Madinat fes


Le Mellah de Fès

Le Mellah de Fès

Cliché des années 1950 avec au premier plan le cimetière et au fond à gauche le Palais royal

Le Mellah de Fès

merci de votre intérêt pour mon blog. 

Vous pouvez poster des articles sur votre site en mentionnant  leur origine. Le but de mon blog est de diffuser des informations sur Fès, donc aucun problème pour qu'elles soient reprises.

Bien cordialement

Georges MICHEL

Les juifs à Fès

À l’arrivée de Moulay Idriss, plusieurs familles juives se trouvaient déjà, dit-on, installées à Zouagha, à l’emplacement où devait naître la ville de Fès. Fès et sa création

Après la construction de la ville, les Juifs s’y installent en même temps que les Musulmans. Ils occupent divers quartiers dont Ezensfor où se trouvait le cimetière israélite intra-muros à côté de Bab el-Guissa, le quartier de Blida où existe encore la rue Sefer (en hébreu : rouleau de loi), Dribet Zniara, Zniquet Hzama, Fondouk el Youdi (quartier où se trouve actuellement l’hôtel Palais Jamaï), Kssibet Es Schems, à Boujeloud, Talaâ, Fondouk Delora.

Le Mellah

Le quartier appelé Mellah était à l’origine de la fondation de Fès-Jdid en 1276, le quartier destiné à la garde des archers syriens. Il était appelé Himç. Autour du nom « Mellah »

Tout le monde est d’accord pour dire que c’est le Himç, après la dissolution de la garde (1325 J.-C.) qui servit d’asile aux Juifs chassés de leur quartier du Fondouk el-Youdi, en médina de Fès ; on remarque que cet asile est proche du palais du sultan à Fès-Jdid. Ce sera le cas de la plupart des mellah, mais la protection espérée du fait de cette proximité sera le plus souvent illusoire : les juifs de Fès récemment installés furent massacrés, dans le mellah, en 1465, lors d’émeutes déclenchées pour des motifs incertains. Plus près de nous, en 1912, la proximité du palais n’empêcha point le pillage du mellah par les askris révoltés.

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Au premier plan le Palais du Sultan, au fond en demi-lune, le mellah. En haut, à droite, la place du Commerce.

Quelle est la date d’installation de la population juive au mellah ? Il existe différentes hypothèses selon les auteurs.

Un repère stable : le premier titre de propriété ne date que de 1438, mais on admet généralement que l’installation est plus ancienne, tout en étant postérieure à 1325.

Robert Assaraf pense que les Juifs de Fès ont pu continuer à mener une existence paisible tout au long du XIVème siècle. La petite communauté juive a été renforcée, à partir de 1391, par l’arrivée de réfugiés juifs espagnols fuyant le déclenchement de violentes émeutes anti-juives en Espagne chrétienne.

Par contre la situation des juifs fassis se dégrade considérablement sous le règne du dernier souverain mérinide, Abdel Haqq (1421-1465) : en 1439, la rumeur court que l’on a trouvé, dans plusieurs mosquées et médersas, des outres de vin qui ont été intentionnellement déposées par des juifs dans ces lieux de culte afin de les profaner. Une émeute anti-juive aurait alors éclaté. Pour assurer, à l’avenir, la sécurité de la communauté juive, Abdel Haqq aurait décidé de transférer celle-ci à Fès-Jdid, « dans un quartier édifié sur un emplacement appelé Malah dans la topographie locale » (Roger Le Tourneau) … et déserté par ses anciens habitants, les archers syriens, depuis plus de cent ans … sans avoir été squatté ?

Bressolette pense que l’installation à Fès-Jdid s’est faite progressivement à partir de 1325, quand le Himç fut disponible.

Gaudefroy-Desmombynes a du mal à donner une date précise : la milice chrétienne était encore à Fès-Jdid jusque vers 1350/1360. « Plus tard, les sultans affaiblis renoncent à protéger leurs Juifs dans la vieille ville de Fès et les installent à « el-melah »; mais je suis incapable de fixer, même vaguement, la date de cet événement, dont la réalité ne m’est attestée que par un texte de la seconde moitié du XVème siècle. En 1464-1465, un Juif ayant maltraité une femme musulmane à Fès l’ancienne, les habitants conduits par le khatib de la mosquée d’el-Qarawiyin marchent sur Fas el-Jdid, se ruent sur le quartier des Juifs, les tuent, les pillent, prennent leurs biens et se les partagent, le sultan étant absent de la ville ».

Les écrits des anciens auteurs donnent des repères peu précis. Maimonide au début du XIVème siècle aurait séjourné à Dar el-Magana  (dans le Talâa Kbira) preuve qu’à cette époque les Juifs vivaient en Médina, plus ou moins mêlés aux Musulmans.

Léon l’Africain et Marmol attestent de la présence de Juifs dans le mellah de Fès-Jdid au début du XVIème siècle. Léon l’Africain (vers 1516) connaît bien le quartier juif de la ville neuve de Fès et indique nettement qu’il n’a pas été installé à l’époque de la fondation de la ville par Abou Ya’qoub Youssef, renseignement qui concorde avec celui d’El-‘Omari. Mais Léon l’Africain semble ignorer le mot « mellah ».

Léon l’Africain donne une description de Fès-Jdid, à une époque où les traditions concernant sa fondation étaient encore vivantes. Il parle de trois parties : le palais, la cité proprement dite avec des grandes étables pour les chevaux et des boutiques de toutes sortes de marchands et d’artisans, et la troisième partie pour « le logis des gardes du corps de sa majesté ». Il dira plus loin que cette partie abritant anciennement les archers est habitée par les juifs « pour raison que les rois de notre temps ont cassé cette garde. Car ils -les juifs- demeuroient premièrement à l’ancienne cité mais la mort d’un roy n’était pas plus tôt divulguée, qu’ils étaient par les Mores incontinent saccagés. Or pour remédier il falut que les roys les fissent déloger de Fez l’ancienne pour venir résider en la neuve ..

On peut donc conclure que la population juive de Fès el-Bali s’installe ou est installée à Fès-Jdid entre 1350 et 1450. Cette transplantation a probablement été progressive et certainement dans des conditions souvent peu favorables puisqu’un certain nombre de Juifs préférèrent se convertir à l’Islam que de quitter leur quartier en médina. C’est ce qui explique d’ailleurs que des familles de Musulmans fasi portent des patronymes spécifiquement hébraïques.

Le professeur Hirschberg, cité par Omar Lakhdar, a fait remarquer, dans une lettre en judéo-arabe datée de 1541 que pour la première fois le quartier juif de Fès est appelé Mellah. (lire + haut, en 1516 Léon l’Africain n’utilise pas le mot de mellah pour parler du quartier juif)

Ensuite, on retrouve ce terme dans un texte hébraïque daté de 1552. Dans les actes rabbiniques, les Takanot de Fès, le nom n’apparaît que rarement et seulement à partir de 1590. Il semble ainsi que des Juifs de langue arabe se soient, les premiers, servis du nom Mellah pour désigner les autres quartiers juifs du Maroc. Plus tard, les Musulmans, à leur tour, utilisèrent ce mot et dans le même sens, mais après les Juifs. Enfin les Européens semblent avoir ignoré cette appellation jusqu’au début du XIXème siècle selon Lakhdar. Les Espagnols utilisaient « Juderia », les Français « Juderie » ou « Juiverie » pour évoquer les mellahs du Maroc ou les quartiers juifs d’autres villes.

Robert Assaraf écrit que ce quartier juif spécifique de Fès-Jdid, connu sous le nom de « mellah », fut le premier à être institué au Maroc, dont toutes les villes, à l’exception de Tanger et de Safi, se dotèrent progressivement par la suite d’un espace territorial réservé aux seuls juifs.

« Il s’agissait là d’une initiative lourde de conséquences qui érigeait au rang de pratique normative, ce qui avait été jusque-là un simple usage. Le statut de la dhimma ne stipulait pas une ségrégation géographique entre musulmans et dhimmis. Toutefois au Maghreb comme au Machrek, les dhimmis avaient eu tendance à se regrouper dans des quartiers spécifiques édifiés autour de leurs bâtiments cultuels. Il s’agissait, en aucun cas , d’une obligation. À Fès , au début du XVème siècle, les juifs continuaient à vivre majoritairement en médina.

« Dans le cas de Fès, on peut penser que la ferveur engendrée par la redécouverte, en 1438, des restes d’Idriss Il, le fondateur de la cité, avaient eu pour conséquence de favoriser le retour à un Islam intransigeant. Un climat favorable à la ségrégation entre musulmans et non-musulmans aurait été ainsi créé, qui trouva son aboutissement dans l’institution, en 1439, du mellah.

La décision du sultan mérinide Abd el-Haqq était au départ liée à des considérations sécuritaires pour protéger les juifs des accès de colère de la population fassie  qui focalisait souvent son mécontentement contre les juifs.

Mais il est possible d’estimer que plus qu’une volonté de protéger les juifs, il s’agissait d’une réforme en profondeur de la société musulmane, conviée à rejeter de son sein tous les éléments non musulmans. Pour les juifs fassis, l’obligation qui leur était faite de résider désormais à Fès-Jdid constituait indéniablement un châtiment auquel nombre d’entre eux s’efforcèrent d’échapper en se convertissant, en hâte, à l’Islam. C’était le seul moyen pour eux de ne pas perdre les immeubles et boutiques dont ils étaient propriétaires en médina et qu’ils se voyaient contraints de liquider à perte, s’ils demeuraient fidèles au judaïsme. De plus, de nombreux négociants et artisans redoutaient de perdre leur clientèle habituelle. Celle-ci hésiterait à se rendre dans le mellah, jugé trop loin de Fès el-Bali ».

Le mellah de Fès fut le premier du Maroc ; les Juifs de Marrakech furent déplacés, à partir de 1557, dans un quartier entouré de murailles qui devait porter plus tard le nom de mellah, et où vivaient d’ailleurs quelques chrétiens ainsi que les émissaires européens de passage dans la ville. Peu à peu toutes les villes du Maroc eurent leur mellah, sauf Tanger et Safi, et selon le contexte socio-politique et religieux, les murailles protectrices ressemblaient davantage aux murs d’une prison.

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Vue du mellah depuis la colline de Dar Mahrès, vers 1920

La vie au Mellah

La vie des Juifs du Mellah de Fès, de 1450 environ jusqu’au début des années 1900, fut marquée par de malheureux événements (famines, épidémies, massacres, pillages, expulsions, impôts accablants), suivis et répétés qui provoquaient des conversions forcées. Ces conversions de nature économique prévalente ne furent pas sans poser des problèmes au sein de l’Islam fasi et furent suivies parfois de mesures discriminatoires frappant les récents convertis.

Tout changement de régime pouvait être pour eux un malheur certain : la mort d’un Sultan entraînait souvent des désordres suivis d’hostilité dont les Juifs devaient être les premières victimes.

Une première période de famine en 1558, une deuxième en 1614 et une troisième en 1737-1738, décimèrent une grande partie de la population juive de Fès. Le rabbin Samuel Aben Danan rapporte qu’au cours de l’année 1738, la famine suivie d’une épidémie de peste ravagea le Mellah dont un quartier appelé « El Aarosa » (qui devait se situer en dehors de la muraille) fut entièrement anéanti.

En 1790, sous le règne de Moulay el Yazid, les Juifs du Mellah furent transférés à la Kasba des Cherarda pour que puissent être installées à leur place les tribus des Aït Yomor et des Oudaïas venues de Meknès. Les nouveaux venus construisirent une mosquée à l’emplacement de l’ancienne synagogue. À la suite d’un incendie qui ravagea leur nouveau campement, les Juifs implorèrent le Sultan pour le décider à les autoriser à retourner au Mellah. En 1792, le Sultan Moulay Slimane qui avait succédé à Moulay el Yazid ordonna le retour des Juifs dans le Mellah et le transfert de la mosquée à l’emplacement de laquelle les Juifs construisent une maison qui porte le nom de Dar el Jama.

Sous le règne de Moulay Hassan, la situation des Juifs du Maroc s’est beaucoup améliorée. Des relations très amicales, commerciales et sociales, se nouèrent entre Musulmans et Israélites. Ces derniers qui occupaient des positions importantes dans le commerce et l’artisanat, donnèrent un nouvel essor à l’économie du Maroc.

Jusqu’en 1912 le Mellah est enserré dans une enceinte inextensible et dans un espace très réduit qui expliquent l’architecture particulière du quartier avec des maisons élevées à deux étages, des rues très étroites et une densité de population extrêmement élevée (près du double de celle du quartier voisin de Moulay Abdallah à Fès-Jdid). Au début du XX ème siècle la population du Mellah est d’environ 8 000 personnes ( chiffre donné par l’Alliance Israélite Universelle et cité par Eugène Aubin dans son livre « Le Maroc d’aujourd’hui ») avec une densité d’une vingtaine de personnes par maison.

