takanots


Moché Amar L’adaptation du droit hébraïque à la réalité quotidienne

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Moché Amar

L’adaptation du droit hébraïque

à la réalité quotidienne

La majeure partie des Takanot – ordonnances rabbiniques – éditées au Maroc est consacrée au droit personnel, droit commercial et droit social.

Cette littérature juridique permet de mieux connaître la vie de la société

juive, ses préoccupations quotidiennes face aux réalités de l’existence.

Les Takanot -ordonnances rabbi­niques- sont un des moyens pour la Halakha – réputée intangible – de trouver des solutions aux problèmes nouveaux. Tout au long des siècles les rabbins en écrivirent un grand nombre: ceci est le témoignage de la vitalité de la vie communautaire et de sa capacité de développement et d’adaptation. Provenant de la Diaspora marocaine nous disposons de plusieurs recueils de Takanot, édictés dans les différentes villes. Le plus célèbre est celui des Takanot de Fès connu comme le livre des Takanot des Mégorachim, qui a commencé à être écrit par les Expulsés d’Espagne à partir de 1492.

Ce recueil qui contient des dizaines de Takanot dans les domaines du droit personnel, droit commercial, droit social, est considéré comme le meilleur de toute la Diaspora, en raison de son étendue et de la diversité des sujets englobés. Rappelons brièvement quelques unes de ses caractéristiques, qui le distinguent des autres recueils:

Il contient des Takanot éditées de 1494 à 1750 date de la publication du recueil Kérem Hémer par Rabbi Abraham Encaoua.

Il contient les amendements apportés au cours des ans, preuve de la capacité de nos rabbins à s’adapter aux problèmes que pose la vie quotidienne, et ceci en plus des commentaires autour des Takanot et de la jurisprudence qui en a découlé.

Les Takanot ont été édictées par les rabbins, qui en étaient les initiateurs, les rédacteurs et les signataires alors que dans les autres communautés c’étaient le plus souvent les dirigeants communautaires et les notables qui en étaient les premiers signataires: ceci témoigne de la primauté des rabbins dans la direction de la communauté.

Du fait de l’absence de structure centrale pour l’ensemble du Maroc, aussi bien au niveau rabbinique que communautaire, ce n’étaient théoriquement que des Takanot locales spécifiques à Fès. Mais dans la pratique, leur portée s’est étendue à la majorité des communautés:

Meknès, Sefrou, Debdou, Tétouan, et partiellement à Marrakech pour les descendants des Mégorachim . Mais elles n’ont jamais été adoptées dans d’autres communautés comme dans le Tafilalet, l’Anti-Atlas et chez les descendants des Toshabim à Marrakech. Ce qui explique l’existence de particularismes dans les différentes communautés en matière de bigamie, successions etc…

L’édiction de Takanot au Maroc n’a pas cessé en 1750. A partir du milieu du 18ème siècle, alors que la prépondérance intellectuelle de Fès avait baissé,d’autres centres se sont développés, acquérant leur autonomie, édictant leurs propres ordonnances.

Unification et adaptation

En 1918 le Protectorat Français réglementa par Dahir le statut et le fonctionnement des tribunaux rabbiniques, limitant leur compétence au droit personnel, successions et biens de main-morte et créant une instance d’appel à Rabat. Le développement économique entraîna la multiplication des échanges et accrût l’intensité des liens entre les communautés. La divrsité des coutumes locales apparut alors comme un obstacle et la nécessité d’une unification commença à s’imposer.

Par ailleurs l’intrusion de la culture française dans le foyer juif -commencée dès avant l’arrivée des français par les écoles de l’Alliance Israélite Universelle- provoqua un ébranlement de la tradition et de la vie religieuse, en particulier au sein de la jeunesse. Garçons et filles se sont retrouvés dans les même structures éducatives et sociales avec les conséquences inévitables que cela implique sur la moralité. Ces nouveaux problèmes ne pouvaient trouver leur solution dans le cadre de la Halakha et il devint urgent de convoquer une assemblée de rabbins pour tenter de leur donner une solution. Après accord des autorités, le Premier Concile des Rabbins du Maroc se tint à Rabat au mois de Sivan 5707 (1947) et jusqu’en 1956 six conciles se réunirent. La procédure adoptée se distinguait par son caractère démocratique et en même temps, la volonté d’efficacité s’imposait, écartant toute tentation de pilpoul, de perte de temps en discussion théoriques interminables. Ce fut le secret du succès de cet aréopage qui en un laps de temps particulière­ment bref discuta et prit position sur un grand nombre de sujets tels que: fiançailles, séduction, pension alimentaire, kétoubot, adoption, divorce, lévirat, adultère, éducation religieuse, chabat, Hiloulot, cacherout, bains rituels et pureté de la famille, scribes, circonciseurs etc…

