effleurements et de frottements. De sa tête, elle le caresse. Il exhibe une gorge éclatante et brillante, déploie les ailes et, d'un bond, atterrit sur son dos, la couvre et se soude un instant à la femelle consentante.

   Et ainsi de suite, de jour comme de nuit, un spectacle ininterrompu, agrémenté de sons de cour et de bruissements d'ailes.

   La colombe eilatienne appartient à une espèce très particulière unique en son genre. C'est le produit de la colombe commune en Israël, la colombe des rochers – Columba rupestris – et la colombe domestique. Sa couleur varie entre le blanc, le gris et le gris clair. Deux bandes noires recouvrent ses ailes. Sa tête brille d'un éclair métallisé, vert ou violet pourpré. La colombe, communautaire, nidifie en bandes organisées indistinctement dans des bâtiments abandonnés ou habités. A Eilat, les colombes font preuve d'une grande faculté d'adaptions, se fondent dans tout milieu et composent avec toute situation. Tous les efforts déployés par les eilatiens pour s'en débarrasser sont à ce jour restés vains et semblent plutôt renforcer leur pouvoir de résistance.

   Le propriétaire de la maison était résolu à s'en débarrasser par tous les moyens. Il eut recours aux stratagèmes les plus récents et s'essaya à toutes les idées modernes existantes censées les chasser du rebord de sa fenêtre. Mais rien n'y fit. A bout de ressources, il se résigna à boucher l'ouverture, à murer la fenêtre de l'intérieur et pris le parti de les oublier et de les ignorer. Il s'en va, il se retire, il renonce.

   Entre temps, les volatiles à l'abri de toute intrusion, s'occupent d'assurer la relève et de produire en toute tranquillité la génération de continuité. La femelle pond deux œufs blancs plusieurs fois par année qu'elle couve en toute quiétude, cependant que le propriétaire se tient coi, le regard fixe. Observateur passif aux yeux écarquillés, bouillant intérieurement et gardant le silence. Il n'a que quelques heures de répit par jour, des moments de grâce durement gagnés – une belle accalmie lorsque les pigeons s'envolent vers la ville d'Aqaba.

   Jour après jour, aux petites heures du matin, avec le lever du soleil, tandis que l'air est encore pur, vif et transparent et qu'un jour nouveau s'annonce, les oiseaux s'élancent vers le ciel, comme mystérieusement mus par un ordre venu d'en haut.

   Des dizaines de formations de pigeons se constituent à Eilat, prennent leur envol en direction de Aqaba et s'abattent sur le port de mer qui la borde. A Eilat, ne restent que les malades, les blessés, les oisillons tendres et fragiles perchés sur les toits et les rebords de fenêtres. Du haut de leur vol, les colombes distinguent les quatre pays et jouissent du paysage époustouflant du golf d'Aqaba.

   Aujourd'hui encore, nul n'est en mesure d'expliquer le mystère entourant aptitude et faculté à identifier leur lieu de destination. Comment, au grand jamais, dans leur périple entre Eilat et Aqaba, en empruntant la route claire séparant les deux cités, ils ne se sont perdus en chemin.

   A Aqaba, cette multitude de pigeons en quête de nourriture, s'abat sur le port de mer regorgeant de graines et de semences. De gigantesques entrepôts débordant de céréales se dressent dans le port voisin, abritant les précieuses denrées déversées par un grand nombre de navires marchands convoyant leur marchandise vers la Jordanie, l'Irak, les Etats-Unis et autres pays.

   Les pigeons y passent une grande partie de la journée avant de reprendre le chemin du retour, de revenir vers nous à la tombée de la nuit, rassasiés et repus, virevoltant joyeusement en direction de Eilat et survolant un golf éblouissant, éclairé de milles lumières multicolores. Et sans doute, afin d'alléger leur vol de retour au bercail, ils ne manquent pas de lâcher quelques reliquats résiduels issus de leur digestion quotidienne.

  Au cœur du Golf, en pleine mer, passe la frontière virtuelle entre Israël et la Jordanie. Il y a peu d'années, alors qu'aucun traité de paix n'entre les deux pays n'existait encore, le propriétaire se contentait d'admirer le paysage à travers sa fenêtre et rêvait du jour où il pourra contempler Aqaba sans devoir recourir à une longue vue ou à une paire de jumelles.

   Les pigeons n'en avaient cure et traversaient allègrement la frontière en toute impunité. Tel un augure, un présage de la paix à venir entre Israël et la Jordanie. Tout un symbole.

Traduction  de langue hébraïque: Jacob-Rony Ruimy.                 

ארמונות ובוסתנים-דויד אלמוזנינו

נוגה לפרידה

מאת: דוד אלמוזנינו

25/07/2001 מתוך: סיפור קצר

העיר אצווירה היא מוגדור שוכנת לחוף הים בדרום מרוקו. לעיר קוראים גם "העיר הלבנה" כי כל בתיה לבנים לפי הוראת הסולטאן, לכל עיר במרוקו יש צבע משלה ול"מוגדור" נתנו את הצבע הלבן שהולם אותה מאוד, בתיה הלבנים בולטים על רקע הים הצבוע טורקיז,  מרפסות הבתים צבועים ורוד וחלונותיה בכחול עמוק כמו השמים המלאים שחפים לבנים שמנים וצעקנים.

 "מוגדור "נחשבת ליפה בערי החוף היא מוקפת חומה ופתוחה רק לכוון הים. הפורטוגזים כששלטו במרוקו בנו את החומה והמצודה הימית המפוארת "סקלה" .על המצודה למעלה כמה תותחי ברונזה גדולים וכבדים מאותה תקופה.

"מוגדור "על אף היותה מטרופולין צעירה היא נהלה חלק נכבד ביעוד הגדול של יהדות מרוקו כולה,  היהודים במוגדור במאה שעברה היו מתקדמים מאוד בכל התחומים לעומת ערי מרוקו האחרים. באמצעות סוחרי הסולטאן "תוזאר אס סולטן"  שהם היו לא רק סוחרים ממולחים ומצליחים אלה גם מאוד נבונים יידעו ליצור קשרים מסחריים ותרבותיים טובים מחוץ למרוקו  ולקדם בכך את הקהילה היהודית בכל התחומים ,שירה, כתיבה ומוסיקה . במוגדור הוקם אז בית הספר האנגלי הראשון, אחד הדמויות המפורסמות מהמאה שעברה הוא הרב דוד אלקיים, שהיה ממש עילוי כתב פיוטים, צייר, פיסל, הכין שופרים לקהילה וחצב שמות על מצבות והיה גם העיתונאי הראשון בשפה העברית החדשה שכתב לעיתונים בלונדון ואף בארץ. וזה רק חלק קטן ממעשיו הרבה ציורים ויצירות אומנות בבתים של יהודים אמידים במוגדור היו מעשה ידי דוד אלקיים.

מרוקו היא מדינה מאוד מסטיית, המיסטיקה הייתה שזורה בחיי היום יום .מרוקו מקום מפגש של כישופים אמונות תפלות כמעות וצדיקים. יש בה אינפלציה גדולה מאוד של צדיקים. אין לך עיר במרוקו שאין לה את הצדיק שלה או כמה צדיקים. את הצדיקים מזכירים בכל שיחה   בתדירות גבוהה. קבריהם הפכו לקדושים גם ליהודים וגם למוסלמים. אין לך אדם במרוקו שלא האמין בצדיק.
מהיכן הגיעו כל כך הרבה צדיקים? אלה היו רבנים שהגיעו לגדולה בחייהם שהם עזרו לתושבים וכשמתו נהפכו לקדושים. חלק מהצדיקים אלה רבנים שבאו מארץ ישראל, לבקש תרומות ונפטרו במרוקו. גם למוגדור יש צדיק רבי חיים פינטו.

אבי רפאל נולד לאחת המשפחות היהודיות הותיקות בעיר. לסבי היה פטיו רחב ידיים שחלקו העליון היה מחולק לדירות קטנות עבור הילדים ובני משפחותיהם בהם גידל בגאווה את שלש עשרי אחים ואחיות מתוכם ארבע אחיות ,הבית היה כל הזמן מלא ופעיל , בעל הבית סבי חסדיי עסק במסחר ובמיוחד סחר בתבואה היה קונה מהכפריים הערביים הקרובים לעיר תבואה ולרוב שמר אותה במחסנים עד שעלה מחירה, ומכרה לכל המרבה במחיר ,לא הייתה בעיית פרנסה .

שליחים רבים מארץ ישראל היו פוקדים את העיר ואת בית אבי, מירושלים באו , כדי לאסוף תרומות עבור הישיבות, חברון ,צפת טבריה וירושלים .השליחים העייפים מתלאות המסע המפרך היו מתאכסנים אצלם בבית.

השליחים מארץ הקודש התגוררו יחד עם אבי שהיה אז רווק והצעיר מבן האחים בדירתו הצנועה, מהשליחים למד עברית ,הם סיפרו לו את כל הקורה אותם בדרך למרוקו, שסבלו מאד עד שהגיעו למרוקו מדינת השפע, דרכם לא הייתה קלה כלל וכלל הם יצאו מירושלים ליפו על פרדות ,משם הפליגו על סיפון אוניה עד סרדיניה באגן הים התיכון ,עברו מעיר לעיר ומכפר לכפר ואספו תרומות , השתתפו באספות שערכו לכבודם בקהילות השונות ,לעיתים התבקשו לתת יעוץ בענייני דת ומשפחה , וכך היה גם בדרום אטליה ,ביוון ,סלוניקי ואיסטנבול , הם היו פוקדים את כל הקהילות היהודיות העשירות והעניות  במזרח התיכון . יש לזכור שלפעמים הם היו הקשר היחידי של היהודים בתפוצות עם ארץ ישראל ותושביה הרי לא היו אז יחסים דיפלומטיים בן מדינות ולא היו שירותי דואר תקינים, השליחים מארץ הקודש התקבלו כגיבורים אף על פי שלא היו כאלה באמת. תמיד היו מספרים לאבי על מעשה נסים רבים שראו במו עיניהם. אם נפטרו במרוקו הפכו לקדושים ואת קברם פקדו יהודים רבים עד עצם היום הזה.

אבי, אולי בהשפעת סיפורי המסע המרתקים ששמע מפי השליחים מארץ ישראל אולי אלה מעשה הנסים שספרו שראו במו עיניהם הוא לא תמיד האמין להם אך הם הצליחו לעורר בו את יצר הנדודים, הדמיון וההרפתקאות. גם הם אהבו את בבתים היפים ומסוגננים ברובע היהודי הנחשב ליפה למפואר ביותר בקרב יהדות מרוקו.

השמש  שוקעת  בים וצובעת את השמים בכל צבעי הקשת, כמה דייגים מתחממים ליד מדורה שעליה מתבשל קפה ,בנמל הדיג נמכרים על שולחנות עץ כל סוגי דגי הים וכל מיני שרצים, סרדינים טריים על האש רצוי לאכול במקום וללקק את האצבעות .

אבי כמה חודשים אחרי שהתחתן נוסע לנסות את מזלו במקום אחר , הוא חש מחנק בעיר מולדתו , הוא צמא לחידושים לידע, להשכלה, על כן הוא נוסע לעיר נמל שפתוחה להשפעות בלאומיות הוא נפרד ממוגדור . זאת הפעם הראשונה שהוא עוזב את עיר מולדתו והוא מגלה מחדש את יופייה , תרמילו על גבו שאמו דאגה למלא בציידה לדרך בחתיכות בשר מטוגן עטוף בשומן בקר שנשמר טוב בכל מזג אויר מושחל במקלו אשר בידו , הוא מהלך ברחובותיה הישרים כסרגל שניבנו עוד בתקופת הפניקית ושופצו על ידי מהנדס צרפתי שהיה אסיר של הסולטאן לפני שני דורות , הרחובות כמעט ריקים מאדם , לידו עוברות מספר נשים ערביות לבושות בלבן שיערן כפשתן עיניהם גדולות ושחורות ,הלאה משם הוא מבחין ליד הנמל בבית קפה קטן לדייגים, כשאורותיו עמומים , הוא נכנס פנימה אחרי שהסיט הצידה וילון צדפים לבנים, המקום צר מלהכיל את כל שחקני הקלפים .

השחקנים לבושים "גלביות" צמר חמות ויושבים צפופים וצמודים אחד לשני ,ריח הזעה ,עשן סיגריות ונרגילה ממלא את בית הקפה הצר ,עששיות האצטון מאירות באור דל את המקום. באחת הפינות נגן מנגן ב"גימברי" כלי נגינה בעל שלושה מיתרים ,ולידו המלווה הקבוע שלו עם ה"דרבוקה", המנגינה רעשנית ומונוטונית , והיא עושה לאבי כאבי ראש, הוא יוצא לרחוב, פנסי הנחושת דולקים בלאט ומפזרים אור קלוש ועגום. ענן אבק מעורב בריח דגים שרופים מגיע ישר לנחיריו. "גלביית "הצמר הצמודה לגופו , עבה וחמה, טובה לשעות הקטנות של הבוקר כשקר מאוד .

 הלבנה במלואה, מאירה את הרחוב באור חיוור ומבליטה את צבע הסיד הלבן והגס שעל הבתים. הכוכבים נוצצים מעל ,לאבי זה הלילה האחרון בעיר הוא יוצא לאזור הספרדי  של מרוקו לעיר הנמל "טאטואן ", השעה נוגה לפרידה, אפלולית צוננת ירדה על הרחוב, אבי שומע מרחוק קול שעטת פרסות סוסים ,כרכרה מתקרבת ,הוא מהרהר באשתו הטרייה שנשארה לבד ,הכרכרה מתקרבת ,כרכרה שחורה רתומה לשני סוסים היא משמיעה חריקה מחרישת אוזניים והסוסים נעצרים הוא מבחין שעליה כבר זוג נוסעים ,העגלון איש גדול ממדים לבוש ברישול ,יורד , שוטו בידו ,לוקח מאבי את תיקו והזמין אותו להיכנס פנימה.  אחרי כשעה בנסיעה מתחיל להיות קר העגלון יורד ממושבו ופותח במשיכה את גג העור השחור המעוגל שהיה מקופל בגג המרכבה וקבע אותו במקומו, הוא מטפס ועולה למרומי מושבו ,שורק שריקה ארוכה לסוסים ומניף שוטו באוויר ,נשמעת חריקת קפיצים ,והכרכרה על נוסעיה נעה הם עוברים ליד רחבה גדולה המשמשת במשך היום כשוק ועכשיו עומדת בעיזבונה ,ריקה ושקטה , בפנים בכרכרה התחיל להיות חם ונעים אחרי שהעגלון סגר את הגג ,הצינה נעלמה כלא הייתה ,אבי היה עייף מכל תלאות היום והמחשבות ושקע בתוך המושב העמוק והרך והתחיל מנמנם , כך עשו גם שני הנוסעים האחרים ,כאשר הכרכרה החלה להתרחק מהעיר אבי נתן לעצמו להירדם לכמה שעות , כשפתח עיניו היה כבר אור בוקר ,הסוסים מנענעים אחוריהם, הכרכרה טלטלה מצד לצד את שני הנוסעים שישנו שנת ישרים אור הבוקר לא הפריע להם כלל ,רוח קרירה וחרישית נשבה ואבי הרגיש רק נועם ומרגוע , כאשר הגיעו לפרברי העיר "טאטואן" הסוסים היו כבר עייפים ומשכו את הכרכרה בכבדות. והעגלון היה צריך להצליף בהם מידי פעם כדי שיתקדמו בכניסה לעיר ,נשמע קול המואזין המזמין את מאמיניו לתפילת הבוקר: "אללה וכבר",  "אללה וכבר" סמוך לרחוב "מולאי אדריס" הכרכרה נעצרת והנוסעים ירדו ממנה בכבדות ,אבי יורד ממנה אחרון ,העגלון הצליף בשוטו בשריקה עזה והכרכרה נעה משם , אבי לוקח את תרמילו והחל ללכת לכוון הרובע היהודי.   הוא מהלך בכבדות,  העייפות נתנה בו אותותיה, פניו מכוסים עוד באבק לבן שהעלו הסוסים שמשכו את הכרכרה. לא היה לו כל צורך לשאול היכן הרובע היהודי. כל הרובעים היו דומים זה לזה. על פי חושיו החדים ידע למצוא בקלות את הרובע. והוא מהלך בכבדות ,הוא מגיע לשער ברזל גדול ורחב במרכזו מגן דויד גדול זה היה שער הכניסה ל"מלאח" כמצוין במכתב האחרון שקבל מיעקב חברו בכתב ראשי מסוגנן ויפה להפליא.

השער היה פתוח אבי נכנס פנימה ושאל היכן גר יעקב ברדוגו השעה הייתה מוקדמת כדי להעיר את בני המשפחה שישנו את שנתם , אבי מתקדם כמה מטרים ורואה דלת כחולה הכניסה לביתו של יעקב הוא מתיישב ליד ומיד נרדם ומתעורר בבהלה.. מולו עמד בעל הבית, אביו של יעקב ששאל למעשיו ליד ביתו ,אבי לא היה ער לגמרי וגמגם "אני מחפש את יעקוב" ."אתה רפאל", "בני סיפר לי עליך " כנס לביתי יעקב ער ומתפלל, הוא ישמח לראות אותך ,אני יפגוש אותך יותר מאוחר, הוא דפק קלות על הדלת הכחולה ,מבפנים שמע תפילה חרישית , הוא נכנס פנימה ומצא את יעקב מתפלל ,יעקב מחייך אליו ועושה לו סימן ביד שהוא כבר מסיים, אמו יושבת במטבח על שרפרף נמוך ומנסה בעמל רב להחיות את האש בגחלים בתוך ה"מזמר" כדי להכין את תה הבוקר ,אבי בוחן את הבית, כתלי הבית צבועים לבן, התקרה מאד גבוהה נתמכת בקורות עץ רחבים,על אחד הכתלים נשקפו פני "חכם" מזוקן מתוך מסגרת זהב, בכותל ממול מסגרת זהב גדולה ועליה מפה רקומה באותיות זהב "מזרח "כל הבית חדר אחד רחב ידיים ,צמוד לכתלים מסביב , מזרונים עבים מכוסים בכיסוי מיטה צבעוני מבהיק , באמצע החדר שטיח צמר מרוקאי "ברברי" טיפוסי ,עבודת יד ועליו באמצע מגש כסף עם רקועים יפיפיים בסגנון העיר "טאטואן ".יעקב הביא קערה גדולה מלאה מים לאבי לרחוץ פניו ורגליו שהיוו עדיין מכוסים אבק לבן מהמסע , ואחרי חיבוק ארוך ונשיקות , התרווחו להם שני החברים ועל המזרונים ליד הכתלים ,אימא של יעקב הגישה תה מנטה וגם תפוזים צוננים, יעקב הכיר לאמו את אבי

– "איך הייתה הנסיעה "? שאלה ,

– "היה נוח מאד בכרכרה ,אך הדרך ארוכה מדי" ענה אבי.

-"תנוח קצת ונצא ל"מדינה " היפה בעולם" אומר יעקב .

אבי בקושי הספיק לנמנם רבע שעה וכבר הופיע יעקב וביקש שינעל נעליו

– "יוצאים למרכז העיר ל"מדינה" חבל לבזבז את הזמן בשינה .אומר לו יעקב בחיוך.

 מחוץ לבית היה חם ,כתלי "המלח" צבועים בסיד גס ומחוספס ,כאן מתגוררים יהודים רבים הצפיפות רבה זה דורות , בהמשך הסמטה כמה חנויות קטנות ובהם רוכלים יהודים לבושים "גלביות" חומות ונועלים "בבוטשות שחורות". לאחר הליכה קצרה הם מגיעים "למדינה" "המדינה של "טאטואן" נחשבת בצדק ליפה ומפורסמת מכל ה "מדינות" בערי מרוקו היות והיא מיוחדת במינה , היא משמרת בתוכה את נפש אנדלוסיה ובניה מרוקאית טיפוסית ב"מדינה", הבתים קטנים ונאים עם חלונות עגולים מרפסות מקושטים בפיתוחי ברזל שחורים יפיפיים עליהם עציצים מלאים לעייפה בשיחי גרניום צבעוניים .

השוק הוא מקום המפגש האידיאלי לכל הבאים בשערי העיר כל העמים ומכל הצבעים כאן אתה שומע בליל של שפות בפנים אפשר לקנות כלי חרס מכל הסוגים והמינים הקיימים במחוזות מרוקו , בכיכר השוק עמוסה בפרחים מכל צבעי הקשת בסמטה במרחק כמה מטרים משם חנויות הבדים הצבעונים החוטים וכפתורי הצדפים משולבים אחד בשני ונראים כציור מעשה ידי אמן ,באור החמה, כלי הנחושת מבהיקים , רקועים בפסוקים מהספר ה"קוראן" הקדוש למוסלמים ,חנויות הצורפים נמצאים בסוף הסמטה הצרה והצבעונית , צבע הזהב במרוקו נוטה לאדום היות והצורפים נוהגים להוסיף לו נחושת ולא פליז, אבי חושב לקנות צמיד לאשתו החדשה יעקב מספר לאבי תוך כדי הליכה על העיר ותושביה ,היא כל כך אהובה על ידי העם שנקראה בשרי משוררים ערבים "ירושלים הקטנה", בעיר משולבים תערובת של תרבויות צבעוניות ים תיכונית הערבית והאירופית , האנדלוסית ואחרות ,מעשירות את תרבותה כל הזמן , נחשבת לעיר מחוז חשובה בצפון מרוקו ,העיר נבנתה על ידי הפניקים והסולטאן "מרימוז" חיזק את חומות העיר לפני כחמש מאות שנה ומאז העיר לא מפסיקה להתפתח ולהתייפות זאת עיר מכניסה אורחים ,היא מחוזקת באופן תמידי בקשר עם החוץ בתנאי שזה לא פוגע בייחודיותה האנדלוסית הצבעונית המיוחדת .

לתושבי העיר "טאטואן יש קשרים תרבותיים ומסחריים לא רק עם עמים ותרבויות אחרות אלה גם עם מחוזות וערים בכל מרוקו . אנשי העיר ידועים, בהכנסת האורחים החמה שלהם ההשפעה החזקה והבולטת ביותר היא הארכיטקטורה האנדלוסית הבאה לידי ביטוי בקירות ה"קסבה ",בבתיה הקטנים, במסגדים הבנויים בסגנון ה"מורי "ובארמונות המלך שנבנו במאה השבעה עשר בסגנון "המורי-ספרדי ", בבתי הפטיו הקרירים בקיץ החם ,המזרקות והגנים רחבי ידיים . אל העיר הגיעו בגירוש ספרד כל אלה שסבלו וברחו מזרועה הארוכה של הנצרות בספרד בזמן האינקוויזיציה ,מאות יהודים וערבים הגיעו לעיר חלקם התיישבו בה או המשיכו לערים אחרות במרוקו "פז" "מקנס", "רבאט" "סלה" ו"מגדור" .