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Bien que d’origines différentes : juifs établis à Fès depuis sa fondation, berbères judaïsés, juifs venus d’Espagne au moment de la Reconquista, juifs du Sous ou du Tadla arrivés à Fès sous Moulay Ismaïl ou Moulay Rechid, la communauté juive au début 1900 formait un groupe homogène, lié par une longue et étroite cohabitation imposée, des événements malheureux traversés ensemble et des intérêts communs.

Le Mellah sous l’autorité du Gouverneur de Fès-Jdid, fonctionnaire musulman, bénéficiait d’une large autonomie et avait une organisation propre.
Le conseil de communauté, composé de trois rabbins et quatre laïques avait en charge tous les intérêts matériels et moraux de la communauté : travaux d’édilité, répartition des taxes, questions religieuses pour leur aspect temporel. La communauté avait et gérait ses ressources provenant des offrandes, des produits des fondations pieuses, des revenus des quartiers ; ces fonds servaient à des oeuvres de bienfaisance, maison d’accueil. L’ordre public était assuré par un fonctionnaire juif « Cheikh-el-Ihoud » ou « Cheikh des Juifs » dont la nomination était soumise à l’approbation du Maghzen. La police était constituée de 4 à 5 agents du Pacha qui étaient en même temps gardiens de l’unique porte d’entrée du Mellah, fermée à clé à la tombée de la nuit. La clé était confiée à un Juif qui devait ouvrir la porte à l’aube à l’arrivée des policiers musulmans.
Enfin le tribunal rabbinique réglait tous les conflits entre israélites, le tribunal du Pacha n’intervenait que si les rabbins ne parvenaient pas à trouver un accord entre les plaignants. Par contre les contestations entre Juifs et Musulmans étaient réglées par les tribunaux musulmans. En matière pénale les Juifs relevaient du Pacha.

La communauté juive bénéficiait d’une grande indépendance … à l’intérieur du Mellah, son autonomie était beaucoup plus restreinte quand ses ressortissants en sortaient et qu’ils participaient à la vie générale de la ville de Fès !

La place du Juif dans la cité a rapidement évolué après la signature du traité de protectorat en mars 1912.

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Cliché de 1915 environ

Quelques livres (déjà mentionnés dans l’article autour du nom Mellah) :

Abitbol Michel : Le passé d’une discorde, juifs et arabes depuis le VII siècle
Assaraf Robert : Une certaine histoire des juifs du Maroc
Assaraf Robert : Eléments de l’histoire des juifs de Fès
Bénech José : Essai d’explication d’un mellah
Henri Bressolette, Jean Delarozière « Fès-Jdid , de sa fondation en 1276 au milieu du XX ème siècle » Hespéris Tamuda
Gaillard Henri : Une ville de l’Islam: Fès
Gaudefroy-Demombynes : Marocain mellah
Goulven J. : Les mellahs de Rabat-Salé
Kenbib Mohammed : Juifs et musulmans au Maroc
Lévy Armand : Il était une fois les juifs marocains.
Le Tourneau Roger : Fès avant le protectorat
Saisset Pascale : Heures juives du Maroc
Toledano Joseph : Le temps du Mellah
Zafrani Haïm : Deux mille ans de vie juive au Maroc
Zafrani Haïm : Juifs d’Andalousie et du maghreb
Zafrani Haïm : Le judaïsme maghrébin
Zafrani Haïm : Les juifs du Maroc, vie sociale, économique et religieuse.

Le cimetière juif de Fès

Le cimetière juif de Fès

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Cliché à la une : Un coin du Mellah avec le cimetière juif, vers 1915 ( éditions Haïm  David Séréro).

Situé au sud du Mellah, ce cimetière date de la fin du XIX ème siècle. La photographie ci-dessous, anonyme et non datée  nous montre un cimetière encore peu peuplé et dont la partie orientale n’a été, pendant longtemps, qu’un simple terrain vague qui servait aux jeux des jeunes du Mellah. (Elle ressemble au cliché à la une et pourrait dater du début des années 1920, les tombes sont un peu plus nombreuses et mieux entretenues).

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L’ancien et premier cimetière juif était situé, un peu plus à l’ouest, à quelques centaines de mètres de là, près de la porte de Bab Lamer, à peu près à l’emplacement de l’entrée actuelle de l’esplanade qui mène à la porte monumentale du Palais royal.

Établi sur un terrain donné par Lalla Mina, fille du sultan, ce cimetière était la propriété de la communauté juive depuis l’année 1500 environ et les rabbins venus d’Espagne y étaient enterrés.

En 1877 le Sultan Moulay Hassan exige que la communauté juive déterre ses morts car il désire construire des bâtiments pour agrandir son palais.

À la réception de cette injonction, les dirigeants de la Communauté et le Grand Rabbin entament des démarches auprès du Sultan et alertent les représentants des puissances européennes pour garder leur cimetière,  avec apparemment un succès temporaire.

Mais après cette tentative avortée de 1877, le Sultan expropria définitivement le cimetière juif de Fès en 1888, pour les besoins d’agrandissement de son palais.

Il semble qu’il avait déjà récupéré trois ans avant la partie la plus ancienne du cimetière, mais jugeant ce terrain insuffisant, le Sultan envoie le premier jour du mois de nîsan (entre mars et avril) 1888 la garde impériale pour exhumer les corps des défunts. Chaque famille se précipite alors pour récupérer les ossements de leurs parents et de leurs proches, afin de leur donner une sépulture ailleurs : « un marécage plein d’eau » fut assigné par les autorités comme nouveau cimetière en échange de l’ancien. C’est l’origine du cimetière actuel de la communauté juive de Fès.

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Cette photographie est une photo du Service Photographique du Gouvernement Général de l’Algérie (tampon en relief au recto et au verso tampon encreur de l’Office du Gouvernement Général de l’Algérie 10, rue des Pyramides Paris 1er arrondissement). Photographie non datée, mais probablement avant 1920 environ, car identique à celle du Cdt Laribe).

Voici le texte d’Alfred Bel, accompagnant la même photo dans le livre « Le Maroc    pittoresque Fès-Meknès-et-Région ». Album de Photographies du Commandant Laribe. Préface et notices de Monsieur Reveillaud, Chef des Services Municipaux à Meknès et Monsieur Alfred Bel, Directeur des Médersas de Tlemcen
 :

Au sud du quartier juif, en face du camp de Dar-Mahrèz sur la pente descendant vers l’Oued Zitoun, se répandent les blancs monuments funéraires du Cimetière Juif, en dehors des anciens remparts Mérinides, dont on aperçoit à droite d’imposants vestiges.

C’est dans ce champ des morts que sont enterrés les Israélites de Fès depuis que le souverain Mérinide Yacoub ben Abdelhaqq à la fin de notre XIII° siècle, fit construire le quartier Juif ou Mellah sur l’emplacement qu’il occupe aujourd’hui.

Les monuments que l’on voit ici sont en pierre grossièrement taillée et blanchie à la chaux. Ils ont la lourdeur et rappellent même vaguement la forme demi-cylindrique sur socle cubique allongé, de certaines pierres funéraires des Romains. Mais si l’on voulait chercher dans le pays même des origines à ces formes, on trouverait peut-être en très grossier et très alourdi le souvenir de ces pierres prismatiques élégantes et allongées , que les musulmans de Fès comme ceux de Tlemcen au XIV° XV° siècles après J.-C. plaçaient autrefois sur la tombe de leurs morts et que les Fasis nomment encore Mabriya. Les lourds blocs massifs de pierre ou de marbre du cimetière Juif de Tlemcen, bien que n’ayant pas tout à fait la forme de ceux de Fès, ne sont pas sans analogie avec ceux-ci.

On remarquera que le commentaire d’Alfred Bel semble ignorer l’existence d’un premier cimetière : 
« C’est dans ce champ des morts que sont enterrés les Israélites de Fès depuis que le souverain Merinide Yacoub ben Abdelhaqq à la fin de notre XIII° siècle … ».

Il existe un autre cimetière  juif où juifs et chrétiens étaient enterrés.

Dans Description de la ville de Fès  Michaux-Bellaire en 1906 écrit :
« Jusque-là (1902) – date à laquelle le cimetière international fut créé et où seront inhumés les européens-, les chrétiens qui mouraient à Fès étaient enterrés à  » Ed Dhar El Mheraz » (la colline du mortier, pièce d’artillerie), au cimetière établi à cet endroit pour recevoir les Juifs morts hors de la ville et que les coutumes musulmanes, qui interdisent l’introduction d’un cadavre dans une ville, ne permettent pas d’enterrer au cimetière juif placé à l’intérieur des portes de Fès Ed Djedid »

Roger Letourneau dans Fès avant le protectorat mentionne aussi ce cimetière juif mais sans préciser qu’il servait aussi aux chrétiens :

« À noter que, si un juif mourait en dehors de la ville, son cadavre ne pouvait y être introduit ; transgresser cette règle, c’était exposer la ville aux pires calamités (cette coutume vaut aussi pour la Médina et, selon M. Bensimhon, pour les communautés israélites d’Europe Centrale). Les juifs morts dans ces conditions étaient donc enterrés dans un cimetière spécial, situé sur la colline de Dahar Mahrès, face au mellah. » (Chapitre VIII Les moeurs du Mellah, la mort)

Lors de mon séjour à Fès, en mai 2016, j’ai découvert, grâce à Elie Devico, ce cimetière … devant lequel j’étais passé plusieurs fois sans le savoir : en effet il est situé sur la colline de Dahar Mahrès, en face du Mellah et au pied du récent Hôtel Sahrai ! Il reste une douzaine de tombes qui ne sont plus entretenues aussi régulièrement que dans les années 1950.

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Tombes et en arrière-plan l’hôtel Sahraj

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Tombes

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Tombes et vue sur le Mellah, en arrière-plan

Isaac Niddam, Naïb du Mellah de Fès

Isaac Niddam, Naïb du Mellah de Fès

Le titre complet de cet article, non signé, de la Revue de l’Afrique du Nord illustrée, du 14 mars 1931, est :  Isaac Niddam, Naïb du Mellah et rénovateur du cimetière israélite de Fès. Un homme vivant dans le royaume des morts.

Le cimetière ! Le seul énoncé de ce nom provoque chez ceux qui l’entendent un sentiment de crainte superstitieuse ou de tristesse.

Alors que chez nous, ce mot évoque une chose lugubre, un lieu où il est convenu d’observer l’attitude la plus recueillie, chez les musulmans au contraire le cimetière est l’endroit où les femmes indigènes aiment se retrouver, à causer. Autour des tombes que le soleil dore de sa grande lumière, elles vont et viennent, rencontrent leurs amies ou parentes, s’entretiennent de leurs joies et de leurs peines. Et pourquoi, disent-elles, le bruit de nos voix serait-il un manque d’égard vis-à-vis de ceux qui dorment là.

Pour 60 années que tu as à vivre sur terre, disait un musulman, combien de siècles as-tu à passer dessous ? Et il ajoutait avec cette philosophie orientale qui donne à sa vie sa valeur vraie : c’est pourquoi il te faudra choisir avec beaucoup de circonspection ta demeure dernière.

Le cimetière israélite, quoique d’aspect moins accueillant, n’offre pas cependant un cadre trop triste, surtout si le hasard vous conduit vers celui de Fès.

Il y a quelques années à peine, on n’osait pas entrer au cimetière israélite . Ce lieu était strictement fermé aux étrangers et ne s’ouvrait que pour les enterrements ou les jours consacrés à la visite des morts, soit lundi et jeudi matin. Les initiés se rendaient au derb El-Biro et, à travers les larges grillages, voyaient le spectacle de la route de Taza et celui d’un coin désolé : le cimetière israélite.

Tombes éparses au hasard du caprice des familles, la plupart de ces tombes mal entretenues, des herbes folles envahissant l’intervalle des sépultures, les couvrant presque, ainsi que les espaces libres, un ensemble chaotique par le fait de la configuration accidentée du terrain ayant des niveaux très différents ; voilà l’aspect général du cimetière israélite d’il y a quelques années. (Le cliché en une illustre bien cette situation, vers 1915).

Mais un homme fut frappé de cet état de choses et voulut y porter remède : ce fut M. Isaac Niddam, notable de la Communauté Israélite et Naïb du Mellah. Homme d’une douce physionomie, d’une bienveillance presque biblique, d’un esprit d’initiative et de suite remarquable ; jouissant du rare privilège d’avoir à la fois la confiance de ses administrés et de ses chefs, M. Niddam entreprit la tâche difficile et paraissant au dessus des moyens d’un seul homme de donner au cimetière israélite du Mellah un aspect propre et ordonné.

