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Meknes-portrait d'une communaute juive marocaine-Joseph Toledano-LES FAMILLES MAIMRAN ET TOLEDANO

LES FAMILLES MAIMRAN ET TOLEDANO

Les relations de confiance entre Moulay Ismaël et les négociants Yossef Maimran et rabbi Daniel Tolédano – les deux familles étaient d'ailleurs liées par des liens de mariage – dataient de l'époque où le souverain n'était encore que gouverneur de la ville. On sait que c'est grâce aux informations et au prêt que lui avait consenti Yossef Maimran que Moulay Ismaël avait réussi à devancer tous les prétendants et à se faire proclamer sultan à Fès. Sans titre officiel, Yossef était devenu le conseiller économique et diplomatique le plus écouté à la Cour, au point que le consul de Hollande à Salé, Heppeedorp – qui pourtant ne le portait pas dans son cœur – pour expliquer aux Etats Généraux de son pays, son statut la Cour, se laissera aller à la plus flatteuse des comparaisons : " Le dit Maymoran jouit auprès du Roy d'un crédit égal à celui du grand Colbert en France… Pas moins !

Il devait jouer un rôle central dans le rétablissement des fructueuses relations commerciales avec la Hollande qui avaient grandement décliné pendant la période de troubles de la décadence de la dynastie saadienne et de la lutte pour le pouvoir des Alaouites. Bien que convaincu des avantages du com­merce extérieur pour les caisses de l'Etat – qui prélevait un impôt de 10% sur les transactions aussi bien d'importation que d'exportation – Moulay Is­maël ne devait donner le feu vert à la reprise de négociations sérieuses qu'en 1680, huit ans après son accession au trône. Il en chargea naturellement son plus proche conseiller, Yossef Maimran. En collaboration avec les négociants d'Amsterdam, les frères de Mesquita, il fut convenu de dépêcher en Hollande pour finaliser le traité, son proche parent, Yossef Tolédano, le fils de rabbi Daniel. Il fut convenu que la commission qui sera versée en cas de réussite par les Etats Généraux d'Amsterdam, sera également partagée entre les frères Mesquita, Yossef Tolédano et Yossef Maimran – au grand dam de ce même consul hollandais cavalièrement écarté de cette juteuse affaire. La mission de Yossef Tolédano, l'aîné des huit fils de rabbi Daniel, fut couronnée de succès, avec le concours sur place de son cousin, Itshak Sasportas, le fils de sa sœur Rachel qui, on s'en souvient, avait épousé rabbi Yaacob Sasportas dont nous avons raconté le rôle dans la crise messianique.

Le traité fut ratifié en mai 1683. Quelques mois plus tard à l'automne, Yossef Maimran mourait "accidentellement" – sans doute assassiné. Sur les circons­tances de cette mort tragique plane le mystère. Faute de référence dans les sources juives, il faut s'en tenir aux thèses rapportées par les sources chré­tiennes. Pour le frère de l'Ordre de la Merci, Busnot, ce serait Moulay Ismaël lui -même; qui; pour se débarrasser d'un créancier devenu pressant, aurait ordonné de déguiser en accident – piétiné par un cheval emballé – son assas­sinat. Pour d'autres, ce serait le gouverneur de Meknès, soit croyant devancer le vœu de son souverain, soit par jalousie, qui aurait profité de l'absence du sultan en expédition contre un de ses frères à Taroudant, pour se débarrasser d'un rival. Quoi qu'il en soit, Moulay Ismaël choisit pour lui succéder, à la fois à la tête de la communauté juive et comme son plus proche conseiller financier et diplomatique, son propre fils, Abraham Maimran. Dans cette double fonc­tion, le fils devait se distinguer encore plus que le père. S'ouvrirent alors des perspectives de fructueux échanges suite à la nomination de Yossef Tolédano comme consul -ambassadeur aux Pays -Bas. Réconcilié, le consul hollandais s'associa avec Yossef et son frère Haïm Tolédano et leurs cousins Moshé et Abraham Tolédano, les fils de rabbi Baroukh, qui déploieront avec succès les plus grands efforts au cours des prochaines décennies pour éviter la rupture entre les deux pays, malgré les frictions sur la qualité des armes fournies par les Pays -Bas.

