Jacques Godel et David Bensoussan, Souvenirs de la Seconde Guerre mondiale Brit no 32 redacteur Asher Knafo

Jacques Godel et David Bensoussan, Souvenirs de la Seconde Guerre mondiale

Sans mon permis de conduire, et sans savoir conduire, on m’affecta « chauffeur de Jeep ». J’étais un peu un taxi. Ma seule obligation était de faire le plein, tenir le véhicule propre et d’être en tenue de sortie. Ensuite j’attendais qu’un officier commande mon véhicule pour le conduire, le plus souvent à Rabat. Mais après les vaccinations d’usage (D.P.T.), le manque d’hygiène, même à l’infirmerie, fit que je contractais une hépatite assez grave. Pas de traitement. Repos et régime « lacté ». Mais comme ma famille était à Casablanca, je pus les rejoindre avec une permission de convalescence. Entre temps, la situation se tendait sérieusement au Maroc. En décembre 1943, début 1944, des émeutes éclatèrent simultanément dans la plupart des grandes villes du Maroc. À Rabat, les troubles furent particulièrement importants, avec une menace directe sur la population juive de Salé. C’est pourquoi des chars de la 2e D.B. furent déployés autour de la Médina et au pont entre Rabat et Salé. Dans notre ville de guitounes, nous étions un peu à l’écart de tout. Nos conditions de vie étaient primitives. Peu ou pas de journaux, pas de radios, mais nous n’étions sans savoir ce qui se passait dans cette Afrique du Nord, qui se transformait tous les jours.

Vichy et le Giraudisme, sous la pression des Alliés, et des résistants, évadés de France, qui avaient occupé des situations importantes sous la IIIe République, se ralliait peu à peu à de Gaulle et son gouvernement provisoire. L’armée, la marine, adoptait (peut-être à contrecœur) la Croix de Lorraine. Le décret Crémieux était rétabli. Les prisonniers des camps de Vichy au Maghreb enfin libérés et c’est ainsi que je fis connaissance de Aaron Sfartz, dentiste roumain, cousin éloigné de ma mère, cité page 185 dans le livre de M. Jacob Oliel « Les camps de Vichy ». Après sa libération, il était affecté au Service dentaire, divisionnaire 2e D.B., mais non en sa qualité de dentiste (mais ceci est une autre histoire).

 

À mon retour de convalescence, ma place de chauffeur avait été prise par un autre ; et on m’affecta comme tireur d’un canon antichar. En avril 1944, la 2e D.B. reçut l’ordre de rejoindre l’Angleterre. Et nous ferions route vers Oran, d’où nous devions nous embarquer pour la Grande- Bretagne.

Le voyage de 4 jours en camion fut merveilleux pour moi. J’aimais beaucoup Rabat, malgré nos conditions de vie. Une fois les émeutes calmées, je retrouvais la beauté de la ville et de ses environs. Nous avions, malheureusement, peu de contact avec ses habitants et nous n’avions aucune vie juive à proprement parlé. Pourtant, nous étions assez nombreux à la 2e D.B. et au 501 RCC. Évadés de France, nos frères algériens, mobilisés. Mais aucun effort pour célébrer le culte. Ce n’est qu’après la guerre que j’ai appris l’existence du Rabia Zaoui qui était affecté à la 2e D.B.

Donc, c’est avec un certain regret que je laissais la ville derrière moi. Mais rapidement, la beauté du paysage marocain emplit mes yeux. Meknès et la merveilleuse Fez (j’ai retrouvé ces impressions plus tard en Andalousie), Taza, Oujola, puis Sidi Bel Abbés et enfin Oran. Que de contrastes entre le Maroc et l’Algérie !

À Oran, nous étions pour quelques jours dans un camp de préembarquement, géré par les Américains. Enfin des douches, de la bonne nourriture et les films d’Hollywood tous les soirs. Et puis un jour nous partîmes pour Mers El Kebir, et de là, l’Angleterre.

Je n’ai passé que dix mois en Afrique du Nord, amis à une période très importante pour l’histoire de la France et de ce qui étaient ses possessions. L’antagonisme de Gaulle, Giraud a déterminé le destin de la France de façon irréversible. J’ai vu de Gaulle pour la première fois en août 1943 à Casablanca, puis en avril 1944 avant notre départ, quand il est venu nous inspecter, car nous étions son ancien régiment reconstitué.

C'est donc mes sonvenirs, pour autant qu'ils reviennent à ma mémoire. Je ne suis jamais retourné au Maroc, peut-être à mon regret.

Avec mes amitiés

Jacques Godel

  1. Je vous joins une copie de la carte d'identité délivrée à Casablanca le

22juillet 1943. Comme vous pouvez le constater, nous étions considérés comme « réfugiés ». Sans commentaires !

Par ailleurs, voici les titres de deux livres ; l'un sur les évadés de France « Aux frontières de la liberté », Robert Belot, publié chez Fayard en 1998 ISBN 2-213-59175X 35-11-9175-017 ; l'autre, « L'Afrique du Nord dans la guerre 1939-1945 », Chris,me Levisse-Touzé, publié chez Albin- Michel en 1998, ISBN 2-226-10069-5.

Montréal, octobre 2010 Cher Monsieur Godel,

Votre témoignage représente pour moi un repère essentiel, autrement oblitéré par le temps. J'ai toujours été fasciné par le revirement des alliances du pétainisme ouvertement pro allemand au gaullisme proaméncain, qui, j'en suis persuadé, encouragea les nationalistes marocains à s'exprimer plus ouvertement encore. Je suis curieux de savoir comment la garnison vit-elle l'agitation nationaliste au Maroc car certains de ses leaders furent internés en janvier 1944.

