Debdou-histoire


Une nouvelle Seville en Afrique du Nord

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Une nouvelle Seville en Afrique du Nord

Rabbi Eliyahou Marciano, Nahoum Slouschz, Maurice Laquière, Moulay Abdelhamid Smaili, Albert Bensoussan. 

Histoire et genealogie de Juifs de Debdou –Maroc

La genealogie de la communaute juive de Debdou et l'ascendence de toutes les familles qui la composent a la lumiere de sources et de documents inedits

ז זְכֹר יְמוֹת עוֹלָם, בִּינוּ שְׁנוֹת דֹּר-וָדֹר;  שְׁאַל אָבִיךָ וְיַגֵּדְךָ, זְקֵנֶיךָ וְיֹאמְרוּ לָךְ.
במדבר לב, ז'

Rappelle a ton souvenir les anciens jours, medite les annees, generation par generation, interroge ton pere et il te l'apprendra, tes aieux et ils te le diront.

Deuteronome 32, 7

Le projet visant à éditer le présent volume relativement à l’Histoire des Juifs de Debdou est né des suites de mon séjour à Jérusalem. C’est en faisant des recherches iconographiques pour le Cédérom sur les Juifs du Maroc à l’Institut Ben Zvi que je me suis découvert un attrait pour cette région du Maroc… Plus extraordinaire encore! Alors même que je m’entretenais avec M. Robert Attal, bibliographe et que je menquerrais au sujet d’un volume écrit par mon grand-père Rabbi Chlomo Hacohen Scali Sabban sur cette question, fai attiré l’attention — hasard ou coquin de sort — d’un historien originaire de Debdou qui venait de publier en hébreu un livre intitulé « Yahas Debdou (i.e. Généalogies de Debdou)» et qui, quelques temps auparavant avait publié le livre intitulé «Debdou, ville des Cohanim»! Mes parents étant originaires de cette région, je ressentis un appel et un besoin impérieux de refaire vivre ce pan glorieux de l’histoire des Juifs du Maroc. Ainsi, j’ai commencé à rêver et comme l’on dit si bien «du rêve à la réalité il n’y a qu’un pas». J’ai franchi l’étape qui me séparait de la concrétisation d’une idée que je caressais subconsciemment : celle de donner le jour à un volume qui per­mettrait de révéler le monde des valeurs d’antan en éditant des extraits d’auteurs d’origines, de cultures et d’époques différentes. Trois nous sont contemporains :

  • le rabbin Eliyabou Marciano, auteur de «Yahas Debdou» (i.e. Généalogies de Debdou) et de «Debdou îr Ha Cohanim» (i.e. Debdou, ville des Cohanim), qui est natif de Debdou,
  • Albert Bensoussan, écrivain français dont les ancêtres vécurent a Debdou,
  • Moulay Abdelhamid Smaili, né tout près de Debdou, auteur de l’ouvrage «Clair de lune sur les Juifs d’Oujda et des Angads». Le lecteur aura le loisir de lire les considérations et points de vue de cet historien Musulman.

J’y joins le témoignage de deux autres voyageurs et écrivains, l’un pour sa valeur historique et l’autres pour illustrer les préjugés qui avaient cours à l’époque.

  • Naboum Slouscbz, historien juif et voyageur d'origine russe qui décrivait Debdou en 1906 dans son ouvrage intitulé : «Étude sur l’histoire des Juifs et du Judaïsme au Maroc».
  • Maurice Laquiére, écrivain français, qui publia en 1941 son roman intitulé «Fortunée la Juive» dans la France des lois anti-juives.

À la fin de ce volume, le lecteur peut retrouver la plan du nouveau cimetière. Diverses illustrations viennent compléter le tableau de ce qui fut une communauté vibrante.

Enfin, je tiens à terminer sur la citation de Nahoum Slouschz qui, à son époque déjà, déclarait en ces termes :

«Les Juifs de Debdou qui s’expatriaient jamais ne rompaient les liens avec leur petite patrie d’origine. »

Cette constatation que faisait Nahoum Slouschz en 1906 (i.e. 94 ans plus tard) reçoit sa consécration avec la publication du présent ouvrage. L’éditeur, un des descendant des nombreux Cohanim de Debdou, a désor­mais fait halte sur un nouveau rivage, celui du Québec, d’où il réveille la mémoire de la séculaire étape marocaine, si remplie de souvenirs des Juifs venus d’Andalousie après l’époque de l'Espagne de l’Age d’Or.

L’éditeur J. Cohen Sabban

Preface

Tout un monde s’est volatilisé en quelque sorte au courant du siècle passé. Le judaïsme marocain a connu la francisation ou l’hispanisation alors même qu’il véhiculait une culture judéo-arabe, judéo-espagnole et judéo-berbère particulièrement riches. Les grands bouleversements sociaux qui ont accompagné la transition vers le modernisme et les diverses migrations qu’a connu la communauté ont fait que le patrimoine culturel ancestral s’en est trouvé quelque peu délaissé. Il est notoire de constater que notre génération se penche de plus en plus sur son passé et tente de reconstituer les éléments qui permirent de survivre et de s’épanouir dans un contexte qui ne fut pas toujours des plus favorables.

Des extraits des écrits de Rav Éliyahou Marciano traduits de l’hébreu pour le lecteur francophone l’introduisent à la société juive de Debdou avec ses rabbins et des éléments généalogiques importants. La ville des exilés de Séville, connue pour être la ville des cohanim (prêtres) ou ville des soferim (scribes) renaît devant nos yeux avec les grandes familles qui composèrent sa communauté dont : les Cohen Scali, les Marciano, les Benhamou, les Bensoussan, les Benguigui, les Marelli, les Sultan et bien d’autres encore…

Nous devons à Nahoum Slouschz les plus belles pages d’histoire judéo-marocaine et une description des communautés d’époque dont celle des Juifs sahariens. Dans le présent extrait de son ouvrage «Etude sur l’histoire des Juifs et du Judaïsme au Maroc», l’histoire de Debdou, de sa région de même que celle de sa communauté juive sont retracées et l’épopée du souverain juif Ibn Mechâal nous y est relatée.

Il est intéressant de noter que l’auteur français Maurice Laquière succomba à l’antisémitisme de son temps et qu’il décrit tout un groupement social de façon superficielle. On retrouve ce type d’approche dans de nombreux ouvrages où les auteurs n’ont pas fait l’effort de s’imprégner d’une culture et de traditions juives qui consti­tuèrent un patrimoine exceptionnel. De fait, peu d’auteurs français firent l’effort d’en savoir plus sur le monde richissime que fut la culture judéo-marocaine. A titre d’exemple, l’ouvrage de Roger Le Tourneau : «La vie quotidienne à Fès en 1900» fait abstraction totale de toute une génération d’érudits et du milieu des Arts au sein de la communauté juive de Fès, communauté réputée pour sa vitalité et son essor cul­turels. D’autres auteurs changèrent carrément de cap et succombèrent à la propagande antisémite peu avant et durant la Seconde guerre Mondiale. On pourra citer les frères Jean et Jérôme Tharaud, le Dr Bouveret de Mogador et bien d’autres encore. Cet épisode de l’histoire du judaïsme Nord-africain est très peu connue. L’on sait que sous le régime vichyste dont les lois racistes prévalurent en Afrique du Nord, le recensement de la communauté juive eut lieu et, n’eut été le débarque­ment des Américains à Casablanca en novembre 1942, le sort réservé par ce régime à la communauté juive d’Afrique du Nord n’aurait pas été différent de celui des communautés juives d’Europe. Les con­séquences de la propagande haineuse orchestrée par de puissants moyens médiatiques sur la condition des minorités culturelles n’ont pas fini d’être tirées d’autant plus qu’à l’ère de la mondialisation ces moyens prennent une ampleur sans précédent.

Il ne reste plus au Maroc que l’ombre de ce que fut la communauté juive. Comment se fait ressentir l'absence des Juifs de cette contrée après une présence plus que millénaire? Quels souvenirs en a-t-on gardé? Smaili Moulay Abdelhamid romance la présence juive. On y notera la retenue du Cheikh de la Kasbah de Debdou, celui-là même qui, selon Laquière, faisait rouler d’énormes quartiers de roc sur le Mellah de Debdou…

Le brillant écrivain français d’origine algérienne Albert Bensoussan, dont la famille fut autrefois installée à Debdou, nous décrit avec brio la tradition des gens de plume de cette ville.

Seule la volonté de Joseph Cohen a pu parvenir à reconstituer un tableau d’époque consignant sous forme d’anthologie ce que fut la ville des cohanim et des soferim, la ville des prêtres dont les ancêtres prove­naient de la ville de Séville en Espagne. Il y a apporté un soin et un labeur particulièrement méticuleux. Son mérite aura été d’avoir su avec justesse retranscrire pour le lecteur les éléments d’une identité fragmen­tée à une génération qui a soif de connaître et de comprendre l’histoire de son passé.

David Bensoussan

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Une nouvelle Seville en Afrique du Nord

Debdou est une petite ville du Nord-est du Maroc, sise non loin de l’important axe routier reliant Fès à Oujda, Melilla l’espagnole et Tlemcen l’algérienne ne sont guère éloignées non plus. Les vergers qui l’entourent d’une enceinte de verdure, comme la beauté du paysage montagneux — rappelant le sud de l’Espagne — confèrent un charme tout particulier à cette localité. Mais le paysage humain de Debdou n’est pas moins original et intéressant.

L’origine de la communauté juive locale remonte, pour autant qu’on le sache, aux dernières années du XIVe siècle. A cette époque, en effet, plusieurs persécutions frappèrent avec une brutalité inconnue jusqu’alors le Judaïsme espagnol. Celles-ci atteignirent leur point culmi nant en 5151-1391.