Du fait de la limitation administrative de leur compétence au droit personnel, il fallait considérer les Takanot qui allaient au-delà de ces compétences, comme de simples recommandations, même si la majorité de la population n’avait pas conscience de cette limitation. A partir du 4ème Concile les décisions se divisèrent d’ailleurs en Takanot obligatoires et en Ahzrot, ces dernières ayant seulement force de recommandations.

En 1956 avec l’accession du Maroc à l’indépendance, les Conciles cessèrent de se réunir, laissant pendantes de nombreuses questions.

La crainte de heurter les nouvelles autorités ainsi que l’accroissement du mouvement de Alya expliquent cet arrêt de convocation des Conciles.

Innovations dans le droit personnel

Des nombreuses Takanot édictées par les Conciles nous en analyserons une en matière de droit personnel, à titre d’exemple. Elle traite de la nouvelle licence des moeurs et de ses conséquen­ces juridiques dans trois domaines: relations sexuelles contre promesse de mariage, dépucelage, grossesse.

Rabbi Shaul Aben Danan décrit dans l’introduction à sa proposition la dégradation des moeurs dans la rue juive et en particulier la séduction de jeunes filles qui acceptent de se donner à leurs séducteurs dans l’espoir d’un mariage, et qui sont ensuite abandonnées, avec les conséquences sociales et psychologiques. La majorité de ces victimes ne venaient pas se plaindre au tribunal par crainte de l’opinion publique. Et celles qui l’ont fait ont été amèrement déçues car même si le tribunal était convaincu de l’authenticité de leurs dires, il ne pouvait leur venir en aide. D’où sa proposition finalement adoptée, qui acquis force de Takana obligatoire et dont voici les grandes lignes:

  1. Toute promesse de mariage (en contre partie de relations sexuelles) doit être respectée.
  2. Obligation de mariage en cas de dépucelage.
  3. Obligation de mariage en cas de grossesse.
  4. Le montant de la Kétouba sera égal au double de la dot.
  5. En cas de refus ou d’impossibilité de mariage, le séducteur devra payer, pour une vierge une amende entre 10 000 et 50 000 francs et pour une non vierge, de 5 000 à 25 000 francs. Il appartiendra au tribunal de fixer la somme en tenant compte du coût de la vie, de la séduction, de la responsabilité respective du séducteur et de la séduite.
  6. Si le séducteur reconnaît avoir eu des relations sexuelles mais dit ignorer la grossesse et si la séduite ne s’est donnée qu’à lui, il paiera seulement la moitié de l’amende; si elle a eu des relations avec d’autres ou en cas de doute plausible, il prêtera serment et paiera le quart de l’amende.

Cette Takana comporte des innovations de grande portée que nous n’analyserons que succintement.

Le premier paragraphe signifie l’acceptation d’une coutume jusque là inconnue au Maroc obligeant celui qui a fait une promesse de mariage dans l’unique but d’avoir des relations sexuelles, à s’éxécuter.

Le second paragraphe est également novateur par l’obligation de mariage qu’il impose au séducteur d’une vierge, alors que la Halakha ne comporte pas cette obligation même quand la victime est mineure (moins de douze ans et demi). L’obligation de mariage contenue dans le paragraphe 3 est une nouveauté car la Halakha recommande le mariage dans un tel cas mais n’en fait pas obligation.

Le paragraphe 4 vient protéger la femme séduite, en posant en principe que dans ce cas, le montant de la Ketouba devrait être au moins le double de sa propre dot, ceci afin d’éviter que le séducteur n’accepte de se marier que pour divorcer quelque temps plus tard en ne lui payant qu’une somme dérisoire.

Enfin l’obligation de serment est aussi nouvelle. Avec le temps, constatant que les amendes n’étaient pas dissuasives le 4ème Concile a décidé d’en multiplier les montants par quatre, et plus.

