Joseph Dadia-Regards sur l'Atlas-Agadir


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Agadir-Joseph-Dadia

Cette fete tombait souvent au moment de la rentree scolaire. J’ai ete admis a passer en 4eme du Cours complementaire, a la rentree scolaire 1955/1956. Je me trouvais encore a Agadir. J’ai pris le telephone dans la chambre de mon oncle pour appeler Monsieur Goldenberg. C’etait la premiere fois que j’avais dans ma main droite un tel combine. Je savais theoriquement comment l’utiliser ayant vu a maintes reprises comment mon oncle telephonait a l’un ou 1’autre de ses correspondants, en lui parlant en arabe a haute et intelligible voix, assis tranquillement sur le bord de son lit. II notait tout dans sa memoire. En ce temps-la pour appeler son correspondant, il fallait passer par une standardiste. J’ai mis par ecrit ce que j’allais dire a la standardiste pour avoir au bout du fil Monsieur Goldenberg. Dans un autre texte, j’ai consigne ce que j’allais dire a Monsieur Goldenberg pour lui demander d’excuser mon absence pendant quelques jours. J’ai repete les deux messages plusieurs fois devant une glace. Mais je n’osais pas prendre le telephone. Je m’approche du telephone et je recule. Et puis je saute le pas, et j’empoigne fermement le combine assez lourd dans ma main droite. Saisi d’une frayeur soudaine, je le depose, etouffant brutalement la voix de la standardiste qui m’invitait a parler. Je me calme et, d’un coup, je me voyais heureux et soulage de me debarrasser du telephone. Durant quelques jours je vivais le fait de telephoner comme un cauchemar. Je me decidai enfin a retourner a Marrakech et a retrouver mes copains de classe, filles et gargons. Le jour de mon depart arriva et j’allais quitter avec regrets la vie agreable que je menais a Agadir, la plage et les copains de foot. Meme si certains jours, l’on etouffait d’un vent chaud dit hamsin. Je me suis rendu au port chez mon oncle grace a l’un de ses chauffeurs qui est venu m’accompagner en voiture. C’etait la premiere fois que j’arrivais dans les locaux de mon oncle. L’animation a la criee m’a impressionne et les chalutiers arrivaient les uns apres les autres. Vers deux heures du matin, mon oncle me confia a l’un de ses chauffeurs dont le camion a ete charge de poissons frais. Tous feux allumes, le camion prit la route de Marrakech. Le ciel etait d’un bleu sombre et les etoiles, en me souriant, brillaient dans le firmament. Sur la route, les nombreuses montagnes qui la parcouraient de tous cotes, a travers de nombreux et dangereux virages, exhalaient de leurs cimes une fraicheur douce, nous debarrassant du hamsin de la journee qui nous brulait les yeux. J’etais assis a cote du chauffeur. II me racontait toutes sortes d’histoires et des fables berberes pour adoucir le voyage car la route etait longue. Je l’ai suivi de longues heures dans les tournants de la route, et puis tout d’un coup je suis tombe dans les bras de Morphee.

 

Lorsque j’ouvris les yeux, nous etions deja a Marrakech. C’etait les premiers jours de l’automne, un automne doux et radieux. C’etait l’aurore, et, de toutes les mosquees, le chant des muezzins. Du minaret de la Koutoubia parvenait a mes oreilles l’appel «delfjer» de son muezzin. Des murailles de Berrima, a deux pas du marche, lui repondait en echo le muezzin de la venerable mosquee de la Casbah. L’imploration sortant de la bouche de Hmed-el-Khalil couvrait, de sa priere aurorale, les premiers soubresauts du mellah qui dormait encore sous ses couvertures. C’etait l’heure de shahrit. A une encablure de la, de l’autre cote de la Bahia, les cloches de la chapelle de Derb Naqoss sonnaient les marines. De toutes les rues du Mellah montaient les prieres des demiers jours de la Fete de Soucot. Tous ces appels, toutes ces cloches et toutes ces prieres s’entrecroisaient et s’entremelaient pour monter de concert vers D. ieu. Mais les gardiens du Ciel examinent les prieres avant de les faire passer. Beaucoup de prieres sont repoussees a la porte, tandis que celles du pauvre entrent sans autorisation. Cf. Zohar pericope Balaq 195a.

C’est a l’heure du matin que l’ange Raphael prodigue ses soins de guerison.

