Pogrom de Fes-tritel-P.B.Fenton


Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912-Deuxieme partie Témoignages oculaires-Paul B.Fenton

Le 22 avril

La ville est calme. Nos troupes, réparties entre Fez Bali et Fez Jdid et les camps de Dar Dbibagh et Dhar Mahrez, en gardent toutes les issues et font des rondes dans les quartiers. Les soldats chérifiens révoltés qui sont encore en ville sont réunis et désarmés. On arrête également un certain nombre de gens sans aveu qui ont pris part aux massacres et au pillage.

  1. Régnault nomme une commission chargée de pourvoir aux besoins les plus pressants des israélites; des distributions de vivres leur sont faites par l’autorité militaire et le consulat britannique.

On connaît aujourd’hui le total de nos pertes. Elles s’élèvent, pour les civils, à 9 tués (dont 2 femmes) et 2 blessés; pour la mission militaire, à 19 officiers et sous-officiers massacrés: pour les tirailleurs, à 35 tués (dont 2 officiers) et 70 blessés (dont 5 officiers): au total, 63 tués et 72 blessés. Les pertes du mellah sont de 51 tués et 40 blessés. Il est impossible d’indiquer, même approximativement, les pertes subies par les tabors révoltés et la population musulmane.

L’état de siège ayant été proclamé, on procéda au désarmement des habitants, et le vendredi suivant, 26 avril, à l’occasion de la khotba, le sultan fit donner lecture dans les mosquées du message suivant:

Serviteurs de Dieu,

Vous savez de quels meurtres et de quels actes de pillage ont été victimes les Européens qui étaient nos hôtes.

En agissant ainsi, c’est contre Dieu que se sont insurgés les meurtriers, les instigateurs, ceux qui leur ont donné leur approbation tacite et tous ceux qui, pouvant s’opposer à leurs actes, s’en sont abstenus.

Ne saviez-vous pas que les Européens vivaient dans la paix de Dieu et sous sa garde? Ignoriez-vous que dans ces conditions il n’était pas licite de se livrer contre eux à de pareils attentats?

Votre devoir était de combattre pour eux comme pour vos propres enfants alors même que l’issue de la lutte eût été avantageuse pour l’islam, et à plus forte raison si elle devait lui être nuisible.

Or il est évident que pour chaque Européen tué une foule d’entre vous devait trouver la mort, et que la ville devait s’effondrer sur vous et vos enfants si vous touchiez à un seul Français.

Craignez Dieu dans votre intérêt et dans le nôtre et obéissez à ses décrets!

On notera qu’aucune mention n'est faite des atrocités commises contre les Juifs ou de l’obligation des musulmans de respecter les termes de la dhimma. L'original de cette khutba est conservé à Nantes, AAE, Légation de France à Tanger; série B, 279. 

Il nous reste à rechercher les causes de la sédition et à en dégager la leçon.

  1. Régnault considérait la révolte des tabors comme un accident fortuit ayant des causes purement militaires. Le général Moinier, au contraire, la croyait entièrement fomentée par le makhzen. Les deux conceptions étaient aussi éloignées l’une que l’autre de la vérité.

La cause profonde, autant de la sédition des troupes chérifiennes que de l’attentat projeté contre l’ambassade au moment de son départ de Fez et de l’attaque ultérieure de la capitale par les tribus, ce fut l’état d’esprit que je n’avais cessé de signaler dans mes lettres au «Temps» dont la dernière, datée du 12 avril, parvint à Paris le 20, trois jours après le début de l’émeute. Cet état d’esprit avait contaminé toutes les classes de la population dont, bien entendu, les soldats recrutés dans sa lie et en contact constant avec elle.

Quelque temps après, cette vérité fut proclamée du haut de la tribune de la Chambre par M. Barthou, alors président de la commission des affaires extérieures:

… Ce qu’il faut dire, c’est que des faits particuliers se sont produits dans une atmosphère de malaise — pour ne pas employer une autre expression—. Ce qui peut étonner, c’est que les autorités chargées de représenter la France au Maroc n’aient pas eu le sentiment de ce malaise… Il y avait des précautions à prendre. Il est regrettable qu’elles n’aient pas été prises… Cela est d’autant plus fâcheux que des hommes, qui habitaient le Maroc depuis longtemps, ne s’étaient pas mépris sur la situation.

