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Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912-Deuxieme partie Témoignages oculaires-Paul B.Fenton-page 106

Le colonel Taupin rend compte que le bataillon Philipot et deux pelotons de cavalerie sont partis à notre secours à une heure et demie, et qu’il a envoyé deux compagnies du bataillon Fellert, deux pelotons et une section d’artillerie à Dhar Mahrez –  Colline située à proximité de Dar Dbibagh au Sud de Fès, sur laquelle il y avait d'ailleurs un cimetière juif –  pour couvrir leur flanc droit. Il ne lui reste à Dar Dbibagh, pour garder le camp, les approvisionnements, les munitions, les vivres, les bêtes de transport, que deux compagnies, une section de génie, une section d’artillerie et une section de mitrailleuses.

Cependant aucun assaut sérieux n’est tenté contre notre quartier. Les émeutiers, incapables de résister à leurs instincts de rapine s’attardent au pillage des établissements européens et surtout du mellah qui subit un pogrom en règle avec toutes ses atrocités. Dix mille juifs affolés de terreur se précipitent vers le dar el-makhzen qui leur ouvre ses portes.

Cependant, autour de nous, la fusillade et les glapissements des femmes redoublent d’intensité, et les secours de Dar Dbibagh se font attendre. Enfin,

 la voix du canon se mêle au crépitement de la fusillade. La section d’artillerie du commandant Fellert, installée sur les hauteurs de Dhar Mahrez se met à bombarder les quartiers occupés par les émeutiers et, vers cinq heures, trois compagnies du bataillon Philipot, fortes de 370 hommes, pénètrent en ville et dans notre quartier par Bab el-Hadid – «Porte de fer», située au Sud-ouest sur la rive des Kairouanais. Cf. Le Tourneau, Fès, p. 123.

Parti de Dar Dbibagh depuis plus de trois heures, le bataillon était arrivé sans encombre jusqu’à la muraille de l’Aguedal, mais de là, assailli par derrière et sur sa droite par les tabors de cavalerie révoltés et les cavaliers des tribus, fusillés de gauche par les émeutiers installés sur les remparts du mellah, il n’avait pu avancer que pied à pied, dans le lit de l’Oued El- Ahdem – Oued al-a'zâm «la rivière des os», située au Sud de Fès – et de l’Oued Ez-Zitoun – La rivière de l’olivier», située au Sud de Fès  , faisant face de tous les côtés et subissant de grosses pertes. Une compagnie et deux pelotons de cavalerie, laissés en arrière pour couvrir sa marche, en avaient été coupés et avaient fini par se replier sur Dar Dbibagh.

Il s’agit maintenant, non plus seulement de défendre notre quartier mais de porter secours aux Européens domiciliés en dehors qui peuvent encore être sauvés. Des reconnaissances partent en tous sens; elles ont à soutenir des combats de rues meurtriers mais réussissent à ramener plusieurs compatriotes vivants, dont trois correspondants de journaux assiégés depuis midi dans une maison des Talâa, et plusieurs cadavres horriblement mutilés. Les quatre télégraphistes, après s’être défendus héroïquement jusqu’au soir, ont fini par succomber. Un seul d’entre eux est ramené par une patrouille, vivant mais grièvement blessé et brûlé,

  • Le 18 avril

Dès le lever du jour les tirailleurs complètent et renforcent la ligne de défense autour du quartier protégé. Les patrouilles qui la franchissent sont fusillées du haut des terrasses et subissent des pertes sensibles. Elles ramènent encore une vingtaine de rescapés, tous ceux de l’Hôtel de France, et un certain nombre de corps dont quelques-uns décapités. La plupart de nos compatriotes ont été sauvés par des Fassis souvent au risque de leur propre vie. Quelques-uns ont été recueillis par le pacha de Fez Jdid et conduits au dar el-makhzen, puis, de là, pendant la nuit, à Dar Debibagh.

Nos barrages tiennent bon, mais tout autour la lutte continue. Un grand nombre de bédouins des tribus voisines et surtout du Lemta – Tribu berbère dont le territoire est situé au Sud de Fès – se sont joints aux émeutiers pour piller le mellah abandonné par ses habitants. Ils commencent maintenant à s’en prendre aux boutiques de leurs coreligionnaires. Les bourgeois de Fez, terrorisés, se sont barricadés dans leurs maisons.

Le capitaine Normand, qui tient toujours à Tamdert avec le tabor du génie resté fidèle, assailli de tous côtés, demande des renforts qu’il est impossible de lui envoyer.

Le 19 avril

Après une nuit relativement calme, vers six heures du matin, la fusillade recommence. Un combat violent se livre autour de Bab Fetouh. Le tabor Normand, qui a fait une sortie, réussit à opérer sa jonction avec les troupes envoyées au-devant de lui par le commandant Fellert et se retire avec elles au camp de Dhar Mahrez.