Un petit groupe de réfugiés, originaires de Séville, parvint à Debdou. La tradition locale parle d’une dizaine de familles, pour la plupart des cohanim, cherchant un lieu d’asile sous la houlette de Rabbi David Hacohen. Mais l'on manquait d’eau, raconte-t-on. Rabbi David, après de ferventes prières, frappa le rocher de son bâton, et il en jaillit une source encore connue aujourd’hui sous le nom de source de Séville.

C’est auprès de cette source que se bâtit le quartier juif de Debdou, qui allait connaître jusqu’à notre époque une longue histoire (notons au passage que, selon le témoignage récent de plusieurs visiteurs, cette source légendaire se tarit progressivement apres que les Juifs de Debdou eurent quitté cette ville, dans les années qui suivirent l’Indépendance du Maroc.

Des documents écrits confirment la tradition orale sur les origines de la communauté. Ainsi cette lettre de Rabbi Yossef Cohen-Scali, adressée aux rabbins de Fès, où il écrit : «Sachez que, voici près de cent ans, nos ancêtres (cohanim) quittèrent Séville…»(1), ou encore ce texte parmi bien d’autres : «…et la communauté de Séville qui se trouve à Debdou suit le minhag (coutume) des megourachim (exilés)…»(2). Mais quel meilleur témoignage des origines espagnoles et de l’attachement au patrimoine ancestral, que ce document datant de 5481-1721 : «Il est notoire que la synagogue de la ville de Séville (sic), donnant à l’est sur la grand-rue et jouxtant au nord la propriété de Rabbi Yossef Hacohen-Scali, et qui se nomme Synagogue Sabban…». Ainsi, Debdou la marocaine était tout simplement devenue, dans les documents officiels de sa communauté juive, une nouvelle Séville en terre musulmane! Attribuer un nom nouveau à la localité d’accueil semble du reste avoir été un phénomène répandu dans le judaïsme espagnol, évoqué par Don Itshaq Abrabanel à la fin de son commentaire de Melakhim-Rois.

À propos de la déportation des Juifs en Espagne, des suites de la destruction du Temple, il écrit : «…Il (le roi Titus) fit venir des membres des tribus de Yehouda, Binyamin et Chimon, ainsi que des leviyyim et cohanim (lévites et prêtres) qui se trouvaient à Jérusalem, (…) et il les installa dans deux provinces : l’une s’appelle jusqu’à ce jour Andalousie, et ils y habitèrent la ville (…) nommée par les Juifs Lucena (…) en raison de sa ressemblance avec la ville de Louz en Erets Israël. La deuxième province fut celle de Tolitola (Tolède), et il semble quelle ait reçu ce nom de la part des Juifs à cause du tiltoul (pérégrinations) qu’ils endurèrent en venant de Jérusalem.»

Dans l’opuscule Yahas Debdou cité plus haut, Rabbi Chlomo Hacohen Sabban écrit à ce sujet : «Le fait que, dans leurs documents, ils attribuaient à Debdou le nom de Séville (…) nous apprend (…) qu’il s’agissait pour eux de perpétuer le nom de la ville d’où ils avaient été chassés, afin de ne pas oublier les affres de leur exil…»

Il est vrai que Séville tenait une place de choix dans l’univers du judaïsme espagnol : les temps reculés et la noblesse des familles juives qui l’habitaient étaient connues, et de grands maîtres y résidèrent. Ainsi, par exemple, le Ritva, Aboudarham, et rabbénou Yaâcov Ben Acher, auteur de Arbâa Tourim. Les familles des cohanim venues de Jérusalem semblaient y conserver avec un soin jaloux le souvenir de leurs origines, puisque la Juderia de Séville comprenait des ruelles habitées uniquement par des cohanim.

On comprendra alors aisément que ces mêmes familles, constituant l’élément essentiel de la communauté de Debdou, aient imprimé un caractère particulier : c’est dans leurs rangs que se recrutèrent, tout au long des générations, la plupart des maîtres spirituels de la ville, dont le rayonnement s’étendait souvent aux environs; et les qualités de carac tère des Juifs de Debdou, ainsi que la piété particulière qui imprégnait leurs moeurs, étaient réputées au Maroc et en Algérie. Les familles de cohanim cherchaient de préférence, sans exclure les unions avec de sim ples «Israël», à contracter mariage en leur sein. Il est d’ailleurs à noter que, tout comme à Djerba, aucune famille de «lévi» ne put s’installer à Debdou : on ne laissait jamais un «lévi» rester plus d’un an dans la ville, par crainte sans doute d’une sorte de «concurrence» inamicale.

Les «cohanim» de Debdou se nomment communément Cohen-Scali, ce qui signifie cohen «brillant», c’est-à-dire de pure ascendance.

Certains expliquent que le mot Scali a la même valeur numérique que le mot Tsadoq : ce qui indique que les cohanim de Séville et Debdou descendaient du grand-prêtre Tsadoq. Dans son ouvrage Otsar Ha- Mikhtavim, Rabbi Yossef Messas expose pour sa part une autre tradition concernant le surnom Scali : les vêtements des cohanim, à Jérusalem, étaient tissés avec des fils d’or brillants…

Le Rav Chmouel Marciano'” rapporte enfin cet intéressant témoignage, qui rend bien compte de la haute conception qu’avaient ces cohanim de leur lignage : «Nous avons coutume de manger de la viande le chabbat Eikba (qui précède le 9 Av); les familles des cohanim, qui s’en abstiennent ce chabbat-là, nous surnomment donc âzamine, ce qui signifie que nous avons fait le veau d’or, et que nos ancêtres se sont prosternés devant lui!»

Debdou connut sa période de grandeur aux XVIIe et XVIIIe siè cles. La conquête de l’Algérie par les Français, en 1830, marquera un déclin relatif de la communauté : du fait des étroites relations com merciales qui se nouent avec Tlemcen, nombre de «debdoubis» s’installent dans cette ville, ou même à Oran.

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Néanmoins, la yéchiva de Debdou ne cessa de constituer un réservoir de talmidé hakhamim, dayanim et chohatim, qui exerçaient leurs fonctions dans la ville elle-même ou dans des communautés extérieures, et jusqu’en Algérie.

À l’arrivée des Français au Maroc, en 1912, Debdou compte quelque quatre mille habitants, dont deux mille Juifs environ : de ce nombre, la moitié au moins sont des Cohanim. De la quin­zaine de synagogues et oratoires de la ville, plus de la moitié sont fréquentés en majorité ou exclusive­ment par ces descendants d’Aharon qui, même en l’absence de simples «Israël», prononcent en choeur la bénédiction sacerdotale : afin, dit le Choulhan Aroukh, de «bénir leurs frères qui sont aux champs», et parce qu’eux-mêmes sont de toute façon inclus dans la bénédiction.

Plusieurs personnalités d’envergure ont illustré la ville de Debdou à la fin du XIXe siècle et a début du XXe : au premier rang, Rabbi Chlomo Hacohen, forte personnalité qui dirigea avec sagesse et fermeté sa communauté.

Deux de ses élèves exercèrent des fonctions rabbiniques hors de Debdou : Rabbi Avraham Bensoussan, qui fut nommé dayan, puis président du tribunal rabbinique de Mogador; Rabbi David Hacohen, nommé en 1913 dayan à Oran, dont il finit par diriger le tribunal rabbinique. Ses réponses halakhiques ont été éditées sous le nom de Kiryat Hana David. Un second rabbin Chlomo Hacohen, qui fut dayan à Oujda, laissa de nombreux manuscrits, et quatre volumes de responsa ont pu à ce jour être publiés (notamment Lekha Chlomo, Vayhal Chlomo, Vayéessof Chlomo et Maâloth Lichlomo).

Signalons un détail piquant : le célèbre Charles de Foucauld, qui devait par la suite finir ses jours comme ermite au Sahara, vint en 1884 à Debdou. Il était alors officier et, déguisé en Juif, parcourait le Maroc pour le compte des Services de renseignements français. À Debdou, le gîte lui fut offert par le grand-père de l’auteur de ces lignes. Les Musulmans eurent cependant vent qu’un chrétien se trouvait dans le quartier juif, et ce ne fut que grâce aux efforts dévoués des notables de la communauté qu’une catastrophe put être évitée. Le quartier juif fut néanmoins saccagé peu après le départ précipité de Charles de Foucauld.

L’après-guerre, avec l’immigration en Israël, l’Indépendance marocaine, l’installation de nombreux «debdoubis» en France, vit se clore la longue histoire de Debdou, la ville des cohanim, la petite Séville marocaine. La miraculeuse «source de Séville», disions-nous, s’est tarie soudain après avoir abreuvé de longs siècles les Juifs de la ville.

Debdou

Une miniature de Jérusalem

Traduction du livre intitulé «Yahas Debdou» d'Eliyahou Marciano, publie a Jérusalem en 1996. Natif de Debdou, l'auteur habite aujourd'hui Jerusalem ou il poursuit ses recherches  sur le patrimoine judéo-marocain. Il a publie en hebreu: «Hag Mimouna», «Bené Melahime», «Bené Haouma» et «Malkhé Yechouroun ve Chivhé hakhmé Algéria».

Les pionniers de Debdou se sont installés au sommet de la montagne qui surplombe la plaine du village. Les grottes et les cavités naturelles qui s’enfoncent aujourd’hui dans les flancs de la montagne, ont servi jadis d’habitation à la population. Et vraisemblablement de refuge en temps de guerre. En tout cas, la vie dans ce genre de grottes a offert, en période de calme, des postes d’observation avantageux sur les agitations de la plaine. Des gravures rupestres confirment cette hypothèse : nous avons découvert dans une grotte une image d’éléphant gravée sur la pierre. D’où le nom de «Grotte de l’Éléphant.»

Au XIIIe siècle, les rois de Fès mesurent la puissance de Debdou. Déjà, l’historien Ibn Saïd Gharnati mentionne dans sa correspondance «Oujda et la ville de Debdou, à l’ouest de Tlemcen».

