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Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel

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Le sort qui leur était fait au Maroc, où leur statut était particulièrement défavorable, avait poussé de nombreux Juifs marocains à fuir leur pays déjà, après le Décret Crémieux, pour aller vivre en Algérie

Il est, a priori donc, tout à fait logique qu'après 1903, les Juifs du Blad es Siba aient opté pour la sécurité et la France, quand l'opportunité s'est présentée à eux. D'après Michel Lesourd, les tout premiers se sont installés à Beni Ounif, dès le début des travaux de pro­longement de la ligne de chemin de fer d'Ain Séfra, en 1904, vers Beni Ounif, Ben Zireg, puis Colomb-Béchar

Youssef Dahan accompagnait les légionnaires, auxquels il vendait des boissons. Lorsqu'il parvint à Colomb-Béchar, il construisit deux baraques en bois pour poursuivre ses activités, sous la protection de l'armée française.

Youssef DAHAN sera suivi, assez rapidement des gens du Tafilalet ; ce seront les AMOUYAL, ABEHSSERA, BENCHETRIT, BENITAH, TORDJMAN… Ces premiers arrivés à Béchar trouvèrent sur place un très petit nombre de coreligionnaires vivant parmi les populations indigènes : avant 1903, le premier habitant juif attesté, de source officielle, aurait été, M. Youssef Aboukrat ; venu du Tafilalet, il vivait parmi les Musulmans de l'ancien Ksar de Tagda et s'adonnait à l'élevage de caprins et ovins ; accompagné d'une escor­te à cause de l'insécurité qui régnait alors dans la région, il allait vendre son bétail aux membres des tribus Doui Mne' et Ouled Djrir

A cette époque, des marchands et caravaniers juifs du Tafilalet – des artisans aussi, comme ce Khelifa bijoutier de Kenadza, rencontré à Figuig par Isabelle Eberhardt – parcouraient le secteur, en suivant les caravanes, de vil­lage en village pour vendre des épices, des tissus et des peaux. Parmi eux, le grand-père Assouline, MM. Abraham Amoyal, Iossef Benichou, et Israël Benitah qui, longtemps avant de se fixer à Colomb-Béchar et d'y faire souche, ont sillonné les pistes du sud. Vêtus comme les populations indigènes, ces Juifs qui avaient assimilé les cultures de leurs voisins (ils parlaient parfaitement les langues berbère et arabe), étaient à leur aise, autant que pouvait le permettre l'état d'insécurité dans lequel ils vivaient

Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel

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Certains hôtes illustres de la ville, ignorant ces événements, n'ont pas manqué de remar­quer le désordre du quartier juif :

«Colomb-Béchcir (…) est une ville de quelques ressources. Située au milieu d'un bled qui ne manque pas d'allure, la ville, par contre, en est totalement dépourvue. Petites maisons basses, sans aucun caractère, sans harmonie, sans symétrie. Les Juifs et les marchands oranais ont bâti à leur guise, et le résultat est affreux…»

Il est vrai que c'était avant la première extension et le tracé «au cordeau» par les unités du génie, de rues perpendiculaires, mais respectant pour l'essentiel l'architecture musul­mane, avec les enfilades d'arcades, les ornementations à base géométrique… Les observateurs européens avaient tendance à juger avec sévérité ces pauvres immigrés du Maroc, dont ils ne voyaient que les vêtements ridicules et l'attitude apeurée ; sans doute ignoraient-ils les conditions de vie antérieures de ces malheureux, maintenus depuis des siècles dans une situation d'abaissement. Le Juif tafilalien avait cet air de chien battu, parce que le réflexe d'homme libre ne s'acquiert pas du jour au lendemain, ce qui était manifeste dans tous les actes de la vie quotidienne.. Par exemple, ils avaient gardé l'habitude de s'adresser aux Musulmans en utilisant les termes de soumission SIDI (seigneur) et LALLA (madame).