Au début des années 1691, une grande tension devait perturber les relations entre les deux pays. A la suite de la fourniture d'armes défectueuses, Moulay Ismaël, avait autorisé sa marine de guerre et ses pirates à s'en prendre aux navires hollandais, comme il s'en expliquait dans une missive adressée en 1691 aux Etats -Généraux des Pays Bas où il ne cachait pas l'extrême estime qu'il portait à "son Juif" :

" Messieurs, vous avez appris par Mimoren l'ordre que j'ai donné à Abdallah Ben Ache, général de mes vaisseaux, de prendre les bâtiments de vos sujets qu'il trouvera en mer. Votre consul vint alors à ma cour de Mequinez, il y a environ trois ans, pour me demander la restitution d'un de vos vaisseaux pris par l'un de mes corsaires. N'ayant point trouvé son passeport en forme, pour­tant en considération pour Maimoren, mon Juif, que j'aime beaucoup, je fis rendre l'équipage du dit vaisseau à votre consul. Mais vous n'ignorez point que les chrétiens qui entrent dans mon pays, de quelle manière qu'il soit, n'en peuvent sortir pour rien : c'est pourquoi votre consul me promit 25.000 boulets de canon…Cependant ayant fait venir les boulets, l'année dernière, l'arcaïd les trouva bien différents de ceux promis, c'est pourquoi il ne voulut permettre d’embarquer que la moitié des esclaves (promis). Le consul vint alors à ma Cour s'en plaindre; et m'ayant été présenté par mon Juif, à qui je ne puis rien refuser, je lui accordai ce qu'il me demandait, qui était d’embarquer le reste des esclaves qu'il avait à Salé…"

Mais à la grande déception du sultan, le consul trahit sa promesse de se rendre sur le champ en Hollande pour obtenir l'aval au dédommagement prévu et le sultan de s'en plaindre aux Etats -Généraux :

" N'eut été Moimoren, mon Juif, je l'aurais traité de la manière qu'il méritait. Toutefois, l'estimant indigne de vous porter ma missive, j'en ai chargé Tolle- dane (Haïm Tolédano) parent de mon Juif, pour vous la porter.. .11 y a six mois qu'ils sont partis et n'en ayant aucune nouvelle, j'ai ordonné à mes vaisseaux de prendre les vôtres et de les mener à Salé. L'un de mes vaisseaux a pris un des vôtres; je l'ai donné à Maimoren, mon Juif, en dépôt, jusqu'à ce que vous m'envoyez ce que vous avez promis par votre consul…et nous aurons alors comme auparavant bonne paix, puisque mon Juif me l'a demandé par grâce… Je vous recommande de faire bien à Tolledane et de l'envoyer le plus tôt que vous le pourrez…"

Haïm Tolédano qui s'occupait directement de ces importations, avait été en effet dépêché à la Haye en même temps que le consul de Hollande à Salé pour obtenir la poursuite de la fourniture des armes et l'amélioration de leur quali­té. Ce n'est qu'au bout de plusieurs mois de négociations qu'il devait obtenir, avec l'aide de son frère Yossef l'ambassadeur permanent du Maroc, le renou­vellement de l'accord de paix de 1683 et la reprise des livraisons d'armes de bonne qualité. Après bien des péripéties, la délégation retourna à Meknès et le sultan entouré de ses ministres et d'Abraham Maimran, accepta le 16 août 1684 de ratifier l'accord.

Un moment, Haïm Tolédano fut envoyé sonder le terrain pour la signature d'un traité de paix semblable avec l'Angleterre, mais sans succès. Ce même Haïm et son frère Abraham étaient devenus les banquiers de la reine mère et des princes – ce qui devait se révéler plein de risques. L'un des innombrables fils du sultan, Moulay Ali, était en relations d'affaires suivies avec les deux frères. Vers 1704, il avait contracté envers Haïm Tolédano une dette de 4000 onces d'or. Parallèlement, il avait fait des dépôts de sommes considérables chez son frère Abraham établi à Salé. Aussi quand arriva l'échéance du prêt de 4000 onces, au lieu de s'en acquitter, il demanda à Haïm de le récupérer auprès de son frère Abraham chez lequel il avait des dépôts. Sur foi de cette déclaration, Abraham remboursa à son frère la dette du prince. Mais voilà que quelque temps plus tard, ce prince vint chez Abraham retirer ses dépôts. Ce dernier lui établit son compte en déduisant naturellement les 4000 onces remis à son frère. Fureur du prince qui démentit catégoriquement avoir ja­mais demandé de rembourser la moindre dette sur ses avoirs. Il fit empri­sonner Abraham à Salé conditionnant sa libération au versement des 4000 onces d'or – une somme considérable que ce dernier n'était pas en mesure de régler sur le champ comme exigé. Aussi de sa cellule, Abraham adressait -t -il une pathétique lettre – en hébreu, car il s'agit de grands lettrés – pieusement conservée dans la famille jusqu'à nos jours :

" La raison de ces quelques lignes est le sauvetage de mon âme; viens vite mon frère à mon secours sur les ailes des aigles. Sache que le fils du sultan s'est retourné contre moi et que je suis en prison, la corde au cou depuis deux jours et qui si cela devait se prolonger; vous ne me compterez plus parmi les vivants, car je finirai brûlé. L'adage ne dit -il pas qu'une main doit laver l'autre ? Et qui donc peut me secourir à part toi ? Et si je venais à te conter mes tourments, ni le papier ni l'encre n'y suffiraient, et si tu me voyais, tu ne me reconnaîtrais certainement plus en raison du chagrin et des tortures dont je suis victime. Je ne bois, ni ne mange. Aussi dès réception de cette lettre, en­voie -moi à Salé par Yéhouda Lévy et son frère, la somme de 4000 onces que je t'avais remise, ainsi que 250 mektal pour le paiement de mes frais d’empri­sonnement… Si nécessaire, hypothèque tout ce que je possède, mais fais vite et délivre – moi au nom de l'Etemel, moi ton frère Abraham.