Il est certain que le sultan portait une large part de la responsabilité de ce malaise, auquel il avait contribué par son attitude avant l’arrivée de M. Régnault, sa hâte à vouloir quitter Fez après la signature du traité et certains propos tenus aux oulama pour leur prouver qu’il n’avait cédé qu’à la contrainte. Il n’est pas douteux non plus que ces propos, déformés et grossis, ont été colportés par un entourage mécontent de l’avènement d’un régime d’ordre, et que certains hauts fonctionnaires et chefs militaires indigènes, une fois l’émeute déchaînée, n’ont pas, par dépit, par crainte, ou par simple veulerie, déployé tout le zèle désirable pour tenter de l’étouffer. Mais de là à les incriminer d’avoir poussé les soldats à la révolte il y a de la marge.

Les askris étaient profondément atteints du mauvais état d’esprit général; ce qui les conduisit finalement à la révolte, ce furent diverses mesures d’ordre militaire dont je ne mentionnerai ici que les deux principales: le sac et l'ordinaire. En réalité les sacs n’avaient pas encore été distribués, mais les soldats avaient pu les voir au mechouar, dans de grandes caisses à claire-voie, et ils savaient qu’ils leur étaient destinés. Or l'askri marocain assimilait le sac a un bât (bardâa) et considérait son port comme une humiliation à laquelle il ne voulait se soumettre à aucun prix. Quant à la question de l’ordinaire, la voici en deux mots: les soldats chérifiens, dont la plupart vivaient avec des femmes, étaient tous engagés volontaires en vertu d’un dabit (contrat) qui leur assurait une solde de cinq bilioûn' (environ un franc) par jour. Ils se nourrissaient comme ils l’entendaient et plutôt mal. Pour y remédier, on avait décidé de porter la solde journalière à six bilioûn mais d’en retenir la moitié ou même les deux tiers pour la création de l’ordinaire. Cette mesure fut annoncée aux tabors sans aucune préparation, à l’occasion de la paye du 17 avril.

Ce fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres. Les soldats ne voyant que le fait brutal de la réduction de leur solde, quelques-uns osèrent protester; d’autres, enhardis par l’exemple, élevèrent la voix; aux murmures succédèrent les cris, et aux clameurs les coups de feu en l’air. Une députation se rendit auprès du sultan pour protester contre la rupture du dabit. Celui-ci les invita à se, réfugier à la mosquée de Moulay Abdallah, leur promettant d’arranger leur conflit avec les instructeurs. Cette réponse n’ayant pas donné satisfaction aux mutins, ils se répandirent en ville et appelèrent les musulmans au jihad. La populace se joignit à eux et les massacres et le pillage commencèrent.

Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912-Deuxieme partie Témoignages oculaires-Paul B.Fenton-page 109

Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912- -Le tritel de Fès vu par un journaliste français

tritel

A2 Le tritel de Fès vu par un journaliste français

התריתל מנקודת מבטו של עיתונאי צרפתי

שעות אחדות אחרי שוד המלאח חצה הובר ז׳ק, כתב בעיתון ״לה טם״, את הרובע היהודי השדוד וההרוס ותיאר את החורבן ואת מצבם של הפליטים בארמון הסולטן. 

Tandis qu’une partie des révoltés et de la population civile se livrait aux atrocités que nous venons d’exposer, le reste des émeutiers, transformés en pillards, se ruait sur le quartier du Mellah. En traversant, quelques jours après, les rues dévastées de ce mellah nous avons eu une vision d’horreur rappelant celle que nous avions déjà éprouvée au moment du bombardement de Casablanca.

Pendant plusieurs heures nous avons erré au milieu d’une ville déserte, silencieuse, pillée de fond en comble, à moitié en ruines. La grande rue centrale qui traverse tout le mellah n’est plus qu’un monceau de décombres fumants d’où émergent des poutres calcinées et des débris humains. Tout le mellah de Fez-Djedid, comprenant 12.000 habitants environ, a été totalement pillé incendié en partie. Il ne reste plus le moindre objet dans la plus petite des boutiques, le moindre meuble dans la plus grande des maisons. Tout ce qui, par son poids ou son volume, n’a pu être emporté a été brisé sur place. Il ne reste plus un seul habitant de ce quartier naguère grouillant d’une vie intense. Tout est mome, lugubre, désolé dans ce milieu jadis éclatant de couleur et de lumière. Deux mille askris et on ne saura jamais combien de citadins de Fez ont passé trois journées entières à piller, à massacrer!

