Le voyage de Sir Moses Montefiore au Maroc
LE VOYAGE DE SIR MOSES MONTEFIORE AU MAROC
Consterné par le contenu de ce rapport, Moses Montefiore le soumit au Ministre des Affaires étrangères britannique Lord Russel. Celui-ci promit de faire ce qui serait en son pouvoir pour protéger les Juifs du Maroc.
L'affaire de Safi alarma les Juifs et le gouvernement de Grande- Bretagne. Un percepteur espagnol mourut après une maladie qui dura trois à cinq jours. On accusa son serviteur Jacob Benyuda (alias Akkan) d'avoir empoisonné son maître. Akkan reçut la bastonnade jusqu'à ce qu'il avouât la complicité d'Éliyahou Lalouche (alias Lallas). Ce dernier fut torturé par les autorités marocaines jusqu'à ce qu'il confessât l'implication de deux Juifs, Makhlouf Aflalo et un certain Saïdo. Lallouche réussit à prendre la fuite et sa famille fut emprisonnée et fouettée. Il fut rattrapé et décapité à Tanger. Dans sa cellule, Akkan avoua à Lalouche l'avoir dénoncé pour échapper à d'autres bastonnades, ce qu'un vice-consul entendit. Néanmoins, le ministre espagnol exigea une punition exemplaire immédiate. Akkan fut également exécuté. Le Ministre des Affaires étrangères marocain Si Mohamed Bargash précisa que « les autorités marocaines avaient agi sous la contrainte et la menace des Espagnols.» Par ailleurs, deux Juifs de Tétouan Abraham Axuelos et Jacob Benattar furent arrêtés pour des raisons futiles (cordonnier de son état, le premier n'avait pas réussi à identifier la chaussure laissée par un cambrioleur) et reçurent la bastonnade. De nombreuses autres irrégularités furent découvertes par la suite dans l'affaire de Safi et le gouvernement britannique décida de cautionner le voyage de Moses Montefiore en 1863. Il était alors âgé de 80 ans.
Comment se déroula le voyage?
La réputation de Montefiore et de ses talents de diplomate lui fit ouvrir toutes les portes. Montefiore s'arrêta en Espagne ou il rencontra le Premier ministre et les membres du gouvernement. La reine Donna Isabella lui assura « le respect de toutes les religions.» Montefiore fut reçu en grande pompe à Tanger, obtint la libération immédiate de deux prisonniers juifs et l'assurance de la libération de deux prisonniers juifs à Safi. Il réussit à rétablir la confiance entre les représentants anglais et espagnol dans la ville. Les représentants espagnols au Maroc reçurent des directives les invitant à la prudence et l'Espagne exprima des regrets au sujet de l'impétuosité de son représentant, et qui avait mené aux exécutions des Juifs de Safi. Montefiore négocia également les assises d'une nouvelle école anglo-française administrée conjointement par le Board ofDeputies et l'Alliance Israélite Universelle.
Le mauvais temps les empêchant de débarquer à Safi, ils reçurent néanmoins la confirmation de la libération des deux Juifs de Safi. Ils furent reçus à Mogador par Abraham Corcos, vice-consul des Etats-Unis et la caravane d'une centaine de personnes se mit en route pour Marrakech, escortée pendant une heure par le gouverneur de la ville. Le sultan accueillit Moses Montefiore en lui prodiguant la meilleure des hospitalités et la plus grande des considérations. 6000 soldats firent une haie d'honneur. Monté sur son cheval de parade blanc, le sultan salua Montefiore qui portait son uniforme de Lord-Lieutenant de la ville de Londres, avant de le recevoir dans l'intimité. Montefiore défendit alors la cause des siens au nom des Juifs et des Chrétiens de l'Empire et demanda un traitement égal à celui des Musulmans.
