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Tehila le David -Andre E.Elbaz et Ephraim Hazan- Formation poetique de David Ben Hassine

תהלה לדוד

Les piyyoutim de David Ben Hassine sont nourris de references bibliques. Une palmeraie du Tafilalet, aux portes du Sahara, devient "la ville des palmiers", le nom de Jericho dans la Bible (Deuteronome, xxxiv, 3). Le poete y compte "douze sources", et "soixante-dix palmiers", comme a Elim, pendant la sortie d’Egypte (Exode, xv, 27). La vallee du Ziz, c’est "la vaste contree de Qiryat Ye'arim" (Juges xviii, 12). "Comme Tes oeuvres sont grandes!" s’ecrie le poete, emerveille par la beaute de l’oasis, avec les mots du Psalmiste (Psaumes, xcii, 6). II decide de "grimper sur un palmier, de saisir ses branches", comme l’amoureux du Cantique des Cantiques (vii, 9), etc.

Le contenu des piyyoutim evolue egalement. Bien que les poemes de circonstance et les poemes didactiques restent tres frequents, la distinction entre poesie profane et poesie sacree s’estompe, au profit d’une poesie entierement tournee vers la religion. Les motifs de l’exil et de la delivrance messianique sont omnipresents dans presque tous les poemes. Certains themes profanes sont en quelque sorte "sanctifies". Ainsi, les poemes de louange sont desormais chantes a la synagogue, a l’occasion de l’appel a la Thora des personnes honorees, comme on peut s’en rendre compte dans l’oeuvre de David Ben Hassine. Les poemes d’amour deviennent des allegories qui prefigurent 1’amour de Dieu ou de la Thora. Le lyrisme personnel se fait rare chez les paytanim nord- africains, qui deviennent plutot les porte-parole de la collectivite. Ils chantent les emotions, les aspirations et 1’existence quotidienne de l’ensemble de la communaute, existence jalonnee par le cycle regulier de la liturgie et des festivites religieuses. Leur poesie exprime, en quelque sorte, la conscience collective des juifs maghrebins.

Sous l’influence de la kabbale lourianique, les poetes maghrebins n’ecrivent plus de piyyoutim destines a etre integres au rituel, car le canon des prieres a ete fixe depuis la publication des premiers rituels imprimes et, par ailleurs, il n’est plus d’usage d’interrompre les prieres proprement dites. Inspires par les mystiques de Safed, et l’oeuvre novatrice d’lsrael Najjara, Ya‘aqov Abensour et David Ben Hassine, par exemple, composent des baqqashot, hymnes et supplications implorant Dieu pour qu’Il pardonne les peches d’lsrael, et qu’Il hate l’avenement du Messie. Les baqqashot servent de preludes a la priere du matin. 

Dans les communautes nord-africaines et orientales, la tradition de chanter des baqqashot a la synagogue pendant les nuits de vendredi a samedi, entre Soukkot et Pessah, est encore tres repandue chez les kabbalistes, les devots, et … les amateurs de musique andalouse, qui joue un role essentiel dans le rite des baqqashot, depuis le XVIIe siecle.

Comme leurs predecesseurs espagnols, les poetes marocains modelent leurs poemes sur des melodies (en hebreu "lahan" ou "no‘am", et "tamrour" – pleurs amers – lorsqu’il s’agit d’elegies) connues dans leur communaute, en general celles de piyyoutim nord-africains populaires, ou meme de chansons prises dans les folklores arabe ou espagnol. Ainsi, David Ben Hassine indique toujours la melodie qui lui a servi de modele avant le debut de chaque poeme, dans Tehilla Le-David. II precise par exemple que l’un de ses piyyoutim a la gloire de Dieu doit etre chante "sur la melodie entonnee par les femmes en l’honneur de la mariee, le matin, avant son entree sous le dais nuptial".Le piyyout "El Eres ‘Azouva" a servi de modele a treize de ses poemes, probablement parce qu’il etait tres populaire. Cette technique generalisee du "tarkib", ou imitation de melodies preexistantes, est tres contraignante: elle determine non seulement la melodie mais aussi le metre, la structure, et, parfois, les themes et les elements sonores des nouveaux piyyoutim. La rigidite du modele melodique force certains paytanim nord-africains a inclure dans leurs vers des syllabes purement euphoniques, ou meme certains mots et expressions conventionnels, entierement vides de sens, afin d’accorder leur poeme au modele qu’ils veulent suivre: Ce sont les "Ha-Na-Na, Ho-No-No, Hi-Ni-Ni, Ya-La-Lan, Ti-Ri-Tan, Ya Sidi, Ya Sidna", etc., auxquels sont accoutumes les amateurs de piyyoutim maghrebins. Les baqqashot nord-africaines suivent souvent le modele de la qasida arabe classique.

 

En depit du talent indeniable de nombreux poetes nord-africains, la repetition obsessive des themes de l’exil et de la delivrance messianique, l’usage exagere du shibbous, qui transforme facheusement certains piyyoutim en une sorte de mosaique artificielle de fragments de versets, destinee a montrer la virtuosite et 1’erudition de leur auteur, la reproduc- tion servile de modeles rythmiques et musicaux pris dans des chanson- nettes arabes, parfois scabreuses,36 se traduisent, chez certains paytanim, par une recherche de la facilite et un manque d’originalite qui rendent leur poesie quelque peu conventionnelle, et contribuent a appauvrir sa qualite esthetique.

