Pres. Juifs du Maroc au Cana.


Jacob GARZON Mon trajet de Casablanca à Montréal en passant par Paris

Presence des Juifs du Maroc au Canada

En 1964 nous quittons le Maroc sans le sou, pour Montréal… Je savais que je devais repasser mes examens, refaire 5 ou 6 ans de résidence en chirurgie… Mais je ne savais pas que je serais encore en butte à de l'antisémitisme : à Sainte Justine, le directeur médical m'accepta pour une résidence en chirurgie pédiatrique… mais quand j'ai eu rempli mon application et que j'ai marqué JUIVE à religion… je suis devenu ce que je suis aujourd'hui un chirurgien pour adultes et ce grâce à la communauté juive ashkénaze, au Jewish General Hospital.

Je dois beaucoup à feu Dr William Slatkoff, et Israël Shragovitch chef de chirurgie. Ils m'ont fait confiance dès le début et épaulé.

Ça ne m'a pris que quelques mois pour faire mes preuves et être intégré à part entière dans ce milieu ashkénaze qui ne savait pas et ne comprenait pas ce que c'était qu'un juif marocain.

Il me faut mentionner ici que Kénitra m'a beaucoup aidé en m'enseignant toutes les maladies parasitaires et exotiques inconnues à Montréal. C'était aussi l'époque d'une grande immigration méditerranéenne à Montréal avec leur éventail de maladies que je connaissais bien. Ce qui fait que j'ai bien paru, je satisfais mes patrons parce que je savais reconnaître un kyste hydatique au foie etc….Choses inconnues à Montréal. J'ai humblement adoré cette époque surtout because I was taken at full value.

Je dois ici remercier mes amis Drs Harvey Sigman, Richard Margolese, Frank Guttman et Ned Better, qui m'ont intégré immédiatement. Un merci spécial à Ned et Helen Better qui nous ont collé la fièvre du ski.

Je manquerais à tous mes devoirs de ne pas mentionner l'aide que nous avons reçue de la communauté, de JIAS, de Hebrew free loan.

Toute cette période de résidence, tant au Maroc qu'à Montréal : dix années, fut longue et taxante pour ma famille. Je n'étais que rarement à la maison, étant à l'hôpital 110 heures par semaine ce qui fait une moyenne de 15 heures par jour.

Heureusement que Ruby était là, d'un soutien incroyable, pratiquement toute seule elle a élevé et éduqué Eric et Laurent. Il n'y a pas encore longtemps, Eric me reprochait de ne pas avoir été là pour lui. Sorry Eric…

Début 1970, mes examens, le fellowship etc….et c'est le début de ma pratique chirurgicale qui a démarré en canon grâce à la communauté sépharade. Puis grâce à Ruby, elle m'a entraîné à courir avec elle…J'ai réussi plusieurs marathons. Après tout c'étaient les vacances n'ayant à travailler que 60 heures par semaine.

C'était aussi la période du pay back : je m'étais impliqué à l'ASF, mais n'étant pas très politico orienté, je lâchais après en avoir été le vice- président. En même temps je m'occupais de l'appel juif unifié sépharade dont je fus le deuxième président et par la suite je me suis consacré à la division médicale sépharade-ashkénaze jusqu'en 2005.

Les années passèrent et devenaient un peu trop routinières à mon goût. J'avais soif de nouvelles techniques et la chirurgie laparoscopique arriva à point en 1990. Encore fallait-il prouver son efficacité et sa sécurité.

Je me suis donc embarqué là-dedans avec un de mes collègues le Dr H. Sigman, et nous avons organisé un laboratoire animal afin d'évaluer et d'apprendre la technique. En juin 1990, quand convaincus de la valeur sûre de la chirurgie laparoscopique, nous avons procédé à la première ablation de la vésicule biliaire au JGH. Puis nous avons organisé un cours avec laboratoire animal réservé à des chirurgiens intéressés des Etats-Unis et du Canada qui surtout ne dénigraient pas cette technique. Ce fut un succès foudroyant… Puis j'enseignais la technique à chacun de mes autres collègues du JGH. Encore aujourd'hui, je retire une telle satisfaction de voir le patient rentrer chez lui le jour même pratiquement sans douleur et de reprendre pratiquement ses activités normales.

