Le château de Cambous-Le départ pour Israël
Histoire contemporaine du chateau de Cambous
(Viols-en-Laval, Herault)
De l'Aliyah des jeunes a nos jours
1950-2010
EXTRAITS SANS ILLUSTRATION
transmis a M. Yigal Bin-Nun
periode 1950-1972
Christian PIOCH
Le départ pour Israël
En 1956, quelques mois avant mon départ pour Israël, il y eut des émeutes
contre les Français au cours desquelles les Arabes ont incendié et pillé les magasins des juifs. Tous les magasins autour de celui de mon père ont été brûlés et pillés. Le seul qui resta sauf était celui de mon père. On ne sait pas si la raison fut qu'il avait de bonnes relations avecles Arabes, qui l'appelaient familièrement Tanzaoui (originaire de Tanger), ou bien si cela était la main de Dieu
Comme suite à l'éducation religieuse que j'ai reçue au Talmud Torah (les classes religieuses en hébreu, avec étude de la Bible), dans les années préscolaires, jusqu'à l'âgede six ans, âge d'entrée à l'école française, les visites à la synagogue et l'ambiance des fêtes à la maison, je demandais souvent à mon père : Quand est-ce qu'on monte faire l'allyah, le départ pour Israël ? Il me répondait souvent, en semi-ricanant :
Quand le Messie viendra…
Par la suite, j'ai saisi que cela était l'attitude de la majorité des juifs des grandes villes, surtout ceux qui avaient à perdre de ce départ et ceux aussi qui avaient la possibilité d'émigrer en France ou en Amérique du Nord. Par contre, les juifs montagnards et ceux des régions rurales, qui étaient plus conservateurs, plus croyants et plus naïfs, constituaient une proie plus facile pour le départ en Israël. C'est ainsi que l'impression dominante transmise de ces premiers départs, était celle de cette population provinciale et traditionnelle, contrairement à celle même d'Ouezzane, qui n'est pas une grande ville et où la majorité de la population, surtout les jeunes et les hommes, s'habillait en style européen, avec chapeau et cravate, et parlait au moins une langue européenne, français ou espagnol.
Je me souviens que le jour commémorant l'indépendance d'Israël, je hissais le drapeau israélien dans la synagogue comme plusieurs autres enfants. Par contre, je ne me rappelle pas les détails de la séquence des événements qui m'ont conduit à convaincre mon père de m'inscrire pour le départ en Israël.
Mon frère aîné, Coti-Yecutiel, m'a dit que comme enfant, j'étais très têtu. J'avais entendu dire que des filles et des garçons de mon âge s'inscrivaient chez des gens qui travaillaient pour le compte de la Sochnout, l’Agence juive. Pour faire leur allyah, le départ pour Israël, dans le cadre de l’Allyat Hanoar, l’allyah des jeunes, les garçons et les filles, devaient s'inscrire le plus tôt possible, car il n'y avait qu'un seul départ d'Ouezzane vers Casablanca pour effectuer ensuite le départ en Israël. C'est pour ça, que j'ai fait des pieds et des mains pour faire mon allyah. Pour l'inscription, je pleurais ainsi nuits et jours pour qu'on m'inscrive. A la fin de mon cinéma, c'est mon père qui m'inscrivit chez les gens de la Sochnout. Je me souviens que, juste avant le départ pour la France, car nous devions transiter par elle, mon père et mon frère aîné, Coti, ont essayé en vain de me convaincre de quitter le camp à Casablanca et de retourner chez nous à Ouezzane.
Après l'arrivée à Marseille, nous avons été emmenés dans un camp de transit, à Cambous, à Viols-en-Laval, près de Viols-le-Fort, au nord de Montpellier.Cambous était un ancien camp militaire utilisé par les Français et qui plus tard fut acheté par l'Agence juive. Le château était le centre du camp et était utilisé par la direction et les services centraux, avec cuisine, salle à manger, bibliothèque et synagogue. Des baraques étaient dispersées autour du château et abritaient les enfants. Les enfants étaient divisés en groupes en fonction de leur âge et de leur appartenance, religieuse ou laïque. Les groupes étaient dénommés d'après des villes et des régions d'Israël : Jérusalem, Galil, Yavné. Je me souviens que j'étais le plus jeune du groupe.
C'est ainsi que les plus grands élèves m'avaient pris sous leurs ailes. Le peu de choses dont je me souviens au sujet de ce séjour à Cambous, par rapport aux périodes antérieures au Maroc et bien sûr plus tard en Israël, est principalement dû à la très courte période que j'ai passé à Cambous. Cela est dû aussi au fait que j'étais probablement choqué par le soudain passage à l'étranger et l'altération de la capacité d'enregistrement des mémoires, sauf les plus intenses et traumatisantes comme la Havdalah (différenciation). Cette cérémonie religieuse avec prière, a lieu chaque samedi soir pour marquer la fin du saint samedi dans lequel tout travail est interdit, y compris l'action de déclencher l'interrupteur de l'éclairage de la synagogue, et le début des jours de la semaine ou tout travail est par contre permis. Il s’ensuivait des moments très sombres, des moments qui me rappelaient une image semblable à la maison de mes parents. Ces moments continuèrent jusqu’à l’allumage de la lumière après la prière d’Havdalah, des moments durant lesquels je sentais un grand chagrin, peut-être le plus intense de ma vie, jusqu’à ce jour, pour avoir quitté la maison de mes parents. Je me suis donc promis que, lorsque je rencontrerai mes parents à nouveau, je ne les quitterai plus jamais. Serment qui au cours des années et des événements se révéla cependant comme étant un faux serment.Un des amis de cette époque dont je me souviens, est Shlomo Gabay, de Casablanca. Je me souviens qu’il était très intelligent, avec un sens de l’humour très développé. Il avait pour habitude d’imiter Charlie Chaplin. Nous dormions dans des lits l’un à côté de l’autre et je me souviens que nous étions tous deux très religieux, ayant notamment l’habitude de réciter la prière du Chemah dans notre lit avant de dormir, quand les autres élèves, moins religieux, se moquaient de nous et nous harcelaient. Je me souviens aussi d’Évelyne, ma monitrice de l’époque. Je me souviens ainsi qu’elle versait de l’eau chaude sur nous pour que nous puissions nous laver car l’eau des robinets était gelée par le froid de l’hiver. Ensuite, nous avons pris le bateau nommé Arza (ce mot signifiant : vers le pays), de Marseille à destination d'Haïfa en Israël. Je me rappelle avoir été choqué de voir des marins israéliens fumer le jour du Chabbat. Durant mon enfance au Maroc, je croyais naïvement en effet que tous les juifs du monde, et plus particulièrement en Israël, étaient religieux pratiquants et ne fumaient pas ainsi le samedi.