Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale

Epreuves-et-liberation

La réaction des Musulmans

C’est dans l’admiration ou, au contraire, la détestation d’Hitler, que se voyait le plus nettement le nouveau fossé entre Juifs et Musulmans marocains. La grande popularité dont jouissait le dictateur nazi, en se présentant comme l’allié naturel des peuples arabes dans leur lutte contre le colonialisme anglo-français, ne provoqua jamais de dérapages parmi les Musulmans marocains peu enclins à partager totalement sa haine pathologique des Juifs. Malgré les succès de la propagande nazie, même relayée par les extrémistes de Vichy, les relations entre les deux communautés n’atteignirent jamais le point de rupture. Le général Noguès lui-même estimait que la propagande allemande n’avait pas encore réussi à contaminer les nationalistes de la zone française, même si la France avait perdu en prestige et en crédit auprès des Musulmans, suite à la défaite ? «

 Leurs contacts avec le chef de la délégation d’armistice Auer ne traduisent aucun sentiment profond de germanophilie. Eux-mêmes redoutent les méfaits de l’Allemagne en Afrique du Nord, en cas de rupture de l’armistice » (12 avril 1941)

 . Pour un observateur de l’époque :

« La Résidence sait bien que la propagande allemande est demeurée sans écho au

Maroc. Même en se posant en champions de l’islam, en ennemis des Juifs, en ralliant à leur cause le grand Mufti de Jérusalem, les nazis n’ont obtenu aucun résultat tangible parmi les Marocains… »

Certes, dans les élites et le petit peuple, on ne cachait pas la joie de voir les Français " remettre les Juifs à leur place " et leur faire perdre cette arrogance que leur avait donnée leur avance sur le plan de l’éducation, sans pour autant " passer à l’action pour régler les comptes avec les Juifs ", comme les y invitaient les antisémites français. Il était difficile de transposer de France au Maroc la propagande présentant les Juifs comme les accapareurs, de convaincre les masses confrontées à la pénurie et au rationnement que tous leurs malheurs venaient des Juifs — aussi maltraités qu’eux alors que les Européens étaient favorisés. Les Juifs avaient toujours fait partie du paysage, on pouvait ne pas les aimer et ne pas les respecter, mais ils n’étaient jamais apparus comme nuisibles ou présentant le moindre danger.

Tout au plus, certains dans la société musulmane, les nostalgiques du Vieux Maroc, voulaient aller plus loin, c’est-à-dire revenir en arrière, en obligeant les Juifs à abandonner l’habit européen et à retrouver leur accoutrement traditionnel de calottes, djellabas, babouches noires et foulards à pois. Ce fantasme, le pacha de Marrakech, le Glaoui, le réalisa un moment, en ordonnant aux notables de la communauté de se présenter devant lui, ainsi accoutrés.

 " Ce fut un moment de franche gaieté", raconte le Vice-président de la communauté de l’époque, David Maimrane, « quand nous nous vîmes ainsi déguisés et étrangers à notre image habituelle, nous éclatâmes en même temps d’un fou rire qui fut long à maîtriser… »

A Safi, des militants d’extrême-droite française, qui voulaient remettre les Juifs à leur place, forcèrent un moment les notables à se débarrasser de leur costume européen pour revenir à la djellaba noire.

Il y eut, par contre, de la part de Musulmans, à titre individuel, des exemples isolés de connivence pour détourner certaines clauses du Statut dans le domaine économique.

Les incidents de rue, si on tient compte des difficultés économiques de l’époque et de la tension politique, furent infiniment moins nombreux et moins virulents qu’au cours de la décennie précédente. Au niveau du Makhzen, on affirmait que rien n’était changé dans les relations traditionnelles, sous l’agissante bienveillance de la dynastie Alouite, depuis Moulay Hassan. Même la seule initiative humiliante — l’interdiction des domestiques — s’appuyait sur des considérations religieuses et en aucun cas, raciales. Sous l’influence du Palais, les gouverneurs locaux n’alourdirent pas en général leur main sur les populations juives. D’autres agents, au contraire, en profitèrent pour maltraiter et racketter leurs administrés juifs — avec la complicité de Contrôleurs Civils corrompus ou pour complaire à bon compte à leurs administrés musulmans.

A Meknès, profitant des circonstances, les commerçants musulmans du grand marché aux tissus, elkessarya, avaient exigé d’en chasser sans délai leurs concurrents juifs. Malgré leurs menaces de procéder eux-mêmes par la force, le pacha ne céda pas, ne serait-ce que pour éviter une hausse des prix, en cas de disparition de la concurrence.

Le Grand Rabbin de Séfrou, la seule ville où la population juive était aussi nombreuse que la population musulmane, rabbi David Obadia, relate les excellentes relations qu’il entretint, pendant la guerre, avec le pacha El Bekkaï, futur chef du premier gouvernement marocain de l’Indépendance

« Avec l’armistice entre la France et l’Allemagne et l’instauration du régime de Vichy, un vent nouveau a soufflé sur le Maroc. Des fonctionnaires antisémites et pronazis ont été dépêchés au Maroc. Sous leur influence et avec leurs encouragements, une partie des habitants arabes ont commencé à s’en prendre aux Juifs, en disant qu’ils allaient les exterminer. Sans l’intervention du sultan Mohammed V, de ses ministres et de son entourage, qui ontprévenu ces atteintes, qui sait ce qu’aurait été notre sort ? Le roi a repoussé toutes les pressions qui étaient exercées sur lui par le gouvernement de Vichy et grâce à lui, la situation n’a pas fondamentalement changé…

Durant la guerre, le pacha de notre ville était Mbark El Bekkai avec lequel j’ai collaboré dans nombre de domaines. Des bonnes relations, presque amicales, entre nous, m’ont beaucoup aidé dans ma fonction. Il lui arrivait souvent de me consulter sur telle ou telle question. De lien entre nous était toujours proche et efficace. Nous étions voisins et entretenions de bonnes relations de voisinage. Plus d’une fois, quand ils manquaient d’huile, d’oignons ou de tout autre produit  pour honorer des hôtes, ils venaient en emprunter chez nous. Je souligne cela pour montrer à quelpoint arrivait parfois notre cohabitation pacifique et plus encore.

