Une nouvelle Seville en Afrique du Nord-Debdou-Une miniature de Jérusalem.

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Les Musulmans et les Juifs de Debdou prétendent que la Kasbah aurait été construite par les Romains. Ils confirment l’existence, au-delà de la Gada, de mines de cuivre qui auraient été exploitées déjà dans l’Antiquité. Toutefois, les murs de la Kasbah sont en pisé et ne  diffèrent pas beaucoup du type des forts berbères de l’époque de la Splendeur des Mérinides.

Le seul problème intéressant pour l’archéologue est l’existence, près de la Kasbah, d’un fossé et d’une galerie souterraine taillés dans la roche, s’enfonçant jusqu’à environ 30 mètres de profondeur, qui aboutirait à une nappe d’eau.

Il est évident que la population actuelle de Debdou ne serait pas capable d’exécuter un travail aussi compliqué.

Quoiqu il en soit, il est certain que, depuis I'epoque historique, Debdou a presque toujours été un centre important du Judaïsme. La population juive, de beaucoup la plus nombreuse autrefois, fut  particulièrement éprouvée par les troubles de ces derniers temps; elle constitue encore les deux tiers de la population de la ville, sans compter les diverses colonies de Juifs de Debdou qui se trouvent  dispersés en Algérie et dans la plupart des nouveaux centres espagnols et français.

Ce caractère juif de Debdou avait déjà frappé, en 1885, M. de Foucauld qui consacra au Mellah de Debdou les lignes suivantes :

«La population de Debdou présente un fait curieux : les Israélites en for­ment les trois quarts; sur environ 2,000 habitants, ils sont au nombre de 1,500. C’est la seule localité du Maroc où le nombre de Juifs dépasse celui des Musulmans.

Debdou est le premier point que je rencontre faisant un commerce régulier avec l’Algérie; un va-et-vient continuel existe entre cette petite ville et Tlemcen. Les négociants israélites y cherchent les marchandises qui, ailleurs, viennent des capitales marocaines ou de la côte; ils les emmagasinent chez eux et les écoulent peu à peu sur place et dans les marchés du voisinage. Debdou a quelques rela­tions avec Fès et Melilla. Mais ses seuls rapports sont avec l'Algérie.»

Au point de vue économique, l’activité des Juifs de Debdou présente un réel intérêt. Cependant, on a certainement exagéré l’importance commerciale de ce marché. On sait qu’il devait être ouvert aux commerçants d’Algérie par une clause spéciale des traités conclus entre la France et l’Empire chérifien au commencement du siè­cle. L’intérêt économique de Debdou ne tient pas tant à sa situation géographique, puisque Debdou se trouve en réalité en dehors de la grande vallée, qu’à l’activité de sa population juive. Cette activité, depuis plusieurs siècles, s’est développée là, à l’abri des attaques et des pillages qui étaient continuels dans les vallées et les régions ouvertes de la Moulouya.

Il y a parmi les Juifs de Debdou quelques bijoutiers, tailleurs et tis­serands. Les femmes excellent aux travaux de tissage et de broderie. On fait aussi à Debdou quelques ouvrages de maroquinerie. Un certain nombre de familles aisées possède de beaux jardins de rapport dans les environs de la ville. L’élevage du mouton dans les environs est égale­ment florissant. Le marché de Debdou se tient le jeudi; il est réservé aux tribus de la région proprement dite. C’est la place de Taourirt qui, depuis l’Occupation française, est devenue le rendez-vous où tous les marchands de la région de la Moulouya se réunissent chaque lundi. Rien de plus pittoresque que ces centaines de Juifs qui, tous les dimanches, descendent en caravanes sur des mulets et des ânes chargés de marchandises. On y voit des hommes barbus habillés du caftan noir propre aux Juifs espagnols, ou tout simplement d’une gandoura, et coif­fés d’un fez ou bien d’un foulard, seule coiffure per­mise aux Juifs, en certains points de l’intérieur; des garçons d’assez bel aspect, aux yeux très vifs, avec de longues boucles noires tombant sur les joues. Enfin des femmes, souvent très jolies, mais souvent aussi pré­maturément fatiguées, se présentent avec la coiffure haute couverte d’un mouchoir aux deux bouts en pointe, qui est particulière aux Juives du désert marocain. À Debdou même, le type général des juifs est un beau type espagnol.

Bien que les maisons ne brillent pas de propreté, l’aspect extérieur du Mellah est assez riant et rappelle, dans une certaine mesure, le Mellah de Tétouan. Il compte une quinzaine de synagogues et d’ora­toires; mais, à part une ou deux dont le type se rapproche des syna­gogues de Tétouan, les autres sont plutôt des salles ordinaires, con­sacrées par les habitants aux besoins du culte. Voici les principales : Chenouga׳ des Oulad Bensoussan (la plus importante); Chenouga ed- Dougham des Cohen (qui donna lieu à de longues querelles, les Cohen s’étant refusés à y admettre les Juifs du commun); Chenouga Barmalil; Chenouga Bousseta; Chenouga Ben Guigui; Chenouga Ben Hammou; Chenouga Oulad Mechid; Chenouga Es-Sabban, etc.