Le plus prestigieux des historiens africains, Ibn Khaldoun, affirme lui-même s’être réfugié à Debdou : «Plusieurs personnes ont réussi à échapper aux assaillants, et se sont réfugiées sur la montagne de Debdou. Les autres, dont je faisais partie, se sont sauvées à pied dans un désert aride, démunies de tous leurs biens. De là, j’ai pu rejoindre mes compagnons à Debdou.»

Ibn Khaldoun désigne nommément le gouverneur de Debdou : «En 1364-65 Abou Hamou a pénétré au Maroc, et il a fait irruption à Debdou et ses
environs. En réaction, le chef de la région, Mohamed Ibn Zigdan le Mérinide, a fondé une ville indépendante…

À cette époque, le gouverneur de Debdou tente un assaut contre les habitants de Taza, et parvient à les assujettir. «Le roi de Fès a reconnu l’indépendance de Debdou et de la région… Les chefs de Debdou ont assiégé et assailli la ville de Taza. Mohamed Ech Cheikh avait essayé de les repousser, mais sans succès. Le roi (de Fès) a donné ses deux filles à deux des fils du gouverneur de Debdou : c’était la rançon de la paix.» (Ibid)

Le royaume de Debdou est alors à son apogée…

Au XVe siècle, un commandant Mérinide, Mohamed III, fortifie le hameau de Debdou, en y «construisant le quartier El Kasbah et la grande mosquée.» (Ibid) De fait, ce quartier représente la nette transition entre une habitation indigène et primitive (sur la montagne) et un faubourg civilisé sur la plaine et à proximité du fleuve. Ou encore, en termes de chronologie, une transition entre le Moyen Âge (semble-t-il) et le tout début du XVe siècle. Les vestiges des remparts qui datent de l’époque des Mérinides subsistent dans le quartier d’El Kasbah. Le chemin qui remonte de la tombe de Sidi Yossef (et ses environs), qui emprunte la direction du Kahf El Ma et aboutit au quartier d’El Kasbah, a subsisté lui aussi : on a retrouvé les traces de ce sentier merveilleusement dallé de pierres larges et taillées, que les habitants locaux appellent le Sentier Romain.

Les trois points d’eau principaux qui desservent le village sont la source Tafrent au sommet de la montagne, le Kahf El Ma au milieu de la montagne et la rivière Bourwed qui traverse le village.

Kahf El Ma (la grotte aquatique – appelée ainsi parce quelle abrite une nappe d’eau souterraine) a depuis toujours été un centre de villégiature, surtout aux mi-fêtes de Pessah et de Soukkot. Les annales du village ont retenu la  mésaventure d’un homme qui, entré tout seul au Kahf El Ma, en est sorti muet pour le restant de ses jours. Depuis, les visites y sont organisées en groupe et c’est avec le chant liturgique de Adon Olam Acher Malakh, que les fidèles entrent et sortent de la
grotte.

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L’établissement du hameau de Debdou à proximité de son cours d eau, est lié au débarquement de nos ancêtres.

Quand sont arrivés les premiers Juifs à Debdou?

Le chef Mohamed III, qui a gouverné à Debdou entre 1485 et 1513, est celui qui a le mieux contribué au développement de Debdou. Il a fortifié le quartier d’El Kasbah et, de surcroît, convié les Juifs à peu­pler les lieux. Voici ce qu’écrit l’historien français H. Terrasse : «Le troisième gouverneur de la dynastie des Mohamed a construit la Kasbah et la grande mosquée. Il a invité des étrangers [à venir la peupler], pour la plupart des Juifs andalous.» Il y a fort à parier que le gouverneur a réquisitionné des Juifs andalous installés depuis quelques décennies à Fès, Tlemcen et ses environs, donc familiers avec le mode de vie de l’Afrique du Nord. Ces Juifs auraient été expulsés d’Espagne après les événements de 1391 et ledit gouverneur Mohamed (dont le règne s’étend de 1485 à 1513) se serait probablement adressé à la seconde ou troisième génération.

Il faut se rappeler que beaucoup de Juifs expulsés de Séville avaient choisi de se réfugier à Tlemcen et ses environs. Ceux qui se sont finale­ment enracinés en terre d’accueil et se sont adaptés à la vie en Afrique du Nord, sont ceux-là même qui ont souscrit à l’appel du gouverneur de Debdou, vers la fin du XVe siècle. Ils sont venus, ils ont construit les premières habitations de la région, ils ont érigé la charpente du futur centre d’habitation de Debdou. Autour de ce noyau se sont établis les quartiers locaux, le long de la rivière Bourwed, en amont et en aval.

Le grand Sage Rabbi David Hacohen Scali de mémoire bénie, évoque dans son ouvrage de Responsa les origines des Juifs de Debdou : «C’est un fait connu, que la population de Debdou s’est for­mée à partir d’expulsés d’Espagne.»

Dans des circonstances assez désagréables, un autre embryon, origi­naire lui aussi de Tlemcen, se joint malgré lui au groupe convié par le gouverneur. Le livre de Yossef  Hacohen (un expulsé d'Espagne qui a suivi le mouvement migratoire en France) en fait état : «En 1545, Kheïr-ed-Dine [Barberousse] a envoyé une expédition… Au cours de son règne, il a rassemble des guerriers pour attaquer et envahir Tilimcyn [Tlcmcen]. Le caïd Mansour et son neveu le roi Ahmed, ainsi que les fils du notable et les Juifs qui vivaient près d eux, se sont enfuis pour éviter la mort. Ils ont suivi le chemin de Debdou où Moulay Omar les a arretés et incarcérés. Ils sont restés très longtemps à Debdou.. .»

C’est bien le comble du malheur que des réfugiés juifs espagnols, obligés de fuir une intrusion turque qui a causé le plus grand bouleversement et la plus grande commotion, trouvent à Debdou, non pas un asile, mais une prison! Autrement dit, ils ont habité à Debdou par «la force» des choses. Leur mésaventure est un peu celle que décrivent nos Sages dans le Yalkout Chimoni: «À cet instant, Israël ressemblait à la colombe fuyant l’épervier et se dissimulant dans un rocher où un serpent la guettait…»

Les habitants qui vivent encore à la Kasbah (de Debdou) nous ont montré les vestiges d’une construction souterraine, qui servait de prison «à l’époque des Mérinides».

Le premier document juif «debdoubi» à témoigner d’une présence juive à Debdou, remonte au tout début du XVIII siècle. Il s’agit d’une lettre que les dirigeants communautaires ont adressée aux Sages de Fès : «Pour votre gouverne, près d’un siècle après que nos aïeux ont quitté Debdou (…) nous y sommes retournés en 5450 (1690 de l’ère chrétienne) sur l’ordre de son excellence le roi (…) Maintenant, laissez-moi vous conter les événements de cette synagogue. Ses doyens nous ont dit que nos prédécesseurs y priaient; à cette époque, Debdou était pleine de Juifs.» (La lettre est reproduite intégralement en judéo-arabe dans l’ouvrage de responsa ).

Cet extrait révèle que nos ancêtres de mémoire bénie ont dû quit­ter Debdou aux environs de 1600. Un décret émanant des autorités les aura contraint à dissoudre la communauté locale et à passer au hameau Dar Ben Mechâal. Mais ils retournent à Debdou en 1690, sur l’ordre du roi de Fès. On aura pris soin de remarquer que «Debdou avait une population importante de Juifs» en 1600, et que les pionniers juifs, «nos prédécesseurs», sy trouvaient déjà. Ce docu­ment atteste de la présence d’habitants juifs à Debdou depuis au moins le XVIe siècle, c’est-à-dire bien avant 1600. Il convient de noter que tous les membres de la communauté n’ont pas déserté le village après 1600. Quelques familles sont restées sur les lieux, parmi lesquelles l’éloquent exégète, mon premier ancêtre, Rabbi Itshac Marciano, que son âme repose en paix.

Ces familles formaient la «Communauté sévillane», un titre dont use le grand érudit Rabbi Yéhouda ben Attar. «La sainte congréga­tion sévillane de Debdou, écrit-il, adopte les coutumes des expul­sés».

Rassemblée et unie, la communauté de Debdou était de toute grâce et de toute beauté. Au sommet de la hiérarchie se dressait incon­testablement la dynastie des Cohanim. À leur fierté d’être un maillon de la longue chaîne qui descend d’Aharon le grand Cohen, s’ajoute celle de leurs origines sévillanes.

Non moins altière était la dynastie des Bensoussan, dont la noble ascendance remonte jusqu’à Binyamin, l’enfant choyé de Yaâkov notre patriarche. Ils viennent d'une ville espagnole distinguée et renommée : Tolède.

Quant aux Marciano (les ressortissants de Murcie, au sud de l’Espagne), ils ont gardé jalousement à Debdou le souvenir de leur origine tribale : Yéhouda. Selon la lettre du Michpat Outsedaka Béyaâkov citée plus haut (vol. I ch. 70), ils se sont installés d'abord au village de Tedliset (Ain Tedeles), situé au Nord-ouest de l’Algérie, entre Mostaganem et Oujda.

Une anecdote, qui n’en est pas moins fondée, atteste des racines séfarades de la communauté de Debdou. J’ai ouï-dire, de source sûre, que les membres de la famille Bensoussan dite Legritat {Lejritat, Eljarat?} se sont longtemps transmis de père en fils un trousseau de clés d’une maison d’Espagne et qu’ils ont successivement accroché ce trousseau derrière la porte d’entrée. Cette tradition, qui s’est perpétuée jusqu’au début du XIXe siècle, traduit un espoir ardent de retourner au patrimoine espagnol donc séfarade.

Autre témoignage : dans les synagogues des familles Bensoussan et Marciano, les Séfer-Torah possédaient des pommeaux qui provenaient de l’Espagne andalouse. Ces pommeaux ont été conservés jusqu’au XIXe siècle.