  1. D.ieu aime la priere du matin et reconnait ceux qui viennent a la synagogue regulierement.
  2. D.ieu exauce tous ceux qui font appel a sa pitie a sa misericorde, a sa grace, a son amnistie, Rahman-er- Rahim. Les deux vocables Rahman et Rahim, en hebreu, veulent dire non seulement amnistie, pitie, misericorde et grace, mais aussi amour.
  1.  

Le patriarche Abraham, le bien-aime de D.ieu, et qui aimait D.ieu, cf. Isaie 41, 8 ; II Chroniques 20,7.

Dans la liturgie de Soucot, la Fete des Tabernacles, l’on recitait des poemes dits Hocha’anot/Delivrances, attribues a Rabbi Yossef ben Yitshaq Satanas. Dans l’un de ces poemes, le patriarche Abraham est qualifie Rehima: Abraham le bien-aime, Ibrahim El-Khalil.

Mon oncle Mardochee m’attendait au pied du camion, qui venait juste de se garer devant l’entree du marche. J’embrasse mon oncle qui m’apporte un verre de the a la menthe, bien chaud et sucre, pour m’aider a emerger de mon engourdissement et de la fatigue du voyage. Je prends ma valise et je me rends chez moi. Mon pere, ma mere, mes freres et ma soeur etaient heureux de me revoir. Le matin meme de mon arrivee, je suis parti a l’ecole.

Les grandes vacances d’ete etaient finies. Sans le savoir alors, c’etait la derniere fois que je les ai passees a Agadir.

Au fur et a mesure que je m’approchais de ma rue, je rencontrais sur mon chemin des fideles tenant dans leurs mains loulav, cedrat et branches de saule, chacun se dirigeant vers sa synagogue habituelle. Des maisons, sortaient ce matin l’odeur chaude et suave des « qross » et les parfums de la soupe talkhsa, plats traditionnels que l’on mange a l’heure du dejeuner Hoschana Rabba dans la Souca, pour lu dire a l’annee prochaine. C’est ainsi dans ma famille que nous disions au revoir a la cabane/Souca et a la Fete. Dans la soiree, commencera une autre fete au nom de Chemini ‘Atserete.

Ce matin de mon retour a Marrakech, je ne l’oublie pas, car il etait le dernier matin qui cloturait le bonheur de mon adolescence.

Durant plusieurs annees, j’ai oublie talkhsa ou- lqross. Les retrouvailles a Paris avec Dada Zrihen nee Dayan, la maman de mes amis David et Salomon Zrihen, fera renaitre en moi le gout de talkhsa et de lqross. Martine a repris le relais.

 

Sommairement, je resume en quelques lignes l’Histoire politique du Maroc: – Le 30 mars 1912 a Fes est signe le Traite de Protectorat par le Sultan alaouite Moulay Abdelhafid (1908-1912). ־ Moulay Youssef (1912-1927) deceda le 18 novembre 1927. – Son troisieme fils, Sidi Mohamed, monta sur le trone, age de 18 ans. II restera dans l’Histoire du Maroc sous le nom de Mohamed V (1927-1961). – La premiere Fete du Trone est organisee le 18 novembre 1933 par les jeunes nationalistes marocains a Fes, introduisant au Maroc la notion de Roi, Malik. Ce qui signifie l’imbrication entre l’Institution Cherifienne et la Souverainete Nationale. Le 8 mai 1934, Sidi Mohamed est recu a Fes aux cris de : «Vive le roi, vive le Maroc ». – Le 18 novembre 1952, lors de la Fete du Trone, le sultan se prononce clairement en faveur de «l’Emancipation politique totale et immediate du Maroc ». – Le 14 aout 1953, Mohamed Ben Youssef est destitue. Son vieux cousin Mohamed Ben Arafa est proclame sultan. – Le 20 aout 1953, le sultan dechu et sa famille sont exiles, apres une breve escale en Corse, a Antirabe a Madagascar. Sidi Mohamed Ben Youssef avait accepte de quitter son pays, mais il avait refuse d’abdiquer. – Les patriotes marocains, Watan, repandent une violence urbaine durant deux annees pendant lesquelles sont commis pres de 6000 attentats, suscitant un « contre terrorisme » europeen.

On releve 761 morts marocains et 159 europeens. – Une nouvelle forme de resistance a la France voit le jour au Maroc avec l’emergence de l’Armee de Liberation Marocaine, ALM, passant a l’offensive le let octobre 1955, date ou Ben Arafa demissionne. ־ Fin octobre 1955, retour d’exil a Paris du Sultan. – Le 16 novembre 1955 le Sultan rentre au Maroc, apres un exil force et impose. ־ Le 18 novembre 1955, le Sultan proclame «l’avenement d’une ere de liberte et d’independance », et le 7 decembre 1955 est constitue le premier Gouvernement du Maroc independant, preside par l’Officier berbere M’Barek Bekkai, charge de negocier l’independance. L’independance est signee par la convention du 2 mars 1956. Le 7 avril 1955 le Protectorat espagnol sur le Nord du Maroc est abroge.