Chenouga d’Esnoga, en portugais = synagoga. Les Juifs arabes disent Sla.

Cette liste montre que chaque fragment de population a son sanc­tuaire. Car la population juive de Debdou présente cette particularité, qui lui est d’ailleurs commune avec celle de Djerba, d’être subdivisée en plusieurs tribus ou plutôt en clans ayant chacun son quartier, ses synagogues et ses traditions et vivant, depuis des siècles, dans un état d’antagonisme social qui se manifeste par des conflits presque perma­nents.

Parmi ces tribus, celle des Cohen Scali, la plus nombreuse, compte environ 150 pères de famille (70 familles) " et s’attribue une illustre origine aaronide. Les démêlés des Cohen avec leurs voisins les Marciano (environ 100 pères de famille et 40 familles) sont devenus célèbres dans le monde juif depuis le dix-septième siècle. Et les petites factions telles les Oulad Ben Guigui, les Oulad Marelli, les Oulad Ben Hammou qui ne peuvent pas prétendre à une haute origine, embrassent les querelles des Marciano contre les Cohen, si bien que l’équilibre numérique entre les deux leffs, semble être maintenu. Quant aux Oulad Bensoussan, qui sont eux-mêmes le descendants d’une illustre famille rabbinique, ils restent presque toujours neutres et for­ment un clan à part. Dans ces conditions, la plus grande synagogue, qui est en quelque sorte le centre officiel de la communauté, se trouve située dans le quartier des Bensoussan.

Cette tendance au fractionnement, qui caractérise les habitants juifs de Debdou, se manifeste un peu partout : dans la vie religieuse, dans la vie sociale et même dans la vie politique. De tout temps, le «leff» des Marciano se refusa à subir la tyrannie des Cohen Scali; ils leur dis­putèrent depuis la destruction de la Kasbah Dar Ben Mechâal en 1680, le terrain qu’ils occupent à Debdou et ne voulurent jamais se résigner à leur être soumis, en dépit de l’illustre origine invoquée par les Cohen Scali.

On verra, au chapitre consacré à l’histoire de Debdou, quel degré de violence atteignaient les passions rivales des deux factions domi­nantes de Debdou, dans les moments de troubles surtout; très souvent on en venait aux mains; dans la plupart des cas, les tribunaux rabbiniques de Fès et de Jérusalem parvenaient à établir une paix précaire seulement.

A l'époque de la domination du Rogui, les Marciano, pour exaspérer leurs adversaires dont le chef David ben Hïda s’était fait l’agent du Prétendant, ne trouvèrent rien de mieux que de proclamer Moulay Hafid sultan à Debdou.

Heureux encore qu’il n’y ait eu, dans cette population juive de Debdou que deux grandes factions! Si les Cohen Scali sont aaronides ou prêtres d’origine noble, tous les autres Juifs de Debdou sont des israélites vulgaires et descendants des deux tribus laïques d’Israël. Si les Lévites qui, eux aussi, se réclament d’une origine antique plus ou moins sacer­dotale, étaient venus se mêler à ces querelles, on peut imaginer à quel point la situation aurait été intenable et plus difficile encore!

Seulement ici, comme dans la Hara Zghira de Djerba, la cité des Cohen et du sanctuaire dit la Ghriba (la Solitaire) célèbre dans tout le Judaïsme africain, les Aaronides semblent avoir pris les devants pour prévenir à tout jamais l’établissement des Juifs descendant de la tribu de Lévi. Ils proclament qu’aucun Lévite ne saurait impunément fouler le sol de Debdou (ou de Djerba), ce sol étant entièrement consacré aux Cohen( ?). Quiconque enfreindrait cet ordre serait frappé par YHWH d’une mort certaine. Il y a là, sûrement, la trace de croyances fort anciennes, antérieures à l’établissement du culte rabbinique, puisque ce dernier a aboli toute distinction de caste chez les Juifs en Afrique. Mais comment concilier ces données avec la tradition, qui semble authentique, de l’origine espagnole des Cohen Scali? Une fois de plus, nous sommes amenés à penser que le Judaïsme primitif de l’Espagne ne devait pas différer essentiellement de celui de l’Afrique et que l'évolution européenne des Juifs espagnols ne s’est accomplie que sous la domination chrétienne.

Quoi qu’il en soit, il est acquis que le différend suranné entre Cohen et Israélites, déjà condamné en Afrique par les rabbins des écoles babyloniennes du dixième siècle demeure encore à Debdou un facteur de dissensions et de conflits qui pèse lourdement sur la vie sociale de la communauté.

Une nouvelle Seville en Afrique du Nord-Debdou-Une miniature de Jérusalem.

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