Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo

Les méthodes de travail de la Misguéret

Avec le temps, le travail de la Misguéret s'est ramifié, mais son activité essentielle est restée l'Alyah. Par ailleurs, il y avait aussi le travail des cellules de Gonen chargées de l'autodéfense. Des ces deux activités, d'autres, plus secondaires ont pris leur essor pour les servir: le service de renseignement et la "branche civile". En effet, en réaction aux intentions du gouvernement d'en terminer avec l'activité de la Misguéret, et face à la surveillance et à la poursuite des services de police marocains, on était dans l'obligation de donner "des yeux" et des oreilles à la Misguéret.

Le quartier général installé à Tel-Aviv dirigeait l'activité des Etats Majors montés à Paris et au Maroc. L'activité au Maroc ne représentait qu'une partie, bien qu'essentielle, de la responsabilité de l'état-major à Paris qui était chargé aussi de l'autodéfense des communautés juives en Tunisie et en Algérie. Ces deux bureaux avaient plusieurs antennes. La transmission des informations et des ordres se faisait par des stations-radio situées sur le terrain et à l'arrière, et par l'intermédiaire de messagers qui transportaient du matériel dans différentes sortes de contenants. Après les premières investigations, des volontaires ont été recrutés dans le cadre de la Misguéret. Le travail a pris de l'ampleur, le nombre des recrues a augmenté, on a nommé des commandants régionaux. Les recrues ont été entraînées dans l'usage d'armes légères. Les plus doués étaient envoyés à des stages en France, et en Israël où ils étaient préparés à des postes de commandement. A leur retour au Maroc, ils prenaient une part plus active aux opérations. Petit à petit, l'élite fut choisie, le travail devint plus systématique et le plus important était la motivation des recrues et leur identification avec leur mission, condition sine qua non de toute grande entreprise humaine.

Malgré le cloisonnement rigoureux entre les cellules, indispensable dans toute organisation clandestine, tous les membres de Gonen ressentaient le même esprit d'équipe et de fierté de corps.

Cette description est surtout valable durant les premières années de l'Indépendance du Maroc. Il était naturellement difficile de prévoir quel serait l'avenir, car les inconnues étaient nombreuses, et l'anxiété était inévitable. Il est naturel pour l'homme d'être plus anxieux face à l'inconnu ne sachant quelles manœuvres il devra utiliser pour l'affronter alors qu'une attaque claire et franche exige la mobilisation de moyens nécessaires à sa défense.

Ce qui s'est passé plus tard a confirmé cette appréciation. L'atmosphère qui régnait au sein de la population avait été examinée, et la situation politique avait été pesée. On savait aussi par expérience ce qui était déjà apparent: le danger pour les Juifs avait différentes origines, mais il n'y avait pas de péril physique immédiat.

Les conclusions qui s'imposaient étaient qu'il fallait faire sortir les Juifs du territoire marocain et les faire immigrer en Israël.

La conclusion militaire opérationnelle a été la création d'une branche supplémentaire chargée de l'immigration clandestine en Israël, tandis que la conclusion civile a été de varier les méthodes de travail de la Misguéret. On comprend donc que Gonen et la Makêla ne représentent pas deux fonctions différentes, mais bien une seule et même mission.

Le nouvel objectif dont la Misguéret a été chargé exigeait de nouvelles recrues trouvées essentiellement parmi les membres des mouvements de jeunesse sionistes, et parmi les volontaires de la communauté juive. La communication avec les familles d'émigrants de l'Alyah Beth se faisait à l'aide de ces nouvelles recrues. Pour le transport des familles, la protection des itinéraires, et pour l'étape anale de l'opération à l'approche de la frontière ou de la côte, on mobilisait les membres de Gonen et de la Makéla. La nécessité du cloisonnement, de crainte de "grillage" et d'arrestations en masse, obligeait à limitér les contacts au strict nécessaire, en particulier entre les militants de Gonen et de l'Alyah clandestine. Il ne faut pas oublier, en effet, de souligner que les peines encourues pour tentative d’immigration illégale étaient nettement plus légères que celles qui étaient imposees pour l'appartenance à une organisation de défense, considérée comme une atteinte à la sécurité de l'Etat.

Les membres des mouvements de jeunesse "prêtés" à l'émigration clandestine étaient engagés à plein temps jusqu'au jour de leur propre Alyah en Israël Les jeunes gens et les jeunes filles recrutés restaient en contact avec les mouvements de jeunesse dont ils étaient issus, afin de ne pas apporter atteinte à leur préparation éducative et idéologique. Ce système leur a permis une "vaccination" contre une vie aventureuse durant l'adolescence, tout en préservant l'entité des groupes de préparation à l'Alyah, édifiés à si grand-peine.

L'évaluation des objectifs en vue desquels les jeunes gens avaient été recrute; et la mission sacrée qui leur avait été impartie ont permis à leurs chefs de tenir coup dans les situations difficiles qu'ils ont dû affronter. En fin de compte, il devait s'avérer que les deux parties, la Misguéret et les Mouvements de Jeunesse, en sortaient enrichis et renforcés.

