Rabbi Refael Baroukh Toledano


La vie et l'impact de Rabbi Refael Baroukh Toledano-Preface



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Rabbi Baroukh

La vie et l'impact de Rabbi Refael Baroukh Toledano
Rav et Av Beth Din de Meknes-Maroc

Preface

Que ferai-je pour HaChem en retour de toutes Ses bontés pour moi 1 (Tehilim 116,12).

En achevant d’écrire la vie de ce grand homme, tout entier Tora, qu’était notre ancêtre hakadoch, notre vénéré Maître, l’éminent et pieux Rabbi Refaël Baroukh Tolédano zatsal, Rav et Av beth din de Meknès Maroc, et auteur du « Kitsour Choul’han Aroukh hachalèm », je ne puis que chanter en l’honneur de la Tora et des maîtres du peuple juif, les dépositaires de la Tora… Achorèr chira

Nos Sages disent qu’« un homme ne peut saisir, dans son ampleur, la sagesse de son Maître, qu’après quarante ans » (Avoda zara 5b ; v. Rachi sur Devarim 29, 6). C’est donc à présent, quelque cinquante ans après sa disparition, que nous sommes à même de nous pencher sur l’ensemble de sa vie faite de grandeur, tenter d’imiter quelque peu ses voies et ses conduites, et chercher à comprendre son œuvre de façon large, dans un tableau d’ensemble qui ne néglige cependant pas les détails. Avec l’aide du Ciel, il nous a été donné, par le présent ouvrage, de dresser un tableau des différents chapitres de sa vie, de son histoire et de ses façons d’agir, de sorte que son image reste devant nous et que nous puissions nous faire quelque idée de son envergure et de sa vie tout entière vouée au bien. Une vie d’efforts inlassables pour l’étude et la diffusion de la Tora et au service de D., dans un dévouement total pour le peuple juif.

Certes, au fur et à mesure que nous avons fait connaissance avec quelques-unes de ses grandes œuvres, nous avons de plus en plus senti que nous n’accéderons qu’à une infime partie de ce qu’il recelait et à une parcelle seulement de ses voies. Mais même ce peu-là est déjà largement à même de nous donner à la fois un enseignement théorique et pratique, que ce soit par son exemple de dévouement inlassable pour l’éducation de ses enfants et de ses descendants ou par sa façon de diriger sa Communauté et d’orienter le bateau dans les tempêtes de l’époque et ses défis. Rabbi Baroukh s’est levé comme un lion pour résister aux agressions et établir les fondements du monde de la Tora séfarade de l’avenir.

On ne peut se faire une image correcte de la personnalité d’un Maître du peuple juif en général, et de Rabbi Baroukh en particulier, sans connaître, ne serait-ce que par un aperçu, les circonstances de l’époque et les caractéristiques du milieu où il a vécu. C’est pourquoi nous avons insisté un peu sur le contexte historique et les bouleversements de l’époque où a vécu notre grand Maître, comme l’incite à le faire le verset : « Méditez les annales de chaque génération » (Devarim 32,7).

Nous nous devons donc de dire quelques mots de la situation des Juifs du Maroc à l'orée de la nouvelle époque, tapissée d’intrigues et de bouleversements, dans laquelle Rabbi Baroukh a œuvré et réussi à vaincre les obstacles, la main haute, et à travers laquelle, envers et contre tout, il a réussi à transmettre son patrimoine, pour l’heure et pour les générations à venir.

Peu de communautés juives ont vécu, comme le judaïsme marocain de l’époque de Rabbi Baroukh, autant de bouleversements consécutifs et ont dû faire face à des défis aussi extrêmes, en un laps de temps aussi court.

Jusqu’en 1912 (5672), les Juifs du Maroc vivaient encore entre les murs du mellah, dans leur monde à eux depuis des générations, observant soigneusement les mitsvoth et très attachés, tous sans exception, à D. et à la Tora. Ils étaient certes à la merci de l’un ou l’autre gouverneur musulman, dont la cruauté s’éveillait périodiquement, mais ils restaient au moins protégés de toute influence étrangère. Dès lors que la France eut la main mise sur le Maroc en 1912, les Juifs du Maroc furent projetés d'un seul coup dans un mode de vie diamétralement opposé. Le nouveau gouvernement, en introduisant une réforme des valeurs jusqu’à l’intérieur du mellah, constitua une immense menace spirituelle. La France, qui se targuait de sa culture, encouragea en effet la création des fameuses écoles juives de l’Alliance Israélite, dont le but déclaré était de modifier entièrement le style de vie des Juifs du Maroc, sous couvert de leur ׳ disant mission de "relèvement moral".

À peine s’étaient ils adaptés à cette nouvelle réalité que les Juifs du Maroc se retrouvèrent, après la Seconde Guerre mondiale, confrontés à un nouveau drame : l’activité laïque sioniste dont l’apogée se fit sentir, dès 1949, avec la Aliyath hanoar, une entreprise particulièrement perfide, qui réussit à arracher, physiquement et moralement, des milliers d’enfants à leurs familles, dans le but de détacher une génération entière de la Tradition pour la remodeler dans un esprit athée et coupé de ses racines.