לקהילה היהודית היה תפקיד חשוב ומכריע ,מאות שנים בפיתוח המסחר והתרבות עם ספרד אטליה ואנגליה .האוניות עמוסות סחורה הפליגו מ"טאטואן" לגיברלטר, מרסי ואלג'יר והיו חוזרים עמוסים בכל טוב , קשריהם החזקים והקבועים של היהודים עם הקהילות השונות תרמו בעקיפין גם להתפתחות המסחר של המוסלמים ועמים אחרים, בעיר ובמרוקו בכלל, והתעשרת התרבות היהודית בכתובים מהקהילות סלוניקי קושטה ואיסטנבול.

 על אחד השטחים החשופים לשמש היוקדת נערים משחקים בכדור ברגלים יחפות ומעלים אבק ,ביציאה מהמדינה הבתים לבנים ונאים בסגנון ספרדי קלסי ,מסביבם גינות מלאים שיחי וורדים אדומים ורודים ולבנים , יעקוב סח לאבי "כאן גרים כמה סוחרי בדים יהודים אמידים שעזבו את הסמטאות העלובות של ה"מלאח", מלאות הבוץ והלכלוך שחייבים לסייד כל יום שישי בסיד טרי כדי לגרש ריחות רעים של כל השבוע, הבתים מתפוררים , שני חדרים קטנים ומטבח משותף לשתי משפחות ואם היה להם מזל יהיה גם בית כיסה פרטי .בדרך כלל העשירים מצניעים את עושרם ובעלי אמצעים ממעטים לדבר על רכושם אך במרוקו זה ההפך אם משהוא היה מתעשר הוא היה מעוניין שכל הקהילה תבחין בעושרו" "העשירים החדשים " "נובו ריש "כך היו קוראים להם בלגלוג היהודים מה"מלאח " היות ולא באו ממשפחות מיוחסות ומתורבתות אלה מפשוטי העם ואפילו שהתעשרו התנהגותם הסגירה אתם. לאחר הביקור בעיר הם חזרו הביתה לנוח, בבוקר מוקדם אבי מתעורר, התלבש בבגדי שבת ויחד התקדמו לכוון בית התפילה ב"מלאח" אבי, פוסע על שביל בוץ יבש ומתקרב לבית התפילה הרגשתו הכללית לא טובה ,אך הוא לא מודאג ,קורה לו לפעמים בדרך לתפילה ,הוא מנסה להירגע ומתאמץ לא לחשוב על כך ,הוא מבחין מרחוק בחלונות בית תפילה הבנויים בצורת לוחות הברית, בכניסה לבית הכנסת מסדרון צר מוביל פנימה, הוא מרגיש בחוזקה את דפיקות ליבו המתכווץ בקרבו, הוא מפלס דרכו בקושי פנימה , ויחד עם יעקב מתקדם למקום המיועד לאורחים. מצב בית התפילה ניראה לו רע ממקום מושבו רואים שהסייד לא ביקר כאן זמן רב ,טיח הכתלים תפח והיה מתפורר ,היו לו כנראה ימים טובים יותר בעבר, הספסלים וכסאות העץ רקבו מרוב שימוש.

התיבה, מושבם של הפייטנים והחזנים רעועה וחורקת כולה, ההיכל ארון הקודש היה כבר ישן נושן , והפרוכת מעליו דהויה ובלויה ואותיות הזהב הרקומות נראו בקושי רב , אבי צונח לתוך הכיסא הפנוי ומנסה להירגע ,בית התפילה מלא מתפללים ,מושך את תשומת ליבו זקן מרושל בלבושו שישב לצידו,כתמי טבק חומים מסביב לאפו ,אבי מביט ביעקב ומתפעל ממנו, הוא לבוש גלבייה לבנה ועטוף בטלית לבנה ,נינוח ורגוע ובידו ספר התפילה ,הוא מתקרב לאבי ולוחש לו :"כל חג זה חוזר על עצמו אין מקום בבית התפילה הכל מלא", לרוב המתפללים אין מקומות ישיבה הנשים בחוץ במטפחות צבעונית לראשן מציצות מהחלונות לראות בעליהם המתפללים, מתנועעים כמו לולב , רחש התפילה מתגבר ,גברים ממלמלים : "לכו ני רננה לה" אבי מצטרף "לכו נרננה לה", נשמעות לחישות עצבניות מקהל המתפללים כאן מתחילה קניית המצוות ,"דאן" "דאן" השמש הכריז על מכירת מצוות ההקפה עם ספר התורה "דוס"!, טראז! קואטרו " קולו ממלא את בית התפילה הוא מתקרב לארון הקודש ראשו מכוסה בטלית והוא קורא בקול, הקול הגבוה מעביר באבי צמרמורת בכל חלקי גופו ,הוא פותח את ארון הקודש מוציא את אחד הספרים ומוסר אותו לנער שאביו נתן את המחיר הגבוה ביותר ,שיעשה את ההקפה עם הספר הפתוח מתפללים ממהרים לנשק את הספר לאחר ההקפה הניח אותו הנער על הטבה לפני השמש בזה הרגע מתחילה המכירה הפומבית לעליה לספר התורה ,בחגים מציעים מחירים גבוהים במיוחד אולי יקנו פרוכת חדשה לבית התפילה ."דאן" "דאן" "דוס" טראז "קואטרו" ,מראשון עד שביעי להפטרה הנכספת, אבי "כאורח" מקבל רשות לעלות לתורה במקום שישי ללא תשלום, המתפלל הראשון עומד ליד הספר הפתוח "דאן "דאן" ,השני ,השלישי, הנה אבי, הגיע תורו והוא עולה לטיבה הרעועה קורא בקול רועד: "השם עמכם" והקהל עונה במקהלה "יברכך השם" אבי קורא קטע קטן מפרשת השבוע ושוב בסיום הוא אומר "ברכו את ה' המבורך "הקהל עונה :"ברוך ה המבורך לעולם ועד" השמש שואל את אבי לשמו ובני משפחתו כדי לברך אותו אבי אומר: רפאל אלמושנינו זה שמי ושם משפחתי השמש חוזר על השם רפאל אלמושנינו ,הוא לא האמין למשמע אוזניו והוא שואל שוב: "זה שמך אתה בטוח" אבי ענה: "זה שמי כל החיים ",אבי לא ידע מה הבעיה.

המתפללים הזדקפו במושביהם ,השמש נרגש מאוד חלק מהמתפללים מקיפים את אבי ודוחפים אותו לאחת הפינות בבית התפילה . השמש מצביע על אבי ואומר לו בקול :"אתה גנב ,אתה גנב, אתה אפיקורוס ,אתה רוצה לגנוב את קופת הצדקה של החכם, רבנו יצחק אלמושנינו הקבור כאן בטטואן "אבי ניסה לקום והקהל לא נתן לו, הוא רעד בכל חלקי גופו ועמד להתעלף מהחום הרב וחוסר האוויר ,הייתה לו הרגשה רעה מתחילת התפילה. שמעון חברו כשהבין שמדובר באבי ניסה להתקרב אך לא נתנו לו להתקרב אבי היה חוור כסיד שעל הכתלים, יעקב הצליח אחרי מאמצים רבים להגיע לאבי והתיישב לידו אך לא היה יכול להושיע .בית התפילה הפך לבית סוהר ,רבע שעה חלפה עד שהמתפללים נרגעו מעט והחלו להתפזר כל אחד לביתו .

קומץ מתפללים סקרן והשמש נשארו אחרי התפילה לבדוק את העניין , החזן נטל מקטורנו לבש אותו במתינות ובאיטיות ,רכס גם את הכפתורים ,אחר כך החליק פעמיים את זקנקנו לקח את רשות הדיבור ואמר בקול מלא חשיבות : "קבור כאן אצלנו ב"טאטואן" החכם הקדוש רבי יצחק למשפחת אלמושנינו ובקופתו כשלוש מיליון "דירהם "ואם אתה באמת כמו שאתה אומר ממשפחת אלמושנינו הכסף יהיה שייך לך ולמשפחתך אך קודם כל עליך להוכיח זאת, "אבי נסה לדבר אך לא נתנו לו , בינתיים הגיע לבית התפילה "השיוש" האחראי מטעם הסולטאן על הסדר בעיר ואחרי ששמע את המעשה לקח את אבי למעצר ארבעה ימים וארבעה לילות היה אבי במעצר עד שהיגיעה האיגרת הנכספת מקהילת יהודי "מוגדור "על ידי שליח מיוחד וזה דבר האיגרת : בע"ה חברי היקרים והמכובדים בני קהילת "טאטואן" אדונים נכבדים אני רבה הראשי וראש הקהילה היהודית של העיר המכובדת "מוגדור" יעקוב אלפסי מצהיר בזאת כי היהודי הנמצא אצלכם בבית הסוהר הוא אדם ישר בר לבב ומכובד מאד בעירנו ושמו בישראל רפאל אלמושנינו הוא בנו של הרב הגאון הקדוש והמכובד חסדאי אלמושנינו , אנו גם מצרפים את "הכתובה" של האיש כדי שתראו זאת במו עינכם ,אנה מכם שחררו את האיש משפחתו דואגת לו מאד . על החתום "חבריכם הנאמנים תמיד בני קהילת "מגדור" ורבה הראשי" יעקוב אלפסי .

לאחרי קבלת האיגרת הוציאו את אבי מבית הסוהר הוא הלך להתרחץ וללבוש בגדים נקים אצל יעקב חברו , כל קהילת "טאטואן" בקשה סליחה וכפרה, המתפללים שדחפו אותו בבית התפילה , נישקו חבקו אותו וביקשו שוב סליחה. הקהילה היהודית התארגנה כל אותו שבוע ,המבשלות שתפו פעולה הפעם ביניהם היו אופות ומבשלות במטבח צריף העץ הצמוד לבית התפילה כבר כמה ימים , עד שעלו ריחות ניחוח מהתבשילים , קציצות בשר ,תרד -בר וקישואים , השמש דאג לקנות כמה מצרכים יקרים שלא נראו קודם בסעודות כדי להעשיר את ההילולה וצפייה גדולה הורגשה היטב לקראת המאורע , הותקן אוהל גדול ממדים ליד בית הקברות שישמש את הבאים ,את ההילולה הגדולה פתח נציג המלך שעמד במרכז האוהל הצבעוני ובירך את אבי וכבוד החכם רבי יצחק אלמושנינו ז"ל שהיה קבור זה שלש מאות שנה בעיר ורבים סיפרו נפלאותיו .

בסוף ההילולה אחרי שכל הקהל אכל ושתה . במבנה ליד הקבר של הרב בבית הקברות המקומי פתחו את קופות הצדקה של הקבר בפעם הראשונה זה שלוש מאות שנה ונתנו את הכסף שנאסף , לאבי , אבי שמר לעצמו חצי מהסכום ואת הסכום הנותר השאיר בידי ראש הקהילה היהודית ב"טאטואן" ובידי יעקב חברו כדי לשפץ את בית התפילה המוזנח ב"מלאח" . הרי אמרנו חכמנו: "כל ישראל ערבים זה לזה "בתחילת הסיפור סיפרנו לכם הקוראים שבגירוש ספרד חלק מהיהודים נשאר" בטאטואן" וחלק המשיך לערים אחרות במרוקו וכך הסתיים לו סיפורינו ,עד היום הזה שבעים שנה אחרי הנינים ובני הנינים של רפאל מקבלים כל שנה בהילולת הרב יצחק.א. את הכסף שנאסף בקופות הצדקה של החכם . 

ארמונות ובוסתנים-דויד אלמוזנינו

בחווה שנדמה שהזמן עצר מלכת זה 50 שנהארמונות ובוסתנים

זה מזל אני היום יודעת, כשאני יושבת לבד בשמש בקורסת הקש הישנה ליד ביתי אני לא מפסיקה לחלום….

"בחווה שלנו בכפר בסיביר, נדמה שהזמן עצר מלכת שום דבר לא השתנה בה זה חמישים שנה. הבית בחווה נמצא  ברשות המשפחה כבר 70 שנה. מתחת לגג אחד מחולק חדרים ועוד חדר אחד מרכזי. חיינו בבית כבר כמה  דורות, בבית  היינו שבעה נפשות. ילדים, הורינו, הסבא וסבתה, וגם הדודים והדודות הרווקות. כשזרים כשמתקרבים לחווה הם מתקבלים במקהלת קולות וריח חזק של רפת .קולות החיות מסמנים להם שכאן יש הכול כלבים, חתולים, עופות, אווזים , כבשים והרח אומר להם שבקרבת מקום יש גם פרות.

הכפר שלנו לא היה מפותח במיוחד, המבוגרים גידלו בעיקר תפוחי אדמה, היה גם לול לתרנגולות והיו גם מעט אווזים ופרות בודדות מפאת הקושי בטיפול בעדרים. בסביבה, בכל כיוון שתסתכל הייתה שממה, כלבים פראיים ותנים משחרים לטרף. כמו כן, אבק כיסה את הכפר ועכבישים ונחשים ארסיים נמצאו בו לרוב. היינו פלאחים, אהבנו לחיות מחוץ לבית . הגבעות היו מגרש המשחקים שלנו, כששתלנו עץ התפללנו לאלוהים שישמור ויגדל את העץ הזה כדי שילדי וילדי ילדי יוכלו ליהנות ממנו ומפרותיו.

אימי הייתה אומרת: "חיים בכפר זה לא משחק ילדים, מרק טעים והעשיר לא נעשה מעצמו, צריך לגדל את הירקות ולדאוג להם, וכן לטפל באהבה רבה בעופות ובאווזים, אחרת גם מרק לא יהיה".

ברפת שלנו היו שתי פרות, שאימי אהבה מאוד, הייתה אומרת: "הפרות האלה זה החיים שלי אפילו שהם נותנות לי עבודה רבה, אבל אני כבר רגילה", אימי המשיכה בוקר וערב לטפל בבהמות ובבעלי הכנף באהבה רבה כל עוד היה לה עוד כוח.

את הבית שלנו בחווה, אפשר היה להרחיב בצורה פשוטה לא יקרה ובלי מאמץ מיוחד, כך בנינו לבד את החדר הנוסף, מספיק שבני המשפחה היו מתגייסים ועוזרים, כמה עצים ואחרי כמה ימים חדר נוסף היה כבר מוכן לאכלוס, בפעם האחרונה שהקימו חדר בבית היה כשהורים שלי התחתנו, אך הדבר היחיד שהיה חסר בחדר זה חלונות . לא ידענו איך לבנות אותם כך שהבית היה אפל, גם כשמחוץ השמש חזקה הייתה וחמה.

כולנו ישנו על הרצפה. בחדר המרכזי היה תנור ברזל גדול עליו בישלנו ובחורף הארוך הוא שימש לחימום החדר.

חיינו בכפר היו מאוד פשוטים, תמימים ולפעמים משעממים הסתפקנו במעט והיינו תמיד שמחים, שעה של חופש שניתנה לנו מהעבודה הביתית היום יומית ומהעבודה בשדה היה נדמה לנו שזה שבוע. דברים פשוטים הקסימו והדהימו אותנו . מעוף הפרפר, עכביש תלוי על חוט בלתי נראה, למצוא קן של ציפור שנפל מהעץ ובו שלושה גוזלים רכים. תאנת- בר שאכלנו בשדה בדרך הביתה, או ענבים שריסקנו בפינו, או מים ששתינו ישר מהמעין מלא אותנו אושר לכל היום. אני עורגת לאותה התקופה, שבה יכולתי לשחות ערומה במעין קפו ללא בושה ללא פחד, על הטוב ועל הרע שבכך.

חיינו את חיי הילדות הפשוטים ללא פחד כלל כל הכפר היה ידידותי ולא פחדנו מאנשים סביבונו, אך שמענו על כל מיני סיפורים על מקרים ודברים רעים שעשו לילדים, אך אנחנו לא התייחסנו אליהם ברצינות ולא פחדנו, פחדנו יותר מהסיפורים שהיו מספרים לנו על חיות רעות האוכלות ילדים קטנים.

זיכרונות הילדות מלווים את כולנו. עולה מהם תמיד ניחוח של תום, אווירה של שלווה, של פיוס, של רוגע. בכפר, החיים לא השתנו ואני כילדה  הייתי מאוד מאושרת .

החיים של האדם הפשוט, עובד האדמה, לא היו קלים, בחווה שלנו לא היו מים זורמים. בכפר היו בארות מים שאסור היה לשתות את מימיהם הם שמשו רק לכביסה . מי ששתה מהם היה בסכנת חיים, יכול לחלות במחלות קשות ומסוכנות כמו קדחת הבארות. למי השתייה הייתה לנו בחווה לכל המשפחה חבית גדולה מעץ כל משפחה  הייתה ממלא מים מהמעיינות שהיו מפוזרים בכפר. באים הביתה ושופכים את המים לתוך החבית . היינו שמים כדורים מיוחדים שנתנו טעם טוב למים והרגו חידקים. החבית הייתה גדולה בגובה של אדם בינוני ואת המים הוציאו ממנה בספל פח גדול שהיה קשור אליה בשרשרת. המים היו קרירים ונעימים.

בחווה לא היה חשמל, גם כך לא היינו במשך כל היום בבית. בבית נשארה רק אימי והדודה להכין את ארוחת הצהריים.אפילו אנחנו הקטנים היינו כל הזמן עם המבוגרים,  עזרנו באסם בלול וברפת או בחיפוש צמחים שהיו ראויים למאכל שגדלו פרא בשדה לא רחוק מהחווה.

בצהריים התאספנו כולנו יחד קטנים וגדולים לארוחת צהריים, בדרך כלל מרק כרוב ותפוחי אדמה ולחם הכפר הגדול והטעים. הלחם היה המצרך העיקרי. בשר אכלנו רק כאשר אבי שחט כבש וזה היה בימי חג ימי הולדת וחתונות .

העבודה בשדות וטווית הצמר והטיפול בבהמות לקחו את כל הזמן הפנוי שלנו כך שלמעשה לא הייתה לי ילדות כלל אך הייתי בכל זאת מאושרת בחלקי.

בחווה היו לנו חוץ שני פרות גם תרנגולות וברווזים, חמור אחד וסוס אחד וכבשים שמגדלים אותם במיוחד בשביל הצמר אך גם בשביל שיהיה לנו בשר בחגים.

בערב היינו מתכנסים ויושבים יחד בחדר המרכזי מסביב למקור החום היחידי בבית, מספרים סיפורים, מספרים זיכרונות חיים ומבלים הרבה גם עם השכנים.

העבודה בחווה הייתה מפרכת כי הכלים שבהם השתמשנו היו מיושנים. עם השכמה היינו מתחילים לטפל בפרות מביאים להם עשב וגם תערובת של תירס וקמח. מעבר לביתנו היה שביל ומעבר לשביל השתרע שדה, ומעבר לשדה הייתה טחנת הקמח של הכפר בה הותקן מנוע קיטור כדי לספק כוח  לתחנה כאשר זרימת המים בנהר הייתה איטית, לפעמים הייתי מצטרפת לאבי על מנת לטחון קמח ותירס עבורנו ותערובת עבור הבהמות. על העגלה הישנה שלנו אבי היה מניח את שקי החיטה והתירס. היינו נוסעים יחדיו בשדות ומביטים בגלגלי הטחנה הענקיים המסתובבים לאיתם.בתחנה היו שני טוחנים, אב ובנו. לאב היה זקן שחור, אך היה זה דווקא הבן הצעיר שהפחיד מאוד את הילדים הקטנים בבגדיו המאובקים בקמח לבן. הוא היה מסלק אותנו בצעקות והיינו בורחים אל מאחורי הטחנה, שם הייתה הנחלה של איכר זקן.

בילינו קיצים נהדרים בקטיפת פרחים והשגת גבול. לא רחוק מהתחנה היה שביל שהוביל למקום נחמד בו היינו נוהגים לאכול אוכמניות אך חלק קטן מהשביל עבר דרך שדותיו של האיכר שלא אהב שעברנו בשדה שלו וחפשנו פטריות. וכל פעם שעברנו בשדה שלו הוא רודף אחרינו ומקלל. האיכר היה נוהג לאסוף את הנעלים של הילדים והותירו אחריהם כשברחו בפחד. הוא היה מראה להם אותם מרחוק כדי לאלץ אותם לבוא ולבקש אותם. ואז הוא היה מכה אותם. אימנו הייתה מכינה ארוחת צהרים לי ולאחותי הגדולה ממני בשנתיים והייתה באה אלינו לשדה. שנאכל ביחד במקום הנחמד הזה, לה הוא לא היה מפריע ומקלל כשעברה בשדה שלו. בהגיעה היא הייתה משמיעה קול עמוק ושנינו היינו בורחות מהמקום בריצה.

העבודה בכפר לא נגמרת, חולבים את שתי הפרות ומעבירים את החלב  במכלים מיוחדים כדי להכין ממנו גבינה.

בחודש פברואר היה צריך לחרוש את השדות ולזרוע את החיטה ואת התירס ,לחריש בשדות היינו משתמשים במחרשת העץ הישנה וקושרים אליה את שתי הפרות האהובות שלנו ואימי הייתה מתחילה את החריש. לאימי הייתה הבנה לפרות יותר טוב מאבי.  ביום הקציר היו באים לעזרתנו שכנים ומכרים, וגם אנחנו הולכים לעזור להם כשהם צריכים עזרה. מפרידים את השיבולים מהחיטה שמשמשת אותנו לכל השנה להכנת הלחם וגם לתערובת לפרות, את הקש היינו אוספים לחבילות ואחר כך חורשים את השדה שינוח עד לזריעה הבאה בשדה היו גדלים כל מיני עשבים ובקיץ היינו אוספים אותם ונותנים לבעלי החיים בחווה.

עצמאות

אני אהבתי במיוחד לרעות את צאן אבי , כי כאן הייתי עצמאית לא קבלתי הוראות מאיש ויכולתי  לשכב לחלום כמה שרציתי. כבר מגיל צעיר מאוד יצאתי לשמור עליהם יחד עם אחותי הגדולה. כשהתבגרתי מעט כבר יצאתי אייתם לבד ואהבתי כל רגע , אהבתי את הכבשים ועוד יותר את הגדיים שרק נולדו הייתי מרימה אותם כמו תינוקות ומתפעלת מהם.