Une cinquantaine de cadavres juifs ont été retrouvés, plus du double gît encore sous quatre mètres de décombres. Ces décombres, dans des rues entières, s’élèvent à la hauteur d’un premier étage! Des maisons dont toute la façade est tombée laissent apercevoir les murailles opposées et toutes les, cloisons éventrées des appartements, ainsi que les séparations des étages, comme dans la coupe verticale d’un plan d’architecte. Quelques saillies marquent seules, dans d’autres maisons en ruines, les emplacements naguère occupés par les chambres et les étages. Une fumée acre, mêlée de vapeurs chaudes, monte de cet amas de débris. Le plus violent des tremblements de terre n’eût pas composé un tableau d’horreur plus effrayant et plus lugubre.

C’est vers midi et demi que l’alarme fut donnée au mellah. Aussitôt toutes les portes furent fermées, et les Juifs n’eurent plus qu’un seul espoir: celui que leurs portes pourraient résister aux assauts qu’elles allaient sûrement avoir à subir. Par suite de faits de contrebande de cartouches récemment signalés dans le mellah, l’autorité militaire avait fait rendre toutes les armes de ce quartier. Les malheureux, sans moyens de défense, se trouvaient donc, sans aucun secours possible, exposés à la fureur bien connue des émeutiers. De tout temps, en effet, et dans toutes les villes du Maroc, les mellahs ont excité la convoitise des musulmans fanatiques. Cette fois un mellah de 12 000 habitants sans défense était à leur libre disposition. Ils ne tardaient pas à en profiter copieusement! Vers deux heures, les portes, criblées de balles et attaquées au pic et à la hache, tombaient en livrant passage à un torrent de pillards.

Les Juifs terrorisés, tendentes ad sidéra palmas, leur dirent de prendre leurs biens et leurs richesses, mais de leur laisser la vie sauve.

— Nous allons commencer par vous dépouiller, leur fut-il répondu, demain nous reviendrons pour vous tuer. Et ils firent comme ils dirent.

Par bonheur, une porte nouvelle avait été récemment ouverte dans le mur d’enceinte, permettant de communiquer directement avec la route de Dar Debi-bagh. C’est par cette issue que presque tous réussirent à fuir pendant que les envahisseurs s’attardaient à piller. Dès que le Sultan fut prévenu de cette situation, il fit ouvrir une des portes du palais donnant près du mellah et offrit asile à tous les rescapés. Le Sultan eut ensuite à subvenir à la nourriture de ces 12 000 personnes qui n’avaient pas mangé depuis la veille, ayant, comme tout le monde, été surprises au moment de leur déjeuner.

Moulay-Hafid fit mettre immédiatement à leur disposition tout ce qu’il avait, ordonnant d’ouvrir et de distribuer les caisses de vivres qu’il comptait utiliser pour son prochain voyage. La faim des malheureux put être ainsi apaisée une soirée; mais la grosse question de la nourriture d’un nombre aussi considérable de personnes restait entière pour le lendemain et les jours suivants.

L’autorité militaire française fit distribuer mille petits pains arabes et le consul d’Angleterre douze cents. Mais là se bornait le premier effort, toutes les réserves de la ville étant épuisées. Le lendemain, les malheureux tombaient d’inanition sans qu’il fût possible de leur venir en aide, toute distribution d’argent étant inutile, les moyens manquant de distribuer 6000 kilogrammes de pain par jour. Les autorités prirent en hâte toutes les mesures propres à parer, dans la mesure du possible, à cette lamentable situation.

Nous parcourons, dans les innombrables bâtiments du palais, les emplacements réservés aux rescapés. Ils grouillent par centaines, entassés les uns sur les autres, dans de grandes cours, dans des couloirs, dans de vieux magasins, dans des écuries, sous des voûtes, derrière des portes, partout enfin où il y a le moindre emplacement. Mais le spectacle le plus original et le plus inattendu était celui de plusieurs centaines de femmes, de jeunes filles et d’enfants blottis dans des cages bardées de fer réservées aux bêtes féroces du sultan.

Dans l’immense cour de la ménagerie dont les quatre côtés sont formés par des cages garnies de barreaux quadrillés, on peut voir une cage occupée par deux lions superbes, à côté d’une autre où une cinquantaine de femmes allaitent des enfants à la mamelle. Plus loin un ours gris danse à côté de ménages faisant leur popote dans une cage voisine. En face sont des panthères agiles qui grimpent sur leurs barreaux, tandis que les enfants passent leurs têtes dans le compartiment à côté. Cà et là, des lionnes, des singes, des pumas alternent avec des jeunes femmes et des enfants.