Le 15 aout 1957, le Sultan prend le titre officiel de Roi du Maroc.

II a vecu avec tristesse et piete le tremblement de terre d’Agadir.

Epuise par sa longue maladie, le Roi Mohamed V deceda dans la matinee de dimanche 16 fevrier 1961, a la surprise des medecins qui etaient en train de l’operer.

 

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AGADIR- IV

C’est dans la piece que j’occupais que je lisais a l’heure de la sieste le Petit Marocain.

A cette epoque, dans la region de Kasba-Tadla, un marocain donnait du fil a retordre a l’armee francaise. Le Maroc luttait pour son independance. Pour la France, il n’etait qu’un terroriste et on le presentait comme le «tueur de Tadla». II semait la terreur partout. Mais dans la region ou il sevissait, ses compatriotes avaient une immense admiration pour lui. Il arrivait a chaque fois a echapper a ses poursuivants et a semer des soldats aguerris, puissamment armes. Dans l’une de ses cachettes, les militaires ont decouvert des cordes qui servaient au resistant pour fuir a la maniere de Tarzan, se balancant d’un arbre a l’autre grace a ces lianes. En sourdine, j’ecoutais a la radio de la musique andalouse qui s’echappait d’une autre piece, une chambre de l’appartement avec de beaux meubles et une imposante TSF. Cette piece nous accueillait autour d’une grande table pour les repas, le shabbat, les fetes et les reunions de famille.

Je garde le souvenir des matins ou tout le monde se retrouvait au petit dejeuner autour d’un grand plateau empli de theieres de the a la menthe chaud et sucre, et de toutes sortes de gateaux succulents, nombreux et varies. Il y avait la Ninette-Hnina, l’ainee, avec ses cheveux frises. Elle etait le symbole de la candeur et de la purete. La sagesse emanait de ses paroles quand elle parlait, bien que diminuée intellectuellement en raison d’une maladie qui remonte à son enfance. Esther, la puinée, avec ses cheveux châtains, et son beau visage moucheté des traces d’une variole. Sa beauté tenait à la fois de son père et de sa mère.

Ma tante Fréha, belle et douce, irradiait de bonheur, de gentillesse et d’indulgence. Elle a été l’amie d’enfance de ma mère Fréha. C’est par l’intermédiaire de maman que son frère Meyer a connu son épouse. Ma tante Fréha venait voir maman chez ses parents. Et c’est ainsi que mon oncle Meyer a été épris d’elle et la demanda en mariage. C’était une demoiselle Elghrabli, fille d’une bonne et réputée famille de Marrakech. La maison de ses parents se nichait dans une impasse entre Derb Tabac et A’fir. Maman habitait chez ses parents dans une maison sise dans une traboule entre A’fir et Derb Ben Za’a.

Hnina-Ninette, prénom établi dans la famille de ma grand-mère maternelle Messaouda, laquelle a été élevée, alors orpheline de mère, par sa tante Hnina.

Hninia, le prénom du père de ma mère, est porté par plusieurs de mes cousins. Mon puîné Gabriel avait porté le prénom Hninia le jour de sa circoncision. Il était souvent malade. Dans ce cas, la coutume est de donner à l’enfant un autre prénom pour remplacer le premier prénom qui disparaît. Mes parents ont choisi pour lui le prénom de l’ange Gabriel qui protège de tous les maux.

La famille de maman du nom de Tuizer est originaire de Demnate, cité verdoyante et rebelle, enchâssée dans le dir, aux premières marches de l’escalier qui monte par étages successifs vers les hauts contreforts atlassiens. Tuizer/Et־Tuizer/Aït Tuizer serait à l’origine le nom d’une tribu berbère convertie au Judaïsme. Cela remonterait à une période ancienne, probablement au 15eme siècle, voire même avant. Le prénom de Hninia/Hanania qui semble bien établie dans la famille Tuizer attesterait de l’établissement ancien de cette lignée à Marrakech. Dans la famille Tuizer, personne ne parlait berbère ou espagnol. Ce qui accréditerait une origine autochtone.

La famille Tuizer est une véritable famille des Juifs de Marrakech. Pour maman, sa famille était de souche marrakchie. Personnellement, j’ai rencontré des amis dont la famille avait habité dans le voisinage des Tuizer et, pour eux, ce sont d’authentiques marrakchis.