Ce nouveau développement a été grandement facilité par Henri Elbaz, directeur général du JGH. Henri Elbaz a été la dynamo dans le développement extraordinaire du JGH.

Avec la laparoscopie, la chirurgie abdominale a été presque complètement bouleversée, en mieux bien sûr.

Et maintenant, nous venons d'obtenir un robot et the sky may become the limit.

Et dire qu'en 2000, je devais prendre ma retraite, mais j'en fus dissuadé rapidement par plusieurs membres du board du JGH et certains de mes collègues.

Je vais donc recommencer une deuxième jeunesse en m'entraînant en chirurgie robotique en 2008.

Comme vous voyez, ma vie professionnelle a été excitante et l'est encore. J'adore enseigner et propager mes connaissances chirurgicales.

Dans mon métier comme dans beaucoup d'autres on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs…J'ose espérer que je n'en ai pas trop cassé.

J'ai beaucoup pensé à savoir : si je devais à avoir à refaire ma vie, est ce que je changerais quelque chose… Je suis arrivé à la conclusion que NON, car j'Y ai mis mon cœur mon âme et ma famille. Je referais la même chose.

Jacob Garzon MD. FRCSC

 

Jacques Godel et David Bensoussan Souvenirs de la Seconde Guerre mondiale

ברית מספר 32Jacques Godel et David Bensoussan Souvenirs de la Seconde Guerre mondiale

Montréal, août 2010 Cher Monsieur Godel,

Je vous remercie de m'avoir contacté et d'avoir accepté de partager avec moi vos souvenirs de guerre. Il va sans dire que toute expérience personnelle est un témoignage de grande valeur. J'ai notamment apprécié les informations que vous m'avez communiquées sur la période de votre stationnement à Casablanca et vous encourage fortement à mettre par écrit vos souvenirs de cette époque. Sincères amitiés,

David Bensoussan

Bethesda, septembre 2010

 Cher Monsieur Bensoussan,

Il m'est difficile de mettre par écrit ce qui fut entre 1940 et 1945. Non par oubli ; mais comment, en quelques lignes, pouvoir évoquer tous ces moments passés ; avec leurs péripéties, leurs émotions et surtout la crainte, la peur et enfin l'espoir.

J'ai pu faire le récit de ce que j'appelle «notre aventure» pour le Musée de l'Holocauste, à Washington D.C., mais c'est la première fois que je tente de le faire par écrit. Ce qui est arrivé à ma famille entre 1942 et 1943 me paraît comme des événements sur lesquels nous n'avions aucun contrôle et au cours desquels, une fois des décisions prises, notre sort n'était plus entre nos mains, mais laissé au bon vouloir des gens, souvent anonymes, à qui il fallait faire totale confiance. Notre histoire me paraît presque invraisemblable, et pourtant nous l'avons vécue.

Pour commencer, je vais vous parler de ma famille. Mon père et ma mère étaient Roumains originaires d'Iasi (de Jassy). Il était né en 1894, elle en 1897, et ils s'étaient mariés à Iasi (Jassy) en 1920. Peu de temps après ils se sont installés à Paris où je suis né en 1924 et ma sœur en 1928. Avant la guerre, mon père était entrepreneur de Peinture-Décorations. À la déclaration de la guerre, par crainte des bombardements, nous nous sommes installés à Taverny, en Seine-et-Oise où nous avions une petite maison de campagne. Vinrent la défaite, l'Occupation et le début des mesures antijuives. Les années '40 et '41 étaient encore relativement supportables ; mais le vrai commencement de l'Holocauste (du moins pour la France occupée) à mon avis fut l'année 1942 ; qui vit le port de l'Étoile jaune, le couvre-feu, l'interdiction des lieux publics et surtout La Rafle du Vel d'Hiv. Certains bruits courraient, d'après lesquels les Allemands massacraient certaines communautés juives, dans l'Est de l'Europe, ce qui ne fit qu'accentuer nos craintes.

Mais comment agir, quand on est marqué, surveillé de près par la Police comme ressortissants juifs étrangers ?

