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Joseph Dadia-Alliance Israelite Universelle

ALLIANCE

Messod Lévy m'attendait devant l'école accroupi à même le sol, fumant avec délectation sa pipe. Il m'a préparé à dîner et j'ai pu apprécier ainsi les performances de la cuisinière. Une lampe posée sur le bureau éclaire ma chambre. Je viens de me rendre compte qu'il n'y a pas d'électricité dans le village de Tagadirt. La chambre est grande. D'un côté, une fenêtre donne sur la rue, un lit et un bureau l'encadrant. De l'autre côté, en face de la porte, une armoire. Messod n'a pas souhaité me laisser seul.

Il s'est enroulé dans une couverture en laine près de la porte. Je me mets à mon bureau et je prépare la classe, qui ne s'improvise pas, et que instituteur prépare chaque soir. Ce mardi est un matin radieux. Je sors de ma chambre à la rencontre des élèves qui arrivent par petites grappes dans la cour de l'école. Les oiseaux chantent dans les jardins d'alentour. Il fait un peu frais par rapport à la touffeur de la veille. Tout concourt à faire de ma première journée d'instituteur une journée agréable. La classe peut  commencer. Les élèves reprennent leur place après de longues vacances forcées. De mémoire d'enseignant, a-t-on vu une rentrée scolaire au cœur de l'hiver ? Les élèves sont tous heureux de retrouver leur banc, et je participe a leur joie. Il y a là les Abisror, les Assaraf, les Debda, les Lévy, les Touati. Toutes les familles du mellah. sont représentées par un ou plusieurs enfants.

Personne ne manque à l'appel. Deux petites mignonnes, aux boucles soyeuses, vêtues de tabliers à carreaux, exhibent avec fierté leur cartable. Je vois à leur air timide que ces benjamines sont de nouvelles élèves. Il y a là des frères et des sœurs, des oncles et des nièces, des tantes et des neveux, des cousins et des cousines à tous les degrés. Je propose à la classe de commencer notre premier cours par une chanson. Les élèves chantent le chant de «l'alouette plumée» et celui de «la promenade à la claire fontaine». Ils chantent juste. Encouragé par leurs voix, je leur apprends «Une fleur au chapeau, à la bouche une chanson ». Je leur demande de reciter « Le corbeau et le renard ». Les grands de la classe la récitent. Je les prie de sortir les cahiers et l’emploi du temps pour me faire une idée de ce qu'ils ont appris. J'engage avec eux une discussion pour connaître leurs souhaits et les matières où ils sont faibles. Il y a là quatre niveaux, du cours préparatoire au cours moyen. Une première idée s'impose à moi : il faut commencer par le commencement et tout revoir par des révisions méthodiques, sans oublier les deux nouvelles qui écoutent sagement sans rien conprendre.

 Je termine le cours par le passage où le « Petit Prince » demande à Saint-Exupéry de lui dessiner un mouton, non un éléphant ni un belier qui a des cornes, mais un petit mouton qui vit longtemps dans une caisse et qui ne mange pas beaucoup d'herbe. Le « Dessine-moi un mouton » pourrait avoir des effets bénéfiques sur ces êtres fragiles, appelés  découvrir dans les livres de lecture des images étrangères à leur environnement. Les cours devraient donc être adaptés à leur sensibilité et à eur perception des choses.

Impressions et souvenirs de l'Alliance-Nessim Sibony

Je l’ai retrouvé dans une photo de classe très floue et j’ai essayé aussi de mettre un nom sur chaque élève présent ce jour-là. Nous étions 42 alignés en trois rangs, selon notre âge, et je me souviens que des garçons parmi ceux qui y figurent en haut se rasaient déjà. C’est dire qu’ils étaient en âge d’être exploités par nos enseignants ; certains élèves sonnaient la cloche, d’autres remplaçaient les maîtres comme moniteurs dans les petites classes mais beaucoup étaient envoyés pendant ces heures de classe pour des courses par les enseignantes : achats de pain, de sucre, d’œufs et de farine. Un autre instituteur qui avait une papeterie les y faisait travailler bénévolement le dimanche ou les soirs après les cours.