Au cœur de Debdou, une synagogue sacrée nommée Dougham abritait un Séfer-Torah, petit et antique, que les connaisseurs appelaient le «Séfer-Torah de Zabaro». Il semble que ce soit un des rouleaux de la Torah écrit par le saint Rabbi Moché Zabaro de Fès, de mémoire bénie. Les Juifs du village avaient recours à ce Séfer en cas de litige financier ou autre. Et il n’était pas rare que certains plaignants préférassent un serment sur le «Sefer-Torah de Zabaro» à un procès au tribunal.

Ce rouleau sacré se trouvait encore dans la synagogue Dougham en 5708, lors de la vague d’émigration en Israël.

D’autre part, Itshac Rabin a reçu en 1974 un magnifique présent, un Sefer-Torah rarissime de Debdou, écrit sur un parchemin en peau de biche. Le premier ministre l’a confié au musée d'Israël.

En 5468 (1708 de l’ère chrétienne), un émissaire de Hebron-Rabbi Chmouel Halévi a rendu visite aux Juifs de Debdou. Le percepteur de fonds a obtenu de la communauté pourtant restreinte une aumône très substantielle. Cette information indique que la situation économique des habitants de Debdou était plutôt bonne, voire prospère, si l'on exclut bien sûr les très nombreuses fois où ils ont quitté temporaire­ment les lieux pour survivre à la famine sévère ou échapper à l’ennemi féroce. On se souvient tout particulièrement des famines de 5539 (1779) et de 5567 (1807) qui ont quasiment dépeuplé Debdou de ses habitants juifs.

«Le mois d'Av (5567), note Rabbi Chlomo Hacohen Sabban dans son opuscule Yahas Debdou, marque la fin de cette terrible année de famine où la majeure partie des Juifs de Debdou a trouvé asile ailleurs.»

Il ne faut pas nier que les Juifs de Debdou ont connu des moments difficiles, parfois tragiques, entre les années 1830 et 1910. Car les Musulmans qui s’opposaient à la colonisation de l'Algérie par la France, se réfugiaient à l’Est du Maroc, notamment à Debdou. En outre, les Juifs étaient soupçonnés en Algérie de soutenir la mainmise du gou­vernement français au détriment des autorités musulmanes. Aussi les rapports entre Juifs et Musulmans n’étaient pas des plus cordiaux et, des deux côtés de la frontière, nos frères ont fait les frais de l’Occupation française en Algérie, et payé de leur sang un lourd tribut ׳.

J'avoue que j’affectionne tout particulièrement les origines de ma sainte communauté. Je ne puis oublier mon village, ses petites ruelles où je me suis nourri d’un Judaïsme authentique et intègre, naturel et spontané.

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Une nouvelle Seville en Afrique du Nord-Debdou-Une miniature de Jérusalem.

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J'avoue que j’affectionne tout particulièrement les origines de ma sainte communauté. Je ne puis oublier mon village, ses petites ruelles où je me suis nourri d’un Judaïsme authentique et intègre, naturel et spontané.

Du reste, on remarque que Debdou avait beaucoup de points com­muns avec la Jérusalem d’antan, la ville du Temple. Pour n’en citer que quelques uns :

  • comme à Jérusalem, les Cohanim et le reste de la population vivaient à Debdou côte à côte : «une royauté de Cohanim, et un peu­ple saint», Cohanim d’une part et Israélites de l’autre;

־ comme à Jérusalem, la communauté de Debdou regroupait la postérité de trois tribus :

Lévi (les Cohanim), Yéhouda (familles Marciano, Benaim, Benhamou, Benguigui et autres), et Binyamin (rappelons que la famille prestigieuse des Bensoussan fait remonter son lignage à Binyamin);

  • au cœur de Jérusalem se trouvait le Temple, au cœur de Debdou le petit Temple ancestral – la synagogue de Dougham ־ que les fidèles vénéraient énormément;
  • dans le Temple se trouvait l’Arche d’Alliance de D-ieu et dans la synagogue de Dougham se trouvait un Séfer-Torah redoutable, sacré et antique;
  • Jérusalem est une ville entourée de montagnes; Debdou l’est aussi.
  •  

Les Juifs de Debdou

Ce texte est extrait de «Etude sur l’histoire des Juifs et du Judaïsme au Maroc», publié en 1906 par Nafioum Slouschzy écrivain, historien, archéologue, traducteur et ardent sioniste; né en Russie, puis étudiant et professeur à (Paris. (De 1906 à 1914 if a exploré l'Afrique du Nord a titre d'archéologue. Il en est résulté notamment plusieurs ouvrages sur fes Juifs de fa région, dont celui mentionné plus haut. A toutes fins pratiques, cet extrait est réactualisé.

La region de Debdou et ses habitants

Le massif montagneux de Debdou est comme un contrefort avancé du Moyen-Atlas dont il est séparé par la vallée de la Moulouya. La vallée de Debdou entourée de montagnes constitue une région dis­tincte, presque fermée, située au Sud-ouest de Taourirt, en dehors de la grande route qui, par la trouée de Taza, mène de l’Algérie à Fès. Les caravanes arrivent à Debdou de trois côtés. Du nord, elles viennent de Melilla en passant par le Rif et la basse Moulouya pour arriver, en trois étapes, à Debdou. Une autre voie très fréquentée se dirige vers le sud par la plaine de la Moulouya passant par Kasbat el-Makhzen et Outat pour aboutir à Bou Hanan et au Tafilalet. Cette dernière est l’ancienne route courue des caravanes du désert qui prennent le chemin du littoral méditerranéen.

Par l’Est, la route qui est de beaucoup la plus fréquentée sert, depuis l’Occupation française, aux convois militaires et elle permet de se ren­dre à Debdou avec une sécurité relative. Cette route va d’Oujda à Taourirt, à travers un Tell dominé par les massifs montagneux qui por­tent les noms des tribus berbères des Béni Snassen et des Zekkara. On traverse alors la grande vallée de Tafrata pour atteindre vers le Sud- ouest, après 52 kilomètres d’un pays coupé d’oueds, le Foum Debdou (la Bouche de Debdou), d’où se déroule, pour le voyageur, le tableau magnifique qui comprend l’ensemble de la Gada. La vallée qui se trouve à 900 mètres d’altitude est dominée par la crête, ou la Gada proprement dite, qui atteint 1.650 mètres. C’est un paysage qui rappelle le centre de la France, verdoyant et pittoresque, abritant une population paisible.

Laissons la parole au premier voyageur européen qui put visiter la place de Debdou(־) :

«Debdou apparaît : une petite ville dominée par son minaret étale à mes pieds ses maisons roses au fond d’une vaste vallée; alentour s'étendent des prairies et des jardins; au-dessus s'élèvent de hautes parois de roc, aux crêtes boisées que couronne la Gada. Je descends vers ce lieu en riant. Un chemin pierreux, raide et pénible y conduit.

Debdou est situé dans une position délicieuse, au pied du flanc droit de la vallée qui s'élève en muraille perpendiculaire à 80 mètres au-dessus du fond; il forme une haute paroi de roche jaune, aux tons dorés, que de longues lianes rayent de leur feuil­lage sombre. Au sommet se trouve un plateau avec une vieille forteresse, dressant avec majesté, au bord du précipice, scs tours croulantes et son haut minaret. Au delà du plateau, une succession de murailles à pic et de talus escarpés s’élève jusqu'au faîte du flanc. Là, à 500 mètres au-dessus de Debdou, se dessine une longue crête couron­née d’arbres, la Gada. Des ruisseaux se précipitent du sommet de la montagne, bondissent en hautes cascades le long de ces parois abruptes et en revêtent la surface de leurs mailles d’argent. Rien ne peut exprimer la fraîcheur de ce tableau. Debdou est entouré de jardins superbes : vignes, oliviers, figuiers, grenadiers, pêchers y for­ment auprès de la ville de profonds bosquets et au delà s'étendent en ligne sombre sur les bords de l'Oued. Le reste de la vallée est couvert de prairies, de champs d'orge et de blé se prolongeant sur les premières pentes des flancs.»

  1. Nehil, après M. de Foucauld, nous donne des renseignements sur la répartition de la population vers la fin de 1910. L’Occupation française, au printemps 1911, n’ayant rencontré aucune résistance effective, n’a d’ailleurs pas modifié sensiblement la situation ethnique des tribus qui peuplent la Gada et dont voici un exposé som­maire :
  2. Nehil a classé en quatre groupes principaux la population musulmane de la Gada :
  • les Ahl Debdou ou les habitants de la place Debdou proprement dite;
  • le groupe maraboutique des Chorfa Koubbanyyin et des Flouch, marabouts eux aussi, formant deux petites collectivités séparées du reste de la population;
  • le groupe des Alouana, Granza, Sellaouit, qui, au point de vue de l’impôt, forment un groupe distinct;
  • le groupe des Béni Fâchât, des Béni Ouchguel qui sont semi- nomades.

Quelques familles du Ouanan, originaires des Ahlaf arabes errent dans la vallée.

Les Ahl Debdou ou habitants de la place de Debdou sont groupés comme suit :

  1. — Les habitants du village de Debdou proprement dits.

IL — Les Ahl el-Qaçba.

  • — Les Ahl el-Meçalla.
  1. — Les Oulad el-Qela’i.
  2. — Les Khelifit.

Ces quatre dernières factions sont quelquefois désignées sous l’appellation commune de Meraçan.

  1. — Les Ahl Bou’Ayyach.

VIL — Les Ahl Rekna״).