La position professionnelle de mon grand-père Hanania attesterait du rang social aisé, honoré à l’intérieur de la Communauté. Mon grand-père avait pignon sur rue en tant que propriétaire d’une boutique sur la Place Centrale du mellah, la fameuse Rahba Des-Souq. Cette Place avait envoûté le grand écrivain sépharade Elias Canetti, Prix Nobel de Littérature. Cette boutique, telle que je l’ai connue, était une épicerie que tenait un préposé, ami de la famille, pour lui assurer quelque revenu pour vivre.

Je n’ai pas connu mon grand-père décédé alors que je n’avais pas encore deux ans. Lui, il m’a connu et il aimait me tenir dans ses bras comme il aimait (enir dans ses bras mon cousin Nessim Tuizer. Nessim et moi étions pratiquement du même âge. Mon grand-père était célèbre dans la Communauté en tant qu,amine, syndic de la Corporation des pêcheurs et des poissonniers du mellah. Il avait des équipes de pêcheurs salariés qui se rendaient au Tensift ou à l’oued Issil pour pêcher dans ces deux rivières, qui bordaient Marrakech au Nord et à l’Est. Ce qu’ils pêchaient c’étaient des truites de petite taille, une espèce rare. Les pêcheurs partaient avec leurs ânes un mardi ou un mercredi et ils ne revenaient que le jeudi en fin de journée, les bâts des bêtes bien remplis de poissons frais. Ces poissons arrivaient au marché chez les poissonniers pour le shabbat, jour où il est de tradition de manger du poisson. La chair de ces poissons était délicieuse, d’une haute sapidité culinaire. Le mellah en avalait bien des marmites bien remplies en ce jour de repos saint. Ce poisson était frit à l’huile d’olive et servi avec sauce ou sans sauce. Il était aussi rôti. Ce poisson nous rassasiait et faisait notre bonheur. Je ne sais pas comment exactement mon grand-père exerçait son métier. Ses cinq garçons ont embrassé l’art de la poissonnerie, et ils exerçaient librement leur métier de poissonniers. Mon oncle Meyer est devenu mareyeur et il formait équipe avec ses frères Mardochée et Shim’on, poissonniers au centre du marché des Juifs, à un jet de pierres de la Place des Ferblantiers, laquelle est contigüe au mellah. Ce marché a été construit et aménagé par étapes entre les années 1920 et 1930. Mon oncle David a choisi d’aller vivre à Casablanca où il s’installa comme poissonnier à son compte, sans relations d’affaires avec ses frères de Marrakech. Mon oncle Shlomo, l’aîné de la famille, a disparu tragiquement alors que je n’avais pas deux ans, laissant une veuve et deux orphelins. Mon oncle Meyer était très cultivé et il aimait écouter la musique andalouse. Mon oncle Mardochée, homme ouvert et intelligent, fréquentaient les érudits comme son ami Rabbi Nissim Bénisty. Il avait un profond respect pour ceux qui étudiaient. La famille de ma mère était pieuse et

profondément enracinée dans la tradition juive. Les grands-parents ont refusé d’envoyer leurs enfants, garçons et filles, à l’école de l’Alliance, ouverte à Marrakech depuis décembre 1900, pensant comme d’autres familles que dans cette nouvelle école l’on enseignait des matières contraires à la Loi de notre maître Moïse et aux traditions hébraïques. David, à peine sorti de l’adolescence, s’habillait encore à l’ancienne, portant une belle farajia blanche qui lui donnait l’allure d’un prince. Il sortait avec des copains de sa génération et il aimait la vie. Il revenait tard à la maison à une époque où il vivait encore chez sa mère.

Ma grand-mère restait réveillée dans son lit, attendant le retour du fils prodigue. A chacun de ses retours, ma grand-mère lui demandait l’heure qu’il était. Lorsqu’il lui disait qu’il était deux heures du matin, elle le félicitait d’être rentré tôt. Naïvement elle pensait que l’heure de minuit était plus tardive que deux heures du matin. Pour maman, l’important était que le fils et la mère vivaient heureux, ayant ce qu’il fallait pour bien manger et bien s’habiller. Ils pouvaient manger sans restriction aucune, ayant toujours à leur table en abondance du pain, de la viande et des fruits. L’argent était là. Dans l’ambiance environnante de l’époque, et comme l’ont écrit des voyageurs européens, il y avait au mellah de Marrakech beaucoup d’indigents qui passaient dans les rues demandant à chaque porte du pain.

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