Par la suite, le protectorat français s’achevant, le Maroc recouvrit son indépendance, c'est-à-dire un pouvoir politique musulman, et les remous politiques et les changements qui s’ensuivirent entraînèrent le démantèlement de la communauté juive. Une partie de ses membres se dirigea alors vers la France, le Canada et même l’Angleterre, mais la majorité se tourna vers Erets Israël où ils seront confrontés à un mode de vie laïque qui les isolera d’un seul coup de toute vie communautaire structurée et les plongera, sous l’égide d’une autorité étrangère à ce qu’ils connaissaient et hostile à ce qui leur était sacré, dans un nouveau mode de vie qu'ils n'auraient jamais pu imaginer.

En l’espace de moins d’un demi-siècle, le judaïsme marocain a donc subi une chaîne ininterrompue de secousses et de renversements qui l’ont confronté aux défis de la modernisation, de la civilisation et de la culture étrangère, puis à ceux du sionisme et de l’émigration, au démantèlement de la structure communautaire, à la diminution de ses membres et la diminution de ses institutions, pour finalement affronter en Erets Israël une réalité pénible. Des processus qui, dans d’autres pays d’exil, s’étaient étalés sur des centaines d’années se sont déroulés au Maroc en quelques dizaines d’années seulement. Ces changements furent si rapides et abrupts que les enfants de la génération de la période française avaient du mal à comprendre l’ancien Maroc dont parlaient leurs parents, et eux aussi à leur tour, ils ne seront pas compris par leurs enfants nés sous le régime arabe et après l'émigration en Erets Israël. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que des fossés infranchissables se créent entre pères et fils, et que la tradition qui se transmet en général d’une génération à l’autre se soit trouvée si menacée.

C’est dans ces tempêtes que se dresse le personnage extraordinaire de Rabbi Baroukh – que le souvenir du juste et saint soit une bénédiction – en capitaine fidèle, pour continuer à mener le bateau de sa génération à bon port. Il est de ces rares individus que la Providence a disséminés dans les pays de la Diaspora en temps de crise qui, avec un sens de responsabilité sans limites, avec un engagement de toute leur personne, prennent sur eux le fardeau de la génération face au risque de la disparition du sacré, qu'ils s’élèvent comme un lion, tant à l’intérieur de leur communauté qu'en dehors d'elle, pour faire en sorte que la Tora ne soit surtout pas oubliée du peuple juif, pour rétablir des sanctuaires dans la tradition du patriarche Yaacov, et ramener les individus et des foules à la maison d’étude et à la lumière de la Tora.

Plus d’une fois, Rabbi Baroukh va parcourir des centaines de kilomètres, de jour comme de nuit, à travers tout le Maroc, pour créer des maisons d’étude et des écoles, des mikvaoth et des institutions communautaires, afin de répandre un esprit de pureté et diffuser un rayon de lumière. Jusqu’à la fin de sa vie, en Erets Israël, il n’hésitera pas à prendre les routes vers des localités de nouveaux immigrés, disséminés çà et là, pour relever des ruines et ressusciter l’âme en peine, à la fois en donnant un message concret d’application immédiate et en traçant une voie pour l’avenir.

Les Sages disent de Noa’h qu’il a été témoin, au cours de sa vie, de trois mondes : « l’Ancien Monde d’avant le Déluge, le monde détruit du Déluge, et le Nouveau Monde d’après le Déluge » (Midrach Tanhouma 58,5). On peut en dire de même de Rabbi Baroukh : il a vécu l’Ancien Monde du judaïsme marocain dans sa splendeur, celui de la génération des confrontations et de la lutte contre la haskala et la laïcisation, et celui de l’implantation des nouvelles racines en Erets Israël pour l’érection du monde de la Tora.

Rabbi Baroukh, après avoir pleinement absorbé, dans son enfance et son adolescence, la sagesse des plus Grands du Maroc, héritiers des Sages de Castille en Espagne, s’attelle à la tâche de consolider les remparts du judaïsme, à la fois par différentes mesures qu’il prend pour sa communauté et par l’exemple personnel qu’il donne, d’une crainte de D. sans mélange, d’une précision rigoureuse dans l’application de la halakha et d’un amour pour chacun. Face aux dangers de la haskala et de la laïcité, il fonde des Talmoudei-Tora et des yechivoth, allant jusqu’à importer de loin des solutions pédagogiques adaptées à l’époque : il prend ainsi exemple sur des yechivoth de France et d’Angleterre, pour immuniser la jeune génération contre les méfaits du temps.

Plus tard, quand le sol commencera à brûler sous les pieds des Juifs du Maroc, Rabbi Baroukh n’hésitera pas à lutter de front contre l’athéisme militant des représentants sionistes, ce qui préservera l’avenir spirituel d’un grand nombre. Même à la fin de sa vie, après être monté en Erets Israël, il mettra en œuvre toutes ses forces de persuasion pour attirer l’attention des dirigeants du judaïsme orthodoxe sur les besoins des membres des communautés séfarades. Il prendra aussi de lui-même l’initiative de créer des institutions, des yechivoth et des lieux d’étude dans le pays, pour rétablir en Terre Sainte la splendeur en Tora du judaïsme espagnol de jadis.