Le caïd Si Aïssa Ben Omar nous amène encore deux lieutenants et deux vétérinaires qui s’étaient réfugiés dans les égouts où ils ont passé trente-six heures aux prises avec les rats: ils ont l’air de sortir d’un cauchemar. On ramène également la veuve et la fillette d’un capitaine tué hier, au cours d’une sortie, sans savoir ce qu’elles étaient devenues.

Dans la soirée arrivent de Meknès un bataillon mixte et une compagnie montée de la légion étrangère avec une section de mitrailleuses et un peloton de spahis, sous les ordres du commandant Doudoux. Nous commençons à respirer plus à l’aise.

Depuis hier soir je suis privé de tabac, et le thé ne vaut rien comme succédané. Voyant mon ennui, mon domestique me demande un laisser- passer pour nos postes. Il revient au bout de deux heures avec une demi- douzaine de paquets provenant du pillage de l’entrepôt. Jamais je n’ai fumé de meilleur tabac.

Le 20 avril

Après soixante heures de tumulte, il y a aujourd’hui une sérieuse accalmie. La plupart des maisons ont hissé sur leurs terrasses de petits drapeaux blancs ou tricolores pour éviter d’être bombardées, et l’Oued Fez charrie des quantités d’objets provenant du pillage dont les gens se débarrassent de crainte de représailles. Les askris mutinés se sont en grande partie dispersés. Ceux qui restent et la populace qui fait cause commune avec eux tiennent encore quelques quartiers de Fez Jdid et le mellah. D’autres viennent faire leur soumission et sont utilisés pour la garde de certains points que la faiblesse de nos effectifs ne nous permet pas d’occuper.

Quelques chorfa, oulama et notables, en majeure partie amis personnels de notre consul, se sont réunis chez M, Régnault et s’emploient maintenant à rétablir le calme. Le pacha et son khalifa tentent d’établir un service d’ordre et d’organiser la défense des quartiers. Grâce aux troupes amenées par le commandant Doudoux, secondées par celles de Dhar Mahrez, on arrive à dégager les environs immédiats et à réoccuper les fortins au nord et au sud de la ville.

Le 21 avril

Ce matin, avec MM. Biamay et Castells, je suis allé au Palais et au mellah. La ville étant toujours interdite, nous n’avons pu y arriver qu’en escaladant les murs de Batha – Dâr Batha, résidence d’été du sultan – .  et en traversant les jardins de Bou Jeloud. A Bab Dkaken – Bâb Dakakin, “la porte des boutiques“, située au Nord de Fès-Jadîd –  nous avons demandé à des mokhaznis du Palais de nous conduire auprès du sultan. Nous avons trouvé Moulay Hafid dans un de ses magasins, affalé sur un amas de ballots, inquiet, le regard fuyant, renfermé dans un mutisme farouche.

Toute la population du mellah, une dizaine de mille âmes, est entassée dans les cours du dar el-makhzen où elle commence à mourir de faim malgré les distributions de pain que lui fait faire Moulay Hafid. Pour les mettre à l’abri de la pluie, on a logé les femmes et les enfants dans les cages inoccupées de la ménagerie où ils voisinent avec les singes et les fauves affamés. C’est un spectacle à la fois grotesque et pitoyable.

La grande rue du mellah n’est plus qu’un monceau de ruines, de meubles éventrés, d’ustensiles de ménage brisés parmi lesquels gisent des cadavres d’hommes, de femmes, d’enfants hideusement tuméfiés et mutilés entourés de bandes de rats. Le long des murs effondrés, quelques chiens, trop repus pour bouger, se contentent de nous montrer leurs crocs. Un rouleau de la Loi, déchiré et souillé, traîne dans une flaque noire de sang coagulé qui répand une odeur épouvantable.

Quelques juifs se sont enhardis à nous suivre et commencent à ramasser leurs morts. Au moment où nous débouchons sur le cimetière, nous sommes salués par un obus de 65 tiré du Dhar Mahrez, trop court heureusement; un mouchoir agité à bout de bras met fin à ce bombardement.

A notre retour en ville nous apprenons que le général Moinier vient d’arriver à marches forcées de Tiflet, amenant avec lui 9 compagnies, une batterie, une section de mitrailleuses et deux pelotons de cavalerie. Nous disposons maintenant de cinq bataillons et demi, deux batteries dont une de 75 et une de 65, trois sections de mitrailleuses, une section du génie et deux escadrons, sans compter les soldats chérifiens que les caïds reha [chefs de camp] restés fidèles rassemblent à la kasbah des Cherarda.

Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912-Deuxieme partie Témoignages oculaires-Paul B.Fenton-page 106

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