הייתי נשכבת בשדה בצל אחד העצים ומשגיחה עליהם כשהם רועים בשדה הפתוח, היה לנו כלב שחור שרק אוזניו היו לבנות שידע טוב מאוד לעשות את העבודה. היה צורך מידי פעם לומר מילה וכבר היה אוסף אותם בשבילי. כך יכולתי לשבת על הדשה הרך ולעקוב אחר העננים המתגלגלים ומחליפים צורה.

עוד בילדותי חלמתי בהקיץ, הייתי קצת מעופפת ועכשיו זה לא היה חסר לי, הייתי שקועה  בלספר לכבשים ולי סיפורים על נסיכים ונסיכות, חלמתי תמיד בכל מצב, ונראה לי שזה לא עבר אפילו כשהתבגרתי,אך החיים למדו אותי שאי אפשר להאכיל ילדים על ידי חלומות, אבל החלומות עזרו לי בכל זאת,לעיתים יכולתי להעלם כשהעולם היה נראה לי מכוער מאוד ובלתי נסבל.

בילדותי לא רק העננים היו כל עולמי גם השמש שהאירה את העולם, את השדות ואת השיבולים הזהובות.

את השבילים מלאי הטל. בימי הקציר הייתי הולכת אחרי הקוצרים בשמחה, והייתי מוזגת להם מים כאשר נתנו לי סימן, בדרך חזרה הייתי דורכת על חתיכות קש זהובות מקרני השמש. כשהשמש הייתה באמצע השמים בשעה 12 הגברים היו מסיימים את העבודה ונכנסים הביתה לאכול, אני הייתי מצטרפת לאחותי וביחד היינו מגישים להם אוכל אני זוכרת עד היום את ספסלי העץ הרבים עליהם ישבו העובדים הרעבים ואנחנו לא נחנו לרגע כי כל הזמן בקשו אוכל ואוכל, באותו הזמן היה נדמה לי שהשמים כחולים יותר, היו אלה רגעים של אושר,אחרי הארוחה הגברים היו נשכבים על הקש הזהוב למנוחה קצרה ואחר כך יצאו שוב לקצור את החיטה עד הערב ואז היו יושבים לאורם של עששיות השמן לאכול ארוחת ערב שהייתה נגמרת רק מאוחר מאוד באמצע הלילה.

לא היה לנו אז שום בידור שום תענוג רק עבודה כל היום אך היינו מאושרות. מבלי לדעת יצאתי מהילדות, וכבר אבי חשב שאני מספיק גדולה, הכפר היה כל עולמי, שאט אט גדל איתי, נולדו לי עוד אחים ואחיות עכשיו היינו 7 אהבתי מאוד את אבי הייתי תמיד כל כך שמחה כאשר הוא לקח אותי בזרועותיו , כאשר בא הביתה אחרי יום עבודה בשדה , הייתי רצה לקראתו בשמחה. ביום שהבנתי שאני כבר לא הקטנה והמפונקת בבית . אבי  כבר לא הסתכל עלי באותה הצורה כפי שהיה מסתכל עלי קודם וזה כאב לי מאוד. היה נדמה לי שצבע השמים פחות כחול ושהירוק בשדה פחות ירוק.

לא חשתי שאני חיה בסביבה ענייה וגסה לא חיטטתי באומללותי, חיי המשפחה היו עלובים את הנשמה טיהרנו בתפילות ובצניעות מוזרה.

 

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PALAIS ET JARDINSMIRACLE À RAMADAN

 

Par David Elmoznino  /   Texte  /   Israël • Histoire en français  /   5 décembre 2012

 » Et maintenant, notre âme est desséchée, plus rien ! Si ce n’est la manne pour nos yeux. »
(Nombres 11 : 6)

Les derniers jours de la fête de Ramadan s’écoulaient paisiblement dans la douceur d’un hiver tempéré. La chaleur régnait encore à Eilat et dans toute la péninsule du Sinaï, en ce Temps-là sous contrôle israélien.

Les bédouins, membres de la tribu Tarabin, été probablement Tarabin- Hedjaz, Ils sont venus au Sinaï après les membres Huwas. La tribu a disparu, ou assimiler, après avoir consenti à les accepter dans ses rangs, de mettre en garde contre les incursions des Bédouins d’autres venant du nord. Elles font désormais partie de la grande tribu Tarabin cui vie dans le nord du Néguev d Israel, dans le Sinaï Ils habitaient Surtout dans l’Est au nord de Nuweiba, ils se distinguent ils sont diffèrent du reste des Bédouins dans le Sinaï.

Les gens des tribus croyaient dur comme fer au destin, à la fatalité et étaient persuadés que toute destinée humaine, propice ou néfaste, émanait de la volonté d’Allah. Fidèles à cette croyance, ils s’abstenaient en cas de maladie, de suivre tout traitement thérapeutique et se tournaient instinctivement vers les vertus de la médecine populaire traditionnelle.

Le docteur Maurice, un médecin de famille pratiquant à Eilat et son épouse se portèrent volontaires pour soigner les populations bédouines ; ils réussirent à endiguer la vague de décès qui frappait les nourrissons, enseignèrent aux mères bédouines les règles élémentaires de l’hygiène personnelle et leur firent découvrir les succédanés du lait maternel, sous forme de conserves en boîtes de métal, à donner aux bébés à la place du thé. Les bienfaits de la médecine moderne se répercutèrent également sur la santé des bédouins adultes, sur leur espérance de vie, les amenant à un âge honorable relativement avancé. La population s’agrandit, les besoins aussi, mais les moyens de subsistance restaient très limités. Bien avant que les israéliens ne découvrent le Sinaï, ses vastes étendues et ses paysages fabuleux, il n’y avait tout simplement rien à manger sous la tente des bédouins, si ce n’est quelques poissons malodorants séchés au soleil et des oeufs de la Tnouva*, le plus souvent avariés sous l’action de la lourde chaleur. Dans l’attente d’un miracle divin, les anciens de la tribu se rassemblaient régulièrement sous la tente centrale et priaient. Ils tendaient leurs mains suppliantes vers le ciel et leur appel résonnait au loin :
? Oh Allah Clément et Miséricordieux, donne-nous de la viande, ne serait-ce qu’en l’honneur de la sainte fête de Ramadan. ?

Douze heures après la dernière imploration, les journaux israéliens publièrent le récit circonstancié de Djamal, un enfant bédouin autiste habitant du Sinaï, vivant auprès de ses parents dans des conditions miséreuses et dont un dauphin, qui est devenu son ami, améliora miraculeusement l’état de santé, après l’avoir approché lors d’une rencontre fortuite sur les eaux mythiques de Di-Zahav*, de Dahab.

Djamal était somnambule.
La nuit, il se levait au milieu de son sommeil, quittait la petite cité-dortoir et se retrouvait sur la plage. Il ne se réveillait qu’au contact de l’eau froide caressant la plante de ses pieds. Au dernier moment. Sur le point de s’enfoncer plus en avant, toujours prisonnier de son sommeil, dans les vagues menaçant de l’engloutir.

Cette nuit-là, une forte tempête de sable se leva sur le Sinaï. Un vent violent chargé de sable jaune souffla sur la mer, soulevant de hautes vagues qui vinrent balayer le rivage avec fracas, laissant derrière elles des rubans d’écume blanche. Les filets tendus mis à sécher par les pécheurs, craquèrent, s’envolèrent et partirent en mille morceaux.
Djamal, pris dans la tourmente, malmenée sur ses flancs par les rafales de la tempête, avance sur la plage, endormi, somnambule. Il atteint le bord de l’eau et commence à s’enfoncer en direction des hautes lames.
Mais cette fois-ci il ne se réveille pas.
Les bras tendus en avant, le pas hésitant, il oscille, portant avec peine le poids de son corps d’une jambe à l’autre. Ses cheveux ébouriffés par la tempête volent dans tous les sens. Alors que, les yeux fermés et à la merci des éléments déchaînés, il est sur le point d’être jeté à l’eau par une vague géante dont la menace se précise, voici qu’une voix ténue se lève tel un écho renvoyé par les monts et les lames, surmontant le fracas et le grondement de la tourmente.
Le dauphin nageait devant Djamal, poussant de petits cris.
Puis, il crie fort, de plus en plus fort, jusqu’à ce que ce dernier ouvre enfin les yeux.

Djamal, passablement sonné, s’accroupit sur le sable et pendant une heure entière observa le dauphin s’élancer hors de l’eau. Il sautait, bondissait tout en émettant une série de sons étranges et variés. Il piquait vers le large et revenait, nageait et revenait. Lorsque les premiers rayons du soleil matinal apparurent au-dessus des monts, Djamal se débarbouilla dans l’eau salée et effleura le dauphin du bout de ses doigts. Ce contact lui procura des sensations nouvelles, troublantes, fortes et vives.

Il ne se passa pas un quart d’heure que la soeur de Djamal, s’élançant au pas de course depuis la grève, fit irruption chez ses parents et les secoua vivement, les tirant de leur sommeil :
? Venez vite ! Venez vite ! Djamal vient de réaliser un miracle ! ?
Toute la tribu se tenait déjà à l’extérieur, lançant vers la mer des regards bouleversés, éperdus. ? Quelques mètres du rivage, Djamal et le dauphin nageaient côte à côte, au milieu de centaines de volailles de choix, proprement déplumées et flottant sur le fil de l’eau.
Une mer de victuailles.
Les anciens de la tribu se rassemblèrent sur-le-champ, rendirent grâce à Allah et Le bénirent. Lui qui a bien voulu répondre à leurs prières, qui a entièrement exaucé leurs voeux et qui leur a envoyé de la volaille pour la fête de Ramadan. Ils racontèrent aux plus jeunes que, de leur côté, les enfants d’Israël avaient également eu droit à un miracle dans cette même péninsule du Sinaï. Pendant que les jeunes de la tribu déployaient les filets pour pécher – pour la première fois dans l’histoire des peuples – de la volaille surgelée, les anciens revinrent sous la tente et « louèrent le Seigneur, qui est Bon. Eternelle est sa Miséricorde. » *
Puis ils mangèrent de cette manne que la mer leur offrait.
Cette année-là à Dahab, la fête de Ramadan fut de loin la plus réussie de mémoire d’anciens de la tribu. Non seulement il y avait de la viande en abondance pour la fête, mais il y eut de surcroît un surplus de nourriture qui fut promptement salé et séché à la manière des premiers ancêtres.

Cinq jours plus tard, le miracle devint un thème d’actualité et fit l’objet d’une vive polémique. Des israéliens débarquèrent à Dahab et affirmèrent aux membres de la tribu qu’en dépit des apparences, le miracle n’en était pas un. Ou alors, peut-être malgré tout, un miracle d’une nature différente ?
Un bateau de transport en provenance de Marseille, chargé de produits français de choix destinés aux riches saoudiens, fut prit dans la tempête de sable jaune et vint s’échouer sur les rocs pointus et acérés aux abords du littoral de Dahab. Le navire se trouvait dans un piteux état. Les mats brisés flottaient sur le pont au milieu d’un enchevêtrement de cordes déliées, de chevrons, pieux et piquets libérés de leurs attaches. Le navire a ensuite sombré lentement, s’engloutissant dans les profondeurs de la mer.
La totalité de son chargement, dont les centaines de volailles, flottait sur l’eau…
Lorsque la nouvelle se répandit parmi les bédouins et qu’ils réalisèrent que ce n’était pas Allah qui leur avait envoyé la volaille, une grande clameur s’éleva parmi eux. Ils se rendirent chez les anciens quêtés leur avis : que faire du surplus de volailles, le garder ou le rejeter à la mer ? Les discussions se prolongèrent trois jours entiers. On remplit des dizaines de verres de thé amer comme de l’absinthe et, pour finir, de la fumée blanche monta des narguilés.
Le destin ! C’est le destin !
Tout ce qui arrive à l’homme dépend de la volonté d’Allah.
? La volaille ne nous est pas parvenue directement d’Allah… ? Tranchèrent les anciens,
? …mais c’est par Sa Volonté qu’elle a pris le chemin de la mer, pour aboutir chez nous et… tout ce qui vient de la mer nous appartient. ?

Et Djamal dans tout cela ?
On lui accola un surnom le qualifiant de :
« Djamal, le Faiseur-de-Miracle-de-Fête-de-Ramadan.

ארמונות ובוסתנים-דויד אלמוזנינו

 

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" ועתה נפשנו יבשה ואין כל בלתי אל המן עינינו " – במדבר י"א 6.

נס חג הרמדאן

היו אלה ימי סוף חג הרמדאן. על אף החורף היה חם באילת ובחצי האי סיני, שהיה עדיין בשליטה ישראלית. לבני שבט הטראבין יש אמונה חזקה בגורל והם מאמינים שכל מה שקורה לאדם, לטוב ולרע, נובע מרצונו של אללה. בשל אמונה זו הם לא פנו לטיפול רפואי כשהיו חולים אלא לרפואה העממית. ד״ר מורים, רופא משפחה מאילת, ואשתו התנדבו לטפל באוכלוסייה הבדווית והצליחו לעצור את תמותת התינוקות וללמד את האמהות הבדוויות לשמור על היגיינה אישית ולתת לתינוקות תחליפי חלב אם מקופסת פח, במקום תה. גם הבדווים המבוגרים נהנו מהרפואה המודרנית והגיעו לגיל מבוגר יחסית. האוכלוסייה גדלה אך הפרנסה נותרה דחוקה כשהיתה. בתקופה שבה הישראלים עדיין לא גילו את סיני, על מרחביו העצומים וחופיו המדהימים, באוהלי הבדווים פשוט לא היה מה לאכול; מלבד דגים מסריחים ומיובשים בשמש וביצי תנובה, שלרוב התקלקלו בגלל החום הכבד. זקני השבט התכנסו באוהל המרכזי והתפללו לנס. הם הרימו ידיהם השמימה וקריאתם נשמעה למרחוק: ״אללה הרחמן והרחום, תן לנו בשר לפחות בחג הרמדאן הקדוש!״.

12 שעות לאחר התפילה האחרונה התפרסם בעיתונים בישראל סיפור צהבהב על ג׳מאל, ילד בדווי אוטיסט שחי עם הוריו בתנאים לא תנאים בסיני ושדולפין שיפר פלאים את מצבו הבריאותי, אחרי שפגש אותו באקראי במים של חוף רהב, שחה והתיידד איתו.

ג׳מאל היה סהרורי, ובלילות קם מתוך שינה ממרבצו והיה מגיע אל החוף. רק מגע המים הקרים בכפות רגליו לפני שצעד הלום שינה אל הגלים העיר אותו. בלילה ההוא היתה סופת חול חזקה בסיני. הרוח מלאה בחול צהוב, גלים גבוהים שטפו את החוף, משאירים אחריהם פס קצף לבן. רשתות הדייגים, שהיו תלויות לייבוש, התעופפו ונקרעו, וג׳מאל – ישן וסהרורי – החל ללכת על החוף והסופה מכה בו מכל צד. הוא הגיע לקו המים והחל לצעוד אל הגלים אך הפעם, לא התעורר. ידיו שלוחות קדימה, צעדו מהוסס והוא מטה את משקלו פעם על רגל ימין ופעם על רגל שמאל. שיערו משתולל בסופה, עיניו עצומות – עוד רגע וגל גדול מפיל אותו למים. והנה נשמע קול דק העולה כמו הד מן הים וההרים. הדולפין שחה מול ג׳מאל, קורא בקול. קורא בכוח. עד שזה פקח את עיניו.

ג׳מאל התיישב המום על החול והביט שעה ארוכה בדולפין המתרומם באוויר, קופץ וקורא קריאות שונות ומשונות. שוחה וחוזר, שוחה וחוזר. כשקרני שמש ראשונות החלו להפציע מעבר להרים, טבל ג׳מאל במים, נוגע בקצות אצבעותיו בדולפין ומרגיש תחושת חוזק וחיות.

מקץ רבע שעה הגיעה בריצה אחותו של ג׳מאל אל הוריה והעירה אותם בניעורים חרדים. ״בואו מהר! בואו מהר! ג׳מאל עשה נס!״.

בחוץ עמד כל השבט, מביט בים במבטים המומים. כמה מטרים מהחוף שחה ג׳מאל, לצדו הדולפין וסביבם צפים על המים מאות עופות מובחרים, מרוטים ונקיים. ים של אוכל.

זקני השבט התיישבו מיד לברך את אללה על שנענה לתפילותיהם והביא את העופות לחג הרמדאן. הם סיפרו לצעירים שגם לבני ישראל קרה נס בסיני והם אכלו שלו שהגיע מהים. בשעה שהצעירים פרסו רשתות ודגו לראשונה בתולדות העמים עוף קפוא, חזרו הזקנים לאוהל והודו לאדוני כי טוב, כי לעולם חסדו. חג הרמדאן ברהב באותה שנה היה הטוב ביותר שזכרו זקני השבט. לא רק שהיה מספיק בשר לחגיגה, היו עוד עודפים שאותם המליחו וייבשו כמעשה האבות הקדמונים.

חמישה ימים לאחר מכן הפך הנס לנושא למחלוקת. ישראלים שהגיעו לרהב סיפרו לבני השבט שהנס לא היה נס. או שכן? אניית משא שיצאה ממרסיי והובילה ממבחר התוצרת הצרפתית עבור העשירים בסעודיה נקלעה לסופת החול הצהובה והתנפצה על השוניות המחודדות שליד חוף רהב. תרניה השבורים צנחו על הסיפון בתוך סבך של חבלים, קורות ויתדות, שקשריהם השתחררו ממקומם והיא שקעה אט־אט במצולות הים. כל מטענה ובו מאות עופות צף על המים. כשלבדווים נודע שלא אללה שלח להם את העופות, קמה מהומה גדולה והם הלכו לשאול את דעת הזקנים: מה לעשות עם העופות שנותרו, לשמור אותם או לזרוק לים? הדיונים ארכו שלושה ימים, עשרות כוסות תה מר כלענה נמזגו ובסופו של דבר יצא עשן לבן מהנרגילה. הגורל הוא הגורל וכל מה שקורה לאדם נובע מרצונו הטוב של אללה. ״העופות לא באו מאללה״, פסקו הזקנים, ״אבל באו מהים בשל רצונו של אללה. וכל מה שבא מהים שייך לנו״. וג׳מאל? בג׳מאל דבק השם ״ג׳מאל מחולל נס חג הרמדאן״.

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דויד אלמוזנינו

החבילה ממרוקו

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בשנות השבעים הייתה העיר אילת בעלת אוכלוסייה של 20 אלף תושבים בלבד. את בתי המלון אפשר היה לספור על כף יד אחת, והם עדיין לא נגסו בחופי הים הרחבים והיפים של העיר. כאשר התקרבת אז לאילת מהצפון, עם האוטובוס או ברכב פרטי, מיד היית יכול להבחין בכתם כחול-טורקיז מולך, שהלך והתקרב אליך.

״מועדון הים התיכון״ היה מלון קטן ומבודד, קרוב לגבול הירדני. בחודשי הקיץ החמים תיירים צרפתיים מילאו אותו עד אפס מקום. הם באו ליהנות מהשמש היוקדת, להשתזף, לאכול טוב, לשתות יין צרפתי ולתפוס בן או בת זוג לתקופת החופשה באילת. הכפר הצרפתי סקרן מאוד את התושבים האילתיים ובמיוחד את הצעירים שבהם, אך רק יחידי סגולה בעלי קשרים הורשו להיכנס פנימה.

באחד מימי הקיץ הלוהטים הייתי בביתי ונהניתי מקרירות שבאה מהמצנן הישן והטוב, כשלפתע, הקפיץ אותי מדמדומי החום והקור המתחלפים צלצול טלפון חד. מעברו השני של הקו היתה קרין, שדיברה עברית במבטא צרפתי כבד. ברקע שמעתי רעש של מטוס ממריא והמולה של שדה תעופה: ״דויד, דויד, אני מחר באילת ב׳מועדון הים התיכון׳, אני מגיעה ממרוקו. תבוא לבקר אותי, הבאתי חבילה, 

וד״ש חם לאשתך!״. אפילו לא הספקתי לומר לה שאשתי מחוץ לעיר במשך כל השבוע וכבר שמעתי את הצליל המוכר. הקו נותק.

תמיד שמחתי לשמוע חדשות ממרוקו הרחוקה, עזבתי אותה כילד ומאז לא יכולתי לחזור ולבקר. קרין, חברת הילדות הקרובה ביותר של אשתי, היא בעלת דרכון צרפתי ועובדת בחברת תעופה זרה. כל הזמן היא נוסעת מארץ לארץ, מפריז ללונדון ולניו־יורק, איזה מזל יש לה… לאמיתו של דבר, מעולם לא ראיתי את קרין במציאות, רק בתמונות האלבום של אשתי, שם הן נראות מחובקות על חוף ימה של קזבלנקה. בתמונה שתיהן בנות 16, ויפות, יפות שבא לבכות. אשתי נותרה יפה כשהיתה, מעניין איך קרין נראית כיום.

בלילה פנטזתי על החבילה… קרין מביאה חבילה… מעניין מה יש בה, מה היא כבר יכולה להביא לנו? אולי תבלינים מהשוק בקזבלנקה. לא! אני יודע! זה בטח קנקן תה מוזהב עם מוטיבים מרוקאיים וכוסות זכוכית מעוטרות בפס זהב. בעצם, לא נראה לי הגיוני שדיילת תסתובב יום שלם בסמטאות השוק הצרות כדי לקנות לנו קנקן תה, ואחר כך תסחב אותו על פני שלוש ארצות. אולי היא קנתה לאשתי איזה גליל בד משובח? טוב, כנראה שאצטרך להתאפק עד מחר. העיקר שזה בא ממרוקו, אני בטוח שלחבילה יהיה ריח מיוחד שיזכיר לי את הסמטאות הצרות של השוק. אני לא אזרוק את נייר העטיפה… המשכתי לפנטז כשאני חצי מנומנם, מחבק את המזגן.

למחרת בבוקר קמתי והרגשתי כמו מלך. אני גם עומד להיכנס ל״מועדון הים התיכון״ כאורח רצוי, גם אפגוש אישה יפה וגם אקבל 

חבילה עם ריחות ילדות. לפעמים החיים יפים. אבל במו שתמיד קורה, התברר שלא קל להפוך בן־רגע מצפרדע לבן מלך. אף אחד לא התרגש מבואי ל״מועדון הים התיכון״. למעשה, קציני הביטחון במדים הלבנים התעקשו בקנאות לשמור על פרטיות הנופשים, ממני… ביקשתי להתקשר לחדרה של קרין, אך הסבירו לי שאין טלפונים בחדרים. אף אחד לא הסכים להיכנס פנימה, להפריע לבוסים ולברר אם יש אורחת במלון בשם קרין, וכשביקשתי רק להציץ פנימה ולצעוק ״קרין״, הראה לי קצין הביטחון הראשי יפה את השער. הלכתי הביתה מאוכזב וכעוס.