Toutes les métamorphoses qui traversent le judaïsme marocain n’ont affecté en rien Rabbi Baroukh lui-même. Le Rabbi Baroukh de l’ancienne génération est resté le même Rabbi Baroukh dans la nouvelle génération. Il est resté intègre et parfait, ne déviant ni à droite ni à gauche, de la voie de ses ancêtres et de la ligne qu’il s’était fixée dans le domaine sacré. Du début de sa vie jusqu’à la fin, il est resté attaché aux coutumes de ses pères et à ses usages personnels. Jamais il ne s'est départi d’une mobilisation de tout son être dans la prière, comme on le voit dans le chant sublime qu’il a laissé à la postérité Achorèr chira « Je chanterai un chant en hommage à la Tora », ni de son sens infaillible de « ce qu’il convient de rapprocher et ce qu’il convient d’éloigner ». Rabbi Baroukh a suivi si fidèlement le chemin tracé par ses ancêtres que les Anciens voyaient en lui, même à l’ère moderne au Maroc, un parangon des grands esprits que le Maroc avait connus dans les générations d’antan.

Jusqu’à la fin de ses jours, Rabbi Baroukh refusa de parler le français, qui était pourtant la langue parlée au Maroc par tous ses contemporains, comme pour proclamer qu’en dépit de tout ce qu’il investissait pour la nouvelle génération, il n’en faisait pas véritablement partie, mais restait toujours fermement attaché au creuset spirituel de ses ancêtres – un anneau de la splendide chaîne d’or d’une dizaine de générations de maîtres en Tora de la famille Tolédano.

Parallèlement à son activité intensive et étendue en faveur de la communauté, il s’est dépensé sans compter pour l’éducation de ses propres enfants et petits-enfants et il fut comblé d’une descendance bénie qui allait continuer la chaîne d’or d’érudits authentiques et craignant D., ceux-ci ont également connu le privilège de relever le monde de la Tora en Erets Israël et en Diaspora.

Depuis que Rabbi Baroukh nous a quittés, nous savons qu’il nous incombe de graver son portrait et quelques-unes de ses voies sur notre cœur et celui de tout le peuple juif, pour qu’il nous serve d’exemple et de référence, de torche et de lumière pour éclairer nos vies, et que nous nous demandions sans cesse « quand nos agissements parviendront-ils à ceux de nos ancêtres ».

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La vie et l'impact de Rabbi Refael Baroukh Toledano- Une ville assiegee

 

Au sujet du livre

En nous attaquant à la tâche de retracer quelque peu les voies de notre Grand Maître, nous nous sommes basés uniquement sur des sources sûres et précises, à la fois pour la description de l’époque, pour les actions, les conceptions et principes de Rabbi Baroukh.

Deux écrits remarquables nous ont aidés dans cette tâche : le premier, de la plume de Rabbi Avraham Amar, époux d’une petite-fille de Rabbi Baroukh, qui avait noté, encore du vivant de Rabbi Baroukh, des faits et des conduites qu’il avait vus de ses yeux et entendus de ses oreilles. Le second a été écrit par Rabbi David Schnéor, qui a fait des recherches pour connaître l’histoire de la vie de Rabbi Baroukh en interrogeant les membres de la famille et les anciens élèves. De notre côté, nous avons poursuivi les recherches et les interrogations auprès des membres de la famille parmi lesquels Rabbi Yossef, fils de Rabbi Baroukh zatsal, sa fille, la rabbanith Myriam Merzbach, et de nombreux petits-fils et petites-filles, ainsi que des disciples et gens proches qui vivaient dans son entourage.

De façon un peu plus large, certains de ses élèves et de ses proches connaissances nous ont fait partager eux aussi quelques souvenirs. À côté de chaque anecdote rapportée, nous avons essayé d’en signaler la source. Même lorsque tel n’est pas le cas, nous portons témoignage que toutes sans exception ont été écrites après une recherche et une investigation précises.

Signalons qu’étant donné que Rabbi Baroukh avait adopté des comportements qui dépassaient les strictes obligations de la Loi et qu’en outre, du fait de son extrême humilité, il restait discret quant à bon nombre de ses conceptions et conduites en matière religieuse, nous avons pris soin, de ce fait, de ne pas mentionner certains points, pour ne pas aller contre sa volonté profonde, surtout lorsqu’il s’agissait de procédés qui ne sont pas accessibles à tout un chacun.

Ajoutons que toute remarque sera accueillie favorablement et nous demandons même à celui qui aurait connaissance de récits et témoignages ne figurant pas dans le livre de nous les faire parvenir pour qu’ils soient publiés s’il plaît à D., dans une prochaine édition.

C’est avec plaisir que nous signalons qu’une édition de ce livre, en anglais et en espagnol, est également en projet.

Introduction

Une ville assiegee

La ville de Meknès, située en plein cœur du Maroc, entre des forêts de cèdres verdoyants et des sources d’eau vive, jouissait d’un climat méditerranéen agréable.

Au printemps, les champs voisins de la ville se couvraient d’un tapis bigarré de fleurs sauvages, de narcisses et d’iris. Des amandiers, des térébinthes et des néfliers fleurissaient en toute splendeur et à travers le feuillage bruissant des nerpruns, on voyait percer de petites baies rouges. Leffluve de l’aneth, qui emplissait l’air, parvenait jusqu’à l’intérieur des murs entourant le quartier juif, le mellah. Dans les ruelles étroites où s’ébattaient gaiement les enfants, les parfums enivrants des alentours embaumaient l’air, pénétraient dans les boutiques des cordonniers, des tailleurs, des brodeurs et des orfèvres, et s’infiltraient jusque dans les batei'Midrach, les lieux de prière et d’étude où les érudits en djellaba se réunissaient pour étudier.