En octobre 1942, mon père fut mis en rapport avec une organisation (jusqu'à ce jour je n'en ai trouvé aucune trace) qui faisait franchir la ligne de démarcation à Vierzon (Commune du Cher et de la région Centre). La ligne de démarcation coupait la ville en deux ; le sud de la ville étant dans la zone libre tandis que le nord dans la zone occupée. En juillet 1944, un violent bombardement détruisit le septième de la ville. Avec de vrais ou faux «Ausweis» – (ou laissez-passer), le départ avait lieu à la Gare d'Austerlitz, d'où l'on prenait le train de nuit pour Toulouse. Avant de quitter notre domicile, à Taverny, notre passeur nous avait donné le nom et l'adresse d'une de ses nièces, récemment veuve, qui vivait au Sud de Toulouse, en Haute-Garonne à 10 Kms de l'Espagne. Nous quittâmes Paris le 6 novembre 1942, et arrivâmes à Toulouse le 7 très tôt le matin, après avoir franchi le contrôle allemand à Vierzon, munis de nos faux papiers. De Toulouse, nous nous embarquons pour FRONSAC, près de Luchon, et arrivâmes avec tous nos bagages y compris un vélo, que nous avions enregistrés à notre départ (petite digression : la SNCF fonctionnait très bien sous Vichy et l'Occupation). Muni seulement d'un nom et d'une adresse je fus envoyé en reconnaissance. Mission accomplie ! Madame Veuve Noguès (la nièce de notre voisine), habitait une grande maison, et était prête à nous accueillir, très chaleureusement.

Le 11 novembre 1942, fin de la zone libre, les Allemands arrivent et s'installent dans le village, où, à partir de ce moment nous étions cachés. Comment avons-nous pu rester dans cette situation jusqu'au mois d'avril 1943 ? Je n'en sais rien, mais avec la création de la zone interdite en bordure de la frontière, il nous fallait quitter la France. Madame Noguès avait un ami braconnier et contrebandier qui était aussi membre de la Résistance et passeur clandestin. Il organisait plusieurs convois «d'évadés», par mois, et nous fit savoir d'être prêt pour la nuit du 9 avril 1943. Nôtre groupe comprenait huit personnes, c'est-à-dire les quatre membres de la famille et quatre inconnus, plus le guide et quelques aides.

Finalement après 24 heures épuisantes de marche, dans la neige, le froid et l'angoisse, nous étions tous les huit en Espagne, sains et saufs et surtout libre du cauchemar nazi.

 Après trois mois à Barcelone, et un détour au Portugal, nous arrivâmes à Casablanca le 18 juillet 1943, pour une nouvelle vie, et une autre page d'aventures, puisque je me suis engagé à la 2e D.B. (Division blindée) Voici, narré du mieux que j'ai pu, ce que nous avons vécu, et qui nous a permis d'échapper à Drancy et sans doute Auschwitz. De ce bonus de vie, ce rab' comme on disait dans l'armée, j'ai essayé de faire de mon mieux pour mériter cette survie. Ai-je réussi ? Je n'ai pas de réponse. Il y aurait beaucoup à dire, pour donner tous les détails de ce que nous avons vécu. Notre vie, comme celles de millions d'autres, Juifs et non- Juifs, avait été complètement changée par ces six années de Guerre. Je pense souvent à mes parents qui, eux ont connu les horreurs de 14-18, l'entre-deux Guerres et 39-45.

Maintenant je suis un vieil homme, prêt à retrouver mes parents au King David Mémorial, dans un repos et une paix, que nous avons bien mérité. Je suis toujours à votre disposition pour vous fournir d'autres souvenirs, surtout, qu'à ma connaissance, il n'y a pas tellement de familles qui ont pu se retrouver intactes en Espagne. D'après ce que j'ai lu, il y aurait eu environ 30,000 personnes qui franchirent cette frontière avec succès. Il existait autrefois, une Association des Évadés de France. Elle a ou totalement, ou pratiquement cessé d'exister. Avec toutes mes amitiés, et en vous souhaitant la bonne année.

Jacques Godel.