אבל בלילה שוב לא הצלחתי להירדם. בכל זאת, אי שם באילת יושבת לה חבילה עם ריח של מרוקו והשם שלי כתוב עליה. למחרת לקחתי יום חופש מהעבודה וחזרתי ל״מועדון הים התיכון״. בשער עמד קצין ביטחון אחר וניסיתי להסביר את עצמי כמיטב יכולתי. הוא הקשיב ואמר: ״עמוד כאן מול הבריכה. אם תראה אותה, אלך לקרוא לה״. ״אבל אני לא יודע אך היא נראית! לא ראיתי אותה מעולם!״, עניתי לו. ״טוב, אז תשאיר פתק ואמסור אותו בקבלה״, אמר לבסוף כדי להיפטר ממני. נדמה היה לי ששוב אני מאבד את האפשרות לקבל חבילה ממרוקו, כשלפתע הופיע בכניסה למועדון אלן סקיפר, בעל היאכטה ״ביטא״, בין הבודדות שהיו אז במרינה הישנה באילת. אלן הוא נתין צרפתי שמגיע לאילת כמה פעמים בשנה ואנחנו מיודדים. הוא הגיע, חיבק אותי בחום ואמר לשומר ״הוא איתי״. כך מצאתי את עצמי נכנס למקום הכי שמור באילת – ״מועדון הים התיכון״.

כמה דקות אחר כך, כבר ישבתי ליד קרין למרגלות הבריכה, אחרי שהתחבקנו והתנשקנו כמנהג המקום. הבטתי סביבי, המום מהשפע, מהמשקאות הצבעוניים שאוחזים כל האורחים, מהגינון המרהיב ומהארריכלות המרשימה. מצאתי שראשי סחרחר עליי. קרץ נראתה פחות מופתעת, יפה ותמירה, בת 35, כמו אשתי, בבגד ים שהבליט את גופה היפה. ישבנו ושתינו בירה ליד הבריכה. מיהרתי להוריד חולצה, הרי ברומא יש לנהוג כרומאי. בנוסף לכך, חששתי שקציני הביטחון יבואו להוציא אותי בכל רגע, ובלי חולצה באמת נראיתי כמו נופש עשיר רגיל, ולא כמו שוטר שהגיע לטעום לרגע מהקצפת של החיים.

אמרתי לקרין: ״ספרי לי הכול, איך היה במרוקו? איפה היית?״. היא החלה לספר לי על הסמטאות ועל הירידים, על השוק ועל הכיכרות. המשכתי לשתות ולשתות, עד שבשלב מסוים שמתי לב שאת הסיפור של קרין אני כבר לא שומע, אבל את הנשים החצי עירומות המשתזפות על שפת הבריכה, או שוחות בה, אני דווקא רואה טוב מאוד. אמרתי לקרין שעליי ללכת הביתה, אך היא התעקשה שאוכל איתה ארוחת צהריים. התעקשה והתעקשה, ובסופו של דבר נעתרתי, גם ככה כבר לא יכולתי ללכת ישר מרוב אלכוהול. קרין הושיבה אותי בחדר האוכל המקורר היטב, אמרה לי בצרפתית ״תכף אחזור״ ונותרתי מביט בתדהמה בשפע הגסטרונומי שנפרס בפניי – בשרים על האש, עשרות תוספות, שרצים למיניהם שאני רואה בפעם הראשונה בחיי ומאכלים צרפתיים נוספים שהיו יכולים להאכיל כמה עשרות משפחות רעבות באילת. בזמן שבהיתי באוכל, קרין חזרה עם שלוש חברות מהבריכה שבשלב הזה, תודה לאל, כבר לבשו חולצות. ״תכיר, זאת נטלי״, היא אמרה לי על אחת הלבושות־עירומות.

הסתכלתי על הרגליים, עברתי למותניים, משם לשדיים, לצוואר, לשפתיים ואז היא התנשקה איתי בחמימות ואמרה לי: ״אנשנטה (נעים מאוד)״. ״וזאת סנדריך, המשיכה קרין, ואני הסתכלתי על הרגליים, עברתי למותניים, משם לשדיים, לצוואר, לשפתיים ואז גם זו התנשקה איתי בחמימות ואמרה לי: ״אנשנטה (נעים מאוד)״. האחרונה שהוצגה בפניי בדרך הזו היתה דומיניק, ואת שארית אחר הצהריים העברתי בחברת ארבע נשים יפות, שותה, צוחק ונהנה מהחיים, כפי שכנראה צריך לעשות בקלאב מד.

בערב נפרדתי מהחבורה העליזה. קרין התלוותה אליי לכניסה כדי להיפרד ממני. בלובי הודיתי לה על חופשה בת יום ללא תשלום, והיא צחקה. רגע לפני שחציתי את הלובי בדרך ליציאה נזכרה פתאום קרין – ״רגע! החבילה!״, ורצה למעלה לחדר. עד שחזרה חשבתי לעצמי איך הפכה חשיבותה של החבילה הזו למזערית בעיניי אחרי החוויות של כל היום הזה. קרין חזרה מתנשפת ובידה קופסה יפה, ארוזה בנייר צלופן ובסרט אדום. ״תפתח! זה ייקח רק דקה!״, היא דחקה בי. פתחתי את החבילה, ועם הקפטן הארגמני עטור חוטי הזהב קיבלתי גם מכה של ריח ממרוקו שפרץ מהחבילה, משכר חושים ומעלה נשכחות. הנחתי את הקפטן ברישול על גופי, חיבקתי את קרין בחום, ובלבוש בלתי אילתי בעליל חציתי את הלובי היישר לידיים של קציני הביטחון, שזיהו אותי למרות הקפטן המשעשע, ואולי דווקא בגללו, ונשמו לרווחה. כל אחד הצהריים, כשביליתי עם קרין, דומיניק, נטלי וסנדרין, קיבלו קציני הביטחון נזיפות חמורות על אורח בלתי קרוי שכמוני שמבלה שמונה שעות במלון מבלי לשלם.

[anti-both]

Palais et jardins-David Elmoznino

PALAIS ET JARDINSPalais et jardins

A Marrakech, l'art architectural arabo-andalou avait atteint des sommets remarquables et s'était pleinement exprimé dans la construction de palais et jardins dans cette ville. Chaque dynastie royale avait, selon les canons esthétiques de son époque, apportée sa contribution au patrimoine architectural marocain, en érigeant des édifices imposants, chargés de motifs décoratifs, d'ornements espagnols et d'agréments arabes.

Celui qui s'est particulièrement distingué dans la restauration de ces palais somptueux, fut le Sultan de Marrakech, Abd-el-Rahmân, un seigneur régnant au pouvoir absolu, le premier à avoir eu recours aux talents de maîtres artisans juifs spécialisés dans la restauration de résidences royales. Les Juifs de la Médina, la vieille ville de Marrakech, détenteurs d'un art ancestral transmis de père à fils, le revêtement mural, utilisaient la technique exclusive du Tadellakt. Le Sultan découvrît cette technique particulière du haut de son cheval, en parcourant les ruelles de la Médina, au milieu de passants intimidés, impressionnés et apeurés. Les couleurs saisissantes l'enthousiasmèrent. Il décida de faire venir les maîtres juifs au palais, en pleine rénovation générale, une de plus, pour en recouvrir les murs selon leur art. Après avoir habillé une bonne moitié des murs du palais, les peintres juifs furent déplacés vers l'aile Nord-Est, où se dressait le sérail, le quartier des dames, reconstruit à neuf selon une nouvelle conception rappelant le style des Mille et une Nuits.

Le palais des femmes se trouvait sous la surveillance constante d'eunuques. Le gynécée abritait une centaine de personnes, concubines et épouses du seigneur et maître. Elles étaient choisies, à différentes époques du règne du Sultan, parmi les plus belles représentantes de la gent féminine du royaume. Les eunuques, au service du roi, se préoccupaient de satisfaire tous leurs besoins, y compris en matière de produits de beauté, parfums et huiles diverses pour les soins de leurs corps sublimes et de leur peau au grain pur.

Le roi était le gouverneur suprême détenteur du pouvoir absolu, le maître incontesté de tout le pays. Tout était soumis à son bon vouloir et à son autorité. Toutes les terres lui appartenaient, tous les habitants étaient ses sujets obéissants, ses servants fidèles et dévoués. Le roi régnait en maître absolu, asservissait le peuple et nul n'était autorisé à s'immiscer dans les affaires du souverain. Et c'est ainsi que les plus belles jeunes filles du royaume étaient destinées, condamnées à être appréhendées et, honneur insigne, enfermées dans le palais du monarque. De gré ou de force. Et généralement, elles n'étaient pas consentantes. Pas du tout prêtes à se séparer de leurs familles, de leurs foyers et de leur mode de vie. Il y avait autant d'épouses royales que de jours dans l'année. Elles ne devaient cultiver qu'une seule vertu, la beauté.

Une fois à l'intérieur du palais, la captive était tenue de soigner cet attribut à tout prix. Entretenir et préserver par tous les moyens sa capitale beauté et la jeunesse de son corps, l'enduire d'huiles et de parfums, et patienter. Patienter des jours durant, avant de voir ses efforts récompensés et peut-être entr'apercevoir l'ombre, un pan du manteau royal. La vie des femmes dans le Harem, source de frustration pour une honnête femme, ressemblait à la vie d'un oiseau enfermé dans une cage doré. Les jours coulaient uniformément. Insipides et maussades, monotones et pleins d'ennui, dans la solitude et au milieu de jalousies et de rivalités entre belles. Dans de telles conditions, les femmes du palais finissaient par sombrer dans la tristesse et l'amertume, dépérissaient et se flétrissaient au bout de quelques années.

A la suite de quoi, il devenait impératif de renouveler et de rafraîchir la maison de plaisir du grand seigneur par l'apport à intervalles réguliers, de jeunes et belles vierges cueillies aux quatre coins du royaume. Pour remplir cette tâche, le Sultan utilisait une police spéciale et certains ministres de son royaume, qui, chevauchant leurs montures rapides, des pur-sang arabes, s'en allaient débusquer et ravir de belles jeunes femmes, les arrachant à leurs foyers. Un beau matin, le roi fit appeler ses ministres au palais et, causant une certaine surprise, leur demanda de lui faire amener les plus belles femmes du royaume, les plus belles certes, mais ce faisant, ignorer les jeunes femmes issues de familles honorables et fortunées et ne retenir que les plus humbles parmi les gens du peuple. Le roi expliqua qu'il avait l'intention de se trouver une épouse qui serait appelée à devenir reine. Seulement, cette Reine-là, il désirait en faire sa création, son oeuvre personnelle. En partant de zéro et en assurant lui- même son éducation. Il voulait devenir un roi de contes et de légendes.

Les ministres et les agents arpentèrent les faubourgs du royaume et au bout de trois semaines, ramenèrent au roi trente-huit élues choisies parmi les plus démunies du peuple. Très belles. Belles à en pleurer. Tremblantes de peur et remplies de crainte, elles  furent amenées devant le roi. Le monarque les examina l'une après l'autre, s'immobilisa, réfléchit, regarda à travers la fenêtre et lança à ses ministres : "Je veux cette femme ! "

Il tendit le bras et pointa son doigt, au-delà de l’embrasure de la fenêtre, sur une très belle jeune fille en train de franchir l'entrée du palais. Elle tenait entre ses mains le repas destiné à ses deux frères, maîtres artisans au service de Sa Majesté. Cette jeune fille était Solika Hatouel la juive, qui ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait. Un instant auparavant elle avait apporté, comme chaque jour, le déjeuner à ses deux frères et aussitôt après, la voilà campée et exhibée devant le roi, sur le point d'être séparée définitivement de sa famille. "Le voilà mon mauvais œil," se dit-elle alors qu'on l'entraînait vers l'intérieur de la cour. Les parents de Solika Hatouel s'étaient efforcés de la préserver de cette malédiction, du mauvais oeil, tout au long de sa vie.

Parce qu'elle était belle, belle à rendre fou tout celui qui portait les yeux sur elle, ses parents l'avaient mise en garde : "Il est préférable de te faire voir le moins possible. Moins de regards des gens, moins de mauvais œil !"

Le père de Solika était le rabbin de la ville, Rabbi Shlomo Hatouel.

La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Solika la fille du rabbin a été prise au palais des femmes du roi et avait renié sa religion. Rapidement, elle atteignit et submergea le quartier juif.

A l'intérieur du palais, Solika immobile et figée, regardait autour d'elle, ses yeux s'obscurcirent. La richesse et la beauté des lieux ne l'impressionnaient guère. Ni la mosaïque chatoyante ni l'eau claire des fontaines. Elle n'aimait ni les grenadiers ni la céramique fine de la salle de bain. Elle n'avait aucune intention de renier sa religion. Tout au long de la journée, elle répéta inlassablement aux ministres : "Veuillez dire au roi que, si je n'avais pas été juive, j'aurais répondu avec la plus grande joie à sa proposition et à l'honneur qu'il veut me faire, que j'aurais quitté le Mellah sale et surpeuplé pour venir vivre ici. Mais je suis juive et ne renierais jamais ma religion."

A trois heures du matin, après qu'elle eut répété ces paroles un nombre incalculable de fois, Sa Majesté le roi en personne vint au-devant de la rebelle. Dans sa mansuétude et sa magnanimité, il tenta une dernière fois de l'influencer, de la convaincre et d'infléchir sa décision, qu'elle renonce à sa foi, qu'elle devienne son épouse. Il déclama quelques extraits du "Cantique des Cantiques", traduits en arabe : " Te voici belle, ma compagne, te voici belle aux yeux de palombes."

Et Solika, la fille du Rabbin, de répondre dans la même langue : "Vous êtes le roi, le roi des rois, vous vivrez à jamais. Vous avez planté des vignes et des vergers. Entrepris de grands ouvrages et érigé des édifices pour la postérité. Celui qui aime l'argent n'est pas rassasié par l'argent. Vanité des vanités, tout est vanité. Le roi s'est fait un palanquin en bois du Liban. Il a fait ses colonnes d'argent, sa tapisserie d'or, ses montants de pourpre, son intérieur pavé d'amour par les filles de Jérusalem. Il y avait soixante reines et quatre-vingts concubines et des jeunes filles sans nombre. Et voici, tout est fumée, pâture de souffle et poursuite du vent. Pourquoi ne suis-je pas mort au sortir du sein, n'ai-je péri aussitôt enfanté ? Tout n'était que poussière et redeviendra poussière. Toutes les richesses du monde ne sont rien au-devant du Tout Puissant de Vérité et de Sa religion sacrée. Je suis née juive et je mourrais juive.

En refusant la conversion, elle scellait son sort et signait son arrêt de mort.

Elle fut tout d'abord soumise pendant de longs jours à la torture et, ayant persisté dans son refus décisif d'abjurer sa foi, on l'amena sur la grande place de la ville où elle fut mise à mort.

Cette nuit-là, les Juifs du Mellah secouèrent et malmenèrent les grilles du palais royal. Déchirants, leurs cris de douleurs montèrent jusqu'au ciel. Ils s’emparèrent du corps de Solika la belle et le confièrent au repos éternel. Son père, le Rabbin Hatouel fut inhumé à ses côtés peu de temps après. Il ne pouvait plus vivre sans sa fille et succomba rongé par la douleur, le coeur brisé.

Depuis, une flamme éternelle brûle sur la sépulture de la jeune martyre Solika Hatouel, la Sainte du Mellah. Du monde entier, des Juifs, nombreux, viennent régulièrement se recueillir sur sa tombe, lui rendre un dernier hommage et saluer son exemplarité pour l'éternité.

David Elmoznino-Le premier precheur marocain

PALAIS ET JARDINSLe premier precheur marocain

A l'époque du second Temple, déjà, de nombreux Juifs s'étaient établis au bord du lac Kinnereth Les eaux du lac, douces, transparentes et poissonneuses, attirèrent les nombreuses familles qui tiraient leur subsistance de la pêche. La mer de Galilée, avec ses rivages couronnés de monts azurés d'une grande beauté, exerçait une forte attraction aussi bien sur les habitants du lieu que sur les gens de passage et les touristes.

Dans les années cinquante du vingtième siècle, lors de la nouvelle implantation, une jeune génération de pêcheurs vint s'établir à Tibériade. Répondant à l'appel du sionisme, les tous premiers nouveaux immigrants du Maroc débarquèrent en Eretz Israël avec leurs familles. Ils arrivèrent au pays prêts à prendre part à la construction du nouvel Etat, sacrifiant biens et richesses dans leurs terres d'origine, heureux de mettre enfin le pied sur le sol de la patrie dont ils avaient tant rêvé et vers laquelle tendaient leurs aspirations ancestrales.

Ce fut véritablement une Aliya messianique pure. Leur attachement à Sion et à Jérusalem était, aux yeux des envoyés d'Israël venus organiser leur montée, un sujet d'étonnement constant. Les Juifs du Maroc voyaient se réaliser les paroles des prophètes: "De toutes les extrémités de la terre, les Juifs reviennent reconstruire Eretz Israël." Et, ils sont venus. Venus pour reconstruire.

 Au Maroc, les habitants de la ville de Safi, aux abords des rivages de l'océan atlantique, avaient fait de la pêche un art à part entière. La majorité des habitants de cette ville industrielle se consacraient à la pêche ou travaillaient dans les conserveries : ils étaient employés dans les nombreuses usines de traitement de poissons qui se dressaient dans le port de la ville et dans la zone industrielle de la cité. La fierté de la ville et de sa région était la sardine. La commercialisation de la sardine en conserve constituait la branche principale de l'industrie locale. Les boites de sardines affichant le drapeau marocain, l'étoile verte à cinq branches sur fond rouge et vert, s'exportaient vers le monde entier, y compris Israël et concurrençaient avec succès la sardine portugaise et la sardine espagnole.

Albert Elbaz, le pêcheur, avait passé toute sa vie sur un chalutier portugais qui sillonnait les ports de mer du Maroc. C'était un homme sain, solide et vigoureux aux traits décidés, les mains musculeuses zébrées de profondes cicatrices et tailladées par le travail ardu de toute une vie, le corps immunisé, le teint hâlé et la peau recouverte de taches brunes causées par le soleil brûlant.

En ce jour du 2 mars 1956, Elbaz apprit, comme tous les autres habitants de ce pays, que le Maroc venait d'obtenir son indépendance de la France. Il fut très attentif aux bouleversements intervenus quelques temps auparavant, au mois d'août 1955. Un moment historique où tout bascula au Maroc et dans sa ville natale, Safi.

En l'espace de quelques jours, différents mouvements insurrectionnels nationaux se levèrent et organisèrent manifestations et émeutes contre le pouvoir français. Ils revendiquaient l'indépendance et exigeaient le retour du roi du Maroc, déposé en 1953 et exilé depuis à Madagascar. Ce furent des temps très difficiles et pour les Juifs et pour les Musulmans. La radio diffusait en continu nouvelles, informations et déclarations diverses, expliquant aux habitants soumis à l'état d'exception décrété sur l'ensemble du territoire, la conduite à suivre.

Des officiers français se présentèrent à la maison des Elbaz et leur recommandèrent de verrouiller soigneusement jour et nuit, les lourdes portes en bois du bâtiment qui donnaient directement sur la rue. Il y eut certes une courte période de solidarité entre Juifs et Musulmans. Mais, dans la ville de Safi vivaient également des groupes d'extrémistes musulmans. Des villages des alentours, des musulmans chiites, ainsi que de dangereux activistes d'obédiences diverses, affluaient vers la ville. Lors des prières à la mosquée, les ministres du culte excitant leur auditoire, réussirent à les enflammer et, un vendredi, les fidèles. Des va-nu-pieds et des étudiants, des balayeurs de rues et des fonctionnaires, des portefaix et des agents secrets, des enfants et des adultes jaillirent des mosquées et se répandirent dans les rues.

Comme un troupeau de moutons débridé, ils défilèrent ruisselants de sueur, surexcités et survoltés dans les rues étroites de la ville, les mains armées de haches et de couteaux. Ils hurlèrent et rugirent, dévoilant aux yeux de tous leurs instincts meurtriers et scandèrent : Allahou Akbar ! Dieu est grand ! Si par malheur un enfant se retrouvait pris dans la houle de l'une de ces manifestations, son sort était scellé. Le piège était mortel. La meute sauvage exerça dans les rues étroites de la cité, une pression terrible sur les entrées des habitations. Lorsqu'un portail ne résistait pas à la poussée des déchaînés, cédait et s'éventrait, la horde se ruait en masse à l'intérieur de la maison, égorgeait tous ses occupants sans pitié, saccageait, dévastait et pillait à tour de bras.

Les autorités françaises décrétèrent l'état d'urgence. Le couvre-feu fut instauré dès six-heures du soir. Des soldats sénégalais furent postés aux quatre coins des rues avec ordre de tirer à vue sur tout violateur du couvre-feu. Pendant quelques jours, Juifs et Chrétiens restèrent reclus chez eux. Il y avait grand danger à se risquer dans les rues alors que l'on inhumait encore les morts tombés lors des affrontements. Après la proclamation de l'indépendance, de nombreux Juifs sentirent naître dans leurs coeurs, craintes et inquiétudes quant à leur avenir et à celui de leurs familles. Ils n'avaient plus le choix et décidèrent d'accepter ce que le destin leur dictait, aller en Eretz Israël. Ils se tournèrent vers l'Agence Juive résolus à s'inscrire pour la prochaine Aliya.

Un jour, en plein couvre-feu, Albert vit de la fenêtre de son domicile un jeune marocain jaillir de sa maison et courir en brandissant le drapeau marocain, les soldats tirèrent aussitôt et le tuèrent sur le coup. La décision d'Albert fut prise sur-le-champ, émigrer avec sa famille en Israël.

Le lendemain, après son passage aux bureaux de l'Agence et l'obtention de leur certificat d'immigration pour la prochaine Aliya, Albert réunit sa femme, son fils Léon et ses deux fillettes. Il leur fit part, avec une grande émotion, de sa décision de monter au pays.

"Nous quittons le Maroc pour une ville du bord du lac en Israël, une ville avec des chances de bonne subsistance." leur dit-il.