À cette époque de l’année, les portails de bois du mellah s’ouvraient tout grand, comme si la méfiance et les restrictions, qui avaient cours en hiver, n’étaient plus de mise, à la période où le peuple juif se préparait à la fête de la liberté. Les premiers à sortir étaient les enfants dont les cris pleins d’entrain étaient renvoyés par l’écho tandis qu’ils se précipitaient, ravis, vers le grand terrain vague qui séparait le mellah de la Médina, la vieille ville musulmane de Meknès. Des femmes chargées de grands bacs et de ballots de linge sortaient à leur suite. C’étaient les laveuses qui allaient faire leur grande lessive, amidonner le linge, puis le repasser à l’approche de la fête des matsoth. Et finalement, c’était le tour des notables qui sortaient sans se presser, conformément à leur dignité de Talmidei 'hakhamim posés et polis.

Le printemps se ressentait également dans la ville musulmane jouxtant le mellah. Les âniers et les chameliers saluaient leurs voisins juifs plus amicalement que de coutume. Les charifim eux-mêmes – ces musulmans extrémistes ׳ toujours maussades à l’accoutumée et plus emplis de haine contre les Juifs que les gens du peuple semblaient s’adoucir. Un souffle printanier de fraternité paisible enveloppait les êtres.

Telle était l’atmosphère qui se renouvelait chaque année, mais tout allait changer à l’approche de la fête de Pessa’h de l’année 5663 (1903).La situation des Juifs du Maroc avait toujours été précaire : il suffisait d’un léger souffle pour faire tomber le voile d’amitié de leurs voisins musulmans et déclencher des pogromes ensanglantés qu’on appelait tritel. Une fois par an, des membres fanatiques des tribus arabes et des Berbères se réunissaient en masse à Meknès pour fêter leur grand jour, la issaouwa.

C’étaient des journées de calamité et de frayeur durant lesquelles les Juifs se calfeutraient derrière les murs du mellah et attendaient que les troubles prennent fin. On versait des sommes énormes pour amadouer le gouverneur afin qu’il éloigne la foule déchaînée du quartier juif, ce qui n’empêchait pas, certaines années, les Juifs, dont les boutiques étaient situées dans le quartier arabe, de se retrouver dépouillés de tous leurs biens après la fête, parce que la foule avait saccagé leurs échoppes.

Les Juifs, hélas, étaient donc déjà habitués à cette réalité, et une fois la tempête passée, la vie reprenait généralement son cours.

Mais cette année-là, il règne dans l’air une sensation d’oppression plus forte que jamais. Des vents de changement soufflent un peu partout dans le monde, et au Maroc, tout changement signifie le malheur des Juifs. Le Maroc, en effet, est en effervescence du fait de l’immixtion des puissances européennes, l’Espagne, l’Angleterre et la France, qui revendiquent une part d'influence sur le royaume qui va en s’effritant. La situation, de plus en plus délicate, finit par exploser. Les tribus berbères en révolte contre le sultan légitime Moulay ,Hafid, accusé de céder aux pressions européennes, s'étaient rassemblées autour de Meknès et avaient proclamé un nouveau roi, Moulay Azin.

Les Juifs bouclent immédiatement les portes du mellah.

En très peu de temps, les abords de Meknès se remplissent d’une foule de révoltés formée de cavaliers montés sur des chameaux, de guerriers masqués, d’hommes robustes armés de poignards et de fusils datant de l’Antiquité, d’une racaille munie de haches et autres sortes d’armes improvisées. L'immense troupe se dirige d’abord vers Fès, la capitale où demeure le roi, distante d’une journée à cheval de Meknès, mais elle est repoussée par les combattants de la « garde noire », la garde rapprochée du roi. Les insurgés, changeant de direction, décident alors d’investir Meknès, la seconde ville du royaume. À l’intérieur du mellah, l’angoisse va en grandissant. Les Juifs évitent soigneusement de prendre parti dans cette querelle où deux souverains se disputent la couronne, mais tout le monde sait que lorsque les fondements du régime s’écroulent, c’est sur eux que tous déversent leur colère. Les Juifs, par définition, sont des dhimmis, des étrangers tolérés par le roi, dont toute l’existence n’est due qu’à la grâce du souverain. Qui veut s’en prendre au roi s’attaque donc d’abord aux Juifs, ses protégés…

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La nuit du sèder de cette année- là, les habitants de Meknès la passent à implorer D. de les protéger. Il est hors de question de sortir du mellah pour les besoins de la fête, et donc les marchands arabes ont apporté les produits nécessaires à la porte du mellah. À l’aube du second jour de ‘Hol hamoèd, un Chabbath, les craintes se réalisent : une foule de rebelles excités vient assiéger la ville et, après un bref combat, parvient à s’y infiltrer. La « ville aux cents minarets », comme on appelle Meknès, tombe entre leurs mains.

C’est une mêlée ensanglantée. Les insurgés détruisent et pillent tout ce qui leur tombe sous la main, s'attaquant aussi bien aux Juifs qu'aux citadins musulmans. Grossis par la pègre de la ville avide de participer au pillage, ils entreprennent de saccager systématiquement les trois cents boutiques juives de la ville, situées en dehors du mellah dans les quartiers commerçants musulmans. Ils s’emparent de tout, même des portes et des dalles des boutiques. Non contents de s’approprier les biens, ces barbares veulent aussi s’en prendre à la vie. Dans les ruelles du mellah, ce ne sont que pleurs et hurlements et, dans les batei kenesseth, on entend le son poignant du chofar, les prières invoquant les treize Attributs de Miséricorde, des seli’hoth et les supplications pour que D. révoque les mauvais édits.