Je suis impatient de vous lire,

David Bensoussan

Bethesda, Maryland, le 12 novembre 2010

Cher Monsieur Bensoussan,

Voici le récit des événements survenus le 28 janvier 1944, à Rabat, dont j’ai le témoin.

Ce jour-là, j’étais chargé de conduire, en Jeep, un officier de mon régiment le 501 RCC. Il devait se rendre à l’infirmerie divisionnaire, à Rabat, occupant les locaux du Conservatoire de musique.

Arrivé à destination en début d’après-midi, cet officier me dit d’aller au cinéma et de le reprendre dans deux ou trois heures. Après l’avoir quitté, je conduisais vers le centre-ville lorsque non loin de l’hôtel Balima, je fus arrêté par une foule qui s’enfuyait éperdument, totalement prise de panique. Les commerçants de l’avenue baissaient leurs rideaux de fer. Derrière cette foule, de très nombreuses personnes, en djellabas, couraient à toutes jambes, tout en projetant en hauteur d’énormes pierres qui semblaient retomber au sol avec une certaine précision. Sentant le danger se rapprocher de moi, je fis demi-tour en Jeep pour aller me réfugier à l’infirmerie divisionnaire.

Là, le calme était tout relatif, et je me souviens clairement d’un colonel de gendarmerie, armé et casqué, mais rendu inconscient par une horrible blessure au visage, fracassée et ensanglantée. Vers 4 ou 5 heures de l’après-midi, l’officier revint et je le mis au courant de ce que j’avais vu. Un peu moqueur, il me dit « En Afrique du Nord, vous vous habituez aux émeutes ». De retour au cantonnement, dans la Forêt des Zaers-Temara, il y avait une énorme agitation. La 4e compagnie était sur le point de quitter la forêt, pour se diriger sur Rabat. Nous apprîmes que nous étions consignés et en état d’alerte. De toute évidence, l’événement auquel j’avais assisté n’était pas un cas isolé. L’étendue de la révolte était sans doute considérable, puisque les autorités venaient de faire appel à des blindés pour aider à retrouver l’ordre. Consignés, nous étions peu informés sur ce qui se passait à Rabat. Au camp, la vie continuait au ralenti.

Après quelques jours, la colonne de blindés retourna au cantonnement et nous pûmes interroger nos camarades. Voici la synthèse des récits de nos compagnons. Bien sûr, ce sont des informations de seconde main, mais je crois qu’ils nous firent part de ce qu’ils avaient fait et vu. La révolte était générale, elle s’étendait à toutes les médinas, c’est-à-dire Rabat et Salé. La police, d’autres troupes, les gendarmes s’efforçaient de rétablir l’ordre. La 4e compagnie de chars était déployée pour protéger et isoler les points chauds de la ville, c’est-à-dire autour de la Médina, bloquant le pont Rabat-Salé, et protégeant le Mellah, où la population se sentait menacée. Les chars étaient attaqués par des jets de pierre, et même, paraît-il, au cocktail Molotov.

D’après les renseignements fournis par ces soldats de la 4e compagnie, l’intervention des tirailleurs sénégalais mit fin aux émeutes. Mes compagnons qui protégèrent le Mellah (je ne sais combien de chars, peut- être une section, c’est-à-dire cinq) me dirent combien les habitants israélites fraternisèrent avec eux, comme reconnaissants de la protection offerte. Quant à l’usage des armes par la colonne blindée, je n’ai aucun renseignement. Nous restâmes consignés environ une autre semaine, puis tout reprit son cours normal.

La cause de ces événements est bien connue. Le 11 janvier 1944. L’Istiqlal promulgue la « Déclaration d’indépendance ». Le 28 janvier 1944, les autorités françaises arrêtent M. Balafrej ainsi que de nombreuses autres personnalités marocaines. De là des troubles importants à Rabat-Salé et dans d’autres villes du Maroc, dont Fès.

Au cours de notre dernière conversation téléphonique, je vous avais mentionné un sous-officier de mon régiment, le sergent Verrons, qui me fit part de renseignements sur ces événements. J’ai de fortes raisons de penser qu’il était attaché de renseignement. En effet, il fut le premier à nous informer, moi-même et deux autres camarades, sur le fait que les révoltes avaient éclatées simultanément à Rabat-Salé, Casablanca, Fès et d’autres villes. Mais surtout, il nous fit part du parachutage et de l’arrestation de trois Français membres d’organisation vichystes, dont, d’après Verrons, le fils d’un très haut gradé français dont il ne pouvait dévoiler le nom. Ils étaient impliqués dans les émeutes. Retrouvés et jugés, ils auraient été passés par les armes.

Je ne fais que vous rapporter des conversations vieilles de décennies, dont je garde toujours un souvenir très vif. C’était la grande aventure de ma vie.

Je vous joins copie des pages 347-357 et 420 du livre de Christine Levisse-Touzé «L’Afrique du Nord dans la guerre 1939-1945 ». Ce qui me paraît intéressant c’est la note 15, page 420 ainsi que tous les autres textes.

J’espère que le récit de ces vieux souvenirs vous sera utile pour votre article.

Je reste à votre disposition si vous avez besoin de renseignements complémentaires.

Avec l’expression de toutes mes amitiés, et peut-être à bientôt.

Sincèrement Jacques Godel

Jacques Godel et David Bensoussan, Souvenirs de la Seconde Guerre mondiale

Page 60

הירשם לבלוג באמצעות המייל

הזן את כתובת המייל שלך כדי להירשם לאתר ולקבל הודעות על פוסטים חדשים במייל.

הצטרפו ל 229 מנויים נוספים
פברואר 2023
א ב ג ד ה ו ש
 1234
567891011
12131415161718
19202122232425
262728  
רשימת הנושאים באתר