Jacques Godel et David Bensoussan Souvenirs de la Seconde Guerre mondiale

Montréal, septembre 2010 Cher Monsieur Godel,

Meilleurs vœux de Shana Tova et félicitations pour votre récit qui intéressera, j'en suis convaincu, beaucoup de personnes curieuses de comprendre les épreuves subies par leurs parents. J'ajouterai que pour ce qui est du vécu de la Seconde Guerre mondiale au Maroc, les témoignages personnels et écrits sont plutôt rares. Pour ce qui est des documents officiels, ils peuvent être retracés suite à un certain investissement de temps, mais ne rendent guère le sentiment prévalant ni même le vécu réel. Aussi, je vous encourage à continuer et à décrire votre séjour à Casablanca.

Au plaisir de vous relire,

David Bensoussan

Bethesda, le 16 octobre 2010

Cher Monsieur Bensoussan,

Avec un peu de retard, voici la suite de mon récit.

Après avoir échappé à l’arrestation de toute la famille, le 6 novembre et franchi la ligne de démarcation dans la nuit du 6 au 7, nous restons cachés en Haute-Garonne, à Chaum-par-Fronsac jusqu’au 9 avril 1943.

Cette nuit-là, nous nous mîmes en route pour franchir la frontière franco-espagnole, en compagnie de 4 jeunes Français, réfractaires au travail obligatoire (S.T.O.) imposé par l’Allemagne. Après 24 heures dans la montagne, nous sommes tous en Espagne, arrêtés, conduits à Lérida, puis à Barcelone, où nous sommes pris en charge par des délégués des autorités françaises d’Afrique du Nord.

Trois mois à Barcelone, c’était comme des vacances inespérées. Libre enfin ! Mais on ne pouvait rester longtemps en Espagne, et le 14 juillet 1943, ordre de départ vers l’inconnu. À la gare du Nord, un train spécial nous attendait et en route….

Après 30 heures de voyage dans de vieux wagons, sans ravitaillement, et sous bonne escorte policière, c’est la frontière portugaise. Changement de train, très confortable, nourriture, boissons, pain blanc (un luxe), et quelques heures plus tard, nous arrivons à Setubal, port maritime au sud de Lisbonne. Après appel, et vérification d’identité, on nous embarque sur le Djebel Aurès, un vieux cargo rouillé, sale, et un équipage assez déplaisant (pétainiste).

Une autre partie de notre convoi est embarqué sur le « Gouvernance General Chanzy », lui aussi vieux cargo. Ancre levée, nous sommes en mer bientôt encadrés par deux bâtiments de guerre de ce qui restait de la marine française. Moment émouvant.

Après 36 heures de traversée, par un temps magnifique et une mer d’huile (c’était mon premier voyage sur l’océan), la côte se dessine au loin. Nous savions que c’était le Maroc, car nous avions appris pour la première fois notre destination par les marins du bord Casablanca.

Le port était incroyablement encombré, et partout bâtiments flottant la bannière étoilée des U.S.A. Les quais fourmillaient de soldats, marins et débardeurs. On nous fit descendre du bateau, là encore sous bonne escorte, et on nous dirigea vers un vaste hangar où nous attendaient des représentants des armées et des pouvoirs civils. Discours, musique, buffet, etc., et toujours sous bonne escorte nous embarquons dans des camions militaires. Notre destination, la caserne du Régiment d’infanterie coloniale du Maroc. Ce régiment avait refusé de se battre contre les Américains au cours du débarquement du 8 novembre 1942, en conséquence de quoi il avait été dissous, ce qui expliquait cette caserne vide de ses soldats. Mais l’armée avait repris ses droits, et avec l’arrivée de convois en provenance d’Espagne tous les deux ou trois mois, ces bâtiments étaient devenus un centre de premier accueil, de triage, et surtout de recrutement et de surenchère entre l’armée giraudiste (c’est-à- dire de Vichy) et les Forces françaises libres du Général de Gaulle. La caserne était très propre, spacieuse, les chambres confortables, et la nourriture acceptable. Mais nous ne pouvions sortir, car il fallait se soumettre à des interrogatoires, photo, empreintes digitales, et surtout le racolage par des recruteurs des armées de terre, de l’air et de la marine. Les cours étaient pleines de matériel de guerre en provenance des U.S.A., comme pour nous inciter à rejoindre ceux qui nous les montraient. J’avais opté pour De Gaulle, et on m’avait parlé de l’arrivée prochaine à Casablanca de la fameuse « Colonne Leclerc » qui allait devenir la 2e Division blindée. Pendant toutes ces journées, nous n’avions aucun contact avec le monde extérieur.