On a lu plus haut la description faite par M. de Foucauld de la place de Debdou, description à laquelle il n’y a pas grand chose à ajouter. D’après ce voyageur et d’après M. Nehil, Debdou comprend environ 400 maisons construites en pisé et non pourvues de puits. On ne compte, pour les Juifs, dans le Mellah, que 101 cours, ce qui s’explique par le fait que plusieurs habitations donnent sur une seule cour. On compte en outre 60 cours dans les quartiers musulmans. La ville qui s’étend sur une pente au-dessous du plateau de la Kasbah n’a pas de murs d’enceinte. Elle est divisée en cinq quartiers dont quatre musulmans : Kiadid, Oulad Abib, Oulad Youssef, Oulad Amara : le Mellah occupe le centre et constitue la plus grande partie de la ville.

La ville arabe ne possède qu’une seule mosquée située dans le quartier des Oulad Amara près de la rivière. C’est un pittoresque édi­fice de teint rose-gris, entouré de jardins verdoyants.

Debdou compte 2,000 habitants dont 1,400 Juifs.

Les Musulmans de Debdou sont d’origines diverses; fort peu de familles seraient originaires de la ville et on trouve sur celles-ci des ren­seignements assez détaillés dans la notice précitée de M. Nehil.

Les autres groupes musulmans forment de petits dechra (village) de quelques huttes seulement pour la plupart.

L’ensemble de cette population ne dépasserait pas 700 fusils y com­pris les 250 semi-nomades, Berbères pour la plupart, qui errent dans la vallée.

Certains de ces groupes, notamment les Kiadid, rattachent leurs origines aux Mérinides qui, autrefois, dominaient le pays; ce sont les seuls Musulmans qui puissent se réclamer d’un séjour assez ancien dans la Gada. Tous les autres groupes semblent s’y être établis en des temps relativement récents.

La Kasbah de Debdou, vieille forteresse située sur un plateau, com­prend encore 160 habitations en pisé ou 60 fusils et quelques centaines d’individus. Ceux-ci se groupent en deux factions : les Oulad Bouzat et les Oulad Belkaçem (ces derniers seraient venus de Kenadja)<5). Les Ahl el-Kasbah sont les protecteurs des groupes qui habitent le village et qui sont connus sous le nom de Meraçan.

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Les Musulmans et les Juifs de Debdou prétendent que la Kasbah aurait été construite par les Romains. Ils confirment l’existence, au-delà de la Gada, de mines de cuivre qui auraient été exploitées déjà dans l’Antiquité. Toutefois, les murs de la Kasbah sont en pisé et ne  diffèrent pas beaucoup du type des forts berbères de l’époque de la Splendeur des Mérinides.

Le seul problème intéressant pour l’archéologue est l’existence, près de la Kasbah, d’un fossé et d’une galerie souterraine taillés dans la roche, s’enfonçant jusqu’à environ 30 mètres de profondeur, qui aboutirait à une nappe d’eau.

Il est évident que la population actuelle de Debdou ne serait pas capable d’exécuter un travail aussi compliqué.

Quoiqu il en soit, il est certain que, depuis I'epoque historique, Debdou a presque toujours été un centre important du Judaïsme. La population juive, de beaucoup la plus nombreuse autrefois, fut  particulièrement éprouvée par les troubles de ces derniers temps; elle constitue encore les deux tiers de la population de la ville, sans compter les diverses colonies de Juifs de Debdou qui se trouvent  dispersés en Algérie et dans la plupart des nouveaux centres espagnols et français.

Ce caractère juif de Debdou avait déjà frappé, en 1885, M. de Foucauld qui consacra au Mellah de Debdou les lignes suivantes :

«La population de Debdou présente un fait curieux : les Israélites en for­ment les trois quarts; sur environ 2,000 habitants, ils sont au nombre de 1,500. C’est la seule localité du Maroc où le nombre de Juifs dépasse celui des Musulmans.

Debdou est le premier point que je rencontre faisant un commerce régulier avec l’Algérie; un va-et-vient continuel existe entre cette petite ville et Tlemcen. Les négociants israélites y cherchent les marchandises qui, ailleurs, viennent des capitales marocaines ou de la côte; ils les emmagasinent chez eux et les écoulent peu à peu sur place et dans les marchés du voisinage. Debdou a quelques rela­tions avec Fès et Melilla. Mais ses seuls rapports sont avec l'Algérie.»

Au point de vue économique, l’activité des Juifs de Debdou présente un réel intérêt. Cependant, on a certainement exagéré l’importance commerciale de ce marché. On sait qu’il devait être ouvert aux commerçants d’Algérie par une clause spéciale des traités conclus entre la France et l’Empire chérifien au commencement du siè­cle. L’intérêt économique de Debdou ne tient pas tant à sa situation géographique, puisque Debdou se trouve en réalité en dehors de la grande vallée, qu’à l’activité de sa population juive. Cette activité, depuis plusieurs siècles, s’est développée là, à l’abri des attaques et des pillages qui étaient continuels dans les vallées et les régions ouvertes de la Moulouya.

Il y a parmi les Juifs de Debdou quelques bijoutiers, tailleurs et tis­serands. Les femmes excellent aux travaux de tissage et de broderie. On fait aussi à Debdou quelques ouvrages de maroquinerie. Un certain nombre de familles aisées possède de beaux jardins de rapport dans les environs de la ville. L’élevage du mouton dans les environs est égale­ment florissant. Le marché de Debdou se tient le jeudi; il est réservé aux tribus de la région proprement dite. C’est la place de Taourirt qui, depuis l’Occupation française, est devenue le rendez-vous où tous les marchands de la région de la Moulouya se réunissent chaque lundi. Rien de plus pittoresque que ces centaines de Juifs qui, tous les dimanches, descendent en caravanes sur des mulets et des ânes chargés de marchandises. On y voit des hommes barbus habillés du caftan noir propre aux Juifs espagnols, ou tout simplement d’une gandoura, et coif­fés d’un fez ou bien d’un foulard, seule coiffure per­mise aux Juifs, en certains points de l’intérieur; des garçons d’assez bel aspect, aux yeux très vifs, avec de longues boucles noires tombant sur les joues. Enfin des femmes, souvent très jolies, mais souvent aussi pré­maturément fatiguées, se présentent avec la coiffure haute couverte d’un mouchoir aux deux bouts en pointe, qui est particulière aux Juives du désert marocain. À Debdou même, le type général des juifs est un beau type espagnol.

Bien que les maisons ne brillent pas de propreté, l’aspect extérieur du Mellah est assez riant et rappelle, dans une certaine mesure, le Mellah de Tétouan. Il compte une quinzaine de synagogues et d’ora­toires; mais, à part une ou deux dont le type se rapproche des syna­gogues de Tétouan, les autres sont plutôt des salles ordinaires, con­sacrées par les habitants aux besoins du culte. Voici les principales : Chenouga׳ des Oulad Bensoussan (la plus importante); Chenouga ed- Dougham des Cohen (qui donna lieu à de longues querelles, les Cohen s’étant refusés à y admettre les Juifs du commun); Chenouga Barmalil; Chenouga Bousseta; Chenouga Ben Guigui; Chenouga Ben Hammou; Chenouga Oulad Mechid; Chenouga Es-Sabban, etc.

Chenouga d’Esnoga, en portugais = synagoga. Les Juifs arabes disent Sla.

Cette liste montre que chaque fragment de population a son sanc­tuaire. Car la population juive de Debdou présente cette particularité, qui lui est d’ailleurs commune avec celle de Djerba, d’être subdivisée en plusieurs tribus ou plutôt en clans ayant chacun son quartier, ses synagogues et ses traditions et vivant, depuis des siècles, dans un état d’antagonisme social qui se manifeste par des conflits presque perma­nents.

Parmi ces tribus, celle des Cohen Scali, la plus nombreuse, compte environ 150 pères de famille (70 familles) " et s’attribue une illustre origine aaronide. Les démêlés des Cohen avec leurs voisins les Marciano (environ 100 pères de famille et 40 familles) sont devenus célèbres dans le monde juif depuis le dix-septième siècle. Et les petites factions telles les Oulad Ben Guigui, les Oulad Marelli, les Oulad Ben Hammou qui ne peuvent pas prétendre à une haute origine, embrassent les querelles des Marciano contre les Cohen, si bien que l’équilibre numérique entre les deux leffs, semble être maintenu. Quant aux Oulad Bensoussan, qui sont eux-mêmes le descendants d’une illustre famille rabbinique, ils restent presque toujours neutres et for­ment un clan à part. Dans ces conditions, la plus grande synagogue, qui est en quelque sorte le centre officiel de la communauté, se trouve située dans le quartier des Bensoussan.

Cette tendance au fractionnement, qui caractérise les habitants juifs de Debdou, se manifeste un peu partout : dans la vie religieuse, dans la vie sociale et même dans la vie politique. De tout temps, le «leff» des Marciano se refusa à subir la tyrannie des Cohen Scali; ils leur dis­putèrent depuis la destruction de la Kasbah Dar Ben Mechâal en 1680, le terrain qu’ils occupent à Debdou et ne voulurent jamais se résigner à leur être soumis, en dépit de l’illustre origine invoquée par les Cohen Scali.

On verra, au chapitre consacré à l’histoire de Debdou, quel degré de violence atteignaient les passions rivales des deux factions domi­nantes de Debdou, dans les moments de troubles surtout; très souvent on en venait aux mains; dans la plupart des cas, les tribunaux rabbiniques de Fès et de Jérusalem parvenaient à établir une paix précaire seulement.

A l'époque de la domination du Rogui, les Marciano, pour exaspérer leurs adversaires dont le chef David ben Hïda s’était fait l’agent du Prétendant, ne trouvèrent rien de mieux que de proclamer Moulay Hafid sultan à Debdou.

Heureux encore qu’il n’y ait eu, dans cette population juive de Debdou que deux grandes factions! Si les Cohen Scali sont aaronides ou prêtres d’origine noble, tous les autres Juifs de Debdou sont des israélites vulgaires et descendants des deux tribus laïques d’Israël. Si les Lévites qui, eux aussi, se réclament d’une origine antique plus ou moins sacer­dotale, étaient venus se mêler à ces querelles, on peut imaginer à quel point la situation aurait été intenable et plus difficile encore!