Le pouvoir de décision

Dans son exposé des motifs à cette Takana, le Président du Tribunal Rabbinique d’Appel, le rabbin Shaul Aben Danan écrit:

"… quoi qu’il en soit ce n’est pas le moment de discuter de la Halakha par le moyen de questions et de motivations: le but de ce Concile est d’arriver à une conclusion, de corriger ce qui mérite de l’être par des Takanot ayant force obligatoire. Cela a toujours été la voie de la nation israélienne depuis la destruction du Temple, et jusqu’à nos jours, générations après générations, nos Anciens ont adapté la loi à qui convient à l’heure, même à l’encontre de précédents écrits…”

Rabbi Shaul soulignedà deux points importants: même si la meilleure voie est celle d’un large échange de vues, elle n’est pas pratique de nos jours étant donnée l’urgence d’arriver à des décisions. Le second point est que la compétence déléguée par la Tora aux rabbins pour édicter des Takanot, est également valable pour notre généra­tion et nous devons en faire usage comme nos prédécesseurs avant nous, sans fuir notre responsabilité devant les besoins de l’heure. Il ne faut pas se cacher derrière des prétextes tels que: “que diront les extrémistes” ou “nous ne sommes pas comme les Anciens et nous n’avons pas leur stature pour édicter de nouvelles Takanot”.

Au début en analysant cette Takana et les autres, on a l’impression que les rabbins marocains en étaient restés à l’image de la femme naïve et innocente du siècle passé, qu’il faut protéger de l’homme, alors que la réalité avait changé. Les jeunes filles n’hésitaient plus à sortir seules jusque tard dans la nuit. Alors pourquoi continuer à faire porter toute la responsabilité sur les mâles comme s’ils étaient seuls coupables lorqu’un sait que c’est l’occasion qui fait le larron? Et effectivement on trouve plus tard la même critique dans les livres de Rabbi Moché Malka (actuellement grand rabbin de Pétah Tikva). Pour lui cette Takana au lieu de colmater la brèche n’avait fait que l’élargir; la preuve: le nombre grandissants de cas portés devant les tribunaux. La responsabilité selon lui en incombe à la Takana qui a incité les parents à moins surveiller leurs filles et a dégagé les filles de leur responsabilité. Or celles-ci portent au moins la même responsabilité que les garçons, si ce n’est plus: ne les voit-on pas déambuler dans les rues en tenue minimale, fardées, à la recherche de garçons qu’elles veulent parfois volontairement attirer dans leurs filets?

Pour Rabbi Shalom Messas (actuellement grand rabbin de Jérusalem) au contraire, le montant des amendes était insuffisant et il aurait fallu l’augmenter. Il se montre indulgent pour les filles que la pression sociale contraint à se conduire comme elles le font.

Application unanime

Les Takanot des Conciles ont été publiées en recueils, comme une sorte de Journal Officiel. Les Takanot ont été appliquées par les rabbins-juges comme en témoignent les livres de Questions et Réponses. Plus aucun rabbin dans tout le Maroc n’a mis en doute ni la compétence des Conciles ni la validité de leurs décisions. Les Takanot des Conciles des Rabbins marocains sont, chronologiquement, les dernières qui nous soient parvenues de toute communauté juive, d’Israël et de la Diaspora. Elles nous montrent à quel point les rabbins marocains ont vécu à l’écoute de leur communauté même quand cette dernière s’est partiellement éloignée, au cours des dernières générations, de la stricte application de toute les mitsvot. Ils étaient conscients des brèches dans la muraille du judaïsme et de leur responsabilité en tant que guides spirituels mais ils n’ont pas tenté d’y échapper.

Ils ont pris l’initiative de discuter des nouveaux problèmes apparus afin de leur trouver des solutions dans le cadre de la Halakha par le moyen de Takanot et ceci avant que le public ne soit totalement conscient de la gravité des problèmes et ne leur trouve une issue à sa manière contraire à la Halakha. Les Takanot des Conciles des Rabbins marocains, la procédure de discussion et de décision, peuvent servir d’exemple à la bonne marche du rabbinat partout y compris en Israël où se sont réunies les tribus aussi bien pour l’unification des coutumes que dans la confrontation avec les problèmes du monde moderne. Car notre Tora est une Tora de vie dans laquelle il est possible de trouver une solution à tous les problèmes “car ses voies sont celles de la douceur et ses chemins ceux de la paix”.

Moche Amar

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