Le dahir ou édit qui fut promulgué à la suite du passage de Sir Moses Montefiore déclarait en essence : «Nous ordonnons à ceux qui liront le présent écrit… à tous nos serviteurs, gouverneurs, cadis et autres fonctionnaires de traiter avec la plus grande bienveillance les Israélites de notre empire, Dieu Nous ayant inspiré pour agir ainsi. Nous voulons voir pratiquer envers eux la justice et l'équité et les considérer comme des sujets égaux devant la loi. Aucun d'entre eux ne doit faire l'objet d'un acte arbitraire quel qu'il soit, ni subir de dommage d'aucune sorte. On ne doit s'attaquer ni à leurs personnes ni à leurs biens. Les services d'ordre professionnel qui peuvent être exigés pour le compte de l'État ne doivent pas leur être demandés avec violence et, en tout cas, être équitablement rétribués, car Nous devons rendre compte à Dieu dans la vie future de toute injustice commise ici-bas et Nous ne consentirons jamais à ce que des actes illégaux soient perpétrés, ni envers les Israélites, ni envers qui que ce soit. Nous considérerons tous nos sujets sur un même pied d'égalité et si une iniquité venait à être commise envers l'un d'eux, Nous, avec l'aide du Tout-Puissant, appliquerons à son auteur la sanction pénale qu'elle mérite. Ce décret, avec toutes les prescriptions qu'il contient, est confirmé par nous de la manière la plus stricte et la plus persistante et doit constituer pour Nos sujets israélites une garantie contre tout arbitraire dont ils pourraient être l'objet de la part de ceux qui auraient l'idée de les molester.»
Montefiore visita alors le Mellah de Marrakech ou il fut accueilli par une foule de plusieurs milliers de personnes en liesse. Avant de prendre la route pour Mazagan avant d’embarquer pour Gibraltar. Il fut à nouveau reçu par la reine en Espagne puis par Napoléon III en France. Des milliers de messages de félicitations l'attendaient en Angleterre. Le Parlement anglais vota une motion de félicitations au sultan remerciements pour sa noble conduite.
Quelles furent les conséquences réelles de la visite de Moses Montefiore?
La présence de Moses Montefiore au Maroc et sa réception en grande pompe à la cour du sultan redonnèrent confiance aux Juifs du Maroc. Ils ne se sentaient plus isolés. L'impact psychologique fut immense, d'autant plus que Montefiore avait obtenu du sultan un dahir qui condamnait le mauvais traitement des Juifs dans le royaume. De fait, le paragraphe final du dahir précisait qu'il n'y avait rien de nouveau en ce sens « qu'il était déjà bien établi, bien su et bien documenté, etc.» En d'autres mots, la condition de dhimmis demeurait telle quelle. Cette euphorie s’empara également des communautés juives marocaines qui pensaient avoir enfin recouvré leur dignité. Le chroniqueur musulman Al-Naçiri écrivit alors : « Les Juifs devinrent arrogants et frivoles et pas seulement dans les villes portuaires… Cette liberté qu'ont établie les Européens au cours de ces dernières années est l'œuvre absolue de l'irréligion, car elle comporte la destruction complète des droits de Dieu, des droits des parents et des droits de l'humanité.» Il loua le souverain d'avoir clarifié dans une lettre explicative que les recommandations antérieures ne ciblaient que les Juifs respectables… Dans les faits, rien ne changea et les injustices continuèrent. Le premier juin de la même année, Montefiore envoya une lettre de remerciements tout en regrettant le fait que certains gouverneurs et officiels ignoraient l'édit du sultan. Il reçut de nouvelles réassurances de la part du vizir Yamani.
Certains pensèrent que le voyage de Montefiore eut l'effet inverse. En 1880, un Juif de Gibraltar alla même jusqu'à déplorer la naïveté de l'initiative de Montefiore. Car les oulémas voulaient maintenir la prédominance de l'islam et l'humiliation des dhimmis. Les travaux du théologien Al-Maghili responsable du massacre des Juifs du Touat en 1492 eurent un regain d'intérêt. Ce dernier avait accusé les Musulmans riches et influents d'être coupables d’employer les pires ennemis du prophète plutôt que de les maintenir dans leur état naturel d'humiliation.
Commentant la mission de Montefiore vingt-sept ans plus tard, l'auteur britannique Budgett Meakin écrivit : « Il reste beaucoup à faire. Le gouvernement est pourri. La position du Maure est mauvaise et celle de son voisin israélite est bien plus pire.» Mais il n'en demeura pas moins que la conscience d'une émancipation possible fit rêver les Juifs du Maroc trop longtemps résignés à la malédiction de leur condition précaire.