La poursuite des services de sécurité marocains contre la Misguéret

Les services de sécurité marocains filaient les membres de la clandestinite opérant occasionnellement des arrestations, ont mené des enquêtes accomragnees parfois de tortures, déférant devant la justice de nombreux immigrants illégaux et membres de la clandestinité interceptés.

Par prudence, le mouvement clandestin faisait partir à l'étranger ceux qui étaient "brûlés" de même que les activistes libérés sous caution dans l'attente de leur procès. Bien que leur absence ait rendu le travail plus difficile, celui-ci ne  s'est jamais arrêté, même en période de grave avalanche, comme lors de l'opération Bazak en février 1961.

Il y a eu donc des bouleversements plus ou moins importants qui ont provoque, de

temps à autre, l'interruption des activités. N'oublions pas non plus que les services de sécurité marocains, n'avaient pas encore eu le temps de s'organiser et avaient bien d'autres préoccupations en dehors du mouvement clandestin juif.

Les tribunaux n'ont pas dépassé les limites en fait de procès tendancieux. Même en infligeant des condamnations sévères pour des raisons politiques, ils l'ont fait sans exagération. Toutes les personnes arrêtées et jugées ont eu droit à un défenseur, les salles des tribunaux étaient ouvertes au public, et l'écho de la tragédie juive n'était plus un secret pour personne. Ceci n'est pas dit pour amoindrir en quoi que ce soit les épreuves difficiles auxquelles ont été exposés les détenus. Nous avons déjà dit qu'il y a eu des tortures, même très cruelles. Il est même possible que l'un des torturés, Raphi Vaknine, soit mort à la suite de ces tortures, tandis que son compagnon de cellule, Méir Knafo, a été hospitalisé à Meknès dans un état très grave. Il n'existe naturellement rien qui puisse dédommager d'une souffrance, mais le XXème siècle nous a donné une "plus grande culture" en matière de souffrance humaine, et ce qui est dit ici doit être pris dans ces proportions.

Certains émigrants aussi ont été arrêtés. Il fallait que les représentants de la loi fussent complètement aveugles pour ne pas se rendre compte de l'effervescence qui régnait dans les quartiers juifs, quand des familles entières quittaient l'endroit où elles avaient vécu pendant des siècles, liquidant au plus vite leurs affaires et prenant la route. Les réponses que les émigrants tenaient prêtes en cas d'arrestation étaient pourtant très banales. Le plus souvent ils répondaient aux enquêteurs qu'ils faisaient route vers la tombe d'un saint rabbin ou qu'ils allaient à un mariage ou à une hiloula – et autres réponses de ce genre adaptées à la vie juive marocaine. Pourtant, lorsque ces réponses banales reviennent trop souvent, elles éveillent les soupçons. Il ne faut sans aucun doute pas oublier le fait qu'il s'agissait d'un mouvement populaire qui avait sa propre logique, et aucune méthode de la clandestinité ne pouvait y mettre un frein.

Les convois interceptés étaient parfois contraints de rebrousser chemin et parfois arrêtés et soumis aux interrogatoires de police. Le renvoi au point de départ était une épreuve cruelle; il fallait à nouveau parcourir des centaines de kilomètres, vers ce qui était encorte hier sa maison, mais aujourd'hui en rentrant, on la trouvait habitée par d'autres, souvent une famille musulmane. Ainsi, en un jour, l'émigrant renvoyé à son point de départ cessait d'être chez lui dans le pays de ses pères, et devenait un déraciné qui avait besoin d'aide de personnes charitables.

Dans certains cas, les personnes renvoyées chez elles étaient rassemblées sous un même toit provisoire, un garage, une école ou un autre bâtiment vide jusqu'à ce qu'une décision soit prise à leur sujet et que les hommes de la Misguéret leur trouve de nouvelles filières de sortie. Les militants et les délégués d'Israël qui les ont rencontrés peuvent raconter les déboires de familles ayant traversé ces épreuves à plusieurs reprises, et qui, lorsqu'on leur demandait si elles étaient à nouveau prêtes à reprendre la route, répondaient à peu près de cette manière: "Que les sionistes décident pour nous ce qu'ils jugent pour le mieux. Nous savons qu'ils nous amèneront en Terre sainte." Cette foi aveugle dans les délégués d'Israël et dans les militants de la Misguéret provenait d'une aspiration très ancienne à la rédemption. Le marteau avait donc trouvé l'enclume.

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo-page 85-89

הירשם לבלוג באמצעות המייל

הזן את כתובת המייל שלך כדי להירשם לאתר ולקבל הודעות על פוסטים חדשים במייל.

הצטרפו ל 227 מנויים נוספים
מאי 2019
א ב ג ד ה ו ש
 1234
567891011
12131415161718
19202122232425
262728293031  
רשימת הנושאים באתר