Les malheureuses se sont réfugiées là pour être à l’abri des intempéries et ne pas coucher sous la pluie. Des petits campements improvisés sont installés dans d’autres cours où les réfugiés confectionnent tant bien que mal leur cuisine rudimentaire avec des restes innommables qu’ils font chauffer dans des contenants des plus disparates. Une femme privilégiée réussit à faire cuire une soupe de fèves sèches dans un vase intime en vieux fer émaillé que la rouille a rongé et dont les trous ont été bouchés avec des cailloux. Tous leurs voisins, le ventre vide, regardent d’un œil brillant d’envie le mets succulent qui va sortir de cette étrange marmite…

Pendant une quinzaine de jours, tous ces malheureux restèrent dans cette triste situation. Mais les secours affluant, ils purent, petit à petit, regagner leurs demeures hâtivement remises en état provisoire et reprendre leur vie de misère après avoir été complètement ruinés. Des dons généreux, provenant de souscriptions ouvertes en France, leur permirent ensuite de s’installer à nouveau dans leur mellah.

Hubert Jacques, Les Journées sanglantes de Fès, Paris, 1913, pp. 67-71. journaliste, l'auteur fut correspondant de guerre en Algérie et au Maroc pour le journal Le Matin. D’ailleurs il avait donné une première description de l'émeute dans Le Matin n° 10286 (26.04.1912), p. I -2.Voir Cl

Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912- -Le tritel de Fès vu par un journaliste français

Page 114

Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912- -Paul B.Fenton-Le tritel de Fès vu par un journaliste français

tritel

A3 Souvenirs d'un journaliste: «Quant aux familles juives qui s'étaient attardées au Mellah, surprises par les émeutiers, elles avaient subi toutes les horreurs du viol et de l'assassinat».

זיכרונות של עיתונאי

העיתונאי רובר דיינו מתאר את פרוץ המרד ותוצאותיו הקטלניות באוכלוסייה האירופית והיהודית: ״המשפחות היהודיות שהתעכבו במלאה נתפסו בידי המורדים והיו קרבנות של אונס והרג״.

Les intentions de voyage du sultan connues des indigènes augmentèrent leur ressentiment. «Ayant, dit-on, vendu son pays à la France, il s’en allait, le marché conclu, en toucher le prix.»

Au palais et à l’ambassade, on préparait les caravanes de départ. Le sultan devait se mettre en route le 17 avril pour gagner Rabat. M. Régnault et sa suite se proposaient de partir le même jour, à quelques heures de différence. Des mesures militaires avaient été prises en prévision d’actes hostiles des tribus, dans le voisinage de Meknès. Malgré la sourde irritation des Marocains, Fez demeurait si parfaitement paisible que le Général Moinier avait cru pouvoir ramener vers la côte la plus grande partie des troupes françaises, cantonnées jusque-là, sous les murs de Fez. Cette décision avait paru imprudente au sultan et à M. Régnault qui en exprimèrent l’avis; passant outre, le Général Moinier était parti le 13 avril, avec ses troupes. Deux bataillons demeurèrent au camp de Dar-Debibagh, à quatre kilomètres de Fez.

Des pluies torrentielles, ayant rendu les pistes impraticables, force fut done au sultan et a l'ambassade de retarder leur depart. Cette circonstance les sauva.

Le 17 avril, vers midi, des coups de feu eclataient dans les souks, tandis qu’en cris stridents les you-yous des femmes jaillissaient des terrasses, et couvraient la ville d’une clameur immense. Sans comprendre, tant la surprise etait vive, nous devinions des evenements graves, et chacun, d’instinct, s’armait. Haletants, dans une cours eperdue, des indigenes, des soldats marocains, nous jetaient en passant quelques mots de l'enigme.

Les tabors cherifiens, 3000 hommes en revolte, massacraient leurs officiers et pourchassaient a mort les Francais disperses dans les quartiers eloignes. L’emeute gagnait; des telegraphistes assieges dans leur maison se battaient a 300 metres du consulat de France.

Nous ne comptions dans Fez aucune force militaire, a l’exception des musiciens du ler tirailleurs, des infirmiers et des malades convalescents de l'hopital Auvert, en tout une centaine d’hommes a opposer a la garnison cherifienne abondamment pourvue de munitions.

