Joseph Dadia-les soupes-premiere partie 

les soupes 

O myrrhe ! Ô Cinname !

Nard cher aux époux !

                                               Victor Hugo

 

Le nard et le safran sont des plantes botaniques, d’où sont extraites des essences aromatiques.

Dans la Bible hébraïque, seul le Cantique des Cantiques les mentionne : – Le safran, une fois ; – le nard, trois fois, dont une fois au pluriel. Le nard et le safran sont mentionnés dans le Talmud et dans la littérature rabbinique. Dans Michna Kéritut 6, 1 : ils font partie des onze plantes aromatiques pour la combustion des parfums sur l’autel des sacrifices.

Originaire du Népal et des environs de l’Himalaya, le nard est arrivé dans le bassin méditerranéen via l’Inde et la perse. Son nom botanique est Nardostachys jatasna et N. Grandifolia.

Le nard est employé par les femmes pour parfumer la chevelure.

Originaire de l’Asie Centrale, le safran est une épice fort onéreuse, c’est le Crocus Sativus. Sur la Terre d’Israël, poussent sept espèces de safran, en arabe za’âfrane. En Inde, le Curcuma longa, employé comme condiment de base dans les recettes de cuisine, est connu en arabe sous le nom de kherqoum, curcumin. 

Quand je pense à mon passé marrakchi, ce sont les soupes qui tiennent une place privilégiée dans mes souvenirs. Il faudrait écrire un jour la légende des soupes.

Ma préférée parmi les soupes est la soupe de pois chiches, parfumée d’un bouquet de qezbor (coriandre), soupe traditionnelle du vendredi soir, servie avec les délicieuses boulettes de viande cuites au céleri branches, en arabe : el-krafs oul kouaré. C’est un mets exquis dont nous  gardions l’eau à la bouche durant le shabbat et au-delà. Le jour du shabbat a un goût de paradis, c’est l’antichambre du monde à venir. Ces deux plats étaient servis d’une façon régulière chaque vendredi soir, nous transportant hors du quotidien et nous font oublier, l’espace d’une journée, les tracasseries de la semaine. Merci Yahvé notre Saint Seigneur de noua voir sanctifiés par l’observance de la Reine Shabbat.

Cette soupe aux pois chiches était parfois servie certain  soir de la semaine, en hiver, mais elle n’avait pas le goût du vendredi soir. Noblesse oblige ! Certaines familles préparaient pour le premier soir de Roch-Hachana, le Nouvel An juif, une soupe de pois chiches et au potiron.

Au Maroc, la hrira est une soupe nationale : la hrira aux pois chiches, la hrira marrakchia, sans viande, aux fèves sèches et sans peau. La hrira serait la soyeuse, du mot hrir qui veut dire soie en arabe. Durant le Ramadan, le musulman casse le jeûne en buvant cette soupe, accompagnée de dattes et de gâteaux.

La soupe au potiron ne faisait pas partie de mes soupes préférées. Maman le savait bien. Cela ne l’empêchait pas de la servir comme repas certains soirs de rude hiver marrakchi pour nous réchauffer et nous donnait des forces. Pour la rendre plus exquise, maman aromatisait cette soupe d’une poignée de pois chiches écrasés à la cuillère et de quelques petits morceaux de viande. Le goût de cette soupe gagnait en saveur et elle apparaissait plus appétissante à nos yeux et plus savoureuse dans notre délicat palais. Cette soupe, on dirait, faisait partie des repas des personnes nécessiteuses. Et pourtant, le potiron plante potagère de la famille des cucurbitacées, trône fièrement sur notre table les deux soirs de Nouvel An en présence d’autres fruits et légumes à valeur symbolique, de souche noble, comme les raisins, la grenade et les dattes, dont le nom évoque le bonheur d’une année heureuse. Ce même potiron est affectueusement associé à d’autres légumes pour composer, en leur agréable compagnie, la prestigieuse soupe aux sept légumes de Roch Hachana, en arabe sbè’ khdari. Ces ingrédients symbolisent la douceur et la joie de vivre. Dans la famille de maman, Dar Ben Tuizer, la Maison des Tuizer, cette soupe aux sept légumes faisait partie d’une tradition ancestrale qui consistait à coudre par un fil les sept légumes durant leur cuisson. Du côté de mon père, les sept légumes retrouvaient dignement leur place dans le royaume d’un couscous, plat dont les racines sont ancrées solidement dans les traditions culinaires de la famille Dadia.