 

FORMATION POETIQUE DE DAVID BEN HASSINE

Vers l’age de vingt ans, a l’epoque ou David Ben Hassine redige les textes de Migdal David, on assiste egalement a l’eveil de sa sensibilite esthetique et de sa sensualite. Meme s’il la commente de faqon austere, le jeune homme semble fascine par une sentence talmudique qui l’a particulierement emu: "Trois choses donnent du plaisir a l’homme, une belle voix, la beaute et les parfums; trois choses le rejouissent, une belle demeure, une jolie femme et des objets attrayants".

 

.״שלשה משיבין דעתו של אדם. אלו הן: קול ומראה וריח. שלשה מרחיבין דעתו של אדם ספר אלו הן: דירה נאה ואשה נאה וכלים נאים.״

 

Tout naturellement, David Ben Hassine commence a ecrire des poemes: le dernier feuillet du manuscrit de Migdal David, qui ne peut avoir ete ecrit apres 1749, contient une ebauche du piyyout "Malki Miqqedem Eloqim", qu’il inclura dans son recueil Tehilla Le-David, ainsi que quelques vers epars, qui represented sans doute ses premieres tentatives poetiques.

 

David Ben Hassine a probablement etudie l’art poetique en autodidacte, comme la plupart de ses contemporains, qui consideraient la poesie comme une des disciplines devant etre maitrisees par un talmid- hakham. Citant en exemple un rabbin modele, le chroniqueur contemporain Shemouel Aben Danan (1688-C.1730) ecrit qu’"il excellait dans toutes les sciences, l'etude la plus approfondie des textes sacres, la philosophie, la grammaire et la poesie". Depuis l’Expulsion espagnole, la frontiere est souvent floue entre rabbins et poetes, la plupart des lettres marocains etant aussi poetes, a l’occasion, ce qui multiplie a l’infini le nombre des poetes hebraiques maghrebins. Dans la communaute, on fait souvent appel a un talmid-hakham doue pour faire fonction de ministre-officiant dans une synagogue, et, s’il a une belle voix, de pay tan, pour chanter des piyyoutim pendant les prieres, ou dans les maisons ou l'on celebre une fete, ce qui lui permet de recevoir une modeste remuneration. Nous savons que le jeune David Ben Hassine, epris de poesie, dote d’une voix legendaire, et deja predicateur a la synagogue, a ete sollicite de la sorte, et a ainsi fait ses debuts de chanteur et de poete pendant qu’il frequentait encore la yeshiva.

II compte parmi ses amis de jeunes poetes de Meknes comme Ya‘aqov Edehhan, auquel il consacrera un "chant fratemel", Mess‘od Errouah, dont il publiera genereusement deux piyyoutim dans son propre recueil, et Shelomo Halewa, qui se proclamera son disciple. A l’apogee de sa gloire, vers 1780, il connait la plupart des poetes hebraiques marocains, qui lui temoignent leur admiration et leur affection. II celebre l’"amitie pure, bonne, agreable, plus merveilleuse et plus precieuse que l’amour des femmes", qu’il eprouve pour le poete de Mogador Ya'aqov Elmaleh, entrelaqant l’acrostiche du prenom de son ami, Ya‘aqov, avec le sien, David. De son cote, le rabbin et poete Hayyim David Serero, de Fez, chante ses louanges en guise de preface a la premiere edition de Tehilla Le-David, en 1782.

 

David Ben Hassine adopte les conceptions esthetiques des poetes marocains qui l'ont precede. Ainsi, en 1712, le grand poete de Sale. Moshe Abensour, expose longuement ses reflexions mystiques sur la poesie: selon lui, l’objectif essentiel du poete authentique est de glorifier le Createur et de Lui etre agreable. En retour l'inspiration divine l’aide a integrer harmonieusement dans ses piyyoutim des fragments de versets bibliques ou de sentences rabbiniques, et facilite l’agencement des vers selon la melodie qui leur confere leur rythme e: leur metre. Moshe Abensour n’approuve "que ceux qui chantent ses poemes dans le dessein de glorifier Dieu".

 

 Parallelement, David Ben Hassine affirme que le poete accompli est celui qui,

anime du souffle de Dieu", allie cette inspiration divine a l'etude et a la connaissance de l'art poetique, …[notamment] la grammaire, la langue et les techniques de la prosodie". Nous apprenons ainsi que non seulement notre poete se compte parmi ceux qui sont "animes du souffle divin", mais qu’il a etudie serieusement l'art poetique.

 

David Ben Hassine a "consulte les traites theoriques et la poesie des grands classiques". II reprend a son compte la condamnation de la rime pauvre par Shelomo de Oliveyra, qui lui-meme cite le poete medieval espagnol Abraham Ibn ‘Ezra. II s’enhardit jusqu’a critiquer, et meme corriger, Yehouda Ha-Levi, "le prince des poetes", coupable lui aussi d’avoir utilise des rimes pauvres!

Tehila le David -Andre E.Elbaz et Ephraim Hazan- Formation poetique de David Ben Hassine

 1999

page 111

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