Une fois toutes les formalités terminées, à la satisfaction des autorités, chacun et chacune d’entre nous allèrent vers leurs nouvelles destinations. Algérie, Angleterre, Amérique. Beaucoup, cependant, restèrent au Maroc, et de la caserne du R.I.C.M. on nous dirigea vers un nouveau centre d’accueil, une école au cœur de Casablanca, l’école de la Foncière. Nous étions libres de nos mouvements, et enfin libres de faire la connaissance de Casablanca.

Pour nous, c’était une découverte, cette implantation de l’architecture moderne européenne dans ce milieu islamiste, la Place de France, le boulevard du 4e Zouave, la belle zone administrative, les palmiers, le ciel bleu… Là encore, dans cette école, le tri se fit. Mon père fut requis civil, affecté à l’entretien de la base aérienne, ma sœur inscrite au lycée, et ma mère employée par ce qui était déjà « Les évadés de France ». Mes parents et ma sœur furent logés dans un hôtel de la rue Guynemer. Quant à moi, en attendant la colonie Leclerc, je fus logé à l’hôpital (je crois qu’il s’appelait Hôpital Colombani), à l’internat, vide de ses internes, mobilisés.

Casablanca était un grouillement humain incessant. Bien sûr, les Américains étaient partout, jeunes, bien portants, mais enclins à la consommation d’alcool. L’armée française, très pétainiste (giraudiste) était en train de s’équiper de matériel américain. Partout il y avait des entrepôts énormes de tout ce que les États-Unis produisaient et la circulation était impossible entre les bus marocains, les GMC des GI et les voitures attelées des Marocains.

Mais la population de Casablanca était essentiellement européenne. Fonctionnaires, commerçants, militaires en retraite, presque tous étaient issus de la Métropole. Il y avait, à mes yeux, la ou les ségrégations, par classes, ethnies, et origines. Le mellah, la médina, le Maarif, Anfa, El Hank autant de monde différent, qui tout en vivant ensemble vivaient séparément. J’aimais la rue, avec tout ce grouillement d’humanité, les vendeurs de brochettes, les marchands d’eau, les barbiers installés dans la rue, qui rasaient, coupait les cheveux et saignaient leurs clients.

À l’hôpital, je m’étais fait des amis, mais pour peu de temps puisque la colonie Leclerc était enfin arrivée, et je recevais mon affectation pour la rejoindre à El Hank. Là on m’affubla d’un uniforme anglais du désert, ma nouvelle identité était chasseur de 2e classe, compagnie hors rang (CHR), 501 régiment de chars de combat.

Peu de jours après, nous nous mîmes en route pour Rabat. C’était fin août, début septembre 1943, et je voyais, enfin, un peu du Maroc. La route entre Casablanca et Rabat était fort belle, et longeait la voie ferrée. Très rapidement nous étions dans le « bled » qui était un mot nouveau pour moi. L’arrivée à Rabat fut une révélation. Sa beauté, sa majesté me firent comprendre combien j’étais dans un monde différent, mais qui semblait envoûtant. Notre destination finale était la Forêt de Témara, très exactement au kilomètre 14 de la route de ce qui s’appelait Camp- Marchand. On nous fit débarquer dans une forêt de Chêne-Liège, dans une clairière.