Avec une patience et un courage dignes d’éloges, il fit, pendant des années et plusieurs fois par semaine, la tournée des commerçants et notables de la Communauté, leur demandant une contribution personnelle et bénévole en faveur de la réalisation de cette œuvre religieuse et sociale. Et chacun, devant la foi et l’énergie de cet homme remarquable, répondait généreusement à l’appel, suivant ses moyens. C’est ainsi, que M. Niddam constitua la caisse spéciale qu’il administre avec prudence et intégrité. C’est avec ces moyens qu’il s’attaqua à la tâche envisagée.

Les herbes et autres plantes parasites furent rapidement arrachées. Les tombes apparurent plus nettes et leurs groupes plus pittoresques. Les sentiers devinrent plus praticables pour les familles en visite dans ces lieux sacrés. Grâce à sa douce énergie et à ses conseils persuasifs, les tombes furent élevées avec plus d’ordre et un alignement plus logique.

Restait la question la plus importante du nivellement du cimetière ; pendant des mois, des tombereaux de terre furent transportés d’un côté ou de l’autre; des plate-formes furent constituées, un mur fut même élevé pour soutenir ces plate-formes et empêcher des glissements de terrain éventuels.

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Le cimetière juif au début des années 30

Auparavant, les Israélites indisposés ou malades, étouffant dans les étroits logements du Mellah, se rendaient ou étaient transportés au cimetière auprès de la tombe vénérée du Grand Rabbin Haïm Cohen, le plus Saint personnage de la contrée ; installés sous des tentes, les malades bénéficiaient du grand air, de la paix et de la bénédiction de ces lieux ; généralement, la guérison s’en suivait. Mais les parents, qui assistaient les malades, étaient mal à leur aise et risquaient d’éprouver à leur tour fatigues ou maladies. M. Niddam remarqua cette situation ; il construisit immédiatement une vaste et confortable salle dans laquelle, depuis plusieurs mois, les malades et leurs parents trouvent les mêmes avantages qu’avant, avec plus de confort et de sécurité.

Grâce à ses efforts, le cimetière israélite du Mellah de Fès peut être proposé en exemple aux autres champs de repos du Maroc par son ordonnance et sa propreté.

Autour du nom « Mellah »- , madinat Fas Fès éternelle et mystérieuse

Autour du nom « Mellah »

Photographie aérienne 1926 : Le Mellah et Fès-Jdid. Au premier plan jardins et pépinières.
Le quartier juif des villes marocaines est appelé « Mellah », on pourrait même dire          était appelé car il ne reste plus de quartier juif au Maroc.

Le premier Mellah créé au Maroc est celui de Fès : l’accord est unanime sur ce point. Le consensus n’est pas total pour fixer le date de sa fondation ; les avis sont encore plus partagés quant à l’origine de ce mot qui a fait l’objet de diverses interprétations et recherches étymologiques. Chacun ou presque a voulu mettre son grain de sel !

Une fois déterminée l’origine du mot, il restera à préciser dans un prochain article la date où les juifs ont été installés en communauté organisée, dans le Mellah de Fès.
Commençons par ce qui fait consensus dans l’origine du mot Mellah : l’appellation est purement marocaine.

Gaudefroy-Demombynes, dans un article de mai 1914 nous dit : « elle n’a été signalée, hors du Maroc, qu’à Alger où « melahin » a désigné jadis un groupement juif. Le mot n’est pas juif ; la source est à chercher en terrain berbère ou arabe, plutôt arabe puisqu’il s’agit d’un mot citadin. Or cette recherche n’a conduit à rien, sauf à accepter, provisoirement, une étymologie populaire ».

Pour plusieurs auteurs, l’hypothèse la plus vraisemblable de l’origine du mot Mellah est à chercher dans « quartier des Juifs forcés de saler les têtes des rebelles pour l’exposition publique ».

Gaudefroy-Demombynes, constate d’ailleurs que cette étymologie jouit au Maroc d’une grande popularité et qu’elle a même conduit à l’emploi d’un euphémisme péjoratif : le  « mellah » – le saleur – est appelé « massus » – le fade -.

Pascale Saisset dans « Heures juives du Maroc » en 1930 reprend la même remarque : « les Arabes nous appellent les « M’llahs » – les salés – parce que nous salions les têtes des prisonniers du Sultan. Les Fasi nous appellent aussi les « M’sous ». Un salé c’est un homme qui a encore du goût, mais un « m’sous » c’est un « moins salé » !

Pascale Saisset, si elle admet cette étymologie populaire, n’est pas absolument certaine que les Juifs aient salé les têtes, avant de les planter sur des piques. Cette coutume a-t-elle existé ? Elle est contestée par la plupart des juifs mais aussi des orientalistes. Néanmoins, dit-elle, pour que la légende ait été créée, et qu’elle ait persisté assez pour déterminer le nom des villes juives, il a bien fallu qu’il y eût un fait à l’origine : ou bien le mellah fut choisi comme lieu le plus propice à cette opération, ou bien les juifs ont pu subir occasionnellement cette corvée.

Le mot mellah est purement marocain. Gaudefroy-Demombynes en veut aussi pour preuve que les quartiers habités par des Juifs dans le reste du Maghreb s’appellent  harat el-lhüd , derb lehüd, sara. « L’institution qu’il désigne paraît, elle aussi, être purement marocaine : le « mellah » est en effet un organisme politique, créé et conservé par le souverain, alors que les autres groupements juifs du Maghreb paraissent avoir été de simples agglomérations formées par les affinités communes de religion et de mœurs et par des fonctions économiques semblables (bijoutiers, armuriers, changeurs, etc …), où les institutions communes sont purement religieuses ou économiques ».

Et si l’on considère que le « mellah » de Fès est le plus ancien exemple de quartier juif organisé administrativement, surveillé et protégé par le souverain, on admet, que les autres « mellah » en sont une imitation. S’il en est ainsi, c’est à Fès qu’il faut chercher l’origine du mot qui se serait étendu, avec l’institution même, aux autres cités marocaines. C’est donc dans l’histoire des origines du « mellah » de Fès que l’on peut trouver quelques indications.

L’actuel « mellah » de Fès fait partie d’un ensemble de constructions, élevées hors de l’ancienne capitale idrisside, par les souverains mérinides qui y établirent le siège de leur gouvernement, à distance respectueuse des turbulents quartiers « Andalous » et « Qarawiyin ». En face du vieux Fès, Fas el-Bali, Abou Ya’qoub Youssef, construisit, en 1276, la Cité blanche « el-madinat el-beida », groupe de palais et de jardins destinés à la famille mérinide. À côté de la Cité blanche, s’élevèrent des édifices avec des grandes écuries pour les chevaux et des boutiques de toutes sortes de marchands et d’artisans, et dans une troisième partie les casernements pour les soldats de la garde. Ces différents quartiers, isolés les uns des autres, forment, ensemble, la ville neuve de Fès, Fas el-Jdid.

On a cru, d’après des indications assez vagues du Rwad el-Qirtas, que la ville neuve avait été construite tout entière en 1276 et que le sultan Abou Ya‘qoub Youssef y avait aussitôt installé la communauté juive, resserrée et exposée dans l’Aduat el-Qarawiyin du vieux Fès : c’est l’opinion qu’a très clairement exposée M. Henri Gaillard dans «Une ville de l’Islam, Fez ».

Robert Assaraf (« Éléments de l’histoire des juifs de Fès de 808 à nos jours ») évoque pour ne pas la retenir, cette hypothèse de l’installation des juifs au mellah, en 1275, suite à une émeute anti-juive qui éclata à Fès et fit quatorze victimes. Les raisons exactes de ce massacre sont mystérieuses.

« L’émeute de 1275 a suscité bien des interprétations divergentes. C’est de cette époque que certains datent la création du mellah, d’un quartier juif spécifique, à Fès-Jdid, la ville nouvelle fondée par Abou Youssef Yaqoub (1258-1286). Ce monarque aurait transféré à Fès-Jdid les juifs qui résidaient jusque-là à Fès el-Bali.

Rien ne permet d’étayer cette affirmation qui découle d’une interprétation tendancieuse d’un passage du Rawd el-Qirtas. Celui-ci fait état de la présence de juifs à Fès-Jdid. Il ne parle cependant pas du transfert contraint de l’ensemble des juifs fassis dans cette nouvelle portion de la ville. Tout laisse à penser que les juifs ont continué à vivre en médina, et que seuls quelques-uns d’entre eux, les plus liés au pouvoir, se sont installés à proximité du palais ».

À cette époque la majeure partie de la population juive était installée à Fès el-Bali dans le quartier qui conserve encore aujourd’hui le nom de Fondouk el-Youdi (près de Bab Ghissa).

On remarquera que la création de Fès-Jdid est datée de 1276. Le Rawd el-Qirtas relate le massacre des juifs du fondouk el-Youdi le 2 Chaoual 674 (mars 1276), juste avant la fondation de Fès-Jdid :
« Le 2 de Chaoual, les juifs furent massacrés à Fès par les habitants, qui, ayant fait irruption chez eux, en tuèrent quatorze, et il n’en serait pas resté un seul si l’émir des Musulmans n’était monté à l’instant à cheval pour arrêter le massacre, en faisant publier l’ordre formel de ne point approcher des quartiers juifs.
« Le 3 de Chaoual, l’émir décréta la construction de la nouvelle ville de Fès et, le jour même, les premiers fondements furent jetés sur la rive du fleuve en présence de l’émir, à cheval, et les fekhys Abou el-Hassen ben Kethan et Abou Abi Allah ben el-Flabâk en tirèrent l’horoscope … ».

Certains auteurs ont voulu voir une relation de cause à effet entre cette émeute et le recasement de la population juive au Mellah. Mais il est évident que cette installation ne put se faire avant la construction de la ville.

Henri Bressolette dans son article, avec Jean Delarozière « Fès-Jdid , de sa fondation en 1276 au milieu du XX ème siècle » considère que le fait le plus important concernant Fès-Jdid, est l’installation de la population juive dans le quartier sud de la ville … ce qui confirme que les juifs n’ont pas été installés à Fès-Jdid au moment de la création de la ville neuve.

Louis Massignon (« Le Maroc dans les premières années du XVI ème siècle »Alger 1906), a identifié le « mellah » avec un quartier de la nouvelle ville, « la cité de Himç », fondée par le sultan Abou Saïd Othman à côté de la « Cité blanche ».

Massignon, cité par Gaudefroy-Demombynes, pense que cela avait été la qasba des archers Ghouzz dont parle Léon l’Africain ; que ces archers avaient été supprimés en 1320 pour faire place à des arbalétriers, et que vers cette époque, entre 1310 et 1325, le sultan avait établi le « mellah » dans la qasba abandonnée. Cette hypothèse vraisemblable paraissait être confirmée par un texte d’lbn Khaldoun, auquel renvoyait M. Massignon, et qui prouverait qu’en 1360 les Juifs étaient installés dans le « mellah » de la cité neuve de Fez. C’était en effet le texte le plus ancien qui contînt un mot arabe que de Slane a transcrit en « melah ».

Tout le monde semble s’accorder pour dire que la dissolution de la milice, vers 1325, a libéré de l’espace dans ce quartier de Fès-Jdid occupé au XII ème siècle par les archers syriens, originaires d’Homs, recrutés par les premiers Mérinides pour servir dans leur garde personnelle. Le quartier était alors désigné sous le nom d’« Himç », déformation d’Homs, et fut progressivement déserté au fur et à mesure que les difficultés financières des souverains les amenèrent à diminuer le nombre de mercenaires dans leurs armées.

Gaudefroy-Demombynes utilise le même texte d’Ibn Khaldoun pour émettre un avis différent de celui de Massignon quant à la date d’installation des juifs au Mellah :

« Ibn Khaldoun raconte qu’au milieu des désordres politiques de l’année 1361, des intrigues de palais mirent en présence, dans la ville neuve de Fès, la milice chrétienne et la milice andalouse, et que le caïd de la milice chrétienne et les soldats qui l’accompagnaient furent tués après un combat acharné. Les autres s’enfuirent vers leur camp, appelé le « melah » et voisin de la ville neuve. Dans la Médina ( Fas el-Bali), la populace répandit le bruit qu’Ibn Antoun ( caïd de la milice chrétienne) avait trahi le vizir, et se mit à tuer les soldats de la milice chrétienne partout où on les trouva dans les rues de la Médina. Puis on se rua sur le « melah » pour égorger les miliciens qui s’y trouvaient. Les Mérinides (il s’agit des chefs des grandes familles et leurs gens qui, dans el-Beida, restaient les maîtres de l’empire) montèrent à cheval pour protéger leur milice contre la fureur de la populace. La milice perdit ce jour-là la plus grande partie de son argent et de son mobilier ».