Seulement ici, comme dans la Hara Zghira de Djerba, la cité des Cohen et du sanctuaire dit la Ghriba (la Solitaire) célèbre dans tout le Judaïsme africain, les Aaronides semblent avoir pris les devants pour prévenir à tout jamais l’établissement des Juifs descendant de la tribu de Lévi. Ils proclament qu’aucun Lévite ne saurait impunément fouler le sol de Debdou (ou de Djerba), ce sol étant entièrement consacré aux Cohen( ?). Quiconque enfreindrait cet ordre serait frappé par YHWH d’une mort certaine. Il y a là, sûrement, la trace de croyances fort anciennes, antérieures à l’établissement du culte rabbinique, puisque ce dernier a aboli toute distinction de caste chez les Juifs en Afrique. Mais comment concilier ces données avec la tradition, qui semble authentique, de l’origine espagnole des Cohen Scali? Une fois de plus, nous sommes amenés à penser que le Judaïsme primitif de l’Espagne ne devait pas différer essentiellement de celui de l’Afrique et que l'évolution européenne des Juifs espagnols ne s’est accomplie que sous la domination chrétienne.

Quoi qu’il en soit, il est acquis que le différend suranné entre Cohen et Israélites, déjà condamné en Afrique par les rabbins des écoles babyloniennes du dixième siècle demeure encore à Debdou un facteur de dissensions et de conflits qui pèse lourdement sur la vie sociale de la communauté.

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Les moeurs d’ailleurs se maintiennent chastes et même sévères.

En général, la vie religieuse des Juifs de Debdou ressemble à celle des Juifs des grands centres du Maroc : le rituel et les usages sont d’origine espagnole; puis sont venues s’y ajouter des traditions et des moeurs propres aux Juifs marocains. La coutume la plus déplorable, au point de vue social, est celle des mariages précoces : si la bigamie est plutôt rare à Debdou, on y rencontre en revanche des jeunes mères âgées de douze à treize ans et déjà à moitié flétries. Nous y avons constaté également un cas de mariage par contrat dont le bénéficiaire n’est précisément pas un sujet du Makhzen.

Dans le monde juif on tient fort en estime la population de Debdou. En 1897, lors d’une famine qui ravagea le Maroc septentrional, M. Benshimon de Fès émit par l’intermédiaire du directeur de l’Alliance israélite universelle de Fès l’opinion suivante sur ses coreligionnaires de Debdou.

«Les Juifs de Debdou sont pris par le sultan Hassan sous sa propre autorité… Le bacha de Taza gouverne les Musulmans et un bacha de Fès (il y en a deux), Ba Mohamed gouverne les Israélites.

Les Israélites de Debdou ne sont pas pauvres comme dans la plupart des villes du Maroc. Beaucoup connaissent un métier et la plupart se livrent au commerce. On voit, parmi eux, un grand nombre de rabbins très instruits. Ils ont beaucoup de dignité, ils n'ont jamais mendié; ils ne se sont adressés jusqu'à présent à leurs coreligionnaires de Fès que pour le règlement de leurs affaires religieuses.»

Presque chaque synagogue possède un Talmud-Torah ou une école religieuse où les enfants étudient l'hébreu et la religion. La connaissance de l’hébreu est très répandue à Debdou qui fournit des rabbins à certains centres algériens et marocains; j’en ai moi-même rencontré à Nedroma et à Melilla.

Une spécialité des rabbins de Debdou est la confection des rouleaux de la loi par des Sofer (scribes) très experts et d’une piété fort appréciée des croyants. Aussi les Séfer venant de Debdou sont-ils payés par les Juifs du Maroc et d’Algérie de 300 à 500 francs chacun.

Pendant ces dernières années, un certain nombre de familles d’ouvriers et de marchands quittèrent Debdou et allèrent s’établir à Taourirt et à Berguent, ou dans les autres stations créées par les autorités militaires françaises : ils y sont attirés par la sécurité plus grande et par un régime plus équitable sous l’administration directe des fonctionnaires français. Bien qu’ils eussent ardemment sollicité l’Occupation française, les Juifs de Debdou n’en eurent pas pleine satisfaction. Accoutumés à un régime autonome sous les divers souverains marocains, y compris même le Rogui, les habitants juifs qui, depuis des siècles, constituent la majeure partie de la population ne peuvent s’accommoder de la justice coranique d’un caïd musulman à qui on a confié la charge de trancher les différends entre Juifs et Musulmans. Ils sont également vexés par les procédés grossiers des goumiers marocains du bureau arabe qui s’interposent entre eux et les autorités françaises. Les Juifs de Debdou se rendent parfaitement compte de l’utilité que présenterait pour eux la connaissance de la langue française et nous avons vu des vieillards cherchant les moyens d’apprendre cette langue qui est celle des maîtres actuels des destinées du Maroc. En attendant mieux, ils ont fait venir d’Oran un instituteur quelconque qui enseigne le français à une dizaine d’enfants, mais ils insistent sur l’urgence de la fondation d’une école régulière, soit par l’Alliance israélite universelle, soit par une autre société autorisée. Cette école, affirment-ils, pourrait être doublée d’une ferme agricole qui apprendrait à la jeunesse à cultiver avec profit les beaux jardins que les Juifs possèdent dans les environs de la ville et à multiplier les troupeaux qu’ils élèvent avec l’aide des indigènes.

Il ne semble pas que ce légitime désir de s’émanciper du régime marocain pour se rapprocher de la France puisse rencontrer une oppo sition sérieuse des autorités compétentes. Cette population entretient en effet des relations économiques très suivies avec Melilla (où la population juive a été naturalisée en bloc par l’Espagne) et ses caravanes sil lonnent tout le Rif et l’Atlas jusqu’au Tafilalet.

Certains Juifs de Debdou déjà ont su se rendre utiles à l’oeuvre de pénétration française. Sous un régime respectant la justice et la dignité de ce groupe, on ne saura longtemps méconnaître ses qualités naturelles : perdus pendant de longs siècles, dans un coin isolé entre la montagne et le désert, ces Juifs surent cependant s’imposer aux indigènes les plus sauvages et les plus inhospitaliers.

En résumé voici, d’après les données de M. de Foucauld, corrigées par une note de M. Nehil et d’après renseignement personnels pris sur place, un tableau de l’état actuel de la population de Debdou :

Population musulmane :

Oulad Aâmara      50      fusils

El-Kiadid    65      —

Oulad Abid 15      —

Oulad Youssef     35      —

165 fusils

Nous avons ainsi un ensemble de 165 hommes valides ou pères de familles (plus les 60 fusils que compte la Kasbah).

Population juive :

  • Cohen Scali, subdivisés en cinq groupes familiaux : Oulad

Daoud, O. Mechich, Ryaaïcha, O. Robni, O. Dougham. Tous ensemble occupent avec les groupes qui dépendent d’eux environ soixante maisons. Ils comptent environ 150 pères de famille (60 familles, d’après M. Nehil).

Le chef des Cohen Scali est le cheikh David Ben Hïda. Le grand rabbin Yossef Sabban est également un Cohen Scali.

  • Oulad Marciano (anciens originaires de Murcie en Espagne) subdivises en quatre groupes familiaux : 0. Ben Ako, O. El- Kerchem, O. Mechtchon, O. Belchguer.
  • Les Marciano occupent avec leurs clients ressortissants environ 40 cours et comptent en tout près de 100 pères de famille.
  • Leur chef est David ben Ako Marciano, dont le père avait hébergé M. de Foucauld
  • Oulad Benhamou, groupe unique, qui compte environ 20

pères de famille. Leur chef est Haroun di Chmouiel Ben Hammou. Ils sont d’origine marocaine ancienne.

  • Oulad Bensoussan, groupe peu nombreux, mais d’une origine

marocaine autochtone, comptant environ 12 familles. Son chef est Abraham Bensoussan et, en outre, il compte parmi ses membres le rabbin Massoud et plusieurs autres talmudistes de renom.

  • —     Oulad Benguigui, groupe venu du Sahara qui compte environ

10 familles.

  • —     Oulad Marelli, d’origine atlassienne, environ 3 familles.
  • — Oulad Nissim, environ 4 familles. Ces derniers ont presque

tous émigré.

Les trois derniers groupes relèvent de l’autorité en chef des Marciano

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On compte en tout un peu plus de 300 pères de famille juifs contre environ 165 pères de famille musul­mans.

Les Juifs de Debdou qui s’ex­patrient ont ceci de commun avec les Mozabites et les Djeraba de ne jamais rompre les liens avec leur petite patrie d’origine. Les registres de la communauté portent le chiffre exact de tous les gens de Debdou qui séjournent ailleurs qu’à Debdou. L’énumération ci-dessous nous montre qu’il y a, disséminés dans les divers points du Maroc et de l’Algérie, au moins autant d’originaires de Debdou qu’il en reste à Debdou même. Il y a :

A Melilla

68 familles juives de Debdou

68 familles

À Fès

60

                   

60 —

À Tlemcen

29

                   

29 —

À Oujda

17

                   

17 —

À Martemprey

17

                   

17 —

A Taourirt

15

                   

15 —

A Berguent

20

                   

20 —

À Ain Temouchent

12

                   

12 —

À Sefrou

9

                   

9 —

À Oran et à Alger

8

                   

8 —

A Nemours

8

                   

8 —

A Marnia

7

                   

7 —

À Rahal

7

                   

7 —

À Tanger                                  5

A Casablanca                            3                                                                               

 Quelques dizaines de familles originaires de Debdou se retrouvent en Palestine, ce qui totalise plus de 300 familles ayant quitté Debdou depuis la dernière génération. De la sorte, l’agglomération juive de Debdou compte plus de 600 familles, soit environ 3 000 âmes.