J’avais atterri donc dans une des deux classes qui préparaient pour le certificat d’études. Notre maître s’occupait de la distribution des cahiers dans toute l’école et nous délaissait entre les mains de moniteurs. Il nous fit présenter comme candidats « non officiels », nous obligea à lui payer des cours supplémentaires les dimanches pour compenser ses carences d’enseignant pendant la semaine et nous fit redoubler pour s’assurer d’un pourcentage plus élevé de succès l’année suivante sans se soucier des élèves qui devaient occuper nos bancs. Cette année-là, heureusement, la classe s’était vidée suite aux premiers départs d’élèves pour Israël dans le cadre de l’Alyat Hanoar via les camps de France et de Norvège. La classe se passionnait pour ces problèmes de robinets décalés, ces voitures qui partaient à différentes heures et roulaient à différentes vitesses, qu’on devait résoudre par simple raisonnement. Nous avions aussi ce livre merveilleux de « leçons de choses » qui nous nous initiait aux lois de la nature comme à l’électricité et aux prévisions météorologiques. On s’entrainait aussi à mémoriser « les dates », ce qui nous avait donné l’illusion de dominer l’histoire universelle. Un effort fut réalisé alors dans les colonies françaises avec l’introduction d’un nouveau livre de lecture : « Les pages africaines ». Il faut avouer qu’on était tout aussi étrangers à ces pages qu’à celles qui les avaient précédées comme on l’était aux films qu’on nous emmenait voir tels : « La bataille du rail » quand nous étions des enfants de huit ans et les films sur la tuberculose qui n’ont jamais cessé de nous hanter.

De toutes ces années sombres et sans l’aide de l’école normale Israélite à Paris, destinée alors à la formation des enseignants et directeurs d’écoles, nous avons pu voir poindre 4 médecins, 4 ingénieurs, 2 pharmaciens, deux experts comptables, un sociologue cinéaste des directeurs et des professeurs de lycées juifs à Paris et à Strasbourg. Nous étions 15 parmi les 150 garçons que comptaient les classes de premières et deuxièmes des garçons à nous retrouver dans des universités françaises.

Ce fut l’âge de raison où nous ne cessions de rappeler et de critiquer tout le système éducatif de l’Alliance. On déplorait le manque d’encadrement, les lacunes de connaissances et l’absence de formation pédagogique de nos maîtres, les programmes d’études qui étaient déplorables et le retard pris dans l’introduction de l’enseignement dans les villages éloignés des grands centres urbains. Nous étions dans notre prime jeunesse bazardés d’une classe à l’autre sans savoir où exactement on devait aboutir. On s’efforçait de faire plaisir à nos enseignants qui eux-mêmes n’avaient pas l’air de trop savoir ce qu’on devait achever sinon leur programme, et encore ! C’était à se demander aussi si cette institution qu’était l’Alliance Israélite Universelle avait quelque dessein concret contrôlé par quelques commissions de pédagogues. La machine tournait par elle-même et sur elle-même sans s’adapter aux transformations rapides de notre situation et aux tournants de notre histoire. Ce n’était guère plus le certificat d’études qui pouvait contribuer à l’avance de notre communauté dans la société moderne. Ainsi, si l’on parlait d’un accès plus important aux études universitaires on le devait principalement non à l’Alliance israélite Universelle mais aux lycées français qui avaient permis à davantage d’élèves juifs au Maroc d’accéder aux études secondaires. Tous ces élèves devaient redoubler d’effort dans les lycées et passer les week-ends et les vacances scolaires à l’étude pour rattraper tout ce que les maîtres de l’Alliance avaient manqué de leur prodiguer.