Loin de prouver que les Juifs étaient installés dans le « mellah » de la ville neuve, ce texte démontre au contraire que ce quartier était occupé par la milice chrétienne ; la deuxième phrase semble indiquer que le mot el-melah est simplement un lieu-dit de Fas el-Jdid.»

Ce texte d’Ibn Khaldoun renseigne par contre sur l’origine du mot « Melah » : ce serait le nom d’un lieu-dit.

Un texte plus ancien (1338) de lbn Fadl Àllah el-Omari, qui a rapporté des informations orales recueillies auprès des étrangers qui venaient à la cour des sultans mamelouks du Caire et avec lesquels ses fonctions de secrétaire d’État le mettaient tout naturellement en relation, donne des précisions :

El-Omari explique que de son temps, c’est-à-dire vers 1338, outre la «Cité blanche » qui, fondée par Abou Ya‘qoub Youssef, donne souvent son nom à la nouvelle ville tout entière, et le « ribat en Nsara », « la caserne des chrétiens », la ville neuve de Fès se compose  « de la cité de Himç » dont l’emplacement s’appelait « el-Melah » et qui fut construite par Abou Said Othman, à côté d’« el-Beida », dans le premier tiers du XIV ème siècle (1311-1331)

En voulant préciser la position de « Himç – eI-Melah », El-Omari paraît s’embrouiller un peu dans la description des cours d’eau, fort emmêles d’ailleurs, qui forment en cet endroit l’oued Fas. Pourtant ses indications concordent fort bien avec la position actuelle du « mellah », au sud du Dar el-Maghzen et de la Qasba, constate Gaudefroy-Demombynes, qui ajoute :

« Du texte mieux étudié d’Ibn Khaldoun et de celui d’El-Omari, il ne paraît pas audacieux de conclure que le mot « mellah » tire simplement son origine du vieux nom de l’un des territoires sur lesquels les Mérinides construisirent la ville neuve de Fès. Rien n’autorise d’ailleurs à lire dans ces textes « mellah » plutôt que « melah ». Les manuscrits ont un terme arabe sans chebda, et de Slane a transcrit « melah ». M. Cahen qui signale l’appellation d’une partie du quartier juif d’Alger, l’écrit « melahin ». On peut donc penser que la forme primitive du nom de lieu est       « el-melah » et qu’il rentrerait dans la masse des termes qui , dans l’onomastique de l’Afrique du Nord, désignent des terrains, des cours d’eau ou des bassins où affleurent les sels de soude, de potasse et de magnésie ».

Gaudefroy-Demombynes, dit qu’il ne faut pas attacher une importance trop grande à la transcription melah ou mellah, et mellahin – les gens du mellah – ou melahin, car l’information est recueillie dans un travail déjà ancien et extérieur à la linguistique. L’ancienne forme est el-melah et mellah l’actuelle.

Il est d’ailleurs amusant de constater qu’à la fin de son article il fait référence à son collègue et ami, Gaëtan Delphin, qui « veut bien me dire sa conviction que le vieil Alger n’a connu qu’un « hammam el melah » qui devait son nom à une source salée, et un   « suq el-mellahin », qui était le quartier des marchands de sel. Tout ce qui concerne les     « melahin » de Cahen devrait donc disparaître des pages précédentes. Il est bien entendu qu’Alger n’eut jamais un quartier juif organisé, un mellah ». !
(Gaëtan Delphin, professeur d’arabe à la chaire publique d’Oran, est l’auteur en 1889, de  « Fas, son université et l’enseignement supérieur musulman »)

Letourneau et Bressolette confirment que le quartier primitivement appelé Himç (c’est à dire Homs ou Emèse, la ville de Syrie) était édifié sur un emplacement appelé Melah dans la toponymie locale. Bressolette ajoute : « le nom de Himç fut alors changé en Mellah, à la suite, croit-on, de la découverte d’une source d’eau salée. De Fès, cette désignation s’étendit aux autres villes du Maroc pour désigner le ghetto ».

L’appellation mellah viendrait donc tout simplement d’un lieu-dit de Fès-Jdid « el-melah » en rapport avec un sous-sol plus ou moins salé. L’hypothèse étymologique macabre des têtes coupées et salées est décapitée !

Avant d’essayer de préciser la date où les juifs ont été installés en communauté organisée dans « el-melah » de la ville neuve de Fès, et aussi celle où le mot, faisant corps avec l’institution s’est appliqué à tous les ghettos de l’empire marocain, nous ferons part d’une étymologie qui ne fait pas référence au « sel » pour expliquer l’appellation de « mellah » du quartier juif.

Elle est donné par Omar Lakhdar, (auteur de «Mogador, Judaïca. Dernière génération d’une histoire millénaire »), dans la Gazette de Dafina du 4 décembre 2013 dans un article intitulé « La fin d’un mellah » :

« Pour revenir à l’étymologie du mot « Mellah », il faut signaler qu’à l’époque de la dynastie des Mérinides, le premier quartier des juifs construit à Fès-Jdid, fut connu comme le quartier des « Ahl Mella » qui signifie tout simplement le quartier des « Gens de la Religion » ou des « Gens du Livre ». « Al Mella’h » en arabe , qui d’après l’encyclopédie de l’Islam serait un nom d’origine juive, est le synonyme du mot religion. D’un autre côté, «Millah » en hébreu signifie circoncision ( ברית מילה = alliance – parole ). La circoncision, rite fondamental dans la religion juive, rappelle l’alliance promise par Dieu à Abraham et après lui, à tout le peuple d’Israël. L’Ancien testament fait d’Abraham et de sa famille les premiers circoncis. Lorsque Dieu apparaît à Abraham, il lui indique ainsi les termes de son alliance avec le peuple juif :
« Et voici mon alliance qui sera observée entre moi et vous, et ta postérité après toi : que tous vos mâles soient circoncis. Vous ferez circoncire la chair de votre prépuce, et ce sera le signe de l’alliance entre moi et vous. Quand ils auront huit jours, tous vos mâles seront circoncis, de génération en génération ».

Millah ou Mellah est donc un mot d’origine juive et non arabe, utilisé pour la première fois par les Juifs. Il peut désigner « les gens du Livre » pour les musulmans ou les « alliés d’Abraham » pour les Juifs, ce qui revient au même. Le premier européen qui s’est servi du mot Millah «  מילה » est Jackson qui a écrit son ouvrage sur le Maroc en 1809. Peut-être c’est le début de la confusion !

C’est la première fois que j’entends parler de cette étymologie du mot mellah ; j’avoue que je n’ai pas saisi totalement le lien entre la circoncision et l’appellation de ce quartier de Fès-Jdid. C’est donc avec circonspection que je vous confie ce lambeau d’explication.

Quelques livres autour du Mellah :

Abitbol Michel : Le passé d’une discorde, juifs et arabes depuis le VII siècle
Assaraf Robert : Une certaine histoire des juifs du Maroc
Assaraf Robert : Eléments de l’histoire des juifs de Fès
Bénech José : Essai d’explication d’un mellah
Henri Bressolette, Jean Delarozière « Fès-Jdid, de sa fondation en 1276 au milieu du XX ème siècle » Hespéris Tamuda
Gaillard Henri : Une ville de l’Islam: Fès
Gaudefroy-Demombynes : Marocain mellah
Goulven J. : Les mellahs de Rabat-Salé
Kenbib Mohammed : Juifs et musulmans au Maroc
Lévy Armand : Il était une fois les juifs marocains.
Le Tourneau Roger : Fès avant le protectorat
Saisset Pascale : Heures juives du Maroc
Toledano Joseph : Le temps du Mellah
Zafrani Haïm : Deux mille ans de vie juive au Maroc
Zafrani Haïm : Juifs d’Andalousie et du maghreb
Zafrani Haïm : Le judaïsme maghrébin
Zafrani Haïm : Les juifs du Maroc, vie sociale, économique et religieuse.

vue-mellah

Photographie avant 1920 : quartier du mellah de Fès, vu de l’infirmerie du camp de Dar Mahrès. Au centre le cimetière juif, puis le Mellah et derrière : à gauche les bâtiments du palais du Sultan, à droite Fès-Jdid. Au premier plan , les petits ânes chargés de briques (les briqueteries sont dans le creux en face du Mellah.

Pose  de la première pierre de l’internat du collège Moulay Idriss de Fès en mai 1940

Pose  de la première pierre de l’internat du collège Moulay Idriss de Fès en mai 1940

Le collège Moulay Idriss de Fès est le premier collège musulman créé après l’instauration du protectorat. Ouvert en octobre 1914, il est installé provisoirement à Dar Mnebhi, en médina ( Dar Mnebhi fut la première résidence de Lyautey quand il arriva à Fès en Mai 1912).

La rentrée scolaire en octobre 1915 s’effectue, avec vingt cinq élèves, dans l’ancienne demeure du Caïd Mac Lean, dont le vaste parc traversé par une belle rivière offrait aux jeunes étudiants musulmans un lieu d’études particulièrement agréable.

Le collège musulman devient ensuite le Collège Moulay-Idriss dont la construction a commencé en 1917 (architecte Canut) à son emplacement actuel. Il voisinait alors avec la Résidence générale Dar Beïda.

Ce Collège est destiné à former les futurs fonctionnaires centraux et locaux du Maghzen (pachas, khalifas, agents financiers ou fonctionnaires judiciaires). Il débute avec une seule classe d’une douzaine d’élèves, enfants des meilleures familles fasi et une classe sera ajoutée chaque année jusqu’à atteindre les 6 classes du collège.

Théoriquement l’enseignement doit se faire en arabe, la langue française n’étant apprise que comme langue de communication avec les Français. Mr BEL, premier directeur, profite du voisinage de la Karaouiyine pour établir des liens avec cette université : l’enseignement du droit et de la théologie se fait à la Karaouiyine.

De 1914 à 1916, l’enseignement se fait davantage en français qu’en arabe et les relations avec la Karaouiyine deviennent plus rares. En 1916, le dahir qui crée officiellement les collèges musulmans rend obligatoire l’enseignement en arabe et le français sera enseigné comme langue étrangère. Les résultats ne sont pas à la hauteur : on a des difficultés à trouver des professeurs musulmans ou français capables d’enseigner les matières modernes en arabe et les élèves quittent le collège avant la fin de la scolarité, insatisfaits de ce qui leur est proposé.

En 1918 on revient à l’enseignement en français ! « le français doit être enseigné comme une seconde langue maternelle ».

Ces hésitations se retrouvent dans l’appellation du collège. En 1921 on donne aux Collèges Musulmans (Moulay Idriss à Fès et Moulay Youssef à Rabat) le nom d’ «École supérieure musulmane » car le nom de collège « sonne » mal et pour distinguer les Collèges musulmans des collèges français.
En 1923, on reprend le nom de Collège musulman car on vient de créer l’Institut des Hautes Études marocaines qui propose un enseignement plus supérieur que celui de l’École supérieure musulmane !!

Le Collège Moulay Idriss de Fès scolarise uniquement les élèves de Fès (ou qui ont des correspondants à Fès) car il n’a pas d’internat, contrairement Au Collège de Rabat qui eût un internat dès sa création en 1926. ( Le Collège Moulay Youssef a aussi une section d’élèves maîtres-musulmans).

Il faut attendre 1942 pour voir un internat ouvrir au collège Moulay Idriss. Cet édifice a été construit entre 1940 et 1942, et a été conçu pour loger 50 élèves.

013 Internat My Idriss 1940 (1)

 

On notera que si Moulay Idriss n’avait pas dans les années 20 d’internat, il avait une  « association des Anciens élèves du Collège de Moulay Idriss ». L’autorisation de création avait été donnée avec réticence. Le siège de l’association était au collège même  « où le directeur peut exercer sur elle une surveillance constante ». Les autorités françaises considèrent qu’une telle association est moins dangereuse au grand jour et qu’il ne suffirait pas de l’interdire légalement pour la supprimer ! Paradoxalement elles ont préféré ne pas autoriser auprès du Collège Moulay Youssef de Rabat une association analogue
.

(Pour la petite histoire, le Lycée Mixte de Fès (enseignement européen) n’a jamais eu d’internat malgré plusieurs projets et la première association des Anciens élèves date de 1946, association créée pour financer la réalisation d’un monument aux morts, en hommage aux enseignants, personnels ou élèves tués lors de la guerre 1939-1945).

15Tolbas My Idriss 1940 (1)

Photo T.C.A.F.N. Section cinématographique S.P 505 Mai 1940

Les Zaouïas de Sefrou

Les Zaouïas de Sefrou

Image à la une : cette carte postale de 1913/1914 représente le marabout de Sidi Bousserghine, appelé ici Marabout du Fort Prioux (du nom du lieutenant Prioux tué en 1911). L’expéditeur de cette carte, écrite le 26 octobre 1914, commente ainsi la photo : « ceci représente une sorte d’église comme il y en a beaucoup chez nous. Là, les arabes et les marocains vont faire leurs dévotions. Tel que tu le vois c’est tout à fait sur le haut d’une montagne ».