Aux premiers coups de feu, la basse populace s’etait reunie aux askris pour participer a l’oeuvre de devastation, bientot etendue a toute la ville.

A l'ambassade que l'on suppose particulierement visee par les rebelles, le ministre se concerte avec le general Brulard, qui installe son quartier general a quelques pas de la, a l'hopital Auvert. Infirmiers et musiciens, renforces de six cavaliers de l'ambassade et de quelques civils, prennent position au carrefour des ruelles voisines, et elevent des barrages qui isolent, dans une sorte d’llot, l'ambassade, l'hopital et le consulat. C’est la qu’aboutissent, apres quelques peripeties, les Francais echappes au massacre, des femmes, des enfants, tous revetus de vetements arabes et proteges par des cherifs d’Ouezzan ou par de modestes Marocains d’un admirable devouement. De minute en minute on entend l’orage grandir, la fusillade s’etendre de Fez-Bali a Fez-Djedid, et les balles s’aplatir ou ricocher sur les terrasses de l'ambassade. Quelques askris se sont depouilles de l'uniforme pour circuler en djelaba; ils se glissent jusqu’a nous pour apporter des nouvelles et transmettre les billets de Francais assieges dans leur maison demandant du secours. Par la meme voie, le ministre et le general Brulard envoient leurs reponses: se defendre, tenir; les troupes francaises, deux bataillons, cantonnees a Dar-Debibagh, prevenues, vont arriver pour degager la ville. 

Les emeutiers ont deja fait de nombreuses victimes; la plupart des officiers instructeurs sont tues par leurs soldats avec des tortures et des profanations epouvantables. Des tetes sont promenees triomphalement dans la ville, sur des perches. Des civils, hommes et femmes, assaillis a 1’hotel, ont subi le meme sort; d’autres, blesses et enfumes dans leur maison, se defendent encore et nous avertissent qu’ils sont a bout de resistance, qu’ils vont succomber si les troupes franqaises n’arrivent pas.

Le general Brulard dissimule l’angoisse qui l’etreint, et multiplie par T.S.F., car le fil telegraphique a ete coupe, ses appels au camp de Dar-Debibagh, a Meknes, a Tiflet, a quatre jours de marche de Fez, ou se trouve le general Moinier.

Depuis midi, le pillage et les massacres regnent dans la ville. II est quatre heures et les secours n’arrivent pas.

Cependant au crepitement des fusils Gras qui arment les rebelles, se mele le sifflement rapide des balles Lebel qui y repondent, et bientot, avec quel soulagement, nous entendons la voix du 75. Des actes heroiques s’accomplissaient en ce moment. Un bataillon de tirailleurs tunisiens avait la charge de reprendre une ville de 100 000 habitants pactisant avec la garnison revoltee. Le commandant Philipot, avec trois compagnies (la quatrieme, accrochee en route, ayant du etre abandonnee a elle-meme), reussit, en jetant ses troupes a l’oued Es-Zitoun, a atteindre la porte Bab-el-Hadid et a gagner le quartier du consulat.

C’etait un renfort de 370 hommes. Ils avaient a parcourir les mes etroites de la ville, a la recherche de nos compatriotes assieges. Des reconnaissances partent aussitot, et ramenent a l’ambassade, sous la fusillade des terrasses, quelques Francais. Combien d’autres faudra-t-il abandonner!

A l’exterieur sur les cretes de Dar-Mehares qui dominent Fez, le commandant Felbert installe une section de 75 et deux compagnies de tirailleurs algeriens et senegalais provenant du camp de Dar-Debibagh. Le bordj sud est enleve aux askris.

198 Le Borj Sud est un monument militaire construit par des esclaves chretiens sous le sultan sa’adien Ahmad al-Mansur (1578-1609), en vue de surveiller et proteger la ville; voir Le Tourneau, Fes, p. 105,258.

 La nuit ne ralentit pas la circulation de nos patrouilles, enfermees dans un rayon restreint autour de Fhopital. Peu a peu les nouvelles arrivent a l’ambassade. Elles sont navrantes. On avait dresse une liste des Francais residant a Fez, et suivant les rapports de nos commissaires indigenes, on marquait d’une croix le nom des victimes. Les details atroces abondaient.

Dans la soiree, le sultan avait fait parvenir au ministre, un billet qui reclamait l’envoi au palais d’une compagnie de tirailleurs, pour proteger les magasins de munitions que les rebelles essayaient de forcer et de piller.