Depuis l’Occupation française, trois ou quatre Juifs algériens et tétouanais sont venus s’établir à Debdou, parmi lesquels la famille d’un Juif d’Oran qui habite le Mellah et enseigne le français aux enfants juifs. Les autres font du commerce dans le camp militaire, à plus d’un kilomètre du Mellah.

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Une nouvelle Seville en Afrique du Nord-Debdou-Une miniature de Jérusalem.Aperçu  historique.

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Aperçu  historique

 

L'importance prise des les temps les plus recules par l’élément juif dans la région de Debdou, se retrouve avec: une persistance trop grande dans les traditions populaires pour qu’il ne soit pas tenu compte de celles-ci dans une étude consacrée au Judaïsme moderne de Dcbdou. Outre le voisinage immédiat du centre judéo-berbère de Djeraoua établi vers 695, on a vu que des communautés juives florissaient avant le dou­zième siècle dans les villes de Tlemcen, Ceuta, Fès de même que dans les centres secondaires du Maghreb central. A cette époque, la ville de Debdou n’existait sans doute pas encore et les groupes juifs pouvaient bien habiter alors Oujda, Taza ou les dechra à côté des Berbères. Les tra­ditions propres des Juifs parlent d’anciens etablissements juifs aujourd'hui disparus en plusieurs points des Djebel Béni Snassen et Béni Bon Zeggou, à la place de Taourirt et en deux endroits sur le territoire de Béni Choulal׳! où deux anciennes nécropoles juives subsistent encore.

Somme toute, la Gada, qui porte le nom de Debdou, ne figure dans aucun texte manuscrit antérieur à la domination mérinidc.

La domination almohade semble, de prime abord, avoir été néfaste aux populations non musulmanes ou schismatiques du Maghreb, et, à un moment donné, on put croire que le Maroc ne possédait plus guère de Juifs et de Berbères dissidents. Cependant, au lieu de contribuer à l’unification du pays, le fanatisme persécuteur des Almohadcs ne fit qu’attiser l'esprit de résistance qui caractérise les populations de la Berbérie intérieure. Les souverains de cette dynastie introduisirent des tribus d’Arabes nomades, pillards de profession, qui devinrent depuis un nouvel élément d'anarchie. La vallée de la Moulouya et scs dépendances devaient se ressentir particulièrement du double effet qu'exerçait sur elles la persécution religieuse et l’intrusion des nomades de langue arabe. Aussi voit-on ses populations défier le fanatisme almohade et revenir à leurs schismes et, quelquefois même à leurs traditions semi-hébraïques.

— Berghvvata réapparaît sous des formes nouvelles mieux adaptées aux conditions faites au Maghreb par la longue tyrannie du fanatisme almohadc.

Des le treizième siècle le sultan almohade Mouhammed An Nasir aurait fait élever le long des trouées du Rif une muraille qui devait supprimer pour les Juifs l'accès aux plaines par le pays soumis du Maroc septentrional׳. Cette indication, tiree d’une source arabe orthodoxe, est fort intéressante. La persistance de l’élément juif dans le Rif est d’ailleurs confirmée par la tradition populaire, tant berbère que juive'”. II n est peut-être pas inutile de rappeler ici que Taza réapparaît avec Fès comme la première communauté juive organisée dans les annales rabbiniques aussitôt après que le culte juif eût été officiellement recon­nu par les Mérinides. On y rencontre au treizième siècle le savant rab­bin Elhanan ben Maïmon et certains autres rabbins que le grand rab­bin espagnol Salomon ben Adret traitait de quantité négligeable, voulant marquer par là la supériorité des rabbins d’Espagne“׳ sur les érudits du Maghreb.

Ce n’est certainement pas un pur hasard si les premiers souvenirs historiques plus ou moins exacts des habitants de la Gada de Dcbdou se rattachent à l’établissement dans le pays des Beni-Merin. Ces derniers, si on en croit la tradition locale, avaient alors pour sultan Abou el Hassan (le Sultan Noir), personnage héroïque auquel on attribue tous les édifices aujourd’hui en ruines et les barrières de pierre qui seraient d’origine musulmane. Or, le sultan Abou el Hassan est considérée comme une sorte même de Charlemagne par tous les Juifs des confins de l’Atlas et jusqu’à Tafilalet. Dans la tradition populaire juive, il pré­side aux destinées de la nouvelle époque de l’histoire marocaine.

  1. Nehil"" propose d’identifier le Sultan Noir avec le sultan mérinide Abou Yacoub Youssef qui régna à Fès de 1280 à 1307; cette opinion nous semble cire très juste : n’est-ce pas ce souverain qui s’érigea en protecteur des Juifs, au point d’exposer sa propre personne lors d’un assaut populaire contre le Mellah"?

C’est depuis cette époque que date la fondation du sultanat abdel- wadides de Tlemcen qui, des siècles durant, disputa aux Mérinides la possession du Maghreb central”'.

La rivalité des deux dynasties ne devait plus cesser jusqu’à la domi­nation turque, et les régions du Tell oraríais et les plaines de la basse Moulouya furent le théâtre d’hostilités. Aussi la vallée de Debdou, grâce à sa situation, protégée par la montagne et à proximité de la grande route de l’Occident, put-elle supplanter Taza et s’imposer, pen­dant environ deux siècles comme chef-lieu des confins du Nord-est de l’Atlas marocain.

Du temps de Léon l’Africain, la grande route de pèlerinage qui pas­sait par Fès, Taza, Za, Djeraoua, Tlemcen, Tahort (Ibn Haukal) était déjà abandonnée pour celle de Fès, Taza, Guercif, Debdou, Tlemcen. Debdou hérite donc de la prépondérance de Djeraoua.

D'ailleurs, la tradition locale recueillie par M. Nehil reporte à rétablissement des Beni-Merin la fondation première des places musul­manes sédentaires de Debdou. Selon cette tradition, à l’époque de la Splendeur de Debdou, la vallée était occupée par les trois groupes de populations suivantes :

1° Les Béni Merin;

2° Les Béni Ghoumrassen;

3° Les Juifs.

«Ces derniers étaient les plus anciennement établis dans la région. Ils étaient sédentaires tandis que leurs voisins les Béni Merin et les Béni Ghoumrassen vivaient en semi-nomades, sous la tente, à des endroits fixes, au cours de la saison estivale ou encore pendant l’hiver.

Les Béni Merin dominaient alors dans toute la région jusqu’à la Moulouya; ils possédaient des Kasbahs : au nombre de celles-ci, on retrouve les ruines de la Kasbah de Debdou qui existent encore dans la Gada : la légende populaire les attribue toutes au Sultan Noir.

Quant aux Béni Ghoumrassen, ils forment, d’après le lieutenant Baugé, une fraction des Béni Guil, soit vivant aux confins du Moyen Atlas la grande tribu nomade.

Ce n’est pas ici que nous pouvons relater par le détail, les longues luttes engendrées par les rivalités entre les Mérinides et les Zianides. Ces luttes désolèrent le pays et n’ont d'ailleurs aucun intérêt direct rela­tivement à l’histoire proprement dite de la Gada de Debdou. Notons seulement que ces luttes amenèrent dans les environs immédiats de Debdou des tribus hilaliennes Makhil qui, à vouloir convoiter la pos­session de cette riche vallée, ne firent que ravager le pays.

Une nouvelle Seville en Afrique du Nord-Debdou-Une miniature de Jérusalem.Aperçu  historique.

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À ce moment, Debdou entre dans le domaine de l’histoire écrite. Parmi les Kasbahs Mérinides qui contenaient des garnisons destinées à s’opposer aux invasions des Zianides de Tlemcen, Léon l’Africain cite les noms de Teurerto (Taourirt), et de Doubdou (Debdou).

Vers l’an 1364, on trouve, établi dans la Gada, les Béni Ali, faction des Béni Ourtadjin, tribu qui avait autrefois fait partie du Makhzen mérinide et qui, après la dislocation de ce dernier, fit de Debdou la capitale d’une vice-royauté quasi-autonome et dont les limites s’étendirent de l’Angad à la Moulouya.

Les Béni Ourtadjin étaient en conflit ouvert avec les Abdelwadides de Tlemcen, et l’on vit, en 1364, Mohammed ben Zegdan, leur chef, s’unir à Ouenzemmir Ibn Arif, seigneur de Guercif, pour chasser de la région Abou Hammou II, roi de Tlemcen. Ce dernier usa de repré­sailles envers les chefs rebelles, mais l’on ignore tout du sort ultérieur réservé aux Ourtadjin, si ce n’est que, au cours de la seconde moitié du quatorzième siècle, les Béni Ouattas, héritiers des Mérinides des régions du Nord de l’Atlas, étendirent leur domination sur la place de Debdou, et les habitants se souviennent encore de leur prise du pou­voir.

À la fin du quatorzième siècle, les Arabes hilaliens, encouragés par l’anarchie qui régnait dans le pays, refoulent les Berbères vers la montagne et occupent toutes les plaines entre Tlemcen et Taourirt. Ils réussissent à s’emparer des régions de la Tafrata et poussent l’audace jusqu’à aller attaquer un avant-poste du Moyen Atlas. La place de Debdou ne devait pas être épargnée : mais, retranchés dans leur Kasbah, les habitants opposèrent une longue résistance. De guerre lasse, les Arabes finirent par signer un traité et la vallée demeura soumise à Moussa Ibn Hammou, chef de la résis­tance locale.

Profitant de l’anarchie générale, Moussa se fit proclamer souverain de Debdou. Ses descendants, connus plus tard sous le nom de rois de Debdou, y régnèrent de 1430 à 1363, soit plus de cent ans.

Nous devons à Léon l’Africain la liste des rois de Debdou que voici

 1° Moussa ibn Hammou, fondateur de la dynastie (1430-1460).