"Mais papa, notre maison est ici, nous sommes nés ici," lui dit Léon, son fils aîné. "C'est vrai. Mon grand-père et moi-même sommes également nés ici. Mais notre place n'est plus ici ! Nous ne sommes plus les bienvenus. Nous allons tout quitter sans en souffler mot à personne. Notre maison, notre vrai foyer, se trouve désormais en Eretz Israël, là-bas nous vivrons parmi nos frères juifs."

Le bateau Jérusalem se détacha lentement du port et entama sa traversée en direction d'Israël. Dès cet instant, on vit s'activer les gens de l'Agence, les responsables de l'intégration de la Aliya. Ils distribuèrent des cartes d'identité 'Nouvel-immigrant' aux voyageurs tout en s'enquérant de leurs voeux quant à la ville de destination en Israël. Un homme dans la file devant Albert demanda la ville de Haïfa. On lui répondit : "On te met sur la liste pour Ashkélon à un quart d'heure de route de Haïfa." Quant son tour arriva, Albert pria et supplia les fonctionnaires de l'Agence de lui octroyer une maison près de la mer, vu qu'il était pêcheur et que c'était le seul métier qu'il ait jamais exercé, le seul qu'il puisse pratiquer. On lui retourna : "Nous avons pour toi un endroit à un quart d'heure de route de la mer."

Et ils l'envoyèrent à Kiryat Shmona. Lorsque le bateau jeta l'ancre dans le port de Haïfa, les membres de la famille furent frappés par le paysage qui s'offrait à leurs yeux : l'image majestueuse du Mont Carmel auréolé de lumières scintillantes. Ils respirèrent profondément. Un sentiment de bien-être, d'espoir et d'exaltation de l'âme s’empara de tous – "Nous sommes arrivés en Eretz Israël !"

Les immigrants empruntèrent la passerelle du bateau et allèrent au-devant de la cérémonie de bienvenue officielle en Israël : deux hommes tenant deux longs tuyaux crachant du DDT, les arrosèrent sans prévenir et sans sommation aucune. Aussitôt la mère déploya sa longue robe et en recouvrit les deux fillettes pour les protéger. Albert qui tenait la main de son fils, la lâcha prêt à s'élancer contre les agresseurs. Il était très fâché, voyait rouge et serrait les poings. Ses habits et ses cheveux étaient recouverts de poudre blanche. Si son épouse ne l'avait retenu, il aurait certainement administré une correction bien sentie aux indélicats en réponse à l'offense subie. Du port de Haïfa à Kiryat Shmona, le voyage en camion fut long, fatiguant et éprouvant. La plupart des émigrants se couchèrent sur leurs bagages et s'endormirent. Albert, n'arrivait pas à fermer l'oeil malgré la fatigue accumulée. Les mêmes pensées tourbillonnaient dans sa tête. Il se mordait les lèvres à chaque nouvelle flambée de colère et au souvenir de l'accueil cordial et chaleureux qu'on leur avait réservé. D'ores et déjà il ne croyait plus un mot des affirmations sorties de la bouche du fonctionnaire chauve et trapu.

Debout à ses côtés dans le camion, un homme âgé, tenta de lui apporter réconfort et courage en disant : "Ils vous ont promis un endroit près de la mer, ils tiendront parole".

Lorsque dans la nuit ils arrivèrent engourdis et endoloris à Kiryat Shmona, Albert sauta du camion, regarda autour de lui, cherchant la mer. Rien. Pas même une odeur de mer. Il remonta aussitôt dans le véhicule et s'y incrusta avec sa famille. Rejetant par principe toute concession, il refusera obstinément de le quitter et de rejoindre les autres immigrants. Enfant, il avait fréquenté l'école de l'Alliance de Safi et parlait couramment l'hébreu. Il n'eut aucune difficulté à exprimer aux fonctionnaires la nature de ses doléances et de ses souhaits. A l'écart, observant la scène, se tenaient des policiers, l'inspecteur Azoulay à leur tête, se gardant de s'immiscer dans les décisions des employés de l'agence. L'inspecteur Azoulay, ému, écoutait les propos échangés entre Albert et les fonctionnaires. Il en fut très touché. Lui-même était venu du Maroc quelques années auparavant. Il s'adressa à Albert comme à un ami et lui dit : "Albert, je comprends ta colère."

"Monsieur l'agent ! Où est passé le respect dû à l'être humain ? Rien de tel au Maroc, parole donnée parole tenue."

"Albert, Kiryat Shmona est aussi un bel endroit, il y a… de beaux paysages et un très bon gagne-pain." "Ni paysages ni rien du tout ! On m'a promis la mer. La mer ! J'aimerais qu'ils tiennent leurs promesses. En tout honneur, comme des hommes." L'inspecteur Azoulay s'approcha du véhicule et tendit la main à Albert, qui se pencha et embrassa l'officier. Les policiers quittèrent les lieux. Des larmes perlèrent dans les yeux de l'inspecteur. Les policiers reprirent leur route. Albert se retourna, vit sa femme et ses enfants lovés tout au fond du camion, apeurés. Il respira profondément, les regarda au fond des yeux et dit :

"Ne craignez rien ! Nous sommes entre Juifs." Après de longues tractations qui se prolongèrent toute la nuit et la matinée du lendemain, on conduisit la famille Elbaz avec armes et bagages à Tibériade où une cabane en bois de la société Amidar leur  fut attribuée.

La vie n'était pas facile à Tibériade. La chaleur était pesante et dame fortune guère souriante. Malgré tout, Albert aima le lac et le soleil, il savait qu'en bord de mer, tout finirait par s'arranger. Il trouva des emplois occasionnels en ville et occupa ses heures libres à construire une petite cabane sur le rivage du Kinéreth, un abri pour se protéger du soleil brûlant de la journée. Albert étala des feuilles de palmier sur le toit de son refuge en bois. A l'intérieur s'entassaient pêle-mêle un lit en fer de l'Agence-juive recouvert d'une vieille couverture militaire, une table bleue et un tabouret bancal. De vieux journaux tapissaient le sol en terre battue de la bicoque. Quelques cageots en bois de la Tnouva remplis de filets, de cannes à pêche de différentes tailles et d'accessoires divers pour la pêche, étaient éparpillés, sens dessus dessous. Ce tournant, Albert l'avait attendu depuis fort longtemps. La cabane était fin prête, les enfants déjà bien scolarisés et son épouse s'accoutumait peu à peu à leur nouvelle existence. Ils avaient réussi à trouver leur place en Eretz Israël. Il était temps de revenir à sa passion première négligée, la pêche. Avec des morceaux de bois, des chutes de découpes récupérées dans les menuiseries de la ville, il se lança dans la construction de sa future embarcation, tout en se remémorant les souvenirs vivaces du Maroc : son père et ses amis occupés à construire des barques sur le rivage maghrébin. Les images toujours présentes remontaient doucement à la surface. D'après ce qu'il avait retenu des enseignements prodigués par son père et par les constructeurs de bateaux marocains, il fallait procéder étape par étape : d'abord l'ossature, ensuite les veines et enfin l'enveloppe.

En premier lieu, Albert travailla longuement sur une forte charpente en bois, sur laquelle il fixa des lattes de bois souple qu'il recouvrit ensuite d'un gros tissu badigeonné d'un mélange de goudron et de peinture, pour assurer l'étanchéité du bateau et prévenir toute infiltration d'eau. Il travaillait dans le calme et la douceur. Il avait tout le temps du monde devant lui et son labeur sans fin se poursuivait jour après jour. La barque était de petite taille et apparemment dénuée de charme. Mais elle était robuste et imprégnée de souvenirs, de nostalgie et d'amour pour Safi et le Maroc laissés loin derrière lui ; pour son père et sa mère, pour la pêche qu'il pourra enfin reprendre avec une énergie renouvelée, dès que la barque sera enfin prête à être mise à l'eau. Pieds nus, il entamait son travail dès l'aube. Il lançait un premier regard attendri à la mer, plongée à cette heure dans une douce somnolence, enveloppée de couleurs pâles et abandonnée entre les bras de la montagne azurée encore assoupie.

Le matin, il travaillait avec ardeur dans le silence et le calme environnants. A la tombée de la nuit, de nombreux enfants se rassemblaient autour de la cabane, l'observaient, suivaient la progression de son travail et écoutaient captivés, ses récits passionnants qui les transportaient vers des mondes inconnus, lointains et mystérieux.

Pour le revêtement de son esquif, Albert hésitait entre une peinture rouge et verte, les couleurs du drapeau marocain et entre les couleurs de sa nouvelle patrie. Un jour, il remit aux enfants un pot contenant de la couleur bleue et un autre de la couleur blanche et les pria de l'aider à en recouvrir la barque. Pendant qu'ils peignaient, riaient et s'amusaient, Albert, ému, les regardait de ses yeux attendris, brûlés par le soleil: de petits Sabras à la peau couleur miel doré, fruits de brassages et métissages de la diaspora. Ils trouvèrent beaucoup de grâce à ses yeux. Léon, son fils aîné, s'acclimata rapidement à son nouvel environnement. Après l'école, il déambulait pieds nus, engoncé dans de grands pantalons larges et venait prêter main forte à son père sur la plage. Il était solide, sain et vigoureux, ressemblait beaucoup à son géniteur – le visage large, les pommettes anguleuses et des yeux en amande, mélancoliques à souhait. Il avait appris à s'adapter naturellement aux changements et s'entoura rapidement de nombreux amis. Son hébreu s'améliorant, il se lançait dans de longues conversations avec ses compagnons et évoquait en leur compagnie les souvenirs d'enfance du Maroc lointain.

A l'école Léon avait un ami, Nir, bon vaillant et courageux. Un garçon très amusant avec lequel on ne s'ennuyait pas un seul instant. Nir était très différent de Léon-le-brun. C'était un blond aux yeux bleus et Léon ne s’empêchait jamais de lui dire qu'il lui rappelait un oignon. Le brassage de la diaspora n'était pas toujours facile, ni pour les adultes ni pour les enfants. Léon et Nir se lièrent d'amitié, avec la mer en toile de fond. Ils se rendaient tous les jours à la plage après l'école. Ils s'asseyaient et devisaient ou alors, pieds nus, se mesuraient à la course sur le sable fin. Fatigués et en nage, ils pénétraient ensuite dans les eaux froides du Kinnereth pour une courte baignade rafraîchissante.

Un jour, en fin d'après  midi, alors que le disque solaire incandescent descendait lentement à l'horizon, éclaboussant et embrasant le ciel de tonalités rougeâtres et rosâtres, Albert et son fils arrivèrent au bord du Kinnereth. Sa femme, venue assister à l'événement déterminant, un tournant décisif dans la vie de toute la famille, se tenait en retrait à quelques mètres de la scène. Elle venait rarement à la mer et c'était, en l'occurrence, une circonstance exceptionnelle. Albert était heureux de la voir. Dans ses bras, elle portait leur fils Tsion, un tout jeune Sabra de deux mois. Les deux fillettes, intimidées, se cramponnaient à ses pieds, ou s'accrochaient aux pans de sa longue robe.

Albert portait fièrement sur ses épaules le mat et la voile enroulée. Le jeune garçon coltinait la caisse en bois contenant du fil pour les cannes, les moulinets et le harpon muni de sa poignée en bois. La boîte aux appâts se trouvait déjà dans l’embarcation. Derrière eux, les petits Sabras qui avaient suivis la construction de la barque, fermaient la marche. Certains d'entre eux, doutant du résultat, étaient persuadés que l’embarcation ne flotterait pas, que tout ce grand travail avait été vain et que l'entreprise était vouée à l'échec.

Captivés, les plus jeunes parmi les enfants fixaient Albert avec une admiration sans bornes. Après avoir déposé la caisse dans la barque et planté le mat au milieu de l'esquif, Albert et Léon firent glisser l’embarcation qui reposait depuis une bonne année sur un monticule de sable et de gravier, vers l'onde azurée. Les eaux se refermèrent sur la barque en l'enlaçant. Elle oscilla l'espace d'un instant et paru être sur le point de se renverser – mais, d'un geste expérimenté, Albert tira sur les rames et la barque se stabilisa. Elle reposait sur l'eau, semblant reconnaître et retrouver son élément naturel.

Mais bien vite, le vent se mit à souffler avec force. Alors que les vagues écumaient, venaient se briser sur les rochers et menaçaient de le happer de son embarcation, Albert se tenait au milieu de sa barque tel un jeune homme de vingt-ans. Vaillamment, il résista aux lames et surmonta leurs assauts. Il s'éloigna peu à peu du rivage en s'efforçant de cingler vers le large. Assis dans la barque secouée comme une coquille de noix et livrée au gré des vagues qui la harcelaient sans répit, Albert leva un regard interrogateur vers le ciel. A sa grande joie, il constata qu'il n'était pas couvert.

De ses doigts habiles, qui gardaient le souvenir de chaque geste, il attacha les hameçons en fer au fil invisible auxquels il ajouta des bouts de liège qu'il fixa sur toute la longueur de la ligne. A l'extrémité du fil, il accrocha une pierre trouée au centre, destinée à entraîner les lignes au fond de l'eau. D'un tour de main familier, il retrouve le geste aisé du pécheur et lance ses lignes à la mer. Il ne se passe pas un instant sans qu'un poisson ne s'enferre déjà à l'une d'elles. Il ne tarde pas à le voir sauter hors de l'eau. De l'or pur véritable ! Il se penche, réussit à le tirer à lui, le hisse à bord de sa barque. Une seconde plus tard, sa prise reposait… dans le cageot de la Tnouva.

Sur le rivage, ses enfants et les petits Sabras impatients l'attendent dans une mêlée confuse. Ils voient la barque bleue s'approcher et, pressés d'admirer la prise, se précipitent en se bousculant.

Albert tient la lourde caisse contenant le précieux butin dans ses fortes mains, mais les hautes vagues qui inondent la grève l’empêchent d'aborder et éloignent le voilier du rivage. Ce n'est qu'à la troisième tentative que les vagues consentent à se calmer, à le porter et à l'approcher de son but.

Les enfants s'agglutinent et se serrent autour de lui, lançant des cris de joie. Ils l'aident à tirer la barque jusqu'à la concrétion de grains de sable et de gravier. Sa place habituelle depuis une année déjà, Albert se dirige fièrement vers sa cabane, tenant fermement le cageot de la Tnouva. Un grand poisson d'or reposait entre ses mains, une promesse palpable pour monts et merveilles à venir.

Palais et jardins.David Elmoznino.Amour interdit

Amour interdît

A treize ans, on sait qu'il y a quelque part dans le monde un être que la fille pubère n'a pas encore connu et qu'elle passera le restant de ses jours avec lui.

Dans l'une des petites ruelles non goudronnées de la ville, il y avait une rangée de petits magasins abritant différents commerces. Le plus petit d'entre eux, recouvert d'une pellicule de poussière noire, était celui du marchand de charbon. Le sol, les murs et le plafond étaient revêtus d'une couche de couleur du plus beau noir, à tel point que, pour un passant non averti ignorant l'existence de la boutique, elle apparaissait comme une grande tache sombre envahissant le mur de séparation.

 Au-delà de ce puits noir se rassemblaient les Maîtres Artisans juifs vêtus de leurs Djellabas brunes. Ils prenaient place face à leurs établis, tels ces cordonniers maniant leurs marteaux de laiton et de cuivre rouge à longueur de journée. Derrière eux, dans la lumière du jour, se détachait le Souk, le marché avec sa foule grouillante, son festival d'odeurs et de senteurs, de saveurs, d'épices et d'arômes dans un tourbillon de sensations qui recouvrait toute la place.

La maison de la famille juive se trouvait presque au bout de la ruelle, en face du Mellah bien connu… le quartier juif, actuellement dans un état de désolation avancé, triste à en pleurer. Ce n'était que ruines et gravats, où subsistaient quelques maisons délabrées, délaissées par la plupart des grandes familles juives aisées qui s'étaient résolues à quitter le Mellah inhospitalier pour un environnement plus accueillant. Une partie de la population avait opté pour l'émigration vers Israël, les autres habitants s'étaient dispersés dans différentes localités du pays. C'est alors que, descendues des Monts de l'Atlas et issues de bourgades éloignées, des familles démunies, nécessiteuses, avaient pris possession des maisons abandonnées d'où elles partaient à la recherche de travail en ville, dans une quête de toute besogne occasionnelle, de tout emploi provisoire. Raphaël, mon père, le père de famille de la maison juive, avait habité le Mellah pendant toute son enfance. Lorsqu'il il fut revenu à Marrakech en compagnie de sa femme Rina et de sa famille, avec l'intention de s'y établir, il avait opté cette fois-ci pour une habitation située en dehors du quartier juif et son choix se fixa sur la petite ruelle. Il espérait y trouver des conditions d'habitat décentes et une vie meilleure. Hélas, la ruelle n'échappait pas à la dégradation générale. Une couleur sale envahissait les façades qui s'étiolaient, de nombreux chats hantaient ses murs jour et nuit et leurs miaulements venaient amplifier le tintamarre continuel et le tapage environnant.

La maison de la ruelle avait deux niveaux. L'aspect extérieur sobre et dénudé offrait aux regards une image de neutralité et de simplicité. Il fallait se garder de toute provocation involontaire, éviter de susciter toute jalousie auprès de ses voisins musulmans. Mais, s'il vous arrivait d'être invité à y pénétrer, vos yeux s'illuminaient en découvrant l'intérieur empli de trésors bien cachés.

 Toutes les maisons de la ruelle furent bâties sur le même modèle. Deux étages entourant un patio, la cour intérieure. Toutes les ouvertures de toutes ces maisons débouchaient sur le patio, les portes, les fenêtres, les balcons occupés parfois par toute la maisonnée convergeaient vers cet espace secret, vers le coeur de l'habitation, sa pulsation intime et secrète. Le bâtiment abritait hommes femmes, enfants et il arrivait que toute une famille vive dans la promiscuité d'une chambre unique. On sortait sur le patio pour prendre l'air, souffler un court instant, et aller à la rencontre de l'autre, à la rencontre de la vie. Quelque temps après son installation, lorsque la famille juive et toutes ses branches se furent acclimatés à leurs nouvelles conditions de vie dans la nouvelle maison, Raphaël et Rina introduisirent Salma la belle dans leur foyer – l'aide ménagère musulmane qui allait apporter aide et soutien à tous les habitants de la belle demeure. Au Maroc, il était bien connu que chaque maison juive se devait d'avoir son aide ménagère. Salma était âgée de onze ans lorsque son père l'avait confiée à la famille juive. Elle sera logée et nourrie, recevra gîte et salaire en échange de ses bons services. A partir de cet instant, elle faisait virtuellement partie de la famille juive. Et c'est ainsi qu'au fil des jours, au fil du temps qui passe, le présent récit émergea, surgit d'entre les nombreux contes qu'elle narra à David, d'entre les innombrables histoires d'esprits et de démons qu'elle se plût à lui rapporter. Ce fut son histoire personnelle qu'elle entreprit de lui raconter et David l'écoutait captivé. Il se souvient encore, après toutes ces années, de chaque détail comme si tous ces événements dataient d'hier, comme si Salma lui parlait encore aujourd'hui. Et ainsi commença-t-elle son récit.

"Nous vivions dans un petit village paisible peuplé surtout de gens simples et modestes, de personnes candides, ingénues et naïves parfois. Heureux et comblés, on se contentait du peu dont on disposait. Lorsque par bonheur il nous était donné de jouir d'une heure de liberté prise sur le travail domestique quotidien, sur les heures passées aux champs, nous avions l'impression de jouir de toute une semaine de congé. Nous étions fascinés par les petites choses de la nature. De simples détails nous remuaient, tel le vol d'un papillon, la vue de l'araignée pendue à son fil invisible, la découverte d'un nid d'oiseau tombé de l'arbre, les tendres oisillons gazouillant, piaillant à l'intérieur, les figues sauvages dégustées au coin d'un champ sur le chemin du retour à la maison, ou alors les raisins que l'on faisait craquer sous les dents, ou encore l'eau que l'on buvait directement à la source. Tout cela nous remplissait de joie pour le reste de la journée. Nous avons vécu la vie simple et innocente de l'enfance, sans peur ni complexe. Les habitants du village étaient tous amicaux et avenants. Aujourd'hui encore, je ressens de la nostalgie pour cette époque où je pouvais me sentir libre de me baigner toute nue dans l'eau de notre belle source, sans honte et sans crainte aucune, dans l'ignorance totale du côté positif ou négatif que cela pouvait comporter, du bon et du mauvais que cela pouvait signifier. Un soir, mon père vint auprès de moi et, prenant beaucoup de précautions se mit à me parler avec une grande délicatesse. Il me dit que, désormais, le moment était venu pour moi d'aller gagner mon pain et que je me trouverai bientôt dans l'obligation de quitter la maison natale. Il m'apprit avec douceur qu'il avait trouvé une bonne place de travail chez une famille juive de Marrakech.

Je n'avais que onze ans et je devais déjà abandonner ma famille ! Ni ma beauté, ni mes cheveux lisses couleur jais, ni mes grands yeux noirs rehaussés d'épais sourcils ne me furent d'aucune aide ni d'aucune utilité. Dieu seul sait combien ils se remplirent de larmes cette nuit-là passée à pleurer silencieusement sous la couverture. Tous mes rêves s'envolaient, disparaissaient, me fuyaient. L'espace d'un instant, tout avait basculé. Jusqu'au dernier moment je gardais l'espoir, quelque chose allait se passer, un événement bienvenu allait me sauver, mon père allait tout annuler. Mais hélas, rien de tel n'arriva.

Notre voisine s'adressa à mon père et parla à son coeur. Il devait me préserver, j'étais encore trop jeune et inexpérimentée. Mais, il lui expliqua, il nous expliqua, qu'il n'avait pas le choix, nous étions trop nombreux à la maison, il fallait que je quitte le village, il était indispensable de me trouver une place de travail. Je ne lui en veux pas et ne nourris aucun ressentiment à son égard, je savais qu'il passait des moments très difficiles. Les derniers jours qu'il me restait à passer auprès de ma famille à la maison le tourmentaient, il n'osait plus me regarder en face et tenait les yeux baissés. En fait, je n'avais pas compris de quoi ce pauvre homme pouvait avoir honte, lui qui s'obligeait, se contraignait à se séparer de sa fille chérie.

Je passais la dernière nuit précédant mon voyage chez notre voisine. Elle me parla longuement, avec beaucoup de tendresse. Elle me parla jusqu'au milieu de la nuit. J'entends encore le son de sa voix, ses mots tellement doux et tendres, des mots d'encouragement, des mots que je garde encore dans ma mémoire jusqu'au jour d'aujourd'hui.