Leur façon de s'exprimer était aussi l'objet de moqueries, même de la part d'autres Juifs, «évolués». De fait, leur langage, émaillé d'expressions et sonorités étranges, portait témoignage de leurs tribulations tout au long de l'histoire et de l'héritage de l'hébreu le plus ancien, de l'araméen, du ladino. II avait gardé aussi la trace de certains réflexes et comportements imposés : pour ne pas paraître arrogants, ils s'interdisaient, dans l'usage de l'arabe, les consonnes dites «nobles» (les emphatiques…).

Sans vouloir me livrer ici à une étude de linguistique approfondie, je donnerai quelques exemples de cette prononciation propre aux Juifs tafilaliens :

K-T

pleurer – ibkil- prononce – ibtil

D-T

drabni-prononce- trabni

J-Z

ma-nejjem- ma nezzem

CH-S

Ben ichou-Ben issou

Q-K

mqaddem-mkaddem

Un apport réel

«Malgré leur éloignement volontaire du berceau de leurs ancêtres, les Tafilaliens de Colomb, de peau remarquablement blanche, conservent jalousement leurs traditions et leurs mœurs, sans se laisser pénétrer par la population européenne ou musulmane du vil­lage. Ils se marient entre eux ; ils ont leurs écoles, leurs synagogues, leurs associations charitables. Ils vivent peu au-dehors ; la plupart des hommes exercent des professions qui les retiennent au logis…»

Généralement berbérophones, ils abandonnèrent l'usage de la langue berbère pour adop­ter définitivement l'arabe et constituèrent très rapidement le noyau influent de la nouvel­le communauté, s'imposant tout naturellement, non seulement du fait de leur importance numérique, mais aussi par leur dynamisme au plan économique : la présence parmi eux de jardiniers, de maçons et d'une majorité d'habiles artisans, allait leur permettre de se faire une place, sans difficulté, au moment où tout était à construire dans cette ville nou­vellement créée.

Pour se rendre compte assez précisément de l'apport de ces Juifs tafilaliens à la nouvel­le cité de Colomb-Béchar, et à sa région, il suffit de considérer la perte subie par le Tafilalet qu'ils venaient de quitter, et à laquelle le Professeur Larbi Mezzine, de l'Université de Kenitra, fait allusion en ces termes, à propos d'un document : «Cet acte établi le 27 Qa 'da 1298, soit le 12 août 1920, n 'est pas très ancien ; il date de l'époque où le trafic économique était détourné vers Colomb-Béchar, et [où] de nom­breux membres de la communauté juive du Tafilalet ont été tentés d'émigrer vers Colomb-Béchar, portant ainsi préjudice à l'économie du Tafilalet.» Le rôle joué par les Juifs tafilaliens, dès leur arrivée, ne doit pas être négligé : il faut se rap­peler que l'arrivée des Français dans cette région, ne fut pas des mieux accueillies par ; les populations indigènes,que les tribus indépendantes poursuivirent le harcèlement des troupes françaises installées entre Bou Dnib et Igli, leur infligeant de nombreuses pertes. M. Assouline a cité le cas d'un officier de Lyautey, qui aurait sollicité le concours des Juifs, pour lui fournir, en tant que familiers de cette zone, des renseignements permettant de mieux préparer les opérations de conquête militaire. Pour l'anecdote, je préciserai que, selon le grand-père Assouline, les Juifs auraient refusé de l'aider, malgré la proposition de leur offrir en échange la citoyenneté française : aux yeux de ces Israélites, fidèles au Sultan du Maroc, la France était Y envahisseur, donc Y ennemi, ce qui les conduisit à agir dans le sens du droit et à fournir en armes et munitions les tribus arabes qui s'opposaient à ses troupes…

(ironie du destin : les petits-enfants de ces mêmes caravaniers juifs trouveront refuge sur le territoire métropolitain, en 1962..!)