Le lendemain, en pleine prière du matin de ‘Hol hamoèd, des coups d’artillerie se font entendre. Le bruit est infernal et les balles fusent. Les fidèles, obligés de se disperser, vont chercher abri là où ils peuvent, parfois dans de vieilles maisons qui s’écroulent peu après. Un jeune homme, Yehocboua Parienti, atteint par une balle, trouve la mort, Hachem yikom damo.

Un groupe de Berbères masqués s’approche des portes du mellah pour les briser de leurs haches. Mais, du haut des murs du mellah, un tir de feu les surprend : une poignée de Juifs tente de défendre la place avec quelques fusils qu'ils savaient parfaitement manier. Les Berbères reculent, en laissant six morts derrière eux, mais ils ne tardent pas à revenir à la charge, accompagnés de renforts.

Le sixième jour de ‘Hol hamoèd, les munitions, dans le mellah, sont sur le point d'être épuisées. On demande à tous d’apporter leurs ustensiles de cuivre et en plomb aux différents orfèvres pour qu’ils en fassent des balles. Les Berbères reviennent sans cesse vers les murailles, mais on parvient à les repousser. Au mellah, ceux qui n’ont pas d’armes se réunissent pour prier et invoquer la miséricorde divine.

En ces moments de terreur et d'angoisse, Rabbi ‘Hayim Messas était sorti sur la place publique, face à la panique générale, pour implorer le Maître du monde d’avoir pitié d’un peuple démuni et misérable, et l’épargner ! Rabbi ‘Hayim était un véritable saint et on lui attribuait de nombreux miracles. Son visage rayonnant et sa barbe immaculée le faisaient ressembler à un ange. Poussant un gémissement venu du fond du cœur, il s’était laissé tomber face contre terre en invitant la foule à se repentir ; « Mes très chers frères, les avait-il exhortés, repentons-nous de tout notre cœur ! Peut-être D. nous sauvera-t-Il et ne périrons-nous pas ! »

« Chema Israël, écoute Israël, HaChem est notre D., HaChem est Un » avait poursuivi Rabbi ‘Hayim, afin que tous répètent après lui. Puis il avait entonné le psaume 20, si souvent récité par le peuple juif : « D. t’exaucera en temps de détresse… » à voix haute, verset après verset, et l’assemblée avait répété après lui, le visage couvert de larmes.

Et tout à coup, cela avait été le miracle ! Une panique soudaine s’était emparée des assaillants qui se dispersèrent en désordre. Plus tard, les Juifs de Meknès raconteraient qu’en fait, Rabbi ‘Hayim Messas avait donné sa vie pour eux… Car, relativement peu après ces événements – environ un an plus tard – Rabbi ‘Hayim avait soudain rendu l’âme, le huit Tamouz 5664 (1904).

Et une fois de plus, D. ayant entendu les prières, il y a une fuite précipitée des rebelles. Peu après, on entend des cris de joie provenant du palais. Un nouveau roi vient sans doute d’être nommé et il s’empresse de ramener l’ordre. Un messager est bientôt dépêché au mellah : le nouveau souverain a besoin d’un sceau, et nul n’égale les orfèvres juifs pour fabriquer de superbes sceaux d’or fin…

Telle était la vie des Juifs de Meknès : presque sans transition, après avoir voulu les faire disparaître, on les appelle à l’aide…

Après la fin des combats, le mellah peut évaluer la mesure des dégâts. Les boutiques incendiées brûlent encore et les ruines barrent le passage, mais on se console en pensant au nombre peu élevé de victimes.

Le danger n’est cependant pas encore écarté. On évite de se déplacer en cette période trouble, mais un mois après Pessa’h, un Juif porteur de mauvaises nouvelles arrive de Fès. Il est venu prévenir ses frères que les troubles ne vont pas tarder à reprendre, selon certaines sources, à cause des Allemands. Selon d’autres, un Musulman extrémiste cherche à soulever le Sud du pays. Le soulagement ressenti à l’issue de Pessa’h s’avère avoir été prématuré.

La veille de Chavouoth, Meknès se remplit à nouveau d’une foule de Berbères et autres tribus du désert. Les portes du mellah sont de nouveau attaquées. Le bruit court que des forces françaises sont en route pour Meknès, et de nombreux Musulmans affluent vers la ville pour la protéger contre l’envahisseur chrétien. Le mellah suit ces préparatifs belliqueux avec appréhension, car tous sont bien conscients que leur vie sera en danger, quelle que soit l’issue des combats. Pour mettre toutes les chances de leur côté, les Berbères font appel à des sorciers et autres thaumaturges dans l’espoir qu’ils sauront neutraliser les armes sophistiquées des Européens. Aux vingt portes de la ville, on peut assister à d’étranges rituels et voir, entre autres, comment on sacrifie journellement une poule noire pour conjurer le danger à l'approche des troupes françaises, appelées en renfort par le sultan de Fès, Moulay Abdelaziz.