Le lendemain, nous nous retrouvâmes côte à côte près de la charrette qui allait nous conduire à Marrakech. Notre unique cheval y était attelé, prêt à trotter vers notre nouvelle destination. Elle me dit, les yeux remplis de larmes :

"Rien n'est définitif, tu pourras à tout moment revenir vers ta famille, le retour est toujours possible." Mais je savais que ce n'était pas vrai, que c'était un voeu pieux. Elle m’embrassa, nous nous séparâmes et depuis je ne l'ai plus revue. Dans la charrette, durant ce long et lent voyage, je songeais un instant aux propos que nous avions tenus pendant la nuit. Il m'arriva de penser qu'elle était dans le vrai, de lui donner raison. Peut-être allais-je me sentir à l'aise dans ma nouvelle situation ? J'aurais une chambre pour moi toute seule, des vêtements propres, des bons repas ? Je recevrais même de l'argent de poche – m'avait-on dit.

Mais je n'avais que onze ans et tout cela était bien prématuré. J'étais encore trop jeune pour quitter la maison paternelle et le village natal, encore trop liée pour être indépendante. Nous étions habitués à voir les filles partir bien plus tard de la maison. Malgré toutes ces pensées, je n'avais rien à reprocher à mon père, je savais qu'il m'aimait profondément, qu'il m'a toujours aimée tout au long de ces années. Il a toujours été très bon envers moi. Non, je ne lui adresse aucun reproche qui puisse avoir une relation quelconque avec l'amour qu'il me portait. Je me souviens très bien de ce jour où il me conduisit à Marrakech. C'était un dimanche après-midi. J'étais vêtue de ma belle robe, celle que je portais lors des grandes occasions et que je m’empressais, aussitôt la fête terminée, de plier soigneusement et de ranger en prévision de la prochaine festivité. Je me souviens qu'il régnait un silence inhabituel dans la maison. La séparation fut très difficile. C'est en larmes que je pris congé de ma mère, de mes frères et de mes soeurs. Puis, je suis allée faire un tour au village. Revoir une dernière fois tous les endroits auxquels j'étais attachée, tous les lieux que j'avais aimés. Je pris le chemin qui longeait la maison, me rendis au puits, allais voir mes moutons que je guidais tous les jours vers les prés en compagnie de ma soeur. Il fallait aussi me séparer d'eux. Mon père attendait près de la charrette et ne disait mot. Patient il ne me pressait pas. Le temps passait et j'étais toujours hésitante. Je ne me décidais pas à grimper sur la charrette et même si je l'avais voulu je n'y serais pas parvenue. Je ne pouvais plus bouger, mes mains tremblaient, mes jambes refusaient de me porter. Je n'avais plus la force de faire le moindre mouvement, j'étais paralysée et me sentais comme un vieux chiffon usé.

A suivre……

Palais et Jardins- David Ekmoznino-Amour interdit

C'est alors que mon père se pencha sur moi et me murmura des paroles affectueuses. Il voulait me réconforter. J'eus tout à coup mal pour lui et compris que je devais être courageuse. Je pris une profonde inspiration, me redressais et regardant droit devant moi, et me hissais sur la charrette. Nous prîmes le chemin qui devait nous mener à ma nouvelle destination. Je remarquais que mon père contrôlait l'allure du cheval et ralentissait le pas de l'attelage. Il voulait me laisser le temps de voir le paysage de mon enfance défiler doucement devant mes yeux. Mes yeux qui se remplissaient de larmes à la vue de ce spectacle familier qui s'éloignait de moi inexorablement.

Je me répétais maintes fois que j'étais déjà une grande personne, qu'il ne m'était plus permis de pleurer. Mon père, qui devinait ce qui se passait en moi, s'efforçait par tous les moyens d'étirer le voyage en longueur, de prolonger ces instants qui nous permettaient d'être encore ensemble. Nous fîmes une halte dans l'un de ces villages qui bordaient notre route. Le temps de nous dégourdir les jambes en faisant quelques pas, la main dans la main. Il me dit "Salma ma fille, n'oublies jamais que tu es une musulmane et qu'un jour tu reviendras au village pour te marier. Je te confie aux bons soins d'une famille juive, ce sont des gens bons et droits. Tu travailleras chez eux comme aide ménagère. Prends bien soin de toi, donne-toi du courage et ne sois pas triste".

Il se dirigea vers notre carriole, je le suivis sans prononcer une seule parole. Nous repartîmes. Nous reprîmes notre allure modérée, mesurée. Le voyage se poursuivit au rythme que mon père lui imposait. Il se mit à pleuvoir. J'étais contente. Les bois et les arbres m'apparurent plus beaux, la pluie les irisait de mille reflets lumineux. Sous l'ondée, les chemins se transformaient et prenaient toutes les tonalités du gris. Je me sentis un peu moins triste. Il me présenta à Rina ta mère, la brunette, la maîtresse de maison. Elle devait avoir la trentaine, ses cheveux noirs étaient relevés et enserrés au- dessus de la tête. Puis elle me présenta à son mari, Raphaël, ton père. Ils avaient l'air gentil et pas du tout intimidant. Avant de me quitter et de me laisser à mon sort, mon père m'attira à l'écart et me chuchota avec tendresse :

"Je reviendrais te rendre visite."

Je vis alors mon père que j'aimais tant s'éloigner sur sa charrette. Je regardais dans sa direction jusqu'à ce qu'il ne fût plus qu'un tout petit point à l'horizon. Je retenais mes larmes de peur que les maîtres de maison ne me grondent. Je me sentais déjà devenir adulte, car dans ces moments parmi les plus durs de ma vie, à l'instant même où je me retrouvais brisée, perdue et seule au monde, je suis arrivée à me contenir et à ravaler mes larmes. Une nouvelle vie s'ouvrait devant moi. Rina devint très vite une mère pour moi et ce dès le premier soir. Je fus reçue avec beaucoup de chaleur, d'affection et de tendresse au sein de la famille juive, au même titre qu'une fille de la famille. Et les enfants m'aimèrent tout particulièrement, n'est-ce pas David ?"

Le matin tôt, Salma était la première levée pour allumer le feu de charbon de bois. Rina la rejoignait un peu plus tard et, ensemble, elles se mettaient en devoir de préparer le petit-déjeuner pour toute la famille. Pendant la journée, Salma s'occupait des travaux domestiques, nettoyait, récurait, apportait son aide à toutes et à tous. Elle était toujours prête à répondre aux besoins de la maisonnée, petits et grands.

Des jours et des jours passèrent après l'épisode mémorable où son père l'avait confiée à la famille juive. Un beau matin, le maître de maison, Raphaël, la pria de se joindre à lui et de l'accompagner à l'extérieur. Adossée à la maison de la ruelle, se dressait une synagogue, le lieu de prière, le temple du culte juif. Raphaël en était le Gabay. Devant l'entrée, il se tourna vers Salma et lui fournit quelques explications. Il lui demanda de veiller désormais à la propreté du bâtiment, de nettoyer le sol de la synagogue surtout à la veille d'événements liturgiques importants comme le Shabbat, les fêtes juives et autres activités religieuses festives. Tremblante de peur, Salma tendit la main vers la grosse clé pendue au mur de l'édifice, la décrocha lentement de son clou et se dirigea sur la pointe des pieds vers le lourd portail de la maison de prière, qu'elle déverrouilla avant d'en écarter les battants grinçants.

Devant elle se profila un couloir étroit qui s'enfonçait à l'intérieur du bâtiment. Cet endroit lui inspirait une grande crainte, toujours renouvelée en dépit de ses visites répétées. L'impression qui s'en dégageait lui paraissait tout aussi angoissante et l'état des lieux ne manquait pas de susciter quelques inquiétudes. Vraisemblablement, la maison juive de prière avait connu des jours meilleurs. La vue du mobilier défraîchi, des bancs et chaises de bois usés par les années, par l'usage des fidèles, était des plus désolante.

Au centre de la synagogue se dressaient quatre colonnes imposantes. De dimension honorable, elles soutenaient un haut plafond grisâtre et entouraient une Tebah bancale, abritant les sièges fatigués des chantres- poètes et des ministres officiants. Salma la caressait délicatement et l'effleurait de son chiffon humide, désempoussiérait coins et recoins, priant le ciel pour que rien ne lui tombe sur la tête avant la fin de sa tâche. Le Heikhal, le Aron Hakodesh où se trouvaient les rouleaux de la Torah rangés dans leurs longs cylindres, était d'un autre âge, antique et patiné.

La Parokhet qui le recouvrait était pâle, usée, les lettres d'or à peine lisibles qui l'ornaient, flottaient intemporelles dans l'espace. Salma, respectueuse, l'observait à distance, Raphaël l'avait prévenue : il ne lui était pas permis de s'approcher de l'armoire sacrée. Ses yeux fixaient les caractères hébraïques qu'elle avait découverts pour la première fois de sa vie, lors du premier passage à la synagogue en compagnie de Raphaël. Depuis, chaque fois qu'elle pénétrait dans ce lieu saint, un sentiment étrange s’emparait d'elle. Elle se sentait complètement transformée, métamorphosée. Elle se forçait à contrôler sa respiration et à se calmer, avant de commencer son travail. Elle entamait alors le nettoyage des fenêtres en forme d'arc de la maison de prière. Elle se souvenait d'avoir toujours ressentie une grande crainte envers le Dieu des Juifs, mais depuis son installation au sein de la famille juive, sa peur allait grandissant.

Du haut du deuxième étage de la maison de la ruelle, Salma la belle pris l'habitude, entre deux travaux, d'observer les faits et gestes des voisines qui s'activaient dans le patio. Elle les contemplait et sentait une vague de nostalgie la submerger. Le matin, après le départ des hommes vers leur travail, les femmes sortaient de leurs foyers pour se retrouver dans la cour, chacune avec ses propres ustensiles dans les mains. Elles éparpillaient les bébés autour d'elles afin qu'ils jouent ensemble alentour, les abandonnaient à leurs babillages et entamaient leur journée. Elles reprenaient leur place en se regroupant, oeuvraient en société dans une chaude convivialité.

Simy, assise par terre, déposait sur ses jambes repliées un grand plateau contenant une petite montagne de grains de riz. Avec un art consommé, des gestes rapides et expérimentés, elle le prenait à pleines mains, lui faisait subir un contrôle des plus sévères, le nettoyait, en retirait les graines étrangères et déchets divers.

Sarah, son amie, assise sur un court tabouret de bois, soumettait ses lentilles à un examen minutieux. Ses pieds semblaient être étroitement soudés à son siège, ses jambes serrées étaient entièrement recouvertes d'une longue robe aux couleurs neutres. A ses côtés se trouvait Esther, une grande femme approchant la quarantaine, vêtue d'une légère robe fleurie, dont la partie supérieure attirait les regards. A son corsage pendaient, de part et d'autre d'une poitrine généreusement découverte, deux cordons de fermeture qu'elle n'utilisait jamais, exposant à la ronde une gorge exubérante.

Tout près d'Esther, se trouvait Aliza, assise dans une posture typiquement orientale. Elle tenait un petit couteau dans la main droite et un concombre dans la main gauche. Elle pelait soigneusement son concombre et les épluchures tombaient lentement par terre. Elle le débitait en fines tranches directement dans une casserole posée sur son ventre. Le plaisir d'être ensemble et en bonne compagnie ; facilité, aisance et bien-être. Les travaux routiniers devenaient légers et supportables. D'autant que l'on ne tardait pas à se lancer dans un bavardage soutenu où l'on pouvait rapporter et colporter les derniers potins et ragots, glissant insensiblement sur les soucis et les tracas quotidiens.

Et Salma observait du haut du son perchoir, réservée et attentive.

Au milieu de la matinée, arrivait le temps de la pause, le temps de prendre un repos bienvenu. Simy, la généreuse au grand coeur, se levait en secouant ses vêtements et se dirigeait vers la maison. Elle allait préparer le thé traditionnel. Un soupir d'aise général l'accueillait lorsqu'elle réapparaissait tenant la Séniya, un grand et beau plateau trépied en cuivre ciselé, portant le Berad, la théière au joli décor gravé au burin, entourée de délicieux gâteaux sucrés et de cinq verres fins transparents au bord doré. Bien-être et détente, la sacro-sainte récréation et le rituel du thé. Les femmes le boivent à petites gorgées, dégustent leurs pâtisseries, devisent, conversent et se confient mutuellement leurs petits secrets. Salma se tenait à l'écart et ne participait guère à ce genre de distractions. Elle passait une grande partie de la journée dans la solitude et allait parfois rendre visite à Tsipora.

Tsipora et son mari habitaient de l'autre côté de la maison. Salma les aimait beaucoup, plus particulièrement la belle Tsipora. Aux yeux de Salma, Tsipora la femme juive et son mari apparaissaient comme des géants véritables, tels ces personnages dans les récits des Mille et une Nuits. La femme juive était très belle, avait une peau claire au grain pur, de grands yeux verts. Son mari portait une barbe noire et avait belle allure dans ses tenues vestimentaires claires de coupe occidentale. Salma estimait que l'homme juif était plus âgé que sa femme, d'une bonne dizaine d'années, pour le moins. Le foyer de Tsipora était égayé par la présence de deux enfants en bas âge, un nourrisson et son aîné âgé de six ans. Tous les matins l'homme se rendait à son travail. Il était transporteur au Souk, le marché local de Marrakech. Tsipora la belle, elle, passait ses journées dans sa chambre s'occupant de ses enfants et de son intérieur.

Salma savait que le couple venait de Ouarzazate, une petite ville idyllique du sud, non loin de Marrakech- la-rouge où il avait emménagé. La majorité de ses habitants étaient des Berbères et les femmes juives de la petite bourgade se mariaient très jeunes, à l'instar des parents de Salma, l'ensemble des membres de sa famille et de toutes les personnes qu'elle connaissait. Les jeunes filles s'unissaient avec celui que leur père avait choisi et devaient l'accepter de gré ou de force. Salma supputait que Tsipora, la belle femme aux yeux verts, avait connu le même sort, subi le même destin. Destin qui sera aussi le sien, elle le savait. Les lignes en étaient déjà tracées. De la maison du père à la maison de la famille juive et, le moment venu, de la maison de la famille juive à celle de son époux. Celui que son père lui désignera.
A suivre……

Palais et Jardins-David Elmoznino-Amour interdit-Le recit complet

Amour interdît

A treize ans, on sait qu'il y a quelque part dans le monde un être que la fille pubère n'a pas encore connu et qu'elle passera le restant de ses jours avec lui.

Dans l'une des petites ruelles non goudronnées de la ville, il y avait une rangée de petits magasins abritant différents commerces. Le plus petit d'entre eux, recouvert d'une pellicule de poussière noire, était celui du marchand de charbon. Le sol, les murs et le plafond étaient revêtus d'une couche de couleur du plus beau noir, à tel point que, pour un passant non averti ignorant l'existence de la boutique, elle apparaissait comme une grande tache sombre envahissant le mur de séparation.

 Au-delà de ce puits noir se rassemblaient les Maîtres Artisans juifs vêtus de leurs Djellabas brunes. Ils prenaient place face à leurs établis, tels ces cordonniers maniant leurs marteaux de laiton et de cuivre rouge à longueur de journée. Derrière eux, dans la lumière du jour, se détachait le Souk, le marché avec sa foule grouillante, son festival d'odeurs et de senteurs, de saveurs, d'épices et d'arômes dans un tourbillon de sensations qui recouvrait toute la place.

La maison de la famille juive se trouvait presque au bout de la ruelle, en face du Mellah bien connu… le quartier juif, actuellement dans un état de désolation avancé, triste à en pleurer. Ce n'était que ruines et gravats, où subsistaient quelques maisons délabrées, délaissées par la plupart des grandes familles juives aisées qui s'étaient résolues à quitter le Mellah inhospitalier pour un environnement plus accueillant. Une partie de la population avait opté pour l'émigration vers Israël, les autres habitants s'étaient dispersés dans différentes localités du pays. C'est alors que, descendues des Monts de l'Atlas et issues de bourgades éloignées, des familles démunies, nécessiteuses, avaient pris possession des maisons abandonnées d'où elles partaient à la recherche de travail en ville, dans une quête de toute besogne occasionnelle, de tout emploi provisoire. Raphaël, mon père, le père de famille de la maison juive, avait habité le Mellah pendant toute son enfance. Lorsqu'il il fut revenu à Marrakech en compagnie de sa femme Rina et de sa famille, avec l'intention de s'y établir, il avait opté cette fois-ci pour une habitation située en dehors du quartier juif et son choix se fixa sur la petite ruelle. Il espérait y trouver des conditions d'habitat décentes et une vie meilleure. Hélas, la ruelle n'échappait pas à la dégradation générale. Une couleur sale envahissait les façades qui s'étiolaient, de nombreux chats hantaient ses murs jour et nuit et leurs miaulements venaient amplifier le tintamarre continuel et le tapage environnant.

La maison de la ruelle avait deux niveaux. L'aspect extérieur sobre et dénudé offrait aux regards une image de neutralité et de simplicité. Il fallait se garder de toute provocation involontaire, éviter de susciter toute jalousie auprès de ses voisins musulmans. Mais, s'il vous arrivait d'être invité à y pénétrer, vos yeux s'illuminaient en découvrant l'intérieur empli de trésors bien cachés.

 Toutes les maisons de la ruelle furent bâties sur le même modèle. Deux étages entourant un patio, la cour intérieure. Toutes les ouvertures de toutes ces maisons débouchaient sur le patio, les portes, les fenêtres, les balcons occupés parfois par toute la maisonnée convergeaient vers cet espace secret, vers le coeur de l'habitation, sa pulsation intime et secrète. Le bâtiment abritait hommes femmes, enfants et il arrivait que toute une famille vive dans la promiscuité d'une chambre unique. On sortait sur le patio pour prendre l'air, souffler un court instant, et aller à la rencontre de l'autre, à la rencontre de la vie. Quelque temps après son installation, lorsque la famille juive et toutes ses branches se furent acclimatés à leurs nouvelles conditions de vie dans la nouvelle maison, Raphaël et Rina introduisirent Salma la belle dans leur foyer – l'aide ménagère musulmane qui allait apporter aide et soutien à tous les habitants de la belle demeure. Au Maroc, il était bien connu que chaque maison juive se devait d'avoir son aide ménagère. Salma était âgée de onze ans lorsque son père l'avait confiée à la famille juive. Elle sera logée et nourrie, recevra gîte et salaire en échange de ses bons services. A partir de cet instant, elle faisait virtuellement partie de la famille juive. Et c'est ainsi qu'au fil des jours, au fil du temps qui passe, le présent récit émergea, surgit d'entre les nombreux contes qu'elle narra à David, d'entre les innombrables histoires d'esprits et de démons qu'elle se plût à lui rapporter. Ce fut son histoire personnelle qu'elle entreprit de lui raconter et David l'écoutait captivé. Il se souvient encore, après toutes ces années, de chaque détail comme si tous ces événements dataient d'hier, comme si Salma lui parlait encore aujourd'hui. Et ainsi commença-t-elle son récit.

"Nous vivions dans un petit village paisible peuplé surtout de gens simples et modestes, de personnes candides, ingénues et naïves parfois. Heureux et comblés, on se contentait du peu dont on disposait. Lorsque par bonheur il nous était donné de jouir d'une heure de liberté prise sur le travail domestique quotidien, sur les heures passées aux champs, nous avions l'impression de jouir de toute une semaine de congé. Nous étions fascinés par les petites choses de la nature. De simples détails nous remuaient, tel le vol d'un papillon, la vue de l'araignée pendue à son fil invisible, la découverte d'un nid d'oiseau tombé de l'arbre, les tendres oisillons gazouillant, piaillant à l'intérieur, les figues sauvages dégustées au coin d'un champ sur le chemin du retour à la maison, ou alors les raisins que l'on faisait craquer sous les dents, ou encore l'eau que l'on buvait directement à la source. Tout cela nous remplissait de joie pour le reste de la journée. Nous avons vécu la vie simple et innocente de l'enfance, sans peur ni complexe. Les habitants du village étaient tous amicaux et avenants. Aujourd'hui encore, je ressens de la nostalgie pour cette époque où je pouvais me sentir libre de me baigner toute nue dans l'eau de notre belle source, sans honte et sans crainte aucune, dans l'ignorance totale du côté positif ou négatif que cela pouvait comporter, du bon et du mauvais que cela pouvait signifier. Un soir, mon père vint auprès de moi et, prenant beaucoup de précautions se mit à me parler avec une grande délicatesse. Il me dit que, désormais, le moment était venu pour moi d'aller gagner mon pain et que je me trouverai bientôt dans l'obligation de quitter la maison natale. Il m'apprit avec douceur qu'il avait trouvé une bonne place de travail chez une famille juive de Marrakech.

Je n'avais que onze ans et je devais déjà abandonner ma famille ! Ni ma beauté, ni mes cheveux lisses couleur jais, ni mes grands yeux noirs rehaussés d'épais sourcils ne me furent d'aucune aide ni d'aucune utilité. Dieu seul sait combien ils se remplirent de larmes cette nuit-là passée à pleurer silencieusement sous la couverture. Tous mes rêves s'envolaient, disparaissaient, me fuyaient. L'espace d'un instant, tout avait basculé. Jusqu'au dernier moment je gardais l'espoir, quelque chose allait se passer, un événement bienvenu allait me sauver, mon père allait tout annuler. Mais hélas, rien de tel n'arriva.

Notre voisine s'adressa à mon père et parla à son coeur. Il devait me préserver, j'étais encore trop jeune et inexpérimentée. Mais, il lui expliqua, il nous expliqua, qu'il n'avait pas le choix, nous étions trop nombreux à la maison, il fallait que je quitte le village, il était indispensable de me trouver une place de travail. Je ne lui en veux pas et ne nourris aucun ressentiment à son égard, je savais qu'il passait des moments très difficiles. Les derniers jours qu'il me restait à passer auprès de ma famille à la maison le tourmentaient, il n'osait plus me regarder en face et tenait les yeux baissés. En fait, je n'avais pas compris de quoi ce pauvre homme pouvait avoir honte, lui qui s'obligeait, se contraignait à se séparer de sa fille chérie.

Je passais la dernière nuit précédant mon voyage chez notre voisine. Elle me parla longuement, avec beaucoup de tendresse. Elle me parla jusqu'au milieu de la nuit. J'entends encore le son de sa voix, ses mots tellement doux et tendres, des mots d'encouragement, des mots que je garde encore dans ma mémoire jusqu'au jour d'aujourd'hui.