Les juifs de Colomb-Bechar-Jacob Ouliel

  1. colomb-becharAUTRES APPORTS

Aux deux grands groupes fondateurs de la communauté juive bécharienne, les Kenadziens et les Tafilaliens, se sont joints des Juifs venus d'autres régions du Maghreb, principalement d'Algérie : Oran, Saïda, Tlemcen, Mostaganem, mais aussi du Maroc : Figuig, Oujda…

Un fragile équilibre entre le souvenir de la dhimma (toutes ces régions d'origine, Touat, Tafilalet… faisaient partie du Maroc, et particulièrement du Blad es Siba de la dissiden­ce, où le sort des Juifs n'était guère enviable) et le réflexe de rejet ou de mépris de cer­tains Européens. Cette situation allait resserrer les liens et provoquer une sorte de repli sur eux-mêmes de ces Juifs Kenadziens ou Tafilaliens, d'où une extraordinaire solidarité. Bien évidemment, les membres des différentes composantes – séparés par des barrières multiples (culture, traditions et rites différents…) – finirent par se fondre dans un ensemble unique et quasi-autonome ; l'éloignement et l'endogamie allaient faire le reste et resser­rer les liens : dès lors, la communauté se forgea une âme et trouva un équilibre entre deux formes de bilinguisme, deux cultures : arabo-berbère avec youyous, musique judéo-andalouse et danse du ventre, chez les uns, tendances au modernisme francophone chez les autres.

Ainsi, la communauté s'organisa peu à peu, aux plans social, éducatif, religieux… elle pouvait assurer l'observance des règles alimentaires, ayant son propre élevage, ses bou­cheries cachères, ses épiceries…

La communauté juive bécharienne, outre les opérations essentielles, qui l'engageaient tout entière, avait ses affaires plus intimes, et aussi nobles, dans lesquelles intervenaient les femmes : la bécharienne, bien plus discrète que la légendaire mère juive, a joué un rôle, effacé sans doute, mais particulièrement important ; en premier lieu, il faut observer que, contrairement à ce qui peut être imaginable dans une société archaïque où subsis­taient des usages hérités des traditions islamiques comme la polygamie, où les familles étaient souvent nombreuses, comme nous le verrons, la femme est restée le personnage central de la famille.

Suite aux alliances successives entre Juifs de toutes origines, la communauté, gagnant en cohésion, accéléra son unification pour devenir une grande famille, – au figuré, comme au sens propre par le jeu des alliances -, dans laquelle la mère juive bécharienne, tout naturellement, fut amenée à jouer les intermédiaires modératrices en cas de difficulté entre les membres de sa famille d'origine et sa famille d'adoption.

 Elle a assuré le maintien et la transmission des coutumes ; à l'occasion des fêtes, elle a veillé à conserver la solennité et la valeur symbolique des éléments qui devaient impré­gner ses enfants, complétant l'enseignement religieux dispensé par le père ou le rabbin. Dépositaire de la tradition, elle est à la base de l'éducation des enfants qui lui sont parti­culièrement attachés, et aux yeux desquels elle demeure un exemple. Il faut ici remarquer la valeur morale et intellectuelle d'une telle éducation (fondée sur les enseignements de la Thora ), qui avait pour résultat immédiat de préserver les jeunes de tous les fléaux sociaux : non seulement la violence, la délinquance, l'ivrognerie étaient ignorées, mais la drogue, le suicide… étaient inconnus ;je ne me rappelle pas avoir enten­du parler d'un Juif bécharien assassin, violeur ou seulement mis en prison… Par ailleurs, le divorce était si rare dans notre communauté, qu'un Juif bécharien fut mis en quarantaine, dit-on, parce qu'il s'était séparé de sa femme.

N.B. Les rares différends d'ordre privé (divorces ou conflits de voisinage…) étaient réglés à l'amiable, en présence des notables de la communauté, sous la présidence du Grand Rabbin.

La mère juive bécharienne, qui avait une nombreuse famille (6 à 9 enfants, fréquemment), veillait à faire des jours de joie des fêtes et shabbats ; pour cela, elle préparait les plats les plus succulents, les meilleures pâtisseries…

Pour le Shabbat, l'extraordinaire pain au cumin, à l'anis, au sésame… si parfumé, se pré­parait la veille, tout comme les plats (tafina…) que les enfants portaient au four commu­nautaire afin qu'ils mijotent vingt-quatre heures durant sur des galets chauffés à blanc. A Pessah (la Pâque), nous le verrons, les familles confectionnaient elles-mêmes des matsot (galettes) autrement plus croustillantes que la production industrielle. Autant de raisons qui ont fait la réputation de la cuisine juive bécharienne, devenue légen­daire…

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