Les premières nuits, nous dormîmes à même le sol, dans une clairière, où pour rejoindre la route, il fallait emprunter en chemin sablonneux. La seule habitation était celle d’un garde forestier qui vivait là avec sa famille. C’était un ancien du maréchal Lyautey, avec l’uniforme vert des gardes forestiers de la métropole. Une pompe à main était le seul point d’eau, pour ce qui allait devenir en peu de temps une bourgade. Dans cette clairière, il y avait aussi une ou deux familles de paysans marocains pauvres en haillons, vivant dans quelques gourbis et affectés au travail dans la forêt de Chêne-Liège, sous la surveillance du garde forestier, que nous ne tardions pas à surnommer « Pétain » en raison de ses opinions. Dans un deuxième temps, on nous distribua des tentes, surplus de la campagne du désert. Nous n’étions qu’un embryon de régiment, sans matériel (sinon quelques vieux camions anglais), sans facilités sanitaires, et une nourriture immangeable. Le changement pour devenir la 2e D.B. se fit lentement, au fur et à mesure de l’arrivée du nouvel équipement américain. Les chars et les véhicules automobiles arrivaient en caisses que nous récupérions pour construire des espèces de bidonville. C’était les « guitounes ». Elles logeaient 2 soldats, et chacune avait son « architecture » à elle. Nous avions aussi des aires communes, avec tables et bancs, mais sanitaires existants, et nourriture infecte. Mais avec le temps, on s‘adapte. Et puis, tous les matins, des Marocains entre-temps arrivaient au camp, avec une carriole tirée par un maigre cheval, pour nous vendre des « casse-croûte », des oranges, etc. Une ou deux fois par semaine, nous avions quartier libre, pour Rabat. C’était toujours un enchantement. Rabat, aussi grouillant de soldats, mais peu d’Américains. Il y avait une base de la Royal Air Force, des Tchèques, et surtout les Giraudistes. Avec un camarade de régiment, nous avions découvert la Kasbah des Oudayas. Nous étions toujours les seuls soldats à visiter cet endroit merveilleux, en buvant le thé à la menthe, et nous régalant des pâtisseries marocaines. Toujours dans notre bidonville, notre régiment, et la division se développaient. Assez rapidement, presque tout le matériel était arrivé, chars, half-track, GMC, Jeep.

Jacques Godel et David Bensoussan, Souvenirs de la Seconde Guerre mondiale Brit no 32 redacteur Asher Knafo

Jacques Godel et David Bensoussan, Souvenirs de la Seconde Guerre mondiale

Sans mon permis de conduire, et sans savoir conduire, on m’affecta « chauffeur de Jeep ». J’étais un peu un taxi. Ma seule obligation était de faire le plein, tenir le véhicule propre et d’être en tenue de sortie. Ensuite j’attendais qu’un officier commande mon véhicule pour le conduire, le plus souvent à Rabat. Mais après les vaccinations d’usage (D.P.T.), le manque d’hygiène, même à l’infirmerie, fit que je contractais une hépatite assez grave. Pas de traitement. Repos et régime « lacté ». Mais comme ma famille était à Casablanca, je pus les rejoindre avec une permission de convalescence. Entre temps, la situation se tendait sérieusement au Maroc. En décembre 1943, début 1944, des émeutes éclatèrent simultanément dans la plupart des grandes villes du Maroc. À Rabat, les troubles furent particulièrement importants, avec une menace directe sur la population juive de Salé. C’est pourquoi des chars de la 2e D.B. furent déployés autour de la Médina et au pont entre Rabat et Salé. Dans notre ville de guitounes, nous étions un peu à l’écart de tout. Nos conditions de vie étaient primitives. Peu ou pas de journaux, pas de radios, mais nous n’étions sans savoir ce qui se passait dans cette Afrique du Nord, qui se transformait tous les jours.

Vichy et le Giraudisme, sous la pression des Alliés, et des résistants, évadés de France, qui avaient occupé des situations importantes sous la IIIe République, se ralliait peu à peu à de Gaulle et son gouvernement provisoire. L’armée, la marine, adoptait (peut-être à contrecœur) la Croix de Lorraine. Le décret Crémieux était rétabli. Les prisonniers des camps de Vichy au Maghreb enfin libérés et c’est ainsi que je fis connaissance de Aaron Sfartz, dentiste roumain, cousin éloigné de ma mère, cité page 185 dans le livre de M. Jacob Oliel « Les camps de Vichy ». Après sa libération, il était affecté au Service dentaire, divisionnaire 2e D.B., mais non en sa qualité de dentiste (mais ceci est une autre histoire).

 

À mon retour de convalescence, ma place de chauffeur avait été prise par un autre ; et on m’affecta comme tireur d’un canon antichar. En avril 1944, la 2e D.B. reçut l’ordre de rejoindre l’Angleterre. Et nous ferions route vers Oran, d’où nous devions nous embarquer pour la Grande- Bretagne.