Le lendemain, nous nous retrouvâmes côte à côte près de la charrette qui allait nous conduire à Marrakech. Notre unique cheval y était attelé, prêt à trotter vers notre nouvelle destination. Elle me dit, les yeux remplis de larmes :

"Rien n'est définitif, tu pourras à tout moment revenir vers ta famille, le retour est toujours possible." Mais je savais que ce n'était pas vrai, que c'était un voeu pieux. Elle m’embrassa, nous nous séparâmes et depuis je ne l'ai plus revue. Dans la charrette, durant ce long et lent voyage, je songeais un instant aux propos que nous avions tenus pendant la nuit. Il m'arriva de penser qu'elle était dans le vrai, de lui donner raison. Peut-être allais-je me sentir à l'aise dans ma nouvelle situation ? J'aurais une chambre pour moi toute seule, des vêtements propres, des bons repas ? Je recevrais même de l'argent de poche – m'avait-on dit.

Mais je n'avais que onze ans et tout cela était bien prématuré. J'étais encore trop jeune pour quitter la maison paternelle et le village natal, encore trop liée pour être indépendante. Nous étions habitués à voir les filles partir bien plus tard de la maison. Malgré toutes ces pensées, je n'avais rien à reprocher à mon père, je savais qu'il m'aimait profondément, qu'il m'a toujours aimée tout au long de ces années. Il a toujours été très bon envers moi. Non, je ne lui adresse aucun reproche qui puisse avoir une relation quelconque avec l'amour qu'il me portait. Je me souviens très bien de ce jour où il me conduisit à Marrakech. C'était un dimanche après-midi. J'étais vêtue de ma belle robe, celle que je portais lors des grandes occasions et que je m’empressais, aussitôt la fête terminée, de plier soigneusement et de ranger en prévision de la prochaine festivité. Je me souviens qu'il régnait un silence inhabituel dans la maison. La séparation fut très difficile. C'est en larmes que je pris congé de ma mère, de mes frères et de mes soeurs. Puis, je suis allée faire un tour au village. Revoir une dernière fois tous les endroits auxquels j'étais attachée, tous les lieux que j'avais aimés. Je pris le chemin qui longeait la maison, me rendis au puits, allais voir mes moutons que je guidais tous les jours vers les prés en compagnie de ma soeur. Il fallait aussi me séparer d'eux. Mon père attendait près de la charrette et ne disait mot. Patient il ne me pressait pas. Le temps passait et j'étais toujours hésitante. Je ne me décidais pas à grimper sur la charrette et même si je l'avais voulu je n'y serais pas parvenue. Je ne pouvais plus bouger, mes mains tremblaient, mes jambes refusaient de me porter. Je n'avais plus la force de faire le moindre mouvement, j'étais paralysée et me sentais comme un vieux chiffon usé.

C'est alors que mon père se pencha sur moi et me murmura des paroles affectueuses. Il voulait me réconforter. J'eus tout à coup mal pour lui et compris que je devais être courageuse. Je pris une profonde inspiration, me redressais et regardant droit devant moi, et me hissais sur la charrette. Nous prîmes le chemin qui devait nous mener à ma nouvelle destination. Je remarquais que mon père contrôlait l'allure du cheval et ralentissait le pas de l'attelage. Il voulait me laisser le temps de voir le paysage de mon enfance défiler doucement devant mes yeux. Mes yeux qui se remplissaient de larmes à la vue de ce spectacle familier qui s'éloignait de moi inexorablement.

Je me répétais maintes fois que j'étais déjà une grande personne, qu'il ne m'était plus permis de pleurer. Mon père, qui devinait ce qui se passait en moi, s'efforçait par tous les moyens d'étirer le voyage en longueur, de prolonger ces instants qui nous permettaient d'être encore ensemble. Nous fîmes une halte dans l'un de ces villages qui bordaient notre route. Le temps de nous dégourdir les jambes en faisant quelques pas, la main dans la main. Il me dit "Salma ma fille, n'oublies jamais que tu es une musulmane et qu'un jour tu reviendras au village pour te marier. Je te confie aux bons soins d'une famille juive, ce sont des gens bons et droits. Tu travailleras chez eux comme aide ménagère. Prends bien soin de toi, donne-toi du courage et ne sois pas triste".

Il se dirigea vers notre carriole, je le suivis sans prononcer une seule parole. Nous repartîmes. Nous reprîmes notre allure modérée, mesurée. Le voyage se poursuivit au rythme que mon père lui imposait. Il se mit à pleuvoir. J'étais contente. Les bois et les arbres m'apparurent plus beaux, la pluie les irisait de mille reflets lumineux. Sous l'ondée, les chemins se transformaient et prenaient toutes les tonalités du gris. Je me sentis un peu moins triste. Il me présenta à Rina ta mère, la brunette, la maîtresse de maison. Elle devait avoir la trentaine, ses cheveux noirs étaient relevés et enserrés au- dessus de la tête. Puis elle me présenta à son mari, Raphaël, ton père. Ils avaient l'air gentil et pas du tout intimidant. Avant de me quitter et de me laisser à mon sort, mon père m'attira à l'écart et me chuchota avec tendresse :

"Je reviendrais te rendre visite."

Je vis alors mon père que j'aimais tant s'éloigner sur sa charrette. Je regardais dans sa direction jusqu'à ce qu'il ne fût plus qu'un tout petit point à l'horizon. Je retenais mes larmes de peur que les maîtres de maison ne me grondent. Je me sentais déjà devenir adulte, car dans ces moments parmi les plus durs de ma vie, à l'instant même où je me retrouvais brisée, perdue et seule au monde, je suis arrivée à me contenir et à ravaler mes larmes. Une nouvelle vie s'ouvrait devant moi. Rina devint très vite une mère pour moi et ce dès le premier soir. Je fus reçue avec beaucoup de chaleur, d'affection et de tendresse au sein de la famille juive, au même titre qu'une fille de la famille. Et les enfants m'aimèrent tout particulièrement, n'est-ce pas David ?"

Le matin tôt, Salma était la première levée pour allumer le feu de charbon de bois. Rina la rejoignait un peu plus tard et, ensemble, elles se mettaient en devoir de préparer le petit-déjeuner pour toute la famille. Pendant la journée, Salma s'occupait des travaux domestiques, nettoyait, récurait, apportait son aide à toutes et à tous. Elle était toujours prête à répondre aux besoins de la maisonnée, petits et grands.

Des jours et des jours passèrent après l'épisode mémorable où son père l'avait confiée à la famille juive. Un beau matin, le maître de maison, Raphaël, la pria de se joindre à lui et de l'accompagner à l'extérieur. Adossée à la maison de la ruelle, se dressait une synagogue, le lieu de prière, le temple du culte juif. Raphaël en était le Gabay. Devant l'entrée, il se tourna vers Salma et lui fournit quelques explications. Il lui demanda de veiller désormais à la propreté du bâtiment, de nettoyer le sol de la synagogue surtout à la veille d'événements liturgiques importants comme le Shabbat, les fêtes juives et autres activités religieuses festives. Tremblante de peur, Salma tendit la main vers la grosse clé pendue au mur de l'édifice, la décrocha lentement de son clou et se dirigea sur la pointe des pieds vers le lourd portail de la maison de prière, qu'elle déverrouilla avant d'en écarter les battants grinçants.

Devant elle se profila un couloir étroit qui s'enfonçait à l'intérieur du bâtiment. Cet endroit lui inspirait une grande crainte, toujours renouvelée en dépit de ses visites répétées. L'impression qui s'en dégageait lui paraissait tout aussi angoissante et l'état des lieux ne manquait pas de susciter quelques inquiétudes. Vraisemblablement, la maison juive de prière avait connu des jours meilleurs. La vue du mobilier défraîchi, des bancs et chaises de bois usés par les années, par l'usage des fidèles, était des plus désolante.

Au centre de la synagogue se dressaient quatre colonnes imposantes. De dimension honorable, elles soutenaient un haut plafond grisâtre et entouraient une Tebah bancale, abritant les sièges fatigués des chantres- poètes et des ministres officiants. Salma la caressait délicatement et l'effleurait de son chiffon humide, désempoussiérait coins et recoins, priant le ciel pour que rien ne lui tombe sur la tête avant la fin de sa tâche. Le Heikhal, le Aron Hakodesh où se trouvaient les rouleaux de la Torah rangés dans leurs longs cylindres, était d'un autre âge, antique et patiné.

La Parokhet qui le recouvrait était pâle, usée, les lettres d'or à peine lisibles qui l'ornaient, flottaient intemporelles dans l'espace. Salma, respectueuse, l'observait à distance, Raphaël l'avait prévenue : il ne lui était pas permis de s'approcher de l'armoire sacrée. Ses yeux fixaient les caractères hébraïques qu'elle avait découverts pour la première fois de sa vie, lors du premier passage à la synagogue en compagnie de Raphaël. Depuis, chaque fois qu'elle pénétrait dans ce lieu saint, un sentiment étrange s’emparait d'elle. Elle se sentait complètement transformée, métamorphosée. Elle se forçait à contrôler sa respiration et à se calmer, avant de commencer son travail. Elle entamait alors le nettoyage des fenêtres en forme d'arc de la maison de prière. Elle se souvenait d'avoir toujours ressentie une grande crainte envers le Dieu des Juifs, mais depuis son installation au sein de la famille juive, sa peur allait grandissant.

Du haut du deuxième étage de la maison de la ruelle, Salma la belle pris l'habitude, entre deux travaux, d'observer les faits et gestes des voisines qui s'activaient dans le patio. Elle les contemplait et sentait une vague de nostalgie la submerger. Le matin, après le départ des hommes vers leur travail, les femmes sortaient de leurs foyers pour se retrouver dans la cour, chacune avec ses propres ustensiles dans les mains. Elles éparpillaient les bébés autour d'elles afin qu'ils jouent ensemble alentour, les abandonnaient à leurs babillages et entamaient leur journée. Elles reprenaient leur place en se regroupant, oeuvraient en société dans une chaude convivialité.

Simy, assise par terre, déposait sur ses jambes repliées un grand plateau contenant une petite montagne de grains de riz. Avec un art consommé, des gestes rapides et expérimentés, elle le prenait à pleines mains, lui faisait subir un contrôle des plus sévères, le nettoyait, en retirait les graines étrangères et déchets divers.

Sarah, son amie, assise sur un court tabouret de bois, soumettait ses lentilles à un examen minutieux. Ses pieds semblaient être étroitement soudés à son siège, ses jambes serrées étaient entièrement recouvertes d'une longue robe aux couleurs neutres. A ses côtés se trouvait Esther, une grande femme approchant la quarantaine, vêtue d'une légère robe fleurie, dont la partie supérieure attirait les regards. A son corsage pendaient, de part et d'autre d'une poitrine généreusement découverte, deux cordons de fermeture qu'elle n'utilisait jamais, exposant à la ronde une gorge exubérante.

Tout près d'Esther, se trouvait Aliza, assise dans une posture typiquement orientale. Elle tenait un petit couteau dans la main droite et un concombre dans la main gauche. Elle pelait soigneusement son concombre et les épluchures tombaient lentement par terre. Elle le débitait en fines tranches directement dans une casserole posée sur son ventre. Le plaisir d'être ensemble et en bonne compagnie ; facilité, aisance et bien-être. Les travaux routiniers devenaient légers et supportables. D'autant que l'on ne tardait pas à se lancer dans un bavardage soutenu où l'on pouvait rapporter et colporter les derniers potins et ragots, glissant insensiblement sur les soucis et les tracas quotidiens.

Et Salma observait du haut du son perchoir, réservée et attentive.

Au milieu de la matinée, arrivait le temps de la pause, le temps de prendre un repos bienvenu. Simy, la généreuse au grand coeur, se levait en secouant ses vêtements et se dirigeait vers la maison. Elle allait préparer le thé traditionnel. Un soupir d'aise général l'accueillait lorsqu'elle réapparaissait tenant la Séniya, un grand et beau plateau trépied en cuivre ciselé, portant le Berad, la théière au joli décor gravé au burin, entourée de délicieux gâteaux sucrés et de cinq verres fins transparents au bord doré. Bien-être et détente, la sacro-sainte récréation et le rituel du thé. Les femmes le boivent à petites gorgées, dégustent leurs pâtisseries, devisent, conversent et se confient mutuellement leurs petits secrets. Salma se tenait à l'écart et ne participait guère à ce genre de distractions. Elle passait une grande partie de la journée dans la solitude et allait parfois rendre visite à Tsipora.

Tsipora et son mari habitaient de l'autre côté de la maison. Salma les aimait beaucoup, plus particulièrement la belle Tsipora. Aux yeux de Salma, Tsipora la femme juive et son mari apparaissaient comme des géants véritables, tels ces personnages dans les récits des Mille et une Nuits. La femme juive était très belle, avait une peau claire au grain pur, de grands yeux verts. Son mari portait une barbe noire et avait belle allure dans ses tenues vestimentaires claires de coupe occidentale. Salma estimait que l'homme juif était plus âgé que sa femme, d'une bonne dizaine d'années, pour le moins. Le foyer de Tsipora était égayé par la présence de deux enfants en bas âge, un nourrisson et son aîné âgé de six ans. Tous les matins l'homme se rendait à son travail. Il était transporteur au Souk, le marché local de Marrakech. Tsipora la belle, elle, passait ses journées dans sa chambre s'occupant de ses enfants et de son intérieur.

Salma savait que le couple venait de Ouarzazate, une petite ville idyllique du sud, non loin de Marrakech- la-rouge où il avait emménagé. La majorité de ses habitants étaient des Berbères et les femmes juives de la petite bourgade se mariaient très jeunes, à l'instar des parents de Salma, l'ensemble des membres de sa famille et de toutes les personnes qu'elle connaissait. Les jeunes filles s'unissaient avec celui que leur père avait choisi et devaient l'accepter de gré ou de force. Salma supputait que Tsipora, la belle femme aux yeux verts, avait connu le même sort, subi le même destin. Destin qui sera aussi le sien, elle le savait. Les lignes en étaient déjà tracées. De la maison du père à la maison de la famille juive et, le moment venu, de la maison de la famille juive à celle de son époux. Celui que son père lui désignera.

Arrivée à l'âge de seize ans, Salma se retrouva confrontée aux mêmes réflexions, sassant et ressassant les mêmes pensées, alors que dans sa tête défilaient les images de sa vie et de sa destinée. Elle se mit à apprécier ces instants privilégiés où elle s’emparait de la grande clé, pénétrait dans la maison de prière de Raphaël et procédait à ses travaux de nettoyage dans le silence et le calme de ce lieu tranquille et retiré – tout doucement avec beaucoup de précautions et de doigté, que rien ne s'écroule. Dans ces moments hors du temps, irréels, elle retrouvait la paix avec elle-même. Elle ne voulait pas devenir adulte et avait peur de mûrir. Mais elle ne pouvait s’empêcher d'observer l'évolution de son propre corps qui la contredisait. Ce corps que les signes évidents de la puberté marquaient de leur empreinte. Debout devant la Parokhet, elle se disait que son destin était scellé. Personne ne pouvait plus ignorer la beauté de Salma, son beau visage brun, ses immenses yeux noirs.

Salma qui a grandi et qui est devenue belle, si belle.

Quelque part, aux confins du désert du Sahara, Ali le fils d'un chef de caravane de chameaux, se préparait, en pleurs, à se séparer de son père. Ce dernier venait de lui remettre un balluchon renfermant une cruche antique en maillechort recouverte d'un plaquage en cuivre orné de dessins, de fleurs et d'un verset du Coran, à quoi il ajouta quelques bijoux, des bagues en or.

" Ali, mon fils, quitte ce désert, va découvrir le monde, lui dit son père. Tu es encore jeune, intelligent, le moment de l'apprentissage est arrivé. Après, si tu le désires, tu pourras toujours retourner au désert et à ses paysages enchanteurs, à ses étendues éternelles où naissent tant de mirages." Ali arriva à Marrakech et la découvrit à l'heure de sa plus belle parure. A l'heure où tous ses atouts s'enflamment sous l'éclat magique du soleil couchant. La ville de glaise ocre rougeoyante, campait à l'orée du désert saharien au pied des cimes montagneuses et paraissait enveloppée d'une aura mystérieuse. Tel un somnambule, Ali erra une heure durant dans la ville, hébété, le regard flou, n'en croyant pas ses yeux, abasourdi par le spectacle, la magie des lieux et l'étalage de tant d'exotisme. Les fins dattiers alourdis, abondamment chargés de fruits juteux, les différentes tribus berbères dans leurs toilettes scintillantes et leurs vêtements hauts en couleur, les marchands d'eau dans leur tenue traditionnelle, les ruelles étroites du Souk, le riche parfum entêtant des épices, les étals de poissons et de jus de fruits. Ils sont légion, très nombreux sur la place Djamaâ-El-Fna, ces étals bien alignés proposant du jus d'orange fraîchement pressé.

C'est sur cette place qu'Ali trouva le premier emploi de sa jeune existence. Il rinçait les oranges avant de les empiler soigneusement et les disposer artistiquement en hautes pyramides destinées à attirer les clients et allécher les touristes. Le maître des lieux lui indiqua une petite place à l'arrière de son petit commerce, où il lui permettait de s'allonger quelques heures par jour. Mais Ali ne pensait guère à aller dormir ou à prendre quelque repos, des cordons magiques le tiraient irrésistiblement vers la place centrale de la ville.

Il découvrit sur la grande place, les premiers acteurs de l'éternel spectacle, de l'immense représentation. Les différents colporteurs, camelots et marchands ambulants qui venaient de très loin. Parmi eux : les mangeurs de verre, les magiciens et fakirs, les diseurs de bonne aventure, les marchands d'amulettes, les jeteurs de sort, les charmeurs de serpents et le son aigre de leurs flûtes, les danseurs, les acrobates, les prestidigitateurs, les clowns, les guérisseurs aussi, des charlatans, les bonimenteurs vantant un remède miracle, les soigneurs de dents aux méthodes singulières qui vous arrachent une dent, gratuitement et sans anesthésie…

Sur la grande place fleurissent les commerces les plus variés. Des marchands d'objets galants, de statuettes et de masques rituels pour cultes variés, de broderie grossière ou fine, de tapis bigarrés, de chapelets à égrener accompagnés de tapis de prière, de tissus aux couleurs fortes, de vêtements dorés et brodés or et, se frayant un passage dans la cohue de cette nombreuse foule, les éternels vendeurs d'eau fraîche, une grande outre sur le dos, versant le précieux liquide d'une hauteur de plus d'un mètre dans des verres en verre bleuté, sans renverser la moindre goutte par terre.

Un fourmillement bruyant, une mêlée trépidante et colorée, une agitation tintinnabulante, une multitude de "maîtres-colporteurs" formés au sein de leur tribu d'origine et porteurs d'une science héritée du père. Ali rodait autour de la place les yeux brûlants, lourds de sommeil. Il ne pouvait se résoudre à quitter ces lieux du regard et il n'était pas le seul. Tous les habitants s'étaient rassemblés sur la place, tous les touristes étaient là. Tout le monde semblait s'être donné rendez-vous dans ce périmètre magique. Ali s'arrêtait parfois devant un ouvrage, intéressé, il s'adressait alors à l'artiste et le priait de lui révéler sa science. Et l'homme qui avait conservé avec jalousie les précieux secrets livrés par ses ancêtres et transmis de père à fils, lui ouvrait de bonne grâce les portes de son art et lui prodiguait savoir et enseignement. Ailleurs il se contentait d'observer de loin les bonimenteurs, les grands cercles qui se créaient autour d'eux, les promesses de grand spectacle, la tournée pour récolter l'argent des badauds. Ils faisaient mine de chercher des heures durant de mystérieux objets dans leurs valises éculées, épuisant un public qui s'éparpillait, déçu d'avoir vainement attendu et aussitôt remplacé par de nouveaux passants, encore naïfs.

Il prêtait attention aussi aux curieux faisant le va et vient, errant sans but précis, pour le plaisir de flâner. Quelques-uns prenaient place, serrés les uns contre les autres, sur les bancs des cafés, se lançaient dans de grandes tirades et d'interminables narrations, étalant leurs histoires de vie. D'autres lorgnaient les jeunes passantes et tenaient des propos irrévérencieux, incongrus, grossiers. Il y avait ceux qui lisaient et relisaient inlassablement leur journal, à l'apprendre par-cœur. Enfin, ceux qui cassaient du sucre sur le dos de leurs contemporains et se délectaient de leurs malheurs. Un beau jour, Ali fouilla dans le balluchon et en retira l'une des bagues en or que son père lui avait remis. Il s'en alla prendre conseil auprès de l'un de ces anciens qui se tenaient sur la place, un homme âgé d'aspect honorable, vêtu avec un goût rappelant les splendeurs d'antan. Il était assis, penché toute la sainte journée sur des livres anciens, des ouvrages antiques en partie déchirés. Absent, plongé corps et âme dans sa lecture, loin de son entourage, tournant délicatement les pages jaunies par le temps. C'était celui qui lisait dans votre avenir, le voyant extralucide, mais également le conteur d'histoires. Le vieil homme le considéra longuement. Son regard se porta au loin, traversant les époques et sautant par­dessus les continents, parvint jusqu'aux vastes étendues du désert du Sahara, avant de revenir se reposer sur les livres étalés devant lui. Il dit à Ali :

"Dans un mois tu rencontreras une jeune fille du nom de Salma."

Ali l'écoutait de toutes ses oreilles. Le vieux sage poursuivit :

"Tout un chacun se doit une fois dans sa vie de traverser le désert de son existence, avant de se forger une personnalité et de devenir adulte. Toi, tu as déjà traversé une grande partie du désert, l'autre partie, tu la feras en compagnie de ta compagne. De ta femme".

Cette nuit là Ali ne parvint pas à trouver le sommeil. Les propos du vieil homme l'avaient profondément troublé. Avant de se fixer quelque part, il voulait poursuivre ses promenades, ses voyages, ses pérégrinations, voir encore du monde. Mais si le sage disait vrai… si véritablement il serait sur le point de rencontrer l'amour de sa vie.

Et si le sage se trompait, que faire dans ce cas-là? Tout cela n'est pas très sûr… se disait Ali que le sommeil fuyait.

Un compromis se dégagea lentement. "Je vais me donner un délai de trente jours, songea Ali, je vais économiser un peu d'argent avant de poursuivre mon périple."