Mouley-Hafid annoncait que, menace de mort par les askris, il avait assure sa defense personnels, grace a la garde noir, demeuree fidele, et qu’il donnait asile a quelques Francais, hommes et femmes, refugies au palais.

Lajournee du 18, se passa en combats dans les rues entre nos tirailleurs et les insurges. L’artillerie sur les hauteurs refoulait les groupements de Berberes, accourus des tribus voisines pour participer au butin. A l’ambassade on s’attendait a une attaque. Tous les Francais qui s’y trouvaient reunis avaient recu des armes et, des terrasses ou sifflaient les balles, ils surveillaient les phases de la lutte. Nos barrages avaient tenu. Par bonheur, les tabors revoltes n’avaient ni chef ni direction, et livres a eux-memes ils etaient appliques a piller les banques, le depot des tabacs, la poste et les maisons frangaises.

Surtout, ils s’etaient rues au Mellah qui, pendant trois jours, fiit le theatre de scenes tragiques. Dix milles juifs qui habitaient ce quartier s’etaient enfuis en franchissant le mur du palais et s’etaient installes dans les jardins de la menagerie imperiale. Mais ils manquaient de vivres. Mouley-Hafid leur distribua ses reserves de grains jusqu’a ce que l’ambassade de France put leur faire parvenir du pain. Pour se mettre a l’abri, les juifs s’etaient glisses dans les nombreuses cages vides de la menagerie. La, a travers les barreaux de fer, ils voisinaient avec les lions, les pantheres, les hyenes, les loups, qui prives eux-memes de toute pitance, ajoutaient leurs hurlements furieux aux cris, aux gemissements, aux pleurs, aux prieres des malheureux juifs. Le spectacle etait saisissant.

Quant aux families juives qui s’etaient attardees au Mellah, surprises par les emeutiers, elles avaient subi toutes les horreurs du viol et de l’assassinat. Des cadavres eventres gisaient dans les rues dans un indescriptible chaos. Nos obus a melinite, apres l’incendie, avaient detruit des rangees entieres des maisons. Et les paves, les poutres, les gris des fenetres, les meubles, les paillasses, les bouteilles vides, les papiers parmi tous les pauvres ustensiles du foyer, elevaient a la hauteur d’un etage des barricades infranchissables.

Sur les portes arrachees et percees des balles s’appliquaient des empreintes de mains ensanglantees. La rage devastatrice des emeutiers, en se prolongeant, sauva l’ambassade et les quartiers europeens d’un assaut qui, sous le nombre, eut ete irresistible.

Le 19 avril, la situation s’ameliora. Nous sentions que l’avantage nous revenait. Les tabors revoltes tenaient encore la ville, mais leurs attaques etaient moins vives. Une partie d’entre eux abandonnaient Fez en apprenant l’arrivee imminente de renforts de Meknes; d’autres se rendaient et deposaient les armes. Les pachas de la ville, dont l’intervention avait ete si molles qu’on les soupqonnait de trahison a notre egard, n’avaient en realite conserve cette attitude que par lachete, car la plupart des membres des Maghzen eussent ete en peril en se montrant dans la ville a l’heure ou la revolution s’y dechainait. Pour s’en convaincre, nous nous souvenions de l’angoisse du sultan et des fonctionnaires cherifiens, au cours du siege de Fez par les tribus, l’annee precedente. Les memes dangers les menacaient alors, car la capitale aux mains des askris c’etait l’irruption certaine des Berberes, et un pillage forcene qui atteindrait avant tout le palais et les riches demeures. Le fanatisme du Maghzen n’allait pas jusqu’a affronter cette menace, dans l’espoir incertain de chasser les Francais. Les notables avaient autant d’interet que nous-memes a voir etablir l’ordre dans Fez.

Des grades marocains vinrent se presenter au general Brulard pour se mettre a sa disposition avec les tabors qui s’etaient tenus a l’ecart de la revolte, en demeurant dans leurs casemements. Leur fidelite fut aussitot mise a l’epreuve par le general qui les chargea de tenir des barrages, d’arreter les rebelles et de garder les portes de la ville.

Dans l’apres-midi du 19 arrivait a marche forcee, de Meknes, un bataillon de renforts qui avaient couvert 65 kilometres en une etape. Nous etions desormais maitres de la situation, et le general Brulard pouvait, remettre le commandement au general Moinier, revenu de Tiflet en toute hate.

Les six bataillons d’infanterie et les trois escadrons de cavalerie que ramenait avec lui le commandant chef permirent d’occuper entierement la ville, divisee en secteurs.