Le premier jour de la fête du Nouvel An, ma grand-mère maternelle Messaouda nous faisait apporter par un messager spécial un plat de couscous relevé au curcumin. C’était la seule occasion de l’année où je voyais ce type de couscous. La couleur éclatante du curcumin enduisant le couscous m’impressionnait. Ce couscous de ma grand-mère préparé dans les cuisines de Dar-Ben-Tuizer représentait le niveau social aisé de la famille de ma mère.  L’enfant Le couscous au curcumin appartenait aux couches élevées, pensait au fond de lui-même l’enfant que j’étais. Je n’ai pas vu cette catégorie de couscous ailleurs. Peut-être que mes cousins Tuizer respectent-ils encore cette admirable recette de cuisine. Je leur poserai la question à la première rencontre entre nous. Cette question me vient à l’esprit au moment où je saisis ce passage sur l’ordinateur. Je n’ai jamais songé à cette question auparavant.

Il y a des images de ce genre qui émergent soudainement du fond de notre mémoire. Je revois alors maman penchée sur ses fourneaux à mon retour de l’office du matin de Roch Hachana, particulièrement long pour les enfants que nous étions, mais fiers d’avoir été à la synagogue avec les parents. Elle était tout occupée à surveiller l’omelette dite mhemmer,  faite avec des œufs  mélangées à la cuillère, du persil et autres ingrédients selon le goût de chaque famille.

Maman, comme la plupart de ses coreligionnaires, disposait d’un matériel tout à fait rudimentaire pour confectionner cette omelette,  que mon épouse Martine appelle omelette marocaine, étant elle-même très experte en ce plat que nous aimons. Maman mettait l’omelette sur un plateau en terre cuite qu’elle posait sur une marmite sans couvercle où cuisait un autre mets de la fête. Ensuite elle couvrait le plateau de l’omelette d’une plaque de fer rectangulaire sur laquelle elle étalait des braises de charbon ardent. C’était astucieux et intelligent à la fois. L’omelette cuisait et prenait des couleurs à petit feu, grâce à la vapeur qui s’exhalait du mets de la marmite et à la chaleur qui se propageait de la plaque. Elle se servait d’une serviette en toile pour suivre la cuisson et déplacer la plaque. Maman éprouvait beaucoup de plaisir à nous préparer tous ces plats qui faisaient notre joie de vivre. 

Derrière la maman, il y avait la femme, l’épouse et la ménagère qui, seule, récurait, nettoyait, épluchait et allumait le kanoun, un ustensile de cuisine de taille inférieure à l’omniprésent el mezmer, au pluriel el mzamer, mot difficilement traduisible en français. C’est une espèce de réchaud ou de braséro pour cuire les aliments, fait d’argile séché ou de terre cuite, de couleur cendre, ayant des orifices vers le haut pour permettre de le déplacer, de servir de soupape d’aération au cours de son allumage, et d’y introduire légèrement le soufflet qui avivera la flamme du charbon de bois, communément utilisé comme combustible. La langue arabe, tout comme l’hébreu, est une langue éminemment savoureuse dont les mots sont imprégnés de poésie et de musicalité. Chaque terme utilisé pour désigner les récipients de cuisine a un sens précis en fonction de son usage et de son utilité. Mzmer n’est pas  à confondre avec kanoun. Aussi bouzoual, autre terme de cuisson, servait-il pour la lessive.

 

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