L’article que je vous propose ici est extrait de « Historique de Sefrou », thème d’une conférence des « Amis de Fès », prononcée par S.E. Si Mbarek BEKKAÏ, pacha de Sefrou, le 30 avril 1950 à Riad Caïd Omar à Sefrou. ( Si Bekkaï, pacha de Sefrou depuis 1944, démissionne de son poste en 1953 lorsque que le Sultan Sidi Mohammed ben Youssef est « éloigné », à Madagascar, avec sa famille.  Si Bekkaï sera en décembre 1955, premier ministre du premier gouvernement formé par S.M. Mohammed V, après l’indépendance).

Les Zaouias à Sefrou

Au Maroc, d’une façon générale, quelle est la cause de l’existence des confréries religieuses ? Le Coran, qui est une révélation de Dieu et qui constitue un pur chef d’œuvre au point de vue spirituel et temporel, est parfois trop subtil pour la compréhension d’une masse, surtout lorsque celle-ci est illettrée. Même entre les plus grands savants de l’islam, il y eut des divergences d’interprétations sur certaines phrases du Coran, divergences très petites certes, mais elles n’en existaient pas moins puisqu’il y a quatre sectes musulmanes. Nous les citons :

– Hanbalite
– Chaféite
– Hanafite
– Malékite

Le Maroc est entièrement Malékite. Si la constatation que nous venons de faire vaut pour les fins lettrés, elle vaut encore davantage pour le peuple ignorant. Il a donc fallu des initiateurs et des interprètes à une contrée bien imprégnée de l’Islamisme, mais souvent inapte à saisir toutes les nuances et à pratiquer parfaitement les cinq commandements de Dieu.

À Sefrou, il y a un assez bon nombre de sièges de Zaouïas, mais leur rôle original semble nettement en régression, tant et si bien, que dans leur majeure partie, elles ne vivent plus qu’en tant que Mçides, en enseignant purement et simplement le Coran. Je les cite :

1- Zaouïa de Sidi Lahssen ben Ahmed – surnommée Bouqabreïne, parce qu’enterré à Azaba ce saint fut exhumé secrètement par les Ahel Sefrou, pour être inhumé chez eux. Quand les gens d’Azaba apprirent la nouvelle, ils vérifièrent et s’étonnèrent de ce que le corps du Saint homme était toujours en place. C’est ainsi que la légende veut que Sidi Lahssen soit enterré à la fois à Azaba et à Sefrou.

2- Zaouïa de Sidi Mohamed ben Aïssa – Le chef de la Zaouïa est un descendant de Sidi Mohamed ben Aïssa de Meknès.

3- Zaouïa de Sidi El-Khatri – originaire des Angad.

4- Zaouïa de Sidi Mohamed ben Larbi – originaire de Medghra (Tafilalet)

5- Zaouïa de Sidi Abdelkader Jilali – cette zaouïa a été créée par le Caïd Mohamed ou Saïd Barbara, des Aït Youssi.

6- Zaouïa de Sidi El Ghazi – cette zaouïa sert de cimetière à des notables qui achètent des terrains pour enterrer leurs morts.

7- Zaouïa Tijania – Fondée en 1895 par le puissant Caïd Omar El-Youssi.

8- Zaouïa Kittania – zaouïa fondée par les Chorfas Adlounyne de Sefrou, il y a environ 20 ans. Ses adeptes sont les disciples de Si Abdelhaï El-Kettani.

9- Zaouîa des Kenadsa – originaire des Kenadsa de Colomb Béchar.

10- Zaouïa Sadqla – cette zaouïa dont les origines sont totalement ignorées se trouve à El-Kelaa.

11- Zaouïa de Moulay Ali Chérif – cette zaouïa porte le nom de l’ancêtre de la dynastie Alaouïte. Elle fut créée par le Sultan Moulay Abdellah, en vue d’héberger les savants et les notables venant du Tafilalet et appelés à séjourner à Sefrou.

12- et enfin le Marabout de Sidi Bousserghine – sans comparaison aucune avec Sidi Lahssen El-Youssi, qui fait encore autorité dans le monde des lettres arabes et de la philosophie musulmane, et qui fut célèbre à la cour du Sultan Moulay Ismaïl, Sidi Ali Bousserghine, dont les origines n’ apparaissent pas d’une façon très précise, est incontestablement le sanctuaire le plus visité de Sefrou.

138-a Sidi Bouserghine

Carte de 1920 environ intitulée Marabout Ali Bousserghin.

D’une hauteur voisine de 900 mètres environ, Sidi Ali Bousserghine, domine toute l’oasis qui est tapie à ses pieds. Dans ses alentours immédiats, il existe une source miraculeuse qui a la renommée de guérir la stérilité chez les femmes. Ce Marabout aux tuiles vertes, se situe dans un cadre unique. Il est certain qu’en plus de la foi qui anime les pèlerins qui s’y rendent, venant souvent d’assez loin, il faut ajouter l’attrait du panorama de la ville qui les attire. Sidi Ali Bousserghine est également le rendez-vous de peintres de talent. Il est l’objet d’assez fines toiles.
Ses descendants au nombre de 80, que l’on trouve tous à El-Kelaa, entretiennent et gèrent le sanctuaire de leur ancêtre avec soin. La municipalité vient de placer l’eau courante dans le Marabout et s’apprête à le doter de lumière. Un café-restaurant est prévu dans le voisinage du Marabout, mais sans en altérer la beauté ni en profaner la mémoire. Il y attirera, au contraire, plus de pèlerins qui y trouveront sur place toutes commodités qui les retiendront.

140 Sidi Bouserghine

Le marabout qui domine la ville de Sefrou, aperçue à droite

Sefrou Marabout Sidi Bouserghine

Sidi Bousserghine il y a une dizaine d’années

Noël à Fès en 1490

Noël à Fès en 1490

Image à la une : photographie anonyme. Église Saint Michel, quartier du Batha à Fès, en décembre 1915, avec sur la gauche la crèche de Noël. Cette église construite en 1912, fut la première église catholique de Fès, après le départ des religieux franciscains dans les années 1700 et leur retour en 1912. Voir à ce sujet : Le Père Michel Fabre

En cette fin d’année 2017, je vous propose ce « conte de Noël » : Noël à Fès en 1490,écrit par Paul Odinot (Paul ODINOT : officier, écrivain) à l’occasion d’un Noël dans les années 1940 ( j’ai oublié l’année exacte !).

Oh ! Tanger, Oh ! Tanger ! Tanger ville démente.
Oh ! Maroc ! Pays de la barbarie soupirait Saint-François-d’Assise au début du XIIIe siècle après avoir fondé des monastères aux puissantes murailles dans la solitude des forêts ! C’est au Maroc que j’irai porter la croix et la parole de Jésus.

Dieu n’avait pas permis ce sacrifice, mais sans répit, des cœurs ardents pleins de foi étaient venus s’offrir en holocauste.
Bérard de Carbio qui savait l’arabe, Fernand de Castro le chevalier à la belle armure, Jean Robert chanoine de Coimbre, Daniel de Belvederio qui fut décapité à Ceuta, Dominique et Martin qui portèrent la djellaba, Agnellus évêque de Fès, Loup Ferdinand Dain qui lui succéda, Benito de Podio, Dionisio de Santo Homero qui baptisèrent des milliers d’infidèles, Ménélas et Rodriguez, Diego de Xerez évêque d’Ouergha, Barthélémy, Permas et cent et cent autres, vont pendant des siècles obscurs parcourir le Maroc, consolant les captifs, les rachetant tant qu’ils possédaient un denier, les consolant quand ils devaient les abandonner à leurs fers et à leurs souffrances …

Justice leur soit rendue. Ils furent les premiers à parler de paix et de bonté. Ils furent les premiers à faire entendre le parler latin aux bords de l’Oued Fès et aux pieds du Zalagh.
Et ceci dit, écoutez un conte de Noël.

Donc, ce soir du 24 décembre 1490 il y avait à Fès, grande liesse chez les chrétiens dont les boutiques voisines du Fondouk Diouane étaient illuminées de gros cierges de cire jaune.
En effet, la fête de Noël devait être joyeuse plus encore que les autres années car les frères Trinitaires français, Pierre Beucard et Jean Le Vasseur venaient d’obtenir du Miramolin Saïd Cheikh, le rachat, moyennant beaux doublons d’Espagne, de 204 captifs.

Et cette nuit-là, ces malheureux devaient être libérés de la « sagène » humide et venir à la maison où les pères, les soldats et les marchands chrétiens avaient préparé toutes sortes de douceurs pour les réconforter et célébrer la fête de l’Enfant …
Presque nus, décharnés, leurs pauvres corps zébrés de raies sanglantes, les yeux rougis d’avoir pleuré, éblouis de tant de lumière au sortir des matamores, les pauvres captifs n’osaient croire leur bonheur et de leurs mains terreuses n’osaient toucher aux petits pains blancs posés devant eux.
Et quand le père Le Vasseur, avec sa barbe blanche entonna un cantique pour rendre grâce au Seigneur, les malheureux croyaient rêver, ils se tâtaient pour voir s’ils n’étaient pas à la porte du paradis et puis ils éclatèrent en sanglots, ces rudes marins, ces coureurs d’aventure à qui la souffrance avait rendu une âme d’enfanton qui s’en va dans la nuit froide vers l’église illuminée où l’on chante …
Et soudain sur le seuil du souterrain où les chrétiens s’étaient réunis pour que les musulmans voisins n’entendent point leurs réjouissances, voici qu’apparut le père Diego de Burgos, avec sa grosse trogne réjouie et brune … Dans son baragouin il essayait d’expliquer quelque chose que personne ne comprenait. Mais il ouvrit son manteau de bure et des yeux ébaubis contemplèrent dans ses bras un enfant qui dormait, un enfant très beau, au visage très doux et très pale.

Ah ! Noël, Noël crièrent tous ces simples hommes, c’est Dieu qui nous l’envoie. Il sera chrétien et sera notre fils.
Le père Le Vasseur fit faire silence – qu’un soldat du sultan entendit ce discours et s’en était fait d’eux tous – car l’Émir El Moumenin ne tolérerait pas qu’un enfant musulman trouvé dans la rue devint chrétien. Il fallait donc être discret. Tous promirent et l’on vit ces têtes hirsutes se pencher sur l’enfant posé dans sa litière et des mains noueuses se tendre pour jurer, tremblants comme s’ils avaient juré devant Dieu le fils, lui-même.
Et Hieronimo un captif italien tira de sa chemise la médaille bénite qu’il n’avait jamais quittée dans la tempête, une médaille de la Vierge noire qui protège les marins et il passa le cordon graisseux au cou du nouveau-né.

Nous sommes en 1516. La guerre entre les Chérifs et les Portugais bat son plein.

Devant Safi, près d’Azemmour on se portait de rudes coups. Mamoura venait d’être reprise par les guerriers musulmans. Et dans l’intérieur du pays les chrétiens sont malmenés, traqués. Un bateau français, bravant tous les périls de la mer inconnue, de la terre inhospitalière est venu de Marseille à Santa Cruz pour échanger les toiles de Miramas contre du sucre de canne et de la rosette du cuivre.
Grâce à Dieu et à la Bonne Mère – c’est le nom de la galiotte -, l’opération a réussi sans trop de difficultés et Isidore Tuvache le patron se réjouit en pensant aux bénéfices qu’il va réaliser.
Ce soir là d’ailleurs, tout l’équipage est en fête. C’est Noël et ces rudes marins se préparent à célébrer la naissance de l’Enfant par de bonnes mangeailles et de grosses beuveries.

Mais le navire est ce soir à hauteur de la Mamoura, où croisent toujours des bateaux d’écumeurs de mer et pour comble de malchance, il y a grand clair de lune et pas de vent. La « Bonne Mère » n’avance pas … et Tuvache se refuse de libérer l’équipage tant qu’on n’aura pas gagné la haute mer et la profondeur des brumes protectrices.
Et bien lui en prend car le mousse signale aux matelots qui jurent : « Chebeck à bâbord, droit sur nous ! »
Tuvache appelle les hommes de l’équipage ; ils ne sont que quinze, mais lui a son plan tout prêt en tête. Il leur explique ce qu’il veut. Laisser venir le bateau ennemi à une demi encablure, personne sur le pont comme si le bateau était abandonné, ne pas répondre aux coups qu’on recevra jusqu’à ce que lui l’ordonne. Préparer les deux pierriers, tous les deux à tribord, par où l’ennemi abordera à cause de la brise …
« Et maintenant, ajoute-t-il, que ceux qui veulent connaître les chiourmes de Salé manquent de cœur ! »

Le Chebeck avec ses six canons de bronze fond sur la proie qui semble résignée à son sort. En effet, la galiotte est maintenant immobile sur la mer lumineuse, aucun cri, aucun ordre, pas de branle-bas de combat, aucun matelot dans les vergues …
Le corsaire s’approche alors avec méfiance et envoie une décharge dans les flancs du navire, dont la membrure craque, mais rien ne répond.
Les Morisques sont fins renards et flairent un piège mais enfin il faut bien accoster et l’on ne peut pas user sa poudre pour rien.
Sans doute, comme cela s’est produit parfois, l’équipage a fui dans les barques.