La securite revenue, on s’employa a etablir les responsabilites. Le general Moinier se refusait a croire a un mouvement insurrectionnel spontane. II preferait admettre que la mutinerie des tabors etait le resultat d’excitations entretenues par le maghzen contre la France. La passivite des agents cherifiens enfermes chez eux parmi les evenements, les propos tenus par les notables de 'entourage du sultan, la joie manifestee chez les Fassis aux premieres heures de l’emeute, paraissaient autant d’arguments pour mettre la catastrophe au passif de notre politique.

Rober-Raynaud, En Marge du «Livre Jaune», Paris, 1923, pp. 298-304.

199 Journaliste, grand specialise des questions nord-africaines et correspondant de I’Afrique frangaise, Rober-Raynaud fonda en 1905 la DepSche marocaine, un quotidien francophone paraissant aTanger ou il etait en contact permanent avec la Legation de France.

Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912- -Paul B.Fenton-Le tritel de Fès vu par un journaliste français

Page 119

Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912- -Paul B.Fenton- Rapport officiel sur l’emeute de Fes par le Directeur d'ecole de l’Alliance Israelite Universelle

tritel

A4 Rapport officiel sur l’emeute de Fes par le Directeur decole de l’Alliance Israelite Universelle

דוח של מנהל בית הספר של כי״ח

עמרם אלמליח, מנהל בית ספר כי״ח בפאס, היה בן 34 שנה כשפרצו הפרעות בפאס. הוא גילה אומץ לב בעת ההתקוממות, וגם לאחר מכן בתקופת השיקום של הקהילה היהודית. בתעודה זו הוא מדווח למנהלת כי״ח בפריז על השתלשלות המאורעות שעה אחרי שעה.

 

II est peut-etre inutile de rappeler les sanglants evenements dont Fez fut le theatre le 17 Avril 1912, pourtant ce qu’il advint fut tellement terrible que tout recit sera toujours au dessous de la realite. On avait, en effet, represente les Marocains comme quelquefois sanguinaires, mais ils ont accompli ce jour un forfait tellement infame que les Israelites du Mellah en garderont a jamais le souvenir nefaste. Assassinat, viol, incendie, pillage, rien ne fut epargne a cette malheureuse communaute israelite qui ne put songer a se defendre, ayant ete completement desarmee quelques jours auparavant par les Autorites marocaines, sous un pretexte futile, pretexte qui montre combien la revolution fut organisee et non pas spontanee comme quelques-uns se sont efforces de le dire. Mais passons.

Une population entière fut victime de l’émeute et malgré tout le dédommagement qu’elles pourront recevoir, rien ne pourra effacer leur douleur morale; toujours les malheureuses victimes se rappelleront ces nuits d’horreur, ils auront sans cesse le spectacle des leurs mutilés ou souillés, tandis que leurs demeures étaient dévastées et leur avoir enlevé. La population israélite de Fez, depuis longtemps si civilisée et de mœurs simples a souffert atrocement de cette révolution et elle a accueilli avec joie les Français parce que, connaissant par l’Histoire la générosité de cette valeureuse nation, ils ont senti que désormais ils seraient à l’abri de semblables iniquités. Ainsi les Israélites ont-ils foi au Gouvernement français et connaissant les grands principes humanitaires qui guident ce beau Pays, dont ils sont heureux d’être couverts par le pavillon tricolore, ils sont persuadés qu’ils recevront un juste dédommagement de leurs si grandes pertes.

Le 17 Avril, tandis que les gens du Mellah vaquaient à leurs occupations habituelles, une horde de Marocains composée de milliers d’individus, se précipitaient sur ce quartier et lâchement, alors que nos malheureux coreligionnaires leur demandaient grâce, leur rappelant les services passés, ils assassinaient les enfants, des femmes mêmes et des vieillards, sous les yeux de leurs familles impuissantes à leur porter secours. La horde qui ne connaissait plus de frein assouvissait ainsi sa passion sur nos épouses et nos filles qui étaient violées devant leurs parents avec une sauvagerie sans nom.

Les circonstances de ces atrocités nous font encore frémir, elles dépassent tout ce qu’on peut imaginer et lorsque nous aurons dit qu’une partie des femmes et jeunes filles ainsi flétries est morte, et que l’autre, malgré les soins empressés des médecins français, porte et portera à jamais les traces de ces violences, l’on comprendra peut-être la douleur qui règne au Mellah. Mais tandis qu’une certaine partie des Marocains exerçaient leurs violences sur nos personnes, d’autres envahissaient nos demeures et après avoir enlevé tout ce que nous possédions mettaient le feu à nos demeures, ajoutant ainsi un terrible élément à l’horreur d’une pareille situation.

