? Dans ce contexte, la situation des Juifs était-elle vivable
Il etait une fois le Maroc
Temoignage du passe judeo-marocain
David Bensoussan
Dans ce contexte, la situation des Juifs était-elle vivable ?
Albert Memmi a écrit dans son ouvrage Juifs et Arabes : « La fameuse vie idyllique des Juifs dans les pays arabes, c'est un mythe !… Les communautés juives vivaient dans les ténèbres de l'histoire, l'arbitraire et la peur, sous des monarques tout-puissants, dont les décisions ne couvaient ni être abolies, ni être discutées… Jamais, je dis bien jamais – à rart deux ou trois époques circonstancielles, comme la période andalouse et encore – les Juifs n'ont vécu en pays arabe autrement qu'en diminués, exposés et périodiquement assommés, massacrés, pour qu'ils îe souviennent bien de leur condition
Faisons appel à deux citations que Joseph Tolédano a placées côte à cote dans son ouvrage L'Esprit du Mellah : celle d'André Chouraqui qui affirme que « Les Juifs furent en définitive plus heureux en terre d'Islam qu'en Europe » et celle du rabbin Habib Tolédano (XVIIIe siècle) pour lequel « L'exil est partout pénible, mais au Maroc, sept fois plus.» La complexité des relations judéo-musulmanes au Maroc est décrite dans le chapitre intitulé Eux et nous de L'Esprit du Mellah. Revenons à André Zhouraqui : Dans La saga des Juifs d'Afrique du Nord, il clarifie sa pensée : « Le plus souvent, le Juif était considéré non pas comme un étranger ennemi, mais comme un protégé méprisé et qui devait racheter son mépris par des fonctions indispensables qu'il remplissait dans la Cité musulmane. Si bien que les humiliations de la condition de dhimmi, la gifle annuelle qui accompagne la remise au caïd de la jiziya, les injures habituelles, les coups récoltés au passage, les bousculades, toute honte bue sont admis comme des réalités courantes dont on souffre à peine.» Tout est là : l'humiliation de la part de l'autre et l'humiliation institutionnalisée furent peut-être des réalités courantes auxquelles on feignit de s'habituer… tant qu'il n'y eut pas d'autre choix
Y a-t-il eu une botte secrète à la survivance juive ?
Encore une fois, les historiens ne peuvent expliquer la survivance du peuple juif au travers des âges et des continents. La condition de bouc émissaire de service n'a pas réussi à éteindre la flamme qui l'anime et il a su trouver des réponses à l'essentialité, réponses qui l'ont aidé à transcender une réalité douloureuse. Des réponses ont été trouvées dans l'exégèse qui, avec la création artistique, ont su faire vibrer les fibres de l'âme et faire résonner l'être dans la plénitude et la sérénité. À ce titre, les soirées nocturnes liturgiques des baqashot ont constitué une des facettes diamantées de l'élévation spirituelle. Le Juif a maintenu une aura qui a fait maintenir le respect auprès des autres. En dépit de tout. Qu'importent les ténèbres de la nuit? Le Juif invoque les lendemains qui chantent en joignant le psalmiste (57-9) : « Réveille-toi, ô mon âme, Réveillez-vous, ô luth et harpe, Je veux réveiller l'aurore
Après la description des massacres qui se tinrent en 1790 du temps de Moulay Yazid, le poète David Hassine dont l'œuvre Tehila LeDavid a été étudiée et traduite par Ephraïm Hazan et André Elbaz, concluait ainsi son poème : « Nous avons vu les tourments qui précèdent l'ère messianique, mais le Messie ne s'est pas empressé de venir à nous. Nous l'avons entendu tous les jours, avec amour, avec passion. Souviens-toi Dieu ! N'oublie pas ton alliance ! Sauve, sauve Ton peuple !… Que le Saint d'Israël, notre soutien, nous envoie Son Messie sans délai ! Les justes verront et se réjouiront, et les pervers auront la bouche close.»
LES MELLAHS
De quand datent les Mellahs ?
En 1276, le sultan mérinide Yakoub Ben Youssouf intervint personnellement pour faire cesser le massacre des Juifs de Fès qui fut déclenché par la rumeur selon laquelle un Juif aurait agi de façon incorrecte envers une Musulmane. Ce fut en 1438 que les Juifs furent transférés dans un quartier spécial près du palais royal, suite à des émeutes imputables à la rumeur selon laquelle les Juifs auraient versé du vin dans les lampes d'une mosquée. D'autres Mellahs furent construits à Marrakech en 1557 et à Meknès en 1682. Aux premiers symptômes de troubles ou d'instabilité politique, les Juifs se hâtaient de regagner le mellah et de s'y barricader.
Les Mellahs protégeaient donc la population juive en cas de debordements de la populace…
Ce fut le cas au tout début. Par la suite, les Mellahs furent créés pour assurer la ségrégation des Juifs plutôt que leur protection. Ainsi, Moulay romane obligea les Juifs des ports à vivre dans un quartier spécial. Les Juifs avaient des contacts commerciaux avec les Européens. Or, le souverain redoutait que de tels contacts avec des Infidèles ne finissent par influencer des Musulmans et par les éloigner de leur religion. Entre 1805 et 1808, des Mellahs furent créés à Mogador, à Tétouan, à Rabat et à Salé. Lorsque le Mellah de Mogador fut construit une quinzaine d'années plus tard, l'accès à partir du quartier musulman de la Médina se faisant par le biais d'une rue en Vé de façon à ce qu'en cas de razzia, les . ooquants ne puissent y pénétrer qu'un ou deux à la fois