Alors le capitaine Moustafa Slaoui commande l’abordage. Et ils sont là, quarante guerriers, aux yeux de braise, sabre au poing, couteau aux dents, sur le bastingage, rangés comme des étourneaux sur la muraille du verger.

Et alors Tuvache le patron a fait un signe et les pierriers crachent leur brocaille, fauchant à bonne hauteur les assaillants, couchant sur le pont les trois quarts de l’équipage corsaire.
Et aussitôt de grands cris s’élèvent, des hurlements et les marins de la « Bonne Mère » s’élancent à leur tour sur le vaisseau ennemi, faisant du bruit comme cent.

Noël ! Noël ! Jésus ! Marie !

Les moutons sont devenus les lions et dans la lumière douce de la lune les lames tranchent les visages, les piques percent les poitrines.
Longtemps sur le gaillard d’arrière trois Maures résistent autour du capitaine qui par deux fois décharge ses pistolets jetant bas Guichard le Poitevin et Garroudec le Breton.
Mais leste comme un singe, le mousse est venu par les haubans de la brigantine et d’un coup de barre de fer, assomme le capitaine …

Alors, tous se jettent à genoux et font une simple prière pour remercier Dieu de leur avoir donné la victoire.
Il serait imprudent de s’attarder dans ses parages et Tuvache donne des ordres brefs.
« Prendre les prisonniers et les blessés, fouiller la cale du corsaire mais ne prendre que les vivres, la poudre et les voiles, couler sans bruit le Chebeck. »
Chacun s’affaire pour obéir et soudain Guillaume le Narbonnais dit Belzébuth à cause de son nez busqué et de sa barbiche en pointe se présente tout pâle au patron et déclare : « quant à pendre ce mécréant, j’y renonce, le filin et il était solide, a cassé deux fois, recommencer, Dieu ne le veut pas ».
Tuvache s’irrite et ricane … Un vieux matelot italien s’approche et dit: « Je sais pourquoi ! le Maure a ses amulettes au cou. Il ne peut mourir que vous ne les enleviez. Tenez, vous allez voir. » Et lui-même se penche sur le Maure qui étourdi, blessé n’a pas encore ouvert les yeux. Mais soudain Hiéronimo pousse un grand cri. Il a vu sur la poitrine du capitaine prisonnier, une médaille de la Vierge noire mêlée à d’autres talismans, écrits magiques, sachets de terre, griffes de lion.

« Noël ! Noël ! crie-t-il, est-ce toi ? »
Le corsaire soulève ses paupières, mais on dirait qu’il ne voit pas, ou qu’il porte très loin son regard.
« Oui, dit-il, c’est moi Noël »…

Hiéronimo voudrait expliquer à Tuvache, l’histoire de l’enfant trouvé un soir de fête à Fès, mais Tuvache l’interrompt brutalement et crie : « Au beaupré ou je t’y envoie avec lui »
Alors le matelot se penche sur le jeune corsaire et lui passe la corde au cou, supplie « recommande ton âme à Dieu, Noël, souviens-toi que tu as reçu le baptême … »
Mais l’homme est comme un loup forcé par les chiens ; il soulève sa lèvre pour insulter, mais il se tait ; à quoi bon ! et tandis que François le borgne hisse le patient dont le visage se convulse et les jambes se tordent, Belzébuth et Gilles disent tout haut le Pater seule prière qu’ils savent …

Et bientôt la galiotte avec toute la toile court des bordées pour s’éloigner encore plus de la dangereuse rive et minuit est depuis longtemps passé quand Tuvache permet à l’équipage de se réfugier dans l’entrepont, pour fêter la naissance du Seigneur … et Hiéronimo raconte encore une fois l’histoire de l’enfant trouvé. Tous restent pensifs et tristes.
Alors Tuvache qui n’aime pas ces attendrissements, s’avance au milieu du carré et dit « Mes enfants qu’on défonce le tonneau de Malvoisie et qu’on chante en chœur le cantique de l’Enfant ».

Une production originale de l’artisanat de Fès : les carreaux de faïence émaillée

Une production originale de l’artisanat de Fès : les carreaux de faïence émaillée.

Il s’agit d’une conférence d’Henri Bressolette, prononcée en 1976 devant le Comité archéologique de Lezoux et dont le texte m’a été donné par sa famille. Je l’en remercie. J’ai déjà publié ce texte le 6 avril 2013 sur le site des « Anciens du Maroc », article accessible uniquement pour les membres inscrits (http://anciensdumaroc.forumactif.org/). Ce texte a été repris, en partie, dans le livre « À la découverte de Fès », publié en 2016 à l’Harmattan par les enfants d’Henri Bressolette à partir de textes laissés par leur père.

(Henri Bressolette est arrivé à Fès en 1932, pour enseigner l’anglais et le latin aux élèves  du collège Moulay Idriss. Il fut pendant plus de vingt ans secrétaire-général des « Amis de Fès », association pour laquelle il donna de nombreuses conférences toujours très appréciées).

La technique des carreaux de faïence émaillée (zelliges, en arabe) avait été importée du Moyen-Orient en Espagne. Cette industrie florissait en Andalousie depuis de nombreuses années, quand, à la fin du XIIIème siècle de notre ère, les souverains mérinides la découvrirent au cours de leurs expéditions de soutien au royaume arabe de Grenade menacé par la Reconquista. Émerveillés par les revêtements intérieurs de l’Alhambra, avec leur décor polychrome aux reflets métallisés, ils voulurent doter de ces splendeurs la nouvelle ville (Fès-Jdid) qu’ils édifiaient en amont de l’antique cité de Moulay Idriss (Fès el Bali). C’est ainsi que les zelliges furent introduits à Fès au début du XIVème siècle, pour y connaître un engouement qui ne s’est pas démenti depuis sept cents ans.

Les circonstances étaient particulièrement favorables au développement de cette technique, nouvelle pour le Maroc. À cette date, Fès, noyau du royaume idrisside aux IXème et Xème siècles, puis détrônée au profit de Marrakech du XIème au XIIIème siècles par les Almoravides et les Almohades, était redevenue sous les princes mérinides la capitale du royaume maghrébin ; aussi fut-elle prise d’une frénésie de construction. À côté du palais royal à Fès-Jdid, les hauts dignitaires se faisaient construire de riches demeures ; mosquées, oratoires et médersas (médersa: cité universitaire pour étudiants en science religieuse, pourvue d’une salle de prières) sortaient de terre dans les deux villes pour témoigner de la piété des nouveaux souverains qui ne s’étaient imposés que par leur force militaire ; vieilles et neuves, les maisons privées des bourgeois fassis se revêtirent à l’envi de ces zelliges, si bien adaptés au climat et aux habitudes de vie. Bref, les deux villes, l’ancienne aussi bien que la nouvelle, s’habillèrent de neuf et tapissèrent leurs murs de ces riches coloris, immortalisés par le feu contre la morsure du temps.

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Les fabricants de zelliges (Zellaidjiya) s’installèrent au sud-est de la médina, dans le quartier Ferharin, déjà réservé aux potiers, à côté de leurs confrères en céramique, les Harracha (poterie de l’argile blanche) et les Thollaya (faïence polychrome). Récemment, tous ont été recasés à la sortie Est de la ville, en bordure de la route de Taza, sur un emplacement libre d’habitations, où la fumée de leurs fours ne risque pas de gêner le voisinage.

Leur installation ne s’est guère modernisée pour autant : la seule concession au progrès a été la couverture en tôle ondulée pour certains hangars. Mais le reste, dans l’ensemble, est resté rudimentaire. Elle comprend essentiellement :
1- Dans un enclos rectangulaire fermé par de hauts murs, une vaste cour plane, de terre battue, utilisée comme aire de séchage pour les carreaux.
2- Dans un angle, à côté d’un énorme tas de mottes gris-bleu, la fosse à argile, dans son creux recouvert d’eau jaunâtre.
3- Dans un autre angle, le four, coiffé de son capuchon de doum (feuilles de palmier nain), en train de sécher.
4- Tout a côté du four, des bâtisses couvertes en terrasse pour le stockage du combustible : meules de doum et d’herbes sèches, et, étalée, une substance noirâtre et visqueuse, des grignons d’olives, résidus des noyaux après extraction de l’huile ; sous-produit des huileries modernes, ils servent à chauffer les fours, le peu de matière grasse qu’ils retiennent encore en dépit des solvants permettant d’augmenter à volonté l’intensité de la flamme.
5- Des hangars très aérés, ouverts sur un côté, couverts de tôle, pour le séchage à l’ombre, avant cuisson, des carreaux empilés et le stockage des produits finis, en attendant la vente.

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La matière première est l’argile bleutée, de couleur gris-sombre, tirée des parties les plus basses de la carrière ouverte au pied de la colline de Dar Mahrès, à une distance d’environ quatre kilomètres. Elle était jadis transportée par des chapelets de petits ânes aux flancs bossués par les couffes jumelles débordantes de terre brute. Un ânier conduisait une file de quatre à six ânons et faisait six voyages dans la journée. Ces processions trottinantes sont aujourd’hui remplacées par des camions, qui véhiculent en un seul chargement la provision d’argile pour toute une semaine. Si le pittoresque y a perdu, le rendement et l’économie ont gagné au change.

Une fois amenée à pied d’œuvre, l’argile est d’abord concassée grossièrement a la pioche, puis elle est déversée dans la fosse pour la détrempe par l’eau. Par intervalles, un ouvrier la foule aux pieds, puis la laisse reposer. Quand elle est suffisamment imprégnée d’eau, on la sort de la fosse et on la met à égoutter sur le bord une quinzaine d’heures. À la différence de l’argile utilisée pour les poteries, on ne laisse pas « pourrir » celle-ci pendant plusieurs jours : on l’utilise aussitôt. Après qu’elle a été triturée et pétrie, uniquement à la main et aux pieds, dès qu’elle se présente suffisamment homogène, on en dépose une charge sur un plateau de bois que l’on transporte à l’emplacement choisi pour le moulage et le séchage au soleil.

Cet emplacement a été soigneusement balayé et saupoudré de cendre pour faciliter le décollage des carreaux frais. L’ouvrier mouleur s’installe sur une natte, les jambes repliées sous les genoux. Le moule dont il dispose est tout simple : c’est un cadre de planchettes rectangulaire, partagé en deux dans le sens de la largeur par une traverse de bois qui se prolonge hors du cadre, d’un seul côté, pour servir de manche. Il remplit d’argile molle les deux cases carrées, de 13 cm de côté, sur une épaisseur de 15 mm, puis, par le manche qui dépasse, il soulève le moule et le pose à la suite. Une fois démoulés, les carreaux sont laissés sur place pour le séchage au soleil. Au fur et a mesure que le travail avance, l’ouvrier se déplace avec le plateau d’argile et, peu à peu, la cour se recouvre de ces carrés gris-bleu, exposés à l’ardeur du soleil. Si d’aventure un orage survient à l’improviste, les carreaux sont gâtés par les gouttes, et tout est à recommencer. C’est pourquoi, en prévision des pluies hivernales, on prépare, pendant la belle saison, une provision de carreaux à faire cuire en hiver.

Après séchage dans la cour, les carreaux sont transportés dans un hangar, fermé de trois côtés seulement, et empilés pour éviter la déformation pendant le séchage à l’ombre. Au moment voulu intervient le découpage des carreaux frais, qu’il ne faut pas confondre avec la taille des zelliges cuits. Installé a côté des piles, l’ouvrier place le carré d’argile encore tendre sur un plateau de bois, posé à même le sol, mais stable ; il l’écrase de quelques coups d’un maillet plat de façon à égaliser la face supérieure et à la rendre bien lisse ; puis il place dessus la mesure étalon en bois et, à l’aide d’un couteau, il tranche l’excès d’argile. Pour cette opération il a soin de tenir sa lame obliquement, de façon à former un tronc de pyramide dont la base est plus large que le sommet : ainsi protégés, les bords de la face supérieure ne risqueront pas, après cuisson, de s’écailler sous les chocs. (Pour les briquettes de sol, à l’inverse, c’est la face inférieure qui est la plus étroite, pour permettre le scellement dans le mortier et assurer une jointure parfaite des faces supérieures). Les carreaux sortent des mains de l’ouvrier avec leurs dimensions définitives: 11 cm 5 de coté pour 13 mm d’épaisseur. On les étale de nouveau au soleil, puis on les rentre encore dans le hangar pour parfaire le séchage en attendant la cuisson.