Ce ne devait qu'au bout de 22 jours que les sommes demandées parvinrent à Salé et qu'Abraham fut libéré. Dans la suite, les affaires des deux frères de­vaient péricliter à l'image de la détérioration globale de la situation de la com­munauté juive et du pays dans son ensemble au cours de la seconde partie du règne de Moulay Ismaël. Ceci en raison du plus grand fléau de ce règne : une fiscalité écrasante à la mesure de son zèle constructeur et de l'entretien d'une immense armée de métier, la Garde Noire, comme nous le verrons dans la suite.

Deux ans plus tard, quand un navire hollandais transportant des marchan­dises appartenant à son Juif Maimran fut saisi à Cadix, le sultan fit empri­sonner les prêtres franciscains espagnols chargés du rachat des esclaves pour obtenir la libération de sa cargaison. Le succès des négociations hollandaises pour la libération des prisonniers de ce pays, amena le roi du Portugal à sonder Maimran sur la possibilité d'arriver à un accord semblable pour ses propres ressortissants. Le sultan accepta de négocier et dépêcha deux émis­saires juifs dans la dernière forteresse portugaise de Mazagan, en route pour Lisbonne, porteurs d'un message au roi du Portugal. Le diplomate français informa ainsi Paris du succès de cette mission :

" Ils sont revenus avec un ambassadeur pour la ratification du traité qu'ils ont fait par l'entremise de Maimoran pour la libération des esclaves portugais qui sont à Mequines au nombre d'environ cent trente. Cet échange se fait en cette conformité que le Roy de Portugal fera compter à Amsterdam la somme de 60.000 piastres à un Juif que nommera à cet effet ledit Maimoran, somme qui sera employée à ce qu'ordonnera le Roy du Maroc au Juif. Encore donnera le dit Roi du Portugal tous les Maures sujets du Roy du Maroc qui se trouveront au Portugal, au nombre d'environ soixante."

Les corsaires de Salé continuant à sévir, même en temps paix, de nouveaux prisonniers hollandais étaient venus repeupler les prisons marocaines provo­cant en 1694 une grave crise dans les relations entre les deux pays, mettant dans le plus grand embarras le Juif du Roy comme le rapporte l'infatigable auteur de rapports qu'était le consul Estelle : " Maimoran, Juif et favori du Roy de Maroc, qui maniait cette affaire, se trouvait bien embarrassé de voir le procédé de ce prince à qui les Hollandais avaient apporté tout ce qu'il leur avait demandé, et encore beaucoup plus pour la liberté de quelques soixante esclaves, dont un tiers pris l'année dernière, en temps de paix et que cepen­dant ledit roy de Maroc ne voulait donner aucune liberté…"

En désespoir de cause, Abraham Maimran, obtint – moyennant présent – l'in­tervention de la seule personne à laquelle le sultan ne pouvant rien refuser, son épouse préférée, Lalla Aïcha, la mère de son grand ami le prince Moulay Zidane. Elle tança vertement son intraitable époux, lui reprochant de renon­cer à tant de poudre pour la "liberté de quelques chiens de Flamands !"Le roi lui expliqua alors qu'il avait fait un terrible rêve où il se voyait entouré de soufre et il avait compris le message : il irait en enfer s'il libérait ces chrétiens. Face à un tel argument, même la reine se trouva désarmée,

Quelque temps après, Abraham Maimran revint à la charge, expliquant au sultan les avantages du respect des termes du traité et la réponse qu'il reçut le laissa sidéré, ne pouvant aller à l'encontre des superstitions d'un souverain aussi croyant :

" Ce prince lui demanda s'il lui voulait du bien. Je laisse à penser à Votre Grandeur la réponse du Juif. Sur quoi, ce prince lui dit qu'il n'avait de l'ami­tié pour lui que pour les choses présentes, mais pas quant à l'avenir, et princi­palement à son âme, et lui fit relation de son songe. Sur quoi ce misérable Juif se taisa et ne répondit plus rien et vit son affaire perdue sans recours…" Pro­visoirement du moins, car les choses devaient s'arranger; la paix finira, après maints rebondissements par être renouvelée avec les Hollandais non sans que " ce Juif ne déplorât devant moi son malheur de servir un tel prince;"

Meknes-portrait d'une communaute juive marocaine-Joseph Toledano-ed Ramtol 2017page 55-59

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