Quelles furent nos souffrances! Elles ne peuvent se décrire, car à ce moment-là nous avions perdu toute notion de nous-mêmes, apeurés, voués à une mort certaine, nous attendions angoissés, séparés des nôtres, le moment de notre délivrance.

Pourtant la présence des soldats français exerçait une action salutaire sur Moulay Hafid, qui se décidait à sauver une population d’environ dix mille âmes, errante de par les rues, la plupart sans vêtements. Les jardins du Sultan nous étaient désignés pour refuge et là, sans distinction de sexe, nous étions parqués dans des écuries, dans les cages d’une ménagerie, partout enfin où nous pouvions avoir un abri contre la pluie diluvienne qui tomba pendant ces jours néfastes.

Nous sommes restés dans ces lieux pendant plusieurs jours, sans pouvoir nous couvrir et presque sans pain. Les soldats français nous ont délivrés et, l’ordre étant rétabli, nous avons pu retourner vers nos demeures. Là, quelle nouvelle désolation! Tout avait été dévasté et lorsque nous dirons que le bois de nos maisons avait été arraché et enlevé, l’on se rendra peut-être compte de ce que fut le pillage.

Quelques secours nous parvenaient du Général Lyautey qui venait d’arriver à Fez et s’empressait de venir constater par lui-même le triste état de choses. Il nous réunissait, nous réconfortait de ses chaudes paroles et nous annonçait la punition des coupables. Il ajoutait aussi que le Gouvernement français saurait tenir compte des pertes immenses que nous avions subies. Et nous avons repris confiance. Nous nous sommes soutenus les uns aux autres, des secours nous sont arrivés de nos coreligionnaires, nous avons pu manger à notre faim. Nous avons rapidement énuméré nos souffrances. Croyez qu’elles sont à l’heure présente encore vivaces dans bien des familles.

Pour ceux qui ont connu le Mellah si riant, si affairé, quel changement! ! !

Dix-huit mois ont passé depuis ces événements que rien ne saurait effacer, et l’on peut constater encore ce que fut cette émeute. Il est temps que la Paix entre dans nos familles et depuis que nos agresseurs ont reçu le juste châtiment de leur forfait, il importe maintenant que nous recevions le dédommagement des pertes que nous avons subies.

Aussi venons-nous vous demander votre aide précieuse et espérons que nous ne nous serons pas adressés à vous en vain. Les sinistrés du Mellah nous ont donné la mission d’implorer votre bonté et de demander au noble Gouvernement français de bien vouloir solutionner, dès que possible, cette question si délicate. Nous savons qu’il a admis le principe de nous rembourser ce que nous avons perdu. Nous lui demandons maintenant de faire définir une situation qui empire chaque jour et qui ne peut que devenir dangereuse pour notre communauté. Des milliers d’Israélites font, par nous, appel à votre pitié et vous demandent justice, chacun d’eux rend hommage au Gouvernement français auquel ils doivent la vie.

Nous sommes persuadés que notre mission sera remplie et qu’en retournant auprès de nos coreligionnaires, nous emporterons la promesse formelle que leur douleur recevra un soulagement à bref délai. Nous vous demandons votre aide précieuse, car nous sommes persuadés qu’elle contribuera puissamment à nous faire obtenir satisfaction. Vous aurez fait une œuvre utile dont vous sera reconnaissante toute une population, si atteinte par le malheur.

Rapport officiel sur l’émeute de Fès remis par Amram Ehnaleh, directeur d’école de l’Alliance Israélite Universelle à Fès, en date du 29.10.1913 [AIU, MAROC I J 2]

 

Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912- -Paul B.Fenton- Rapport officiel sur l’emeute de Fes par le Directeur d'ecole de l’Alliance Israelite Universelle

Page 122

הירשם לבלוג באמצעות המייל

הזן את כתובת המייל שלך כדי להירשם לאתר ולקבל הודעות על פוסטים חדשים במייל.

הצטרפו ל 228 מנויים נוספים
אפריל 2024
א ב ג ד ה ו ש
 123456
78910111213
14151617181920
21222324252627
282930  

רשימת הנושאים באתר