Si on devait aujourd’hui refaire cette opération de sauvetage entreprise par l’Alliance, il va de soi qu’on l’aurait faite sur d’autres modèles. On aurait investi davantage dans l’instruction plutôt que dans la construction d’édifices. On aurait réduit à trois ou quatre ans tout au plus la fréquentation de l’école primaire comme l’ont réalisée des enfants de mon entourage. Cette même institution n’avait pas créé des cours d’alphabétisation et de mathématiques pour adultes ; elle n’a pas organisé des ateliers pour les professionnels les soirs dans ces locaux vides comme le firent les musulmans du Maroc dès l’indépendance. Ces derniers se sont servis par contre du même établissement scolaire pour y faire dérouler deux écoles alternées quotidiennement, l’une commençant à 7 heures et l’autre à treize heures, en plus des cours d’alphabétisation le soir dans ces mêmes locaux. Ce même régime s’il avait été appliqué par l’Alliance aurait doublé l’effectif scolarisé et en moins de trente ans aurait mis toute la population juive marocaine à l’heure française en profitant de l’expérience supplémentaire des voisins juifs d’Algérie et de Tunisie comme enseignants et guides.

On peut être tous d’accord qu’une bonne marche de l’Alliance aurait permis aux juifs du Maroc de rattraper les ressortissants juifs des communautés voisines d’Afrique du Nord et comme eux, ou peut-être mieux, ils seraient allés renforcer la communauté juive française très tôt, n’est-ce pas ? Mais on ne peut qu’être surpris par le destin de la communauté juive marocaine pendant sa longue histoire qui fut marquée, de tous temps, par de grands mystères au nombre desquels, tout d’abord, la colonisation tardive du Maroc, les effets de cette même colonisation sur une société d’artisans juifs et ensuite cet impact de l’Alliance qui fut plus déterminant par ses carences et ses négligences que par ses réalisations. Ce retard inexplicable dans la scolarisation massive des juifs marocains leur avait évité d’abord d’être présents en France en ces heures des plus dramatiques de l’histoire juive contemporaine qui ont fauché les juifs de la nation française comme ceux d’Afrique du Nord déjà installés à Paris et au Sud de la France. Il leur aura aussi évité le sort de leurs voisins juifs d’Algérie et de Tunisie déversés en France. L’alliance s’est avérée qu’on le veuille ou non le principal facteur de ce clivage retrouvé au sein même de la communauté juive marocaine entre ses élèves et ceux qui ont échappé totalement ou partiellement à son enseignement. Ses élèves et leurs enfants, comme nous l’avons vu, furent dans leur majorité, happés par une seconde Galouth au Canada comme en France. Les autres, ceux qui avaient échappés aussi bien à tous les évènements cruels de l’histoire juive comme aux écoles de l’Alliance furent transplantés, avec leurs enfants éduqués par l’Alliance ou non, dans les champs de leurs ancêtres comme dans les territoires de Judah. Ils furent désignés pour la classe laborieuse israélienne et ainsi réalisèrent, amèrement certes, ce rêve deux fois millénaire du messianisme national juif, n’en déplaise à ceux de leurs « frères » que leur allure dérangeait, à leurs ennemis surpris par la réalisation foudroyante de leur rêve sioniste comme aux œuvres de l’Alliance conçues loin de l’espoir qui avait bercé leur longue Galouth.

Nessim Sibony

Photo panoramique de l’Ecole Alliance de Marrakech

Tous ces élèves ont constitué la jeunesse intellectuelle de Marrakech, pour le peu d’années qu’ils y sont restés, avant leur grand départ dans les quatre coins du monde. Trois sont restés sur place : deux à Marrakech et l’autre à Casablanca. Tous les trois sont des hommes d’affaires. Trois sont devenus médecins, beaucoup d’autres sont devenus ingénieurs, employés de banque et d’administration mais surtout responsables d’éducation à tous les niveaux voire inspecteur d’enseignement primaire, en Israël. C’est parmi ces filles et ces garçons que furent recrutés les enseignants, les directeurs d’écoles, les dirigeants de mouvement de jeunesse, les chefs et cheftaines scouts. Toute cette jeunesse a encadré la génération suivante où se sont distingués davantage de médecins, de pharmaciens, de psychologues, d’ingénieurs et de professeurs d’université. Ils sont tous restés engagés dans leur communauté juive. Ils sont aujourd’hui avec leurs enfants et petits-enfants au Brésil, aux Etats-Unis, au Canada, en France et en Israël

Brit-La revue des juifs du Maroc-Redacteur Asher Knafo-été 2011-no 30-page 79-82

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