En ces jours de pénurie, fleurissait le marché noir et nombre de nos coreligionnaires ont été appréhendés et jetés en prison où ils étaient soumis à des travaux forcés, même les jours de shabbat et de fêtes. Sur ma requête, ils en furent désormais dispensés. De jour de Kippour, il y avait en prison plusieurs Juifs, dont des notables. La veille du jour de jeûne, je suis intervenu auprès du Contrôleur Civil pour qu’ils puissent prier avec nous dans les synagogues. Il a accepté si je me portais garant de leur retour et c’est ainsi qu’ils passèrent la fête en famille et le lendemain, revinrent en prison. A. Hanouca, j’ai sollicité et obtenu du pacha l’allocation d’une ration supplémentaire d’huile, au-delà de la ration mensuelle, pour nous permettre l’accomplissement du devoir religieux d’allumage des hanoukiot… »

 

Les difficultés de l’approvisionnement

Plus, en effet, que tout le reste de la population, l’insuffisance du ravitaillement était devenu la hantise quotidienne de l’immense majorité des Juifs du Maroc. La rupture des relations commerciales régulières avec la métropole, en raison du blocus anglais, avait entraîné une hausse vertigineuse des prix et une pénurie générale, même des produits de base, sans parler des produits de luxe. La pénurie était telle que les rabbins, tenant compte de la gravité de la situation, avaient dû se résoudre à une interprétation moins sévère des interdits de Pessah :

« Quant à l’utilisation à Pessah des ustensiles en porcelaine des jours ordinaires, nous l’avons autorisée, seulement pendant la guerre, faute de pouvoir s’en procurer de neufs, état de pénurie oblige. Nous avons prescrit de les cachériser au préalable à l’eau chaude, à trois reprises. Mais nous avons remis en vigueur l’interdiction après la guerre et tous ont repris l’habitude de ne se servir que d’ustensiles neufs à Pessah. » (OtsarNamikhtabim, 6-65)

Cette pénurie aurait tourné à la catastrophe sans l’aide américaine.

Malgré l’immense soutien qu’ils apportaient à l’Angleterre désormais seule en guerre face à l’Allemagne, les Etats-Unis conservaient leur neutralité et entretenaient des relations étroites avec le régime de Vichy — la France restant le seul pays occupé, en Europe, à maintenir des relations diplomatiques et économiques avec les Etats-Unis. Washington ne désespérait pas d’amener un jour la France — ou au moins son Empire africain – à reprendre la lutte, aux côtés de l’Angleterre. C’est dans cette perspective que le Président Roosevelt, conscient du potentiel de l’Afrique du Nord, avait dépêché à Alger, dès décembre 1940, un délégué personnel avec le titre de consul général, Robert Murphy. Il devait facilement trouver langue commune avec le général Weygand, que Pétain avait nommé en octobre comme son délégué en Afrique, et dont les sentiments anti allemands n’étaient pas un secret. Le général Weygand réussit à convaincre son interlocuteur de l’urgence d’une aide économique américaine aux populations d’Afrique du Nord, au bord de la famine, pour prévenir un soulèvement qui favoriserait une intervention allemande, à partir de l’Espagne.

De son côté, le général Noguès mettait également en garde contre la pénurie qui pourrait " provoquer, parmi les Arabes, des troubles susceptibles de faciliter le passage du Maroc entre des mains hostiles En dépit des réticences du Département d’Etat et de Londres à alléger le blocus, l’accord Weygand-Murphy fut ratifié par Vichy, le 10 mars 1941. Il prévoyait la possibilité pour les Français d’acheter en quantités limitées, des produits non stratégiques – principalement du sucre, thé, coton – avec les fonds français, jusque-là gelés dans les banques américaines. Malgré ses difficultés d’application et son caractère limité, cet accord joua un grand rôle dans l’approvisionnement de l’Afrique du Nord. Il resta en vigueur, même après l’alerte qu’avait constituée le rappel en France du général Weygand, en novembre 1941, sous la pression des Allemands, comme le rapporte Robert Murphy dans ses mémoires :

« Pendant un an, notre ambassadeur à Vichy, Leaby et moi partageâmes la même anxiété au sujet du général Weygand. Les nazis, parfaitement conscients qu’il n’était pas de leurs amis, s’acharnaient à le faire rappeler d’Afrique… Enfin, le 18 novembre 1941, Pétain informa notre ambassadeur LeaBy que les Allemands avaient menacé d’occuper toute la France, de laisser mourir de faim la population pendant que l’armée allemande vivrait sur le pays, si le maréchal laissait Weygand en Afrique… Mais ce qui sauva notre accord après la disparition de Weygand, ce nefut pas tant nos arguments raisonnés que l’attaque japonaise sur Pearl Harbour, trois semaines plus tard… »

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