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Comme pour toutes les pièces émaillées, la cuisson se fait en deux fois : la première durcit l’argile crue ; la seconde glace par émaillage le carreau déjà cuit. Mais, crus ou cuits, les carreaux se retrouvent ensemble dans le même four, placés seulement à des endroits différents dans la chambre de cuisson.

Les fours affectent la forme d’une calotte ovoïde de quatre métres de haut sur deux mètres de diamètre. Construits à l’extérieur, en briques recouvertes d’un manteau de terre d’un à deux mètres d’épaisseur, afin d’éviter un refroidissement trop brusque, ils s’enfoncent d’un mètre dans le sol. Ils sont pourvus, au sommet, d’un trou pour l’évacuation de la fumée et, au ras du sol, d’une ouverture pour la chauffe : entrée et sortie peuvent être obturées, l’une, hermétiquement, par une dalle de terre cuite, l’autre, avec de gros débris de poterie qui laissent un passage à l’air.

À l’intérieur, le four est divisé en chambre de chauffe, sur le devant, et, à l’arrière, en chambre de cuisson, partagée elle-même en deux par une cloison voûtée à claire-voie en terre réfractaire. Le remplissage du four se fait de l’intérieur d’abord, puis par en haut, mais toujours à partir des parois et en revenant vers le centre. Les carreaux de première cuisson, placés verticalement sur la tranche, sont disposés en alignements de chevrons le long des parois, le centre de la chambre, où l’air est le plus chaud, est réservé aux carreaux de deuxième cuisson : placés verticalement aussi, ils sont accolés deux à deux par leur grande base, de façon que les surfaces à vitrifier soient seules exposées à l’air chaud.

Quand le four est plein, on l’allume par en bas, en jetant un fagot enflammé par l’ouverture ; on alimente le feu d’abord avec du doum (palmier nain) encore un peu vert, puis progressivement avec du demi-sec et enfin du très sec. Pour intensifier la chaleur, le préposé à la chauffe, debout près de la bouche du foyer, égrène à la main une poignée de grignons, en alternant, suivant les besoins, avec l’enfournage du doum et autres herbes sèches (chardons, tiges de carottes sauvages, bâtons creux de fenouil) apportées des champs par de vieilles femmes. Quand les pièces ont été portées au rouge blanc, on arrête la chauffe ; on ferme alors soigneusement l’entrée du foyer pour éviter qu’un coup de froid ne tende les carreaux. On attend trois ou quatre jours avant de décharger le four.

Les pièces sorties du four sont alors triées : on élimine celles de la première cuisson qui ont subi une déformation ; pour les carreaux émaillés, on ne considère que les défauts de la glaçure. Ceux dont l’émail présente un beau poli, bien lisse, constituent le premier choix ; les autres, dont l’émaillage est moins réussi, entrent dans la catégorie inférieure et se vendent, bien entendu, meilleur marché.

L’émaillage s’effectue par simple trempage, sans recours au pinceau. Le liquide préparé a été versé dans une grande terrine assez profonde. L’ouvrier s’assoit à même le sol, les jambes allongées de part et d’autre du vase. De temps en temps, il remue le mélange avec la main pour en assurer la parfaite homogénéité ; il l’allonge au besoin avec l’eau qui se trouva dans une cruche, à portée de main. Les carreaux lui sont apportés par un aide, généralement un tout jeune gamin.

L’ouvrier saisit chaque carreau par la grande base et trempe la surface de la petite base dans le liquide, retourne le carreau et le dépose à terre sur sa grande base. Dès que la surface poreuse, déjà cuite a bu le liquide, son aide accole deux carreaux par les surfaces enduites et va les empiler a coté du four.

La composition du mélange varie évidemment suivant la couleur recherchée pour l’émail, mais elle comprend toujours les deux constituants de base à savoir :
1- La silice, utilisée comme fondant, et fournie par le sable de Meknès (analogue à celui de Nevers), réduit en une poussière extrêmement fine, après avoir été moulu à sec, décanté à l’eau et tamisé sur des crins de cheval.
2- La calcine, mélange d’oxyde de plomb et d’étain, qui se présente, après oxydation de débris de plomb et de vieilles théières, sous la forme d’une matière terreuse jaune-brunâtre.

L’émail blanc s’obtient en mélangeant environ par moitié silice et calcine, la proportion de plomb dans cette dernière est de 100 pour 14 à 16 d’étain. Le blanc est d’autant plus éclatant que la proportion d’étain est plus forte (pour tous ces dosages, je ne fais que reproduire les indications données par Alfred BEL, dans son étude sur les « Industries de la céramique à Fès », ouvrage publié en 1918, malheureusement épuisé et introuvable aujourd’hui).
Le noir n’est autre qu’un brun très foncé. procuré par du minerai de fer oligiste recueilli dans les ravins au pied du Jbel Zalagh, au nord de Fès. Il est passé au feu pour oxydation avant la mouture ; on l’incorpore au mélange dans la proportion de 1 pour 4 de silice et 6 de calcine.
Le brun plus clair est obtenu par l’addition d’un minerai de manganèse en provenance de la Haute Moulouya ; ce produit donne de beaux reflets violacés.
Le bleu était jadis procuré par certains minerais marocains ; mais depuis une centaine d’années, on achète chez les droguistes de la poudre de smalt (à base de cobalt) importée de Manchester ; proportions : 1 de Smalt, 6 de calcine, 4 de silice.
Le jaune citron est à base de sulfure d’antimoine (stibine).
Le jaune plus foncé est donné par de la limonite et de l’hématite brune, recueillies sur les bords du Sebou à cinquante kilomètres au sud-est de Fès ; proportions : 1, pour 6 de calcine et 4 de silice.
Le vert s’obtient avec l’oxyde de cuivre. Dans le foyer du four de potier on oxyde des débris de cuivre rouge, que l’on pile ensuite et moud à l’eau. Proportions: 1, pour 12 de calcine et 6 de silice. Le vert est commun si la dose d’oxyde est faible; plus soutenu, jusqu’au vert de l’olive. si on augmente la dose.

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Ainsi, à part le smalt, d’importation, tous les autres produits utilisés comme colorants sont de provenance marocaine. Ils étaient jadis broyés dans des moulins à eau, actionnés par le courant de l’oued Fès ; aujourd’hui, ils sont moulus dans des appareils mécaniques mus à l’électricité.

Après la deuxième cuisson qui a fixé l’émail, les carreaux sont prêts à l’emploi. Mais jamais les zelliges ne sont utilisés entiers ; la forme même qu’on leur donne, en tronc de pyramide, l’interdit, à la différence des briquettes de sol employées telles quelles en dallages à bâtons rompus.

C’est alors qu’interviennent les mosaïstes ou découpeurs de zelliges. Leur outil est un marteau d’acier, renforcé en son milieu autour de l’œil, sans tête, mais doté en revanche de deux pannes très effilées, que l’ouvrier tient en permanence affûtées très fin, en les aiguisant sur une pierre plate de grès, posée à même le sol. Le carreau a été préalablement marqué à l’encre, violette pour le blanc, blanche pour les couleurs sombres, par un jeune apprenti, le plus souvent un enfant, qui, suivant le contour d’un modèle à l’aide d’un bout de roseau pointé en tire-ligne, trace sur l’émail le profil de la forme à découper.

Le découpeur est assis par terre sur une natte, les jambes repliées sous les genoux ; devant lui se trouve son établi. C’est essentiellement une dalle en calcaire de cinq centimètres d’épaisseur, inclinée de 45° à l’horizontale et arrondie en ovale à son extrémité. Un bâti de briques et de pierres sèches assure sa stabilité. L’ouvrier applique à plat, de la main gauche, contre le bord supérieur de la dalle, le carreau à découper d’après les lignes tracées sur l’émail. Appuyant le bout du manche de son marteau sur sa cuisse droite, de façon à faire décrire à l’outil un arc de cercle d’une amplitude égale, il frappe avec le tranchant le carreau. à coups légers d’abord, puis d’un choc unique plus sec, il détache le morceau.

Un second ouvrier, assis devant un établi voisin, reprend le morceau découpé et, avec son marteau, rogne la tranche de manière à rendre plus étroite la base non émaillée: cette taille en biseau facilitera le scellement du fragment de zellige dans le mortier.

Avec une habileté incroyable, une sûreté de main sans défaillance, ces artisans réussissent à ciseler dans la faïence toutes les formes imaginables, carrés, losanges, rectangles incurvés, triangles, croissants, étoiles, et même, prodige de dextérité, à suivre les méandres de l’écriture arabe, aussi bien en creux qu’en plein, de sorte que les deux pièces complémentaires, mâle en noir, femelle en blanc, s’emboîtent avec précision, sans le moindre jeu : une vraie marqueterie de céramique !

Ces mêmes artisans mosaïstes excellent encore à exciser avec leur marteau la surface des zelliges, ne laissant subsister le vernis que sur les lettres, en particulier pour les bandeaux épigraphiques en cursif andalou, d’une élégance insurpassée qui, sur les parois intérieures des médersas et des mosquées, font courir des versets du Coran à la louange de «  Dieu puissant et miséricordieux, refuge contre Satan le lapidé ». tandis que des cartouches de céramique en caractères coufiques, anguleux et symétriques, répètent sans fin le nom d‘Allah, l’Unique.

La pose de ces découpes de zelliges appartient aux maçons. Ils les disposent sur un mortier de chaux grasse de cinq à six centimètres d’épaisseur, dans lequel ils les font pénétrer a l’aide d’une batte de bois. Les joints sont coulés à la chaux grasse. La surface est ensuite frottée a la sciure imprégnée d’huile pour enlever les bavochures et procurer le brillant. Le merveilleux assemblage est alors en place et achevé.

Depuis le XIVème siècle, les zelliges étalent leur dentelle de céramique sur les faces des minarets et ceinturent leurs sommets d’un bandeau d’étoiles polychromes. Les portes triomphales de la ville, les fontaines publiques, l’entrée du palais royal se parent encore aujourd’hui de cette tapisserie de faïence multicolore qui reproduit en céramique les splendeurs printanières de la campagne marocaine. A l’intérieur des maisons bourgeoises de Fès, les murs, les couloirs, les colonnes jusqu’à une hauteur de deux mètres sont revêtus de ces décors qui se déploient en damiers multicolores, en floraisons d’étoiles polychromes, en assemblages géométriques aux entrelacs subtils, dans un poudroiement d’or, de pourpre, de turquoise ou d’émeraude. C’est la grande originalité de la civilisation marocaine. D’autres pays emploient les carreaux de faïence vernissés, mais seule, la construction arabe utilise des découpes de zelliges taillées dans les carreaux de céramique, qui lui permettent de donner libre cours à sa fantaisie décorative.

Les zelliges subissent la concurrence des carreaux modernes en céramique,fabriqués mécaniquement, plus solides, moins coûteux, mais infiniment moins beaux. Si ce revêtement à bon marché s’introduit dans les demeures modestes, en revanche, il n’est pas un bourgeois de Fès, pourvu de moyens adéquats, qui ne veuille, aussi bien en ville nouvelle qu’en médina, parer la demeure qu’il fait édifier, du coloris somptueux des zelliges. Comme pour les vêtements, il existe une mode, tant pour la forme des découpes et leur disposition que pour leur couleur. « En étudiant le décor depuis le XlVème siècle à Fès, on écrirait un des plus beaux chapitres de l’art décoratif musulman au Maroc » A. BEL.

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La corporation des Zellaidjiya reste très vivante : en décembre 1974, elle comprenait 11 maîtres-artisans, 120 ouvriers. répartis en dix ateliers. De leur côté, les mosaïstes comptaient 83 maîtres-artisans, 120 ouvriers dans 41 ateliers ((Chiffres officiels fournis par M. Mohammed EI lraki, Inspecteur régional de l’Artisanat de Fès). C’est dire la vitalité de cette industrie artisanale si pleine d’originalité.
BIBLIOGRAPHIE :
– Alfred BEL : Les industries de la céramique à Fès. 1918.
– Comte M. de PERIGNY : Fès, capitale du Nord, 1920.
– LE TOURNEAU, PAYE, VICAIRE : La corporation des potiers de Fès. 1935.
– H. BRESSOLETTE : Les potiers de Fès, conférence prononcée le 20 septembre 1974 devant le Comité archéologique de Lezoux.
– H. BRESSOLETTE : À la découverte de Fès. L’Harmattan 2016

(À propos de Lezoux voir http://www.lezoux.com/)

Cimetière de Bab Ftouh vers 1930

Cimetière de Bab Ftouh vers 1930
Cliché Léon Sixta. Dar-el-Ghlaoui. Fès (Médina). Éditions Maroc-Islam

« … Il faut avoir le courage de remonter des pentes si délicieusement lisses pour oser affirmer que si les cimetières musulmans sont beaux, ils le sont plus que de la beauté que nous leur supposons …
La loi du moindre effort a déterminé leur emplacement aux portes de la ville et souvent dans la ville même ; c’est elle aussi qui a présidé aux capricieux désordres des pierres funéraires sur le sol tiède …
Ici tout le monde se promène, s’assied, converse et rit autour des tombeaux …
Les femmes y mènent leurs enfants en habits de fête, et des musiciens obsédés y grattent tout au long du jour leur guitare à deux cordes.