Il se leva au petit matin et, muni du petit capital remis par son père, s'en alla louer un petit magasin en ville. Il dénicha un petit local, tout noir, qui servit dans le passé au négoce d'un marchand de charbon. Ali se mit au travail. Une fois le local prêt, il l’emplit de tissus multicolores, de belles pièces de soie importées d'Inde et de Chine. Les femmes de Marrakech en furent ravies et s'extasièrent devant ces spécialités venant de l'étranger. Il ne fallut guère plus de trois semaines à Ali pour faire la connaissance de tous les passants, de toutes les femmes juives et musulmanes, de connaître leurs besoins spécifiques, leurs voeux personnels et leurs goûts particuliers. Une telle pour les boutons, une autre pour les fils dorés, celle-là pour les tissus destinés aux robes de mariées, ou encore la grande amoureuse de caftans. Une femme sur deux susurrait à Ali : "Viens nous rendre visite, viens boire quelque chose à la maison. J'ai une fille pour toi. Viens faire sa connaissance."

Mais les priorités d'Ali étaient d'un autre ordre. La constitution d'un pécule substantiel était impérative et indispensable à la poursuite de son voyage. Il voulait découvrir le monde avant de prendre épouse et de fonder une famille. La seule petite distraction qu'il se permettait dans le déroulement de sa journée, était de lever les yeux au-dessus de ses tissus, lorsque devant sa boutique, passait une belle jeune fille musulmane au beau visage brun et aux grands yeux noirs.

Ce jeudi-là, Salma était occupée au nettoyage de la synagogue. La lumière qui filtrait à travers les fenêtres du bâtiment agissait comme une invite de l'astre du jour. Elle eut une grande envie d'être à l'extérieur, de sortir déambuler et admirer les maisons rouges, de se rendre au Souk et d'aller sur la grande place. Mais le devoir l'appelait à la maison juive où elle devait se rendre pour préparer le thé de cinq heures.

Alors qu'elle s'apprêtait à le servir, elle glissa malencontreusement sur une flaque d'eau qu'elle- même avait négligé d'éponger peu auparavant. L'ensemble du précieux service à thé antique en porcelaine de Chine lui échappa des mains, tomba sur le sol et se brisa en mille morceaux. Salma, horrifiée, eut un mouvement de recul et regarda autour d'elle effarée. Sous le coup de la peur, elle prit la fuite et s'éloigna précipitamment de la maison, en état de choc.

Elle erra plusieurs heures dans les rues de la ville. A la tombée du jour, elle s'assit sur une grosse pierre dans une encoignure et, pleine d'amertume, laissa couler des larmes brûlantes.

Ali venait de franchir la porte arrière de son magasin. Il commençait à faire sombre. Il leva les yeux et distingua dans la pénombre naissante, le beau visage brun, les grands yeux noirs noyés de larmes. Il s'approcha, intrigué, inquiet et doucement lui demanda de lui révéler son nom. Une heure plus tard, Salma fut de retour à la maison de la famille juive, un service à thé neuf et complet entre les mains. Ali, à ses côtés, l'aidait à le transporter jusqu'à l'entrée de la ruelle, elle le pria alors de s'en aller, il ne fallait surtout pas qu'on les surprenne ensemble.

A partir de ce jour ils ne se quittèrent plus.

A chacun de ses passages au Souk, Salma s'arrêtait devant le magasin d'Ali. Il la remarquait de loin et sentait la gêne, la tristesse et l’embarras le gagner. Il était amoureux fou de cette jeune fille déjà femme, qui portait sous ses habits de la mousseline transparente qui ne laissait guère de place à l'imagination. Sa peau brillante couleur bronze, ses épaules et ses bras dénudés lui emplissaient les yeux et figeaient son regard. Il lui prenait les mains et lui disait des mots d'amour. Elle s'attardait dans son magasin, repoussant l'heure du départ. Il la conduisait à l'arrière de la boutique, lavait ses instruments d'une main et l'enlaçait de l'autre. Il laissait glisser ses doigts brûlants vers le postérieur juvénile et ferme qu'il gratifiait d'une caresse appuyée. Elle riait, se contorsionnait et cherchait à lui échapper.

Un jeudi après-midi, Salma invita Ali à venir visiter la maison de la ruelle. Elle était seule. Les membres de la famille étaient en voyage. Ali franchit le seuil et regarda autour de lui. Il admira la grande chambre marocaine réservée aux invités que Salma avait rangé en prévision de sa visite, les beaux tapis, les fins matelas bourrés de laine. Les grandes parois de la chambre étaient peintes en blanc. Le haut plafond était soutenu par d'épaisses poutres en bois, grosses comme des madriers de chemin de fer. Sur l'une des parois transparaissaient les traits du maître de maison à travers un cadre en or bordant son portrait. Sur l'autre paroi, un ouvrage brodé en lettres dorées agrémenté de motifs marocains et espagnols lui faisait face.

Ils se laissèrent aller sur les matelas entourés de coussins moelleux et caressants. Le soleil baissait à l'horizon. Ali commença à raconter sa vie dans le désert du Sahara, l'histoire de ses pères et, depuis la nuit des temps, la longue tradition ancestrale qui faisait d'eux des chefs de caravanes de chameaux. Il évoqua les rudes conditions de vie, le travail ardu et ses peines. Il lui décrivit aussi le spectacle des paysages enchanteurs qu'il avait traversés, parcourus et tant admirés.

A son tour elle lui raconta quelques bribes de souvenirs d'enfance. Que lui restait-il d'autre en dehors de ses souvenirs ? Elle lui narra son voyage, tous les désagréments du chemin parcouru il y a quelques années en compagnie de son père. Et, après avoir abandonné la charrette et le cheval, son arrivée à Marrakech à bord d'un vieux camion aux ressorts grinçants, chargé à craquer de villageois, de moutons et de poules caquetantes.

Alors qu'il se penchait vers elle et qu'elle sentait ses lèvres se poser sur les siennes, elle lui fit part tout doucement des rêveries qui la hantaient. De pensées que la religion musulmane interdisait. La nuit, elle rêvait d'amour et de passion. Elle pensait à la beauté et à la mort. Envies et désirs l'assaillaient, la tourmentaient et la taraudaient sans relâche. De toutes ces forces, elle tentait de repousser les pulsions obsédantes et de les chasser de son esprit. Elle lui raconta les bains dans l'eau de source où elle s'enfonçait toute nue, sans crainte et sans honte aucune. Son vague à l'âme. La nostalgie de cette sensation de l'eau sur son corps, de la caresse du vent sur sa peau. Elle souhaitait redevenir petite fille, ne plus avoir honte, chercher, découvrir, connaître et toucher, pour la première fois de sa vie, une âme qui mettrait un baume sur ses doigts douloureux. "A treize ans, on sait qu'il y a quelque part dans le monde un être que la fille pubère n'a pas encore connu et qu'elle passera le reste de ses jours avec lui" murmura-t-elle à l'oreille d'Ali qui frissonna au contact de son souffle. Il sentit les cheveux se dresser sur sa tête. Il se pencha et l’embrassa. Il venait soudain de réaliser l'espace de temps écoulé depuis qu'il avait touché ses lèvres pour la dernière fois. Le lendemain, à l'heure de la prière des maîtres de maison, Salma se glissa discrètement hors de la ruelle et alla retrouver Ali. Ils se promenèrent dans la ville et se restaurèrent sur la place Djamaâ-El-Fna. Une soupe de légumes avec de la viande de tête de veau. Ils observèrent le remue-ménage sur la place, la foule et ses métamorphoses au fil des heures. Ils découvrirent Marrakech la grande, cette immense oasis dressée face au désert. Ils pénétrèrent dans la cour du très réputé hôtel Koutoubia, aux murs recouverts de mosaïque fine, aux couleurs dignes des contes des Mille et Une Nuits. Dans les petites ruelles du Souk arabe, ils se risquèrent à marcher main dans la main et dans le quartier musulman, ils firent une halte pour déguster un délicieux jus de grenades frais. Ils étaient conscients de faire l'objet d'une attention particulière, qui se focalisait insensiblement sur eux et sentaient les nombreux regards qui les suivaient. Après tout, Ali était un personnage connu de tous, mais ils ne pouvaient s’empêcher de faire ce qu'ils faisaient. Ils ne pouvaient adopter d'autre attitude. Ils étaient ensemble, s'appartenaient et Salma réalisait, pour la première fois de sa vie, la portée et la signification d'une telle réalité. Elle n'était plus la jeune femme esseulée se penchant sur la société des femmes du haut de son observatoire du deuxième étage. Elle avait Ali. Elle avait un million d'étoiles brillantes à ses côtés.

Les jours où il n'y avait pas d'offices religieux à la synagogue, Salma se rendait compte qu'en présence d'Ali, elle avait beaucoup moins peur du Dieu des Juifs. En effet, depuis quelques semaines, elle prit l'habitude de faire entrer Ali par la grande entrée aux portes imposantes avaleuses de grosses clés. Ce jour-là, le sol de la synagogue en a vu de toutes les couleurs. Ils roulèrent sur le sol frais et agréable, se débarrassèrent de leurs vêtements et se livrèrent aux joies de l'amour. Ils se donnèrent l'un à l'autre sur l'un des bancs de la synagogue. Entre les livres de prière. Repus, ils s'endormirent sur un deuxième banc.

Salma ressentait dans ses os frémissants l'irréparable qu'elle venait de commettre, la transgression grave des règles de la religion musulmane et le danger tout aussi grave qu'elle courrait désormais. A l'intérieur d'elle-même, une voix lui soufflait de partir, de fuir au loin, le plus loin possible. Si par malheur son père, le musulman pieux et croyant, venait à apprendre la nature des relations interdites qu'elle venait d'entretenir avec Ali, il la tuerait sans hésiter et sans pitié aucune. Pour laver l'honneur de la famille, honneur qu'elle avait irrémédiablement souillé.

Elle était destinée à se marier dans son village natal, à s'unir avec un homme qu'elle ne connaissait pas. L'élu de son père. C'était inscrit, gravé dans sa destinée. Tout au long de cette journée mémorable, Salma réfléchissait, bichonnait, récurait la synagogue et méditait.

Dans le courant de l'après midi le ciel se couvrit d'un épais brouillard jaunâtre. Une tempête faisait rage dans les rues de Marrakech, charriant dans ses flancs des milliers de tonnes de sable rouge. Une obscurité inquiétante tomba sur la ville, comme une nuit sombre et angoissante. Les ténèbres envahirent les rues et les ruelles de la cité. Auréolé d'un nuage de poussière, Ali pénétra en trombes dans la maison de prière. Tout le désert du Sahara se déversait sur Marrakech, couvrant la ville d'un voile opaque. Cette nuit là, alors qu'ils étaient allongés, nus et étroitement enlacés, elle lui avait chuchoté dans le noir :"Nous devons partir d'ici. Si tu m'aimes, fuis avec moi ! Viens avec moi si tu tiens à moi ! Retournons au désert, là seulement je pourrais me sentir libre, là je serais heureuse". Et Ali hochait la tête et l'étreignait très fort.

Dehors la tempête gagnait en puissance. Ensuite, tout se passa très vite, en l'espace de quelques secondes. Des filets de poussière et des morceaux de crépi tombèrent soudainement du plafond de la synagogue. Il y eut une sorte de tonalité sourde et lointaine, un roulement continu, le craquement d'une fissure gigantesque, une rumeur allant s'amplifiant, qui s'approchait dans un vacarme assourdissant et un déferlement ravageur.

Sous l'action d'une puissante et irrésistible poussée d'une force implacable, les murs de la synagogue  s'écoulèrent les uns sur les autres, soulevant des montagnes de poussières qui se mêlèrent aussitôt à la vague rouge déferlant sur la ville. Un déchaînement des forces de la nature.

Salma et Ali sautèrent sur leurs pieds et se précipitèrent vers la sortie, fuyant le désastre et s'éloignant au plus vite du danger. Ils se figèrent haletants, à quelque distance sur la rue, serrés l'un contre l'autre, nus et effarés, tremblants et frissonnants de tout leur corps. Leurs habits, leurs souliers, tous leurs objets personnels étaient définitivement ensevelis sous les décombres du temple, entre les bancs usés et la Parokhet, au pied des poutres immenses et des rouleaux de la Torah. "Nous venons de détruire la maison de prière des Juifs, avec nos péchés." dit-elle à Ali, alors qu'ils reprenaient leur souffle.

"Nous avons commis un sacrilège dans ce lieu saint, dans cette demeure sacrée. Cette fois-ci nous nous en tirons à très bon compte. Nous serons certainement punis, la prochaine fois. De mort." Ali écoutait en silence, il la regarda longuement et lui dit doucement :

"Un amour interdit, cela n'existe pas ! "

Au lever du jour, alors que tous les Juifs se rassemblaient autour de la maison de prière, prêts à la relever de ses cendres, une des voisines tint à apporter son témoignage. Elle était prête à jurer sur tout ce qu'elle avait de plus cher au monde, voire sur la tête de ses propres enfants, que cette nuit, au milieu de la tempête, elle avait distingué de ses propres yeux, une jeune fille et un jeune homme courant entièrement nus en direction du désert.

ארמונות ובוסתנים-דויד אלמוזנינו- חולת אהבה

חולח אהבה

מושיקו היה השכן של ההורים שלי. בחור תמהוני, מוגבל בתנועותיו ובדיבורו. כשנולד, לא הגיע מספיק חמצן למוחו, דבר שפגע בתפקודו התקין. מושיקו תמיד השתרך אחרי הוריו קשי היום, גורר את רגלו השמאלית שלא נשמעה לו ומביט בעיני תם על העולם. הוא אמנם כבר בן 20, אך מתנהג ומבין כבן שבע ורק בדבר אחד אין לו מגבלות, בענייני מין.

כל מי שתשאל בשכונה יידע לספר לך שלמושיקו דמיון מפותח מאוד, אך כל מחשבותיו ודמיונו סובבים סביב בנות, בחורות, נערות, עלמות, נשים ואפילו דודות זקנות. פעם ביום יוצא מושיקו לשוטט בסמטאותיה הצרות והמפותלות של העיירה, במקומות שאין בהם צפיפות אדם ורעש שעושים למושיקו ״לא נעים באוזניים״. זה הזמן שלו עם עצמו. זמן חידוד חושים. מושיקו הולך בסמטת הים, מצמצם את עיניו כדי לראות נערה הבאה מהים עם מכנסיים קצרים, החושפים רגליים ארוכות ושחומות. בימים סתמיים מצליח מושיקו לראות חצאי נשים בחלונות. בימים טובים, כשהמזל משחק לו, הוא רואה וילון סגור ומאחוריו משחק של צלליות, הוא והיא מבצעים זה בזו דברים מענגים עד כאב. לשווא תר אחר מבטן, אף אחת מהנשים שבהן מביט מושיקו לא יודעת שהוא קיים.

מושיקו הולך לאט בסמטאות, יודע שאסור לו לעמוד ולהסתכל פן ייחשב למציצן. השוטרים הסבירו לו כמה פעמים מהי מציצנות, והוא משתדל מאוד לא לפגוע בפרטיותם של האנשים. אבל אם מסתכלים מלמטה לקומה הרביעית זה בסדר, נכון? מושיקו רואה במרפסת הקומה הרביעית אישה בוגרת ובשלה באמת, עם עיניים גדולות וחכמות, בשר לבן ורענן ושדיים כבדים.

הוא רואה בדמיונו איך הכבדה מתפשטת באמבטיה ומתקלחת. מושיקו מרגיש בכל חושיו איך הוא רוצה להיות, ולו רק לרגע, הראי הדהוי על קיר המקלחת. הוא חולף, מביט לקומה הרביעית אל עבר האישה המלאה. עיניו פעורות, עורו לוהט. הוא מתקדם לאורך הסמטה ועוד רגע כמעט מועד ונופל. החושך יורד על מושיקו, בחדרי המדרגות נדלקים אורות, בבתים חותכים סלט ומטגנים ביצה. ארוחת ערב ולאחריה תענוגות הלילה.

מושיקו יודע שהוא כפות, עבד לדמיון החולני שלו. הוא מרגיש חולה. חולה אהבה. כל אהבתו עצורה, בלתי ממומשת, גופו קודח ונפשו לא באה על סיפוקה מעולם. הוא בטוח שכל זה עושה לו אולקוס. מושיקו ממשמש בבטנו, מכניס את הידיים לכיסים וממשיך ללכת. מי יודע? הוא נכסף בסתר לבו, אולי פעם יגיע היום ותיעלם האווירה השמרנית בעיירה שבה מיניות נחשבת לדבר גס ומכוער. אולי יום אחד ייעלמו כל הדברים והסיפורים המכוערים, ואפשר יהיה לומר ״שדיים״ בחופשיות ובטבעיות בכיכר השוק. אז, אומר לעצמו מושיקו, אוכל לצעוד בראש זקוף ובביטחון לאורך החוף, על החול הלבן והרך, ואנשים יאהבו אותי.

פתאום זה קרה לו. הוא הלך על החול, היא באה מולו ונדמה היה לו לרגע שהיא מחייכת אליו. הוא הסתובב לאחור לראות איזה גבר עומד מאחוריו. הרי לא ייתכן כי אישה זו חייכה אליו. אבל הוא היה שם לבדו. האישה היתה גדולה, כמו בחלומותיו, עם שדיים גדולים וכבדים. הוא התקדם עוד, לראות אותה בכל תפארתה והדרה. אישה נמוכה ועגולה, רחבה וכבדה, רכה. אישה שקשה להפיל, כזו ש… שטוב להישען עליה כשעייפים. שמלתה הפרחונית הגיעה לה עד הברכיים ומתחתיה הופיעו שוקיים שהלכו והתעבו מאוד כלפי מעלה.

״קוראים לי מושיקו״, אמר לה, מרגיש את הזיעה ניגרת במורד גבו.

״אני אנה״, היא ענתה לו, ממש ענתה לו. ״ואני גרה לא רחוק מהחוף״.

אנה חצתה זה לא מכבר את גיל 60 והיתה אישה כבדה באמת.

את כל כובד משקלה הניחה בכורסת עור אדומה ובלויה שנחה על המרפסת שאליה הביאה את מושיקו ההמום. היא ליטפה את בטנה ונראתה לרגע בודדה עד אימה וזקוקה לחיבוק. הוא טמן את ידיו עמוק בכיסים. אנה סיפרה לו שבעלה נפטר לפני שלוש שנים, ומאז לא מצאה את עצמה. הם לא נראו כזוג מהסרטים, ובכל זאת היתה זו תחילתה של ידידות נפלאה. מושיקו הגיע לביתה של אנה בקביעות. שם בבית הקטן, הנקי והמסודר, הם ישבו במרפסת ודיברו, ריכלו על המרכלים עליהם ושיחקו קלפים. זו נהנית וזה לא חסר.

אחרי שמיצו את המרפסת החלו לצאת ביחד לרחובות. מושיקו לבש את החליפות של ראובן, בעלה המנוח של אנה, שהיו גדולות עליו בשלוש מירות, וענב עניבה שאנה התאימה לגון עורו ולעיניו הבהירות. אנה התהדרה תמיד בשמלה ורודה ואוורירית, שלרעת מושיקו החמיאה לחמוקיה ולדעת מצמצמי העיניים דרך החלונות, שהביטו בהם בצאתם, דמתה יותר לאוהל. הם צעדו ברחובות, מחזיקים ידיים. הזוג המוזר ביותר שנברא. היא מתנודדת לצדדים, פעם מניחה את כל כובד משקלה על רגל ימין ופעם על שמאל, והוא גורר אחריה את רגליו. אנה ניסתה להיזכר מתי הרגישה כה קלה ומשוחררת ומושיקו נראה בטוח בעצמו, אך עדיין הרגיש שאלפי עיניים מביטות עליו מהחלונות. מדי פעם הביט לאחור ופעם איבד שיווי משקל ונפל, אך מיד קם על רגליו.

יום אחד הגיע מושיקו אל אנה ויותר לא שב לבית הוריו. ״אנחנו גרים ביחד״, אמר לכל מי ששאל, והיו רבים ששאלו שוב ושוב ושוב. ״אנה מלמדת אותי דברים חשובים״, הוא הסביר לכולם, והיא אכן הצליחה להרגיע אותו. האולקוס חדל להציק, הרגל התרככה מעט ואפילו הדיבור יצא לו מעט יותר בקלות. בעיירה את כולם עניין רק דבר אחד – האם הם מקיימים יחסי מין. בפינת המרכז המסחרי יכולת לראות התגודדויות של אנשים המנסים לנחש ולנבא: מה קורה בחדרי חדרים אצל האלמנה, האם היא ומושיקו כן או לא מקיימים יחסי מין ? ומושיקו, מניסיונו ובחושיו החדים, הרגיש שהאוויר מסביבם התמלא באדים של רכילות. הראשונות ששמע מתלחשות היו זוג זקנות ממועדון הקשישים השכונתי ״+60״, לבושות בגדי חג עם תיקים ונעליים תואמים לצבע השמלות שלהן. הן נעמדו דום כאשר מושיקו וחברתו עברו לידן, מחזיקים ידיים.

״נו, מה את אומרת עליה, תפסה בחור צעיר?״.

צעיר, צעיר אבל…."

״באמת היא אישה טובה, מגיע לה: נשית ואמהית, עקרת בית למופת ויודעת מה היא רוצה בחיים״. ״אז תגידי, חנה, הם שוכבים?״.

אנה לבשה את החלוק האדום והקרוע. שדיה הגדולים חשופים למחצה וקווי גופה נראו בבירור מבעד לחלוק הקל והשקוף. הוא הניח את ראשו על ברכי האחת שאהב, ובכה בכי מר. הוא התרגש ורעד בכל גופו. הוא בן 20, ורק עכשיו בפעם הראשונה נגע בגוף של אישה ולא רק ראה אותה או דמיין אותה. ידו ליטפה את שדה והיא חלצה את השד הענק והניחה לו לינוק ממנו שעה ארוכה. רגליה הבשרניות של אנה נפשקו והיא ניגבה ברוך את דמעותיו. בלילות החליק למיטתה החורקת, מתחיל לחמם אותה בשיטתיות, כפי שלימדה אותו. את כפות הידיים משפשף בכפות ידיו, אחר כך עובר לכפות הרגליים שלה. אנה היא שלימדה אותו מהי זקפה. הם עירומים לגמרי. הוא נצמד אליה, מחזיק אותה חזק כדי לא ליפול מהמיטה, כל תנועה קלה עלולה להעיף אותו. אנה מרגישה דחפים מיניים שכבר חשבה שמתו בה, גופה לוהט מתשוקה. היא נשכבת על גבה, בטנה הנפוחה עולה ויורדת. הוא מניח את ראשו על ערוותה ונושק אותה ברפרוף ונוגע בעדינות, בעדינות. עוד רגע קט, תם ונשלם, זו נהנית וזה לא חסר.

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