2° Son fils Ahmed (1460-1485).

3° Son fils Mohammed ben Ahmed (1485-1513).

C’est à ce dernier prince que Debdou doit plusieurs de ses édifices, dont probablement la mosquée, de style andalou. Sur sollicitation des habitants, ce prince occupa Taza; mais en agissant ainsi, il s’attira le courroux de Abou Abdallah Mohammed Es-Saïd, connu comme Ech Cheikh, sultan des Béni Ouattas et qui vint l’assiéger à Debdou. Les Béni Ouattas avaient d’ailleurs sur cette ville des préten­tions remontant à l’ancienne occupa­tion de la vallée par leurs congénérés .

On finit par s’entendre, et Mohammed Es Saïd resta le maître de Debdou avec le titre de Khalifa, ou vice-roi rele­vant de l’autorité d’Es-Saïd.

Mohammed II. L’avènement au pouvoir de la dynastie saadienne ne fut pas sans porter atteinte à l’indépendance de Debdou, qui dut reconnaître la domination chérifienne et participer aux entreprises guerrières des sultans de Fès.

 

Ammar (1550-1563), qui mourut à Fès et fut le dernier sou­verain de Debdou. La Gada fut annexée par le gouvernement de Fès et gouvernée, depuis, par un pacha disposant d’une garnison d’arque­busiers.

Le régime intérieur de la population ne semble pas avoir subi des modifications puisqu’on laissait aux tribus leur administration propre et leurs miatts jusqu’à la possibilité de se faire la guerre entre elles.

À partir du seizième siècle les Turcs se substituent aux Zianides; ils prennent l’habitude d’envahir les régions du Maghreb central et d’en disputer la possession aux Chérifs saadiens.

La première manifestation de l’activité turque dans la région avoisi­nant Debdou fut l’établissement en Algérie du corsaire Baba Aroudj et de son frère Kheïr-ed-Dine, connu depuis sous le nom de Barberousse.

Aroudj profita du désordre qui régnait dans le Maghreb depuis l’affaiblissement du pouvoir des Mérinides, pour tenter d’implanter un royaume. Il s’empara successivement d’Alger et de Tlemcen, dont le roi Abou Hammou III dut prendre la fuite. Mais, menacé par les Espagnols qui étaient venus en aide à Abou Hammou III (1518), il se dirigea vers la Moulouya, escomptant sans doute une aide de la part des Mérinides. Poursuivi par ses adversaires, il fut, selon les documents espagnols, atteint dans un endroit situé à vingt-trois lieues de Tlemcen au bord de la rivière d’Hueada (Oujda), sur le Djebel Mecenete (Béni Snassen) et dans le royaume de Dugudu (lisez Doubdou-Debdou). Il nous a semblé utile de relater cet épisode qui témoigne de l’importance du royaume de Debdou sous la dynastie locale, puisque les Européens y englobaient tout le pays jusqu’à la région même d’Oujda. Les historiens Arabes cités par M. Voinot, notamment Mohammed Ibn Kar, rapportent qu’après sa défaite auprès de Tlemcen, le corsaire s’enfuit du côté des Béni Snassen, et qu’il fut rejoint dans le Djebel Béni Moussa. Une version locale veut que la sépulture de l’aventurier turc se trouve encore dans la Dechra des Aassera, dans ce même Dar Ben Mechâal dont il sera ques­tion dans le chapitre sur le règne d’Ibn Mechâal.

Quelle qu’ait été la fin de Baba Aroudj, il est certain que, par la suite, les Turcs intervinrent continuellement dans le Maghreb pour y apporter un nouvel élément de trouble et d’anarchie.

La grandeur éphémère de Debdou disparut avec celle de sa dynas­tie : surgi du chaos, ce royaume retombera dans les ténèbres qui enveloppent l'histoire des centres intérieurs du Maroc. Dans l’histoire générale de l’Empire chérifien, Debdou restera sans notoriété : Léon l’Africain, contemporain de cette décadence, connaît encore Dubdu comme l’une des petites capitales du Maroc; Marmol la connaît déjà fort peu et déjà son nom même est déformé.

Cette décadence fut provoquée surtout par les conflits entre Saadiens et Turcs, conflits qui détournèrent la route de Tlemcen à Fès passant par Debdou vers la grande route saharienne partant de Tafilalet. Aussi verrons-nous la population juive de Debdou émigrer vers d’autres points, notamment vers Dar Ben Mechâal dont il sera question plus loin.

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Au commencement du dix-neuvième siècle, Dcbdou semble avoir repris un peu de son ancienne importance puisqu’elle figure chez Gracbcr et Hemzo ׳ parmi les villes qui ont des bassas (pachas).

Elle a dû cependant déchoir encore, un peu plus tard, à en juger par les quelques renseignements sur les meurtres de Juifs à Debdou et sur les désordres de plus en plus nombreux dans la seconde moitié du dernier siècle.

Toutefois, sous Moulay-Hassan (1873-1894), la ville musulmane ne possédait plus de pacha et relevait de l’Amcl de Taza. Elle était restée un centre d’activité commerciale intense, ainsi que l'atteste M. de Foucauld qui explora en 1883-1884 la vallée de Debdou191׳. Puis les troubles recommencèrent, lors de l’insurrection de Bou Hamara; la décadence de l’autorité de ce dernier permit à un de ses lieutenants, nommé Bou Hacira, originaire des Béni Snassen, de se proclamer sou­verain de Debdou. Bou Hacira cependant dur traiter bientôt avec le Rogui, qui obtint la soumission de Debdou de même que celle des Juifs et des Musulmans.

À cette occasion, il est curieux de relever l’organisation administra­tive de la région telle que l’avait conçue le Rogui, d’après M. Nehil :

Le Prétendant imposa à toutes les factions des tribus qui occupent la vallée de Debdou, des «caïds pris parmi les caïds de sa Mehalla». Les gens de Debdou n’ayant pas voulu s’accommoder du caïd étranger imposé par le Rogui, celui-ci finit par le remplacer par un autre, originaire de Taza. Le Caïd résidait à Debdou et levait les impôts des Musulmans; en outre, il percevait des taxes sur les marchés de tout le pays jusqu’à Taourirt et Sidi Mellouan. Il avait à sa disposition un petit Makhzen de 5 à 6 cava­liers, mais ne devait pas intervenir dans les affaires intérieures des tribus qui restaient gouvernées par leurs cheikhs et leurs miatts.

Les Juifs eurent leur autonomie. Ils étaient gouvernés par David Ben Hïda, chef des Cohen Scali, demeuré fidèle à la cause du Prétendant. Plus tard même, le Rogui nomma David Ben Hïda caïd sans cachet de la place de Debdou tout entière.

Origine des Juifs de Debdou

On a vu qu’à l’époque de la domination mérinide les régions de la basse Moulouya comprenaient les groupes des Juifs autochtones.

Toutefois les deux groupes juifs les plus importants de Debdou ont leurs origines en Espagne. Non loin du cimetière sc trouve une source qui porte le nom d’«Aïn Sévilla» en souvenir de Séville, ancien séjour des Cohen Scali.

Ceux-ci affirment avoir quitte Séville pour chercher refuge dans la région de Debdou lors de la persécution chrétienne de 1391. On sait avec quel empressement divers souverains mérinides avaient accueilli les fugitifs juifs d’Espagne.

Quant aux Marciano, ils seraient originaires de Murcie, ville d’Andalousie.

La ruine de la communauté de Séville qui représentait, pour ainsi dire, l’aristocratie du Judaïsme espagnol, est connue dans tous ses détails. On sait également que plusieurs familles rabbiniques ou nobles, prévoyant la recrudescence de la persécution, préférèrent alors quitter l’Espagne et chercher un refuge dans les États Barbaresques. C’est à partir de cette époque qu’on trouve dans tous les grands centres africains des communautés judéo-espagnoles, dont les savants et les rabbins finissent par s’imposer à l’ensemble des Juifs africains. Dès l’année 1391 Tlemcen, Oran et Alger redevinrent des centres d’activité rabbinique d’une influence puissante sur la vie religieuse des Juifs indigènes.

Les villes de Fès et de Marrakech, où les émigrés semblent avoir ete moins favorisés par la situation politique, ne jouent à cette époque qu’un rôle secondaire. On voit même plusieurs des rabbins et des familles qui avaient essayé de s’y établir, chercher refuge dans les petits centres plus sûrs de l’Atlas ou des confins. Tel fut peut-être le cas des Cohen Scali, dont l’origine sévillane semble être confirmée par divers indices : d’abord «Aïn Sévilla», la source de Séville, située près du cimetière dont nous avons déjà fait mention. Puis, le type même de la plupart des Juifs de Debdou; ce sont encore, leurs moeurs, leurs coutumes qui, tout en étant fortement berbérisées gardent un fond espagnol certain, et qui, dans tous les cas, diffèrent sensiblement de celles des Juifs du Sahara et de l’Atlas.

Le cimetière juif de Debdou date d’environ quatre siècles. Il est situé sur la pente qui descend dans la vallée, du côté gauche du Mellah. Les plus anciennes pierres tumulaires se trouvent tout à fait en bas et sont couvertes de terre; un peu plus haut, les dalles sont à moitié détruites par les torrents qui descendent de la montagne. La par­tie où peuvent se lire les épitaphes ne commence qu’au milieu de la pente et remonte jusqu’à la partie supérieure du cimetière, réservée aux morts de notre génération. Or, parmi les inscriptions plus anciennes, qui se puissent déchiffrer, deux datent du dix-septième siècle et se trou­vent précisément au milieu du cimetière. Entre l’epoque des tombes en bas du cimetière et celles du haut, il y aurait donc environ quatre à cinq siècles. Ceci confirme exactement les traditions locales quant à la date d’établissement des Juifs en ce lieu.

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