A l’intérieur du mellah, on redouble de précautions. Des sentinelles ont été placées sur les toits pour donner l’alerte en cas d'urgence. La nuit de Chavouoth, les Juifs du mellah, qui récitent le tikoun, ne cessent d’entendre, dans le lointain, les Berbères excités se préparant à l’assaut. « Nous nous occuperons d’abord des Européens, ont-ils promis, puis nous reviendrons régler votre compte ! »

Le jeudi douze Sivan, au matin, les guetteurs aperçoivent un vaste mouvement à l’horizon. On entend comme un grondement de tonnerre et des détonations retentissent. La nouvelle se répand à Meknès qu’il s’agit d’une explosion de joie des Musulmans face à la défaite des Français. Les habitants juifs, tendus, restent ainsi dans l’attente durant des heures, se demandant si les descendants d’Ismaël mettront leurs menaces à exécution ou si, au contraire, ce sont les Européens qui l’emporteront. Des nouvelles contradictoires se succèdent et personne ne sait que penser !

À trois heures de l’après-midi, des troupes bien ordonnées de cavaliers montés sur de puissants coursiers font soudain leur apparition. Leurs uniformes impeccables ne laissent pas le moindre doute : les Français l’ont emporté.

Il s’avère que quelques-uns des soldats français sont Juifs. Après avoir chaleureusement salué leurs frères barricadés dans le rnellah, ils leur crient, moitié en français, moitié en arabe, qu’ils sont venus les délivrer :

« Ouvrez ! crient-ils, ouvrez les portes ! Tout danger est écarté ! »

Cela faisait trois mois que les Juifs de Meknès étaient assiégés et que leur vie était en suspens. Ils allaient enfin pouvoir respirer et profiter de la lumière du soleil. À travers les nuages de poussière enveloppant le rnellah, les soldats français leur sont apparus comme des anges du salut.

« Pour les Juifs, ce fut la lumière et la joie… »… « et la ville de Meknès était en liesse ! » rapportera un témoin, paraphrasant le verset du livre d’Esther. Le Chabbath après-midi, les chefs de l’armée française, montés sur leurs puissants chevaux, pénètrent dans le rnellah et sont reçus par les Juifs avec joie et acclamation. Grande est la joie et « le calme revint dans le pays ».

Cette première rencontre entre les Juifs de Meknès et les soldats français – qui aspireront à prendre, quelques années plus tard, tout le Maroc sous leur protection – fut un moment historique important. Désormais, le judaïsme marocain va devoir affronter des bouleversements matériels et spirituels lourds de conséquences…

Le tout jeune avrèkh, Baroukh Tolédano, est l’un des nombreux Juifs de Meknès sortis pour accueillir les Français. Comprenait-il déjà, en observant d’un regard perspicace les nouveaux dirigeants parlant une langue inconnue, les tournants qu’allait connaître le judaïsme marocain au cours des années à venir, et le rôle central qu’il aurait à jouer dans les combats qu’il faudrait mener ?

Une nouvelle ère avait commencé pour le judaïsme marocain.

La vie et l'impact de Rabbi Refael Baroukh Toledano Une ville assiegee

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La vie et l'impact de Rabbi Refael Baroukh Toledano-Meknes: La Jerusalerm du Maroc

 

Meknes: La Jerusalerm du Maroc

Chapitre I

Le quartier juif ou mellah

Le vieux quartier juif ou mellah de Meknès n’était pas bien grand : il s’étendait en tout et pour tout sur un rectangle de quatre cents mètres de long sur trois cents de large. Il comprenait en revanche des centaines de maisons serrées, voire imbriquées les unes dans les autres, plusieurs pièces donnant sur une même cour intérieure commune, avec d’étroits passages entre les pâtés de maisons, quelques rues tortueuses, des boutiques et des étalages.

Les enfants qui grandissaient dans le mellah respiraient journellement son atmosphère et s’imprégnaient des récits de leurs ancêtres. Parmi ceux qui faisaient partie de l’histoire locale, il y avait l’histoire d’une martyre, Lala Solika, morte décapitée à Fès en 1834 « pour la sanctification du Nom » pour son refus de se convertir à l'Islam. Il y avait aussi celle des 50 Juifs martyrs d’Oufran envoyés au bûcher pour avoir refusé de se convertir. Et bien sûr, on célébrait aussi l’épopée des ancêtres de la famille Tolédano elle-même – Rabbi Daniel, le plus grand des rabbins de Castille, prenant la tête des exilés lors de l’expulsion des Juifs d’Espagne, et celle de Rabbi ‘Hayim Tolédano, dont on affirmait qu’il avait eu le mérite de voir apparaître le prophète Élie.

 

Les murs du mellah qui entouraient les Juifs et les séparaient de l’environnement musulman les protégeaient à la fois de la haine et de l’influence des non-Juifs.

Jusqu’à l’arrivée des Français, le statut du Juif était celui du dhimi dont l’existence était tolérée moyennant le payement de la dizia, la taxe de soumission.

Celui-ci supportait en silence toutes les injures et vexations qu’on lui infligeait.

À certaines époques, il devait même retirer ses chaussures pour se rendre dans la Médina musulmane, ou porter un signe distinctif de sa judaïté – à seule fin de recevoir des injures. Mais dès qu’il se retrouvait dans le mellah, il redevenait ce qu’il était vraiment : un descendant princier du peuple élu. Là, il pouvait à loisir se construire un monde spirituel, riche en Tora et en mitsvoth, un monde en soi qu’aucun étranger ne pouvait comprendre, d’un niveau peu commun de foi et de piété.