Ce qui nous séduit dans les cimetières musulmans, qu’ils soient ceux de Fès, de Rabat ou de Salé, ce n’est pas leur simplicité assortie à la majesté de la mort, mais c’est bien que la mort rassurante n’y revêt aucune majesté, et qu’elle semble, prolongeant les vivants, participer de leur aimable nonchalance. Petites tombes au ras du sol sous lesquelles on devine encore la forme du corps allongé, terre jetée sur un dormeur par plaisanterie, vous dont les plus riches n’ont sur leurs stèles que des palmettes, une date, parfois, rarement un nom, vous qui au lieu d’une couronne raidie de perles et d’inscriptions ne portez dans les beaux jours que le poids léger et tiède des jeunes femmes… »

Texte de Rémy Beaurieux. Journaliste et professeur à l’Institut des Hautes Études Marocaines jusqu’à sa révocation par le gouvernement de Vichy. Il est interné au cours de la guerre, en 1942-1943, pour résistance au gouvernement de Vichy.

(Je n’ai pas retrouvé la référence du texte de Beaurieux. Il a dirigé les revues MarocLa vie marocaine illustrée et a publié des chroniques dans le quotidien Maroc matin. Le texte est probablement issu d’une de ces revues).

(Le dispensaire de radiothérapie des teignes, de Fès (mai 1917

Le dispensaire de radiothérapie des teignes, de Fès (mai 1917).

Image à la une : Séance de radiothérapie dans le traitement de la teigne au dispensaire de radiothérapie de Fès. Le dispositif n’était pas rassurant pour des patients peu habitués à fréquenter la médecin … ni même pour les autres. Cliché Henri Noiré 1918.

La teigne était une affection très répandue au Maroc au début des années 1900 : nombreux étaient les enfants à la tête couverte de croutes blanchâtres ou jaunâtres, plus ou moins purulentes. La teigne était peu soignée pour différentes raisons :
– elle était encore au Maroc (comme cela avait été le cas en France jusque vers 1850) considérée comme un événement normal dans la vie d’un enfant d’une famille modeste.
– la maladie paraissait souvent peu invalidante, en dehors du préjudice esthétique et elle avait tendance dans sa forme la plus simple (petites taches farineuses sur le cuir chevelu) à disparaître de façon spontanée vers la quinzième année.
– les traitements médicaux étant quasi inexistants, les guérisseurs et autres sorciers avaient le champ libre pour exercer leur art … avec même un certain succès puisque certaines formes guérissaient d’elles-mêmes au bout d’un certain temps.
– les traitements conduits par les médecins étaient jusqu’en 1900 même en Europe assez sommaires et n’étaient pas exempts d’inconvénients : il s’agissait principalement d’épilation avec les ongles ! puis plus tard à la pince avant de couvrir la tête de différents topiques plus ou moins agressifs : pétrole, acide acétique ou salicylique, coaltar, pommade mercurielle ou au plomb, etc. Le traitement était long (plusieurs mois ou années), douloureux et donc mal suivi. À Paris il avait été créé à l’hôpital Saint Louis une école pour enfants teigneux pour essayer d’être plus efficace et pour scolariser ces enfants dont la maladie contagieuse était en principe une cause d’exclusion de l’école.

La nécessité de soigner la teigne s’était peu à peu imposée dans les pays européens car il existait plusieurs formes de teigne dont certaines avaient des conséquences graves, en particulier la teigne faveuse qui détruisait les cheveux petit à petit pour ne laisser à la trentaine que quelques rares cheveux sur un crane parsemé de cicatrices disgracieuses susceptibles de dégénérescence.

La teigne était également source d’infections fréquentes et diverses, localement et à distance par lésions de grattage par des doigts sales et infectés.

En 1903, Sabouraud et son assistant Henri Noiré utilisent les rayons X dans le traitement de la teigne : il s’agissait d’appliquer un effet secondaire néfaste des traitements aux rayons X, on avait, en effet, noté l’apparition d’alopécie définitive sur les parties du crâne soumises à un rayonnement excessif.
On propose alors d’utiliser les rayons pour créer une alopécie transitoire chez les teigneux, plus rapide et plus efficace que d’arracher les cheveux un par un. Le but est d’appliquer les rayons X, à une dose déterminée pour provoquer la chute du cheveu dans les deux semaines. La repousse ne se faisant que 2 mois après la chute des cheveux, cela laissait le temps de traiter et de désinfecter le cuir chevelu et d’éradiquer la teigne au bout de 3 mois environ (à comparer aux deux à trois ans des traitements classiques), une seule application de rayons est suffisante et le traitement a l’avantage d’être indolore.

Il se trouve que le docteur Henri Noiré , à l’origine du traitement radiothérapique de la teigne, est affecté comme médecin-major de 2ème classe à Fès en 1917.

Le Dr Lacapère, médecin-chef du dispensaire antisyphilitique de Fès proposa alors au Dr Braun, médecin inspecteur de la santé publique, d’ouvrir dans son dispensaire une annexe destinée au traitement des teigneux et d’utiliser ainsi les talents de Noiré.

C’est ainsi que fut créé de toutes pièces un nouveau service dénommé Dispensaire de radiothérapie de Fès, le 1er mai 1917 et confié au médecin-major Noiré.

La création du dispensaire fut aisée, mais plus difficile était de faire accepter le traitement par les jeunes enfants… et surtout par leurs parents.

La première phase – la séance de radiothérapie unique et indolore – ne pose guère de problème et c’est avec un certain amusement que quinze jours après les enfants épilaient d’un seul coup la natte de cheveux portée à cette époque par presque tous les petits garçons. Mais la repousse ne s’effectuait presque mathématiquement que 2 mois et demi après. Parents et enfants trouvaient alors le temps long et se demandaient si Allah leur replanterait un jour quelques cheveux sur la tête. Les demandes de pommade pour faire repousser les cheveux étaient souvent pressantes, un peu moins cependant quand des parents ont appris que l’excipient de certaines pommades, l’axonge, était d’origine porcine, et le recours aux onguents des guérisseurs locaux devenait bien tentant.

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Les cheveux tombent 15 jours après l’application des rayons. Cliché H. Noiré 1918

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Les cheveux repoussent après 2 1/2 mois. Cliché H. Noiré 1918

La confiance s’établit peu à peu avec les premières repousses et le dispensaire qui avait reçu 20 consultants en mai 1917, a réalisé plus de 3000 traitements dans ses dix premiers mois de fonctionnement.

Cette prise en charge des enfants atteints de la teigne avait pour but de diminuer fortement la prévalence de la maladie (il était illusoire de penser éliminer la teigne), mais la radiothérapie en guérissant rapidement l’enfant diminue la contagiosité de manière significative.

Ces consultations sont aussi un moyen de faire passer des mesures prophylactiques en particulier à destination des coiffeurs : il semble en effet que les enfants n’attrapent guère la teigne à l’école où ils gardent la tête couverte de leur fez ou du capuchon de leur djellaba et que la contamination familiale est probablement faible.
Par contre le coiffeur rase tous les crânes, passant du plus sale à la tête la plus propre souvent sans bien nettoyer ses instruments : les désinfecter est une opération trop longue pour être pratiquée et elle aurait en plus l’inconvénient de détériorer le tranchant des ciseaux, rasoirs ou tondeuses. Il est donc conseillé, comme cela avait été recommandé aux coiffeurs en France, de nettoyer la surface du cuir chevelu, un peu comme on nettoie un champ opératoire, avec une solution iodée alcoolique passée en friction, au pinceau ou en pulvérisation après la coupe.

Les docteurs Lacapère et Noiré ont essayé d’imposer cette pratique aux coiffeurs fasi. Les coiffeurs du mellah ont mis en œuvre la mesure plus rapidement que leurs confrères de la médina. Certains coiffeurs venaient au dispensaire pour demander comment il fallait s’y prendre ; à cette occasion il leur était montré comment reconnaître une teigne faveuse débutante, à épiler une touffe de cheveux malades et dans les formes plus étendues on leur demandait d’adresser l’enfant au dispensaire. Les médecins comptaient sur les enfants guéris pour qu’ils exigent des coiffeurs l’application de la solution iodée pour ne pas ré-attraper le « krah », la teigne, en espérant que pour ne pas perdre leur clientèle ou pour l’augmenter tous les coiffeurs viendraient rapidement à appliquer les mesures d’hygiène préconisées.

Les directeurs d’école, en particulier des écoles franco-arabes et des deux écoles de l’Alliance israélite du mellah, ont permis les visites et le nettoyage des élèves contaminés ce qui a permis d’éradiquer la maladie chez la grande majorité des élèves scolarisés. Toute admission dans les écoles est soumise à une visite préalable par les soignants du dispensaire qui assurent également des visites tout au long de l’année.

Le dispensaire radiothérapique pour les teignes, à côté de son action principale de traitement des malades, avait aussi pour mission de montrer la supériorité de la médecine européenne dans un domaine où sorciers, amulettes et onguents les plus divers avaient la part belle : c’était aussi une manifestation de la pénétration pacifique chère à Lyautey pour laquelle la médecine a souvent été mise à contribution.

Mais, avec le recul, on peut se demander si le sorcier du souk el Khemis avec ses onguents et amulettes n’était pas la bonne personne ; certes son traitement était très souvent inefficace mais probablement à terme moins agressif dans certains cas que la radiothérapie.

La radiothérapie, présentée par le Pr. Sabouraud en 1904, comme « la solution rêvée » du traitement des teignes, permet de traiter la maladie, par une seule application d’une dose « mesurée  » de rayons X , en quelques semaines au lieu de 2 ou 3 ans des traitement classiques de l’époque ; elle évite ainsi l’exclusion scolaire prolongée, voire une certaine désocialisation et elle est moins coûteuse financièrement. Après une dizaine d’années d’utilisation et quelques milliers d’enfants traités le Pr Sabouraud peut affirmer n’avoir observé « dans aucun cas un trouble cérébral ni un retard intellectuel. L’action sur le cerveau du traitement des teignes par les rayons X est tout à fait nulle ». Le traitement par rayons X appelé aussi « radiothérapie épilatoire » reste la référence dans le traitement des teignes jusque dans les années 1950. Il sera remplacé par la griséofulvine active sur les mycoses à dermatophytes des cheveux, des ongles et de la peau.

C’est à peu près à cette époque que sont publiés les premiers travaux signalant la survenue de cancers de la peau après radiothérapie de teigne en France. Depuis différentes études ont montré une augmentation des tumeurs cancéreuses du cerveau et de la thyroïde chez des enfant traités de la teigne par radiothérapie et que les risques de développer ces pathologies persistent même 30 à 40 ans après le traitement. Un article  paru en 2013 dans « La Tunisie médicale » sous le titre « Carcinomes induits par la radiothérapie »  rapporte qu’avant l’ère de la griséofulvine, la radiothérapie épilatoire était un outil thérapeutique largement utilisé dans le traitement des teignes du cuir chevelu. En Tunisie, 12 500 patients ont été irradiés au cuir chevelu au cours des années soixante. Trente à quarante années plus tard, certains de ces patients ont développé des carcinomes cutanés  du cuir chevelu. L’étude porte sur 31 cas.

L’absence de registres, la disparition des dossiers et archives hospitalières rendent impossible tout suivi exhaustif et à long terme des dizaines de milliers d’enfants porteurs  de teigne traités par radiothérapie aussi bien en France, qu’au Maroc ou dans le monde, mais ce qui est certain c’est que ces traitements utilisés pendant soixante ans, pour beaucoup d’entre eux, ne furent pas sans conséquence.

Il aura fallu attendre près de cinquante ans et la griséofulvine, traitement rapide, efficace, indolore et sans effets secondaires,  pour pouvoir démontrer la supériorité de la médecine « européenne » sur celle du sorcier du souk el Khemis de 1917 … qui entre-temps a peut-être lui aussi amélioré l’efficacité de ses traitements !!

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