Le voyage de 4 jours en camion fut merveilleux pour moi. J’aimais beaucoup Rabat, malgré nos conditions de vie. Une fois les émeutes calmées, je retrouvais la beauté de la ville et de ses environs. Nous avions, malheureusement, peu de contact avec ses habitants et nous n’avions aucune vie juive à proprement parlé. Pourtant, nous étions assez nombreux à la 2e D.B. et au 501 RCC. Évadés de France, nos frères algériens, mobilisés. Mais aucun effort pour célébrer le culte. Ce n’est qu’après la guerre que j’ai appris l’existence du Rabia Zaoui qui était affecté à la 2e D.B.

Donc, c’est avec un certain regret que je laissais la ville derrière moi. Mais rapidement, la beauté du paysage marocain emplit mes yeux. Meknès et la merveilleuse Fez (j’ai retrouvé ces impressions plus tard en Andalousie), Taza, Oujola, puis Sidi Bel Abbés et enfin Oran. Que de contrastes entre le Maroc et l’Algérie !

À Oran, nous étions pour quelques jours dans un camp de préembarquement, géré par les Américains. Enfin des douches, de la bonne nourriture et les films d’Hollywood tous les soirs. Et puis un jour nous partîmes pour Mers El Kebir, et de là, l’Angleterre.

Je n’ai passé que dix mois en Afrique du Nord, amis à une période très importante pour l’histoire de la France et de ce qui étaient ses possessions. L’antagonisme de Gaulle, Giraud a déterminé le destin de la France de façon irréversible. J’ai vu de Gaulle pour la première fois en août 1943 à Casablanca, puis en avril 1944 avant notre départ, quand il est venu nous inspecter, car nous étions son ancien régiment reconstitué.

C'est donc mes sonvenirs, pour autant qu'ils reviennent à ma mémoire. Je ne suis jamais retourné au Maroc, peut-être à mon regret.

Avec mes amitiés

Jacques Godel

  1. Je vous joins une copie de la carte d'identité délivrée à Casablanca le

22juillet 1943. Comme vous pouvez le constater, nous étions considérés comme « réfugiés ». Sans commentaires !

Par ailleurs, voici les titres de deux livres ; l'un sur les évadés de France « Aux frontières de la liberté », Robert Belot, publié chez Fayard en 1998 ISBN 2-213-59175X 35-11-9175-017 ; l'autre, « L'Afrique du Nord dans la guerre 1939-1945 », Chris,me Levisse-Touzé, publié chez Albin- Michel en 1998, ISBN 2-226-10069-5.

Montréal, octobre 2010 Cher Monsieur Godel,

Votre témoignage représente pour moi un repère essentiel, autrement oblitéré par le temps. J'ai toujours été fasciné par le revirement des alliances du pétainisme ouvertement pro allemand au gaullisme proaméncain, qui, j'en suis persuadé, encouragea les nationalistes marocains à s'exprimer plus ouvertement encore. Je suis curieux de savoir comment la garnison vit-elle l'agitation nationaliste au Maroc car certains de ses leaders furent internés en janvier 1944.

Je suis impatient de vous lire,

David Bensoussan

Bethesda, Maryland, le 12 novembre 2010

Cher Monsieur Bensoussan,

Voici le récit des événements survenus le 28 janvier 1944, à Rabat, dont j’ai le témoin.

Ce jour-là, j’étais chargé de conduire, en Jeep, un officier de mon régiment le 501 RCC. Il devait se rendre à l’infirmerie divisionnaire, à Rabat, occupant les locaux du Conservatoire de musique.

Arrivé à destination en début d’après-midi, cet officier me dit d’aller au cinéma et de le reprendre dans deux ou trois heures. Après l’avoir quitté, je conduisais vers le centre-ville lorsque non loin de l’hôtel Balima, je fus arrêté par une foule qui s’enfuyait éperdument, totalement prise de panique. Les commerçants de l’avenue baissaient leurs rideaux de fer. Derrière cette foule, de très nombreuses personnes, en djellabas, couraient à toutes jambes, tout en projetant en hauteur d’énormes pierres qui semblaient retomber au sol avec une certaine précision. Sentant le danger se rapprocher de moi, je fis demi-tour en Jeep pour aller me réfugier à l’infirmerie divisionnaire.