 

A l’époque qui nous intéresse, quelque six mille Juifs vivaient à Meknès et leur nombre ne cessa d’augmenter jusqu’à atteindre, en 1924, celui de neuf mille âmes, exigeant un agrandissement du mellah. Tous se serraient dans 250 ‘cours’, soit environ quatre familles par cour. Peu d’entre eux avaient le privilège de posséder une cour privée et la plupart des ‘cours’ étaient communes à plusieurs habitations, comprenant un ou deux étages. Généralement, chaque maison abritait une famille avec des membres plus ou moins proches, souvent les grands-parents et aussi les enfants mariés.

Les murs épais qui entouraient le ghetto, avec leur portail fermé la nuit, formaient les limites du monde du Juif qui y résidait. Ce qui se passait au-dehors appartenait à un autre monde et lorsqu’on disait ‘tout le monde’ dans le mellah, cela signifiait ’tout le mellah’. Cette rupture totale d’avec le monde extérieur lui permettait précisément de jouir d’un monde intérieur riche et parfaitement pur.

La plupart des Juifs de Meknès menaient une existence simple et frugale, ce qui contribuait à ce qu’ils mettent l’accent sur les vraies valeurs. Ce n’est pas sans raison qu’on l'avait surnommée « La Jérusalem du Maroc ». On pouvait trouver, dans chacune de ses ruelles, des êtres d’élite très purs, d’une piété exceptionnelle, et de véritables érudits, particulièrement versés dans tous les domaines de la Tora, écrite et orale. Leurs grands rabbins sont restés le plus souvent inconnus en dehors du Maroc, faute d'imprimerie pour diffuser leurs œuvres, mais leurs contemporains connaissaient leur grandeur et appréciaient leur sainteté. Meknès avait aussi ses artisans et ses commerçants, des gens parfois simples, mais animés d’une piété fervente et sincère et consacrant une partie de leur journée à l’étude de la Tora. Les affaires communautaires reposaient entre les mains des rabbanim, dont l’autorité était reconnue par tous et auxquels tous se soumettaient de façon naturelle. Le Chabbat était rigoureusement observé et tous les cœurs étaient animés d’une foi profonde et sans faille.

Les « bakachoth »

« Lève-toi, mon fils ! »

Le petit Baroukh sent la caresse de son père le tirer du sommeil qui l’a vaincu. Ouvrant les yeux, il aperçoit les lumières du Chabbat qui brûlent encore dans les fioles. Lodeur de la skhina, le fameux plat du Chabbat amoureusement préparé par sa maman, la rabbanith Tolédano, flotte dans la maison.

Rabbi Yaacov Tolédano, l’un des prestigieux dayanim de la ville, réveille ainsi tendrement son fils en pleine nuit et lui tend une cruche d’eau : « Fais vite netilath yadayim, lui dit-il : la chirath habakachoth va bientôt commencer ! »

D’un bond, le jeune Baroukh est sur pied. Il aime accompagner son père au beth hakenesseth ; durant les longues nuits de Chabbat des mois d’hiver, les fidèles de la communauté se rassemblent pour louer D. et dire en chantant les « bakachoth ».

Fair du dehors est vif et piquant et, dans le ciel, les étoiles scintillent comme des milliers de perles. Baroukh, bien au chaud dans sa djellaba de laine, met sa main dans la large paume de son père. Ils marchent tous deux en silence, le petit Baroukh s’efforçant de suivre le rythme de son père qui marche à grands pas. De-ci, de-là, il faut enjamber une flaque bourbeuse, car les rues du vieux mellah ne sont pas pavées. Tout en marchant, ils sont progressivement rejoints par d’autres fidèles qui émergent des cours et des ruelles adjacentes, et tout ce petit monde forme bientôt une belle troupe entourant le Rav dont la zoukha, la redingote noire et le turban témoignent du rôle qu’il joue parmi eux.

De loin, on aperçoit bientôt les lumières tremblotantes des nombreuses lampes à huile du « tsalath de Chemouèl Tolédano »,le vieux betb hakenesseth où prie la famille Tolédano depuis des générations. Comme tous les batei kenesseth du Maroc, la simplicité extérieure du bâtiment ne laisse rien transparaître de la kedoucha qui l’habite. Lorsqu'ils entrent, les fidèles sont accueillis par le parfum pénétrant des branches de myrte qui entourent la bimah, et du thé à la menthe.

A l’entrée du Rav, les centaines de fidèles se lèvent avec respect, car Rabbi Yaacov Tolédano est aimé et apprécié de tous et un grand nombre d’entre eux s’approchent pour lui baiser la main. De multiples histoires courent à son sujet, à la fois sur ses connaissances en Tora et la crainte de D. qui l’anime. Rabbi Yaacov va s’asseoir à sa place et donne le signal de commencer.

L'officiant entonne alors le fameux piyout, poème fondé sur le Cantique des Cantiques évoquant le peuple juif en quête du Maître du monde,

comme une fiancée languissant son bien-aimé :

« Dodi yarad legano lir’oth bagamm… Mon Bien'aimé est descendu dans Son jardin… pour y cueillir des roses.

La voix de mon Bien'aimé frappe : ouvre-moi, ma fidèle colombe, les portes de Tsion que ],aime »

Et les fidèles de répondre :

«Bit¿ al tefa’hadi.. .Ma fille, ne crains rien, car Je me souviendrai encore de toi, et d’un pays lointain Je rassemblerai tes dispersés,

Je te reconstruirai et tu seras reconstruite dans ta beauté et ta splendeur… »

Strophe après strophe, l'officiant et les fidèles se relayent et le cantique pénètre, le long des ruelles, dans tout le mellah dont les habitants dorment encore. Rabbi Yaacov chante lui aussi à pleine voix, car il possède un sens inné du chant et de la musique. Il compose d'ailleurs lui-même des poèmes liturgiques, mettant en musique chacune de leurs rimes grâce à ce don naturel de la famille Tolédano.

Le rituel liturgique est si long que les paupières du petit Baroukh se ferment malgré lui et qu’il croit voir, en rêve, les anges ouvrir les rideaux du Ciel et venir mettre tous ces chants au pied du Trône Céleste.

Rabbi Yaacov consacre tout son temps aux besoins de la communauté. Sa journée commence avant l’aube et s’achève bien après minuit. On le voit marcher d’un pas rapide vers le beth hamidrach pour donner son cours de Tora et se hâter ensuite vers le beth din pour trancher une question de halakha. Puis il s’empresse d’aller au chevet d’un malade avant de se pencher sur un problème communautaire et trouver le moyen d'y remédier. Depuis une dizaine de générations, la famille Tolédano est au service de toute cause sacrée et c’est elle qui dirige la communauté à travers les époques, parfois tumultueuses, avec une grande responsabilité et un dévouement total, veillant à enseigner la Tora à leurs fidèles et à leur transmettre, de génération en génération, la chaîne d’or de la tradition. Le jeune Baroukh suit les traces de son père et son exemple se grave dans son cœur : c’est là, dans cette ruche où l’on distille en permanence le sens des responsabilités vis-à-vis de la communauté qu’il apprend son futur rôle.

C’est dans la maison de son père que Rabbi Baroukh va puiser les principes qu’il adoptera toute sa vie.

 

La vie et l'impact de Rabbi Refael Baroukh ToledanoMeknes: La Jerusalerm du Maroc

La vie et l'impact de Rabbi Refael Baroukh Toledano-Meknes: La Jerusalerm du Maroc

Une ascendance prestigieuse

Depuis sa plus tendre enfance, Baroukh écoute intensément son père lui rapporter les actes mémorables des grands maîtres de la lignée des Tolédano des générations passées. Les racines de la famille remontent à la ville de Tolède, capitale de la Castille en Espagne, réputée pour les nombreuses autorites en Tora qu’elle a abritees : Rabbenou Yona, le Yad Rama et d’autres encore. Les chefs de la famille, a l’epoque, etaient Rabbi Yossef, surnomme « le divin cabaliste » par son oncle, et son fils Daniel, connu comme le plus grand des rabbanim de Castille.

Apres l’infamant decret d’expulsion, Rabbi Daniel et Rabbi Yossef sont d’abord arrives a Salonique. Mais ils s’installent bientot a Fes, ou Rabbi Daniel etablit sa fameuse yechiva. Rabbi Daniel eut deux fils, ‘Hayim et Yossef, et c’est de ces deux fils que seront issues les deux branches principales de la famille Toledano.

Au bout de quelques generations, la famille quittera Fes pour rejoindre une nouvelle communaute qui se forme a Meknes et qu’ils ne quitteront plus jusqu’a l’epoque moderne. Douze generations de rabbanim de la famille Toledano se succederont l’une apres l’autre. A certaines epoques, les membres de la famille occuperont une position preeminente a la cour royale, position qu’ils ne manqueront pas d’exploiter pour le bien de leur peuple. C’est le cas du second Rabbi Daniel Toledano, dont la perspicacite et la droiture parviendront jusqu'aux oreilles du souverain qui en fera son confident et le chargera de missions politiques. Cette position sera utilisee par Rabbi Daniel pour jouer un role efficace dans la lutte contre le faux messie Chabbata'i Tsvi.

Cependant, quelle que soit la position des Juifs au Maroc, qu’ils soient honores ou, au contraire, accables de decrets et de tribulations diverses comme c’est le cas la plupart du temps, la Tora et la halakha ne les quitteront jamais. Des tempetes violentes souffleront sur le Maroc dans son ensemble, mais, entre les murs du mellah de Meknes, le flot de la Tora et d’amour de D. coulera toujours vigoureusement, sans devier de son cours ni s’assecher.

Rabbi ‘Hayim Toledano et la visite du prophete Elie

Lun des recits extraordinaires du patrimoine des Toledano est celui de l’un de leurs ancetres, Rabbi ‘Hayim Toledano, un homme extremement pieux dont tous les actes respiraient la saintete. Rabbi ‘Hayim Toledano avait deux filles, pieuses et accomplies. La plus jeune, reveillee une fois en pleine nuit, entendit son pere etudier et discuter avec un compagnon d’etude. Emue par la douceur de la voix de l'etude de la Tora et intriguee, elle s’approcha pour jeter un coup d’oeil discret sur son pere et son compagnon. A sa stupefaction, elle ne vit personne d’autre que son pere dans la piece : le mysterieux visiteur ne pouvait etre que le prophete Elie…

Le meme phenomene se reproduisit quatre nuits d’affilee, et la plus jeune des soeurs a ainsi le merite de surprendre quatre fois la presence d’Eliyahou hanavi. La quatrieme fois, sa soeur ainee se reveille elle aussi et elle est egalement temoin du prodige. Le recit, rapporte de generation en generation, s’acheve sur une promesse du prophete Elie a Rabbi ‘Hayim, que sa fille ainee, qui a entendu « une voix », aura un fils qui sera un tsaddik et que sa seconde fille, qui a entendu « quatre voix », aura quatre fils qui seront des tsaddikim.

Cette benediction s’accomplