Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo- La création de la Misguéret-Isser Harel
Au début, on se préoccupa en priorité de l'évacuation des villages isolés du sud. y compris dans les montagnes de l'Atlas. Leurs habitants étaient transportés par camions, véhicules commerciaux et taxis, vers les enclaves, à des centaines de kilomètres de distance, dans les conditions les plus difficiles. Les véhicules vidaier.: leur cargaison humaine à l'approche de la frontière, et de nuit, ils traversaient la frontière, avec l'aide de nos passeurs, par voie terrienne ou maritime. Au débu: les opérations se faisaient lentement et prudemment, mais une fois l'expérience acquise, le rythme des convois s'est accru. Et avec la montée du flot arrivent aussi .es échecs et les coups durs.
Des convois ont été interceptés par les services de sécurité marocains, leurs membres arrêtés et durement torturés – mais malgré cela, les convois au lieu de cesser n'ont fait qu'augmenter.
les véritables héros de cette épopée, de ce drame émouvant, c'était les olim eux-mêmes. Bien sûr ils ne pouvaient le faire seuls. Il fallait quelqu'un pour les encadrer, organiser leur transport, leur préparer des gîtes et leur faire traverser la frontière vers les enclaves espagnoles.
Je me suis rendu en visite à quatre reprises dans les pays du Maghreb. J'ai parcouru tous les grands centres juifs: Casablanca, Rabat, Marrakech, Fès et Meknès. En visitant les quartiers juifs, les mellahs, j'ai rencontré des juifs qui se sont assemblés autour de nous pour nous serrer la main. J'ai vu dans leurs yeux que nul ne nous dénoncerait aux autorités qui étaient pourtant en permanence à nos trousses.
Il n'y a presque pas d'agglomération juive à laquelle je ne suis pas arrivé, jusque dans les montagnes de l'Atlas. Dans l'un de ces petits villages il m'est arrivé quelque chose d'émouvant. Le village comptait une quarantaine de familles juives. Le rabbin local, qui était en même temps le chef de cette petite communauté, n'était pas sur les lieux. Au moment où nous allions repartir, est apparu un homme jeune et il s'avéra que c'était l'homme que nous cherchions. Nous nous sommes présentés comme un groupe de juifs "intéressés au sort de ses frères", mais il a souri et nous a répondu en excellent hébreu, qu'il était vain de faire semblant, car il savait bien que nous étions les Israéliens responsables de l'organisation de la Alyah et il ajouta: "j'ai entendu parler de vous et c'est pour vous rencontrer que je me suis rendu à Marrakech".
Puis il nous a demandé, quand arriverait leur tour à la délivrance, car ils attendaient avec impatience depuis trop longtemps. En quittant les lieux, j'ai donné consigne à mes hommes d'évacuer sans délais la communauté de ce petit village. Et c'est ce qui devait arriver. Au bout d'un court laps de temps, ils étaient tous en Israël, hommes, femmes et enfants.
Il y avait en Israël deux camps quant à la question de principe de la Alyah des juifs du Maroc. La première, celle de Nahoum Goldman, prônait une approche diplomatique discrète auprès des autorités marocaines. Il accordait une importance minime à l'action spéciale de sortie des juifs du Maroc et était favorable à une politique de sélection sévère des candidats à la Alyah et à la limitation de leur nombre. A la tête de l'autre camp, le chef du gouvernement David Ben-Gourion, la ministre des Affaires Etrangères Golda Méir et Zalman Shragaï. Les trois étaient de tout cœur pour une grande Alyah du Maroc, tout en menant parallèlement un combat public contre les autorités de ce pays, et favorables à une politique libérale en matière de sélection des olim.
En 1958, sous la pression de l'Egypte et des nationalistes locaux, le roi Mohammed V devait décider d'adhérer à la Ligue Arabe, et dans ce cadre fut ordonné l'arrêt des relations postales, télégraphiques et téléphoniques entre le Maroc et Israël. Notre réponse devait être claire et ferme: la mise sur pied d'un service postal clandestin indépendant alternatif qui devait se révéler comme un immense succès. L'intention de couper les juifs du Maroc d'Israël avait totalement échoué. Les autorités marocaines devaient essuyer un autre échec en essayant de stopper la sortie et la Alyah des juifs vers Israël.
Parmi les nouvelles initiatives de la Misguéret, l'acquisition en 1960 d'un petit bateau qui naviguait en Méditerranée. Adapté à sa nouvelle fonction par les spécialistes de la Marine, doté de l'équipement de sauvetage nécessaire, il fut rebaptisé Egoz. Jusqu'à fin 1960, il devait effectuer avec succès 12 traversées avec une quarantaine de passagers à chaque fois.
La catastrophe survint à la 13ème traversée: l’embarcation coula au cours d'une violente tempête, avec ses 44 passagers dont le radio israélien, agent du Mossad, Haïm Serfaty. Ce fut une terrible tragédie qui nous a tous boulversés, la Misguéret, le judaïsme marocain, l'Etat d'Israël et l'ensemble du monde juif.
A la suite de ce drame, les journaux marocains ont lancé une campagne venimeuse contre le sionisme et l'Etat d'Israël, accusant les juifs marocains de trahison. La Misguéret devait décréter l'état d'urgence et prendre toutes les mesures pour l'auto défense. Mais elle ne s'est pas contentée de rester sur la défensive et est passée à une contre-offensive virulente et courageuse contre les autorités marocaines, visant également à encourager et à relever le moral de la communauté juive. Début février, la Misguéret diffusa dans tout le Maroc dix mille tracts en français, lançant un véritable défi aux autorités qui réagirent avec une extrême vigueur.
Nombre de militants de la Misguéret furent arrêtés et cruellement torturés. Mais cette fois encore les autorités devaient subir un cuisant échec. Ils ne devaient pas réussir à briser la Misguéret, ni réussir à mettre fin à la sortie des juifs vers Israël.
Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo– La création de la Misguéret–Isser Harel-page 101