Là, le calme était tout relatif, et je me souviens clairement d’un colonel de gendarmerie, armé et casqué, mais rendu inconscient par une horrible blessure au visage, fracassée et ensanglantée. Vers 4 ou 5 heures de l’après-midi, l’officier revint et je le mis au courant de ce que j’avais vu. Un peu moqueur, il me dit « En Afrique du Nord, vous vous habituez aux émeutes ». De retour au cantonnement, dans la Forêt des Zaers-Temara, il y avait une énorme agitation. La 4e compagnie était sur le point de quitter la forêt, pour se diriger sur Rabat. Nous apprîmes que nous étions consignés et en état d’alerte. De toute évidence, l’événement auquel j’avais assisté n’était pas un cas isolé. L’étendue de la révolte était sans doute considérable, puisque les autorités venaient de faire appel à des blindés pour aider à retrouver l’ordre. Consignés, nous étions peu informés sur ce qui se passait à Rabat. Au camp, la vie continuait au ralenti.

Après quelques jours, la colonne de blindés retourna au cantonnement et nous pûmes interroger nos camarades. Voici la synthèse des récits de nos compagnons. Bien sûr, ce sont des informations de seconde main, mais je crois qu’ils nous firent part de ce qu’ils avaient fait et vu. La révolte était générale, elle s’étendait à toutes les médinas, c’est-à-dire Rabat et Salé. La police, d’autres troupes, les gendarmes s’efforçaient de rétablir l’ordre. La 4e compagnie de chars était déployée pour protéger et isoler les points chauds de la ville, c’est-à-dire autour de la Médina, bloquant le pont Rabat-Salé, et protégeant le Mellah, où la population se sentait menacée. Les chars étaient attaqués par des jets de pierre, et même, paraît-il, au cocktail Molotov.

D’après les renseignements fournis par ces soldats de la 4e compagnie, l’intervention des tirailleurs sénégalais mit fin aux émeutes. Mes compagnons qui protégèrent le Mellah (je ne sais combien de chars, peut- être une section, c’est-à-dire cinq) me dirent combien les habitants israélites fraternisèrent avec eux, comme reconnaissants de la protection offerte. Quant à l’usage des armes par la colonne blindée, je n’ai aucun renseignement. Nous restâmes consignés environ une autre semaine, puis tout reprit son cours normal.

La cause de ces événements est bien connue. Le 11 janvier 1944. L’Istiqlal promulgue la « Déclaration d’indépendance ». Le 28 janvier 1944, les autorités françaises arrêtent M. Balafrej ainsi que de nombreuses autres personnalités marocaines. De là des troubles importants à Rabat-Salé et dans d’autres villes du Maroc, dont Fès.

Au cours de notre dernière conversation téléphonique, je vous avais mentionné un sous-officier de mon régiment, le sergent Verrons, qui me fit part de renseignements sur ces événements. J’ai de fortes raisons de penser qu’il était attaché de renseignement. En effet, il fut le premier à nous informer, moi-même et deux autres camarades, sur le fait que les révoltes avaient éclatées simultanément à Rabat-Salé, Casablanca, Fès et d’autres villes. Mais surtout, il nous fit part du parachutage et de l’arrestation de trois Français membres d’organisation vichystes, dont, d’après Verrons, le fils d’un très haut gradé français dont il ne pouvait dévoiler le nom. Ils étaient impliqués dans les émeutes. Retrouvés et jugés, ils auraient été passés par les armes.

Je ne fais que vous rapporter des conversations vieilles de décennies, dont je garde toujours un souvenir très vif. C’était la grande aventure de ma vie.

Je vous joins copie des pages 347-357 et 420 du livre de Christine Levisse-Touzé «L’Afrique du Nord dans la guerre 1939-1945 ». Ce qui me paraît intéressant c’est la note 15, page 420 ainsi que tous les autres textes.

J’espère que le récit de ces vieux souvenirs vous sera utile pour votre article.

Je reste à votre disposition si vous avez besoin de renseignements complémentaires.

Avec l’expression de toutes mes amitiés, et peut-être à bientôt.

Sincèrement Jacques Godel

Jacques Godel et David Bensoussan, Souvenirs de la Seconde Guerre mondiale

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