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Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010- Le bombardement de 1844
Et à Paris, on jubila
Quand, dans la liesse générale on apprit à Paris le bombardement de Mogador par le Prince de Joinville en 1844, la chanteuse populaire Célestine changea son nom en celui de Célestine Mogador. Une rue fut nommée Mogador et le cabaret Mabille où Célestine se produisait fut baptisé Théâtre de Mogador. Il fut acheté pour elle par son amant et capitaine de la frégate La belle Poule qui n'était nul autre que le Prince de Joinville.
Une des onze strophes d'un poème signé Méry et dédié aux marins de Mogador est révélatrice d'un certain état d'esprit : « Quand un barbare, assis, là-bas sur le rivage / Où le Croissant tenait la Croix en esclavage, /…/ Sur leurs forts abattus vous élevez la cendre / Et puis, quand le moment est venu de descendre, / Agiles fantassins, vous tombez en riant / Sur la terre d'Afrique où depuis mille armées, / Nos phalanges du nord, vos illustres aînées, / Meurent pour fonder l'Orient.» Il se trouva bien des bardes qui firent l'apothéose du prince de Joinville, tout comme Par Bonnebeault, ancien sous-officier de l'armée d'Afrique qui composa en 1845 un poème en l'honneur du prince : « Et ma voix, jeune prince, aurait mêlé ton nom /À celui révéré du grand Napoléon/…Un regret s'échappe aux lèvres de César / Que n'avais-je, dit-il, Joinville à Trafalgar ! » A Mogador, une chanson populaire déplora la débâcle qui suivit la mort du chef artificier : « Les frégates couvraient la mer / La poudre s'abattit sur la ville/ Ce fut un jour terrible/… Le destin nous a frappés à l'instant où /Omar El Eulj se baissa et où sa tête vola.»
Ce bombardement survint la veille de la bataille d'Isly qui opposa l'armée française à l'armée marocaine
L'Algérien Abdelkader menait la guerre aux Français depuis dix ans. Après la prise d'Alger, la ville de Tlemcen avait demandé à être rattachée à l'Empire chérifien, mais le sultan Abderrahmane s'y était refusé car son pays ne devrait pas se substituer à un autre pays musulman. Soutenant que les Ottomans n'étaient pas prêts à revenir, la ville de Tlemcen réitéra sa demande. Le sultan y dépêcha un Khalifa. Il soutint en armes, en vivres et en munitions les troupes d'Abdelkader. Mais, celui-ci commença à se conduire de plus en plus comme un émir indépendant. Cela le rendit suspect aux yeux du sultan, d'autant plus qu'Abdelkader prétendait appartenir à l'ancienne dynastie marocaine des Idrissides et qu'il jouissait d'appuis considérables dans le Rif. Suite à un revers, Abdelkader se retira au Sud d'Oujda, sur la frontière du Maroc. Les troupes françaises occupèrent Lalla Maghnia à une dizaine de kilomètres au Sud d'Oujda et firent une incursion à Oujda. Le général Bugeaud, Gouverneur de l'Algérie, dépêcha le général Bedeau pour parlementer avec le général marocain Al-Guennaoui. Ils ne purent s'entendre sur la délimitation de la frontière et des combats s'ensuivirent. L'armée marocaine supérieure en nombre fut repoussée par deux fois, notamment du fait du manque de coordination de ses troupes. Les Marocains exigeaient l'évacuation de l'avant-poste de Lalla-Maghnia et cette impasse fut considérée comme casus belli par les parties. Ignorant le compromis négocié par le représentant britannique, le Prince de Joinville bombarda Tanger le 6 août avant de mettre le cap sur Mogador, bombardée une semaine plus tard…
Le fils du sultan leva une troupe très nombreuse. Les armées s'affrontèrent au bord de la rivière d'Isly dans le Nord-est marocain. L'armée marocaine enveloppa le losange compact formé par les troupes françaises, tentant des attaques massives sur ses flancs. Encore une fois, la fusillade et la mitraille françaises eurent raisons des multitudes audacieuses, mais désordonnées. L'armée marocaine s'enfuit en abandonnant son camp, laissant près de 1000 morts sur le champ de bataille. Les pertes françaises furent au nombre de plusieurs dizaines.
Comment expliquer la débâcle?
Confiants dans leur nombre, les Marocains comptaient faire une seconde bataille des Trois Rois, celle qui eut raison des troupes portugaises et de leur roi Don Sébastien en 1578 et qui écarta définitivement le Portugal de cette région du monde. C'est qu'alors, le fondateur de la dynastie saadienne Abd El-Malek formé à l'école militaire ottomane, s'était montré fin stratège et avait su composer avec brio les avantages des bataillons des Andalous originaires d'Espagne, des renégats, des fantassins de la cavalerie et de l'artillerie contre l'armée portugaise spécialisée dans les opérations de siège et d'opérations côtières. La situation était fort différente : le général Bugeaud était un militaire intrépide, expérimenté par les guerres napoléoniennes. Il avait tenu bon durant les attaques marocaines et avait su optimiser sa puissance de feu. Suite à la bataille, il reçut le titre de duc d'Isly. Des stances – non signées – louèrent son talent militaire : « Honneur, Ô Bonaparte, honneur à ta mémoire ! Les Français, tu le vois, ne sont pas oublieux. Instruit à ton école, Bugeaud, avec orgueil, du maître son idole, a conservé les lois.»
Le 10 septembre, un traité de paix entre la France et le Maroc fut signé à Tanger. Il y était stipulé que les troupes marocaines devaient être réduites dans la région bordant l'Algérie et qu'elles ne devaient en aucun cas porter soutien au rebelle algérien Abdelkader. Un traité de délimitation de la frontière séparant le Maroc de l'Algérie fut ratifié le 18 mars 1845. Le 4 juillet de la même année, la ville de Mogador en liesse accueillit les 123 défenseurs faits prisonniers en août 1844, revenus de leur captivité en Algérie.
Cela ramena-t-il la paix?
En France, les opérations militaires furent présentées comme des opérations ayant ramené la paix. Ainsi, G. S.J Bertrand composa une ode révélatrice en l'honneur des militaires glorieux : « Ô Trinité noble et chérie / Isly, Mogador et Tanger /Vos noms seront dans la patrie / Comme une Arche sainte au foyer / …/ Et des bords de l'Isly jusqu'aux bords de la Seine / le canon retentit… Il a signé la paix ! » De fait, ces opérations dissuadèrent le sultan de porter un secours significatif aux Algériens qui combattaient la France.
Le Danemark et la Suède cessèrent de payer le tribut annuel qui leur permettait de commercer avec le Maroc. De son côté, l'Espagne se saisit des îles Zaffarines sur le littoral Nord du Maroc. Il y eut d'autres incidents qui pourraient être attribués à la faiblesse apparente de la France suite à la révolution de 1848 et qui suscitèrent des protestations de la part de ce pays. En 1849, un courrier du gouvernement français fut assassiné en prison. Un attaché de la mission française fut volé, sans que les coupables n'en soient châtiés. En 1851, lorsqu'un brick français échoué devant Salé fut pillé sous les yeux des autorités, la flotte française bombarda la ville. Lorsqu'un négociant français fut assassiné à Tanger par un chérif marocain, la France exigea l'exécution de ce chérif, ce sans quoi elle romprait ses relations avec le Maroc. Ce fut la première fois dans les annales qu'un crime commis par un Musulman sur un Chrétien était puni.
Le mécontentement de la population vis-à-vis du traité de Lalla Maghnia fut tel que le sultan Abdererahmane craignit un soulèvement et transféra ses biens au Tafilalet, région de laquelle la dynastie alaouite est originaire. Quant à l'émir algérien Abdelkader, il se rendit aux Français en 1847, fut détenu en France jusqu'en 1852 avant de partir vivre en exil à Damas. Il y vécut jusqu'à sa mort en 1883.
Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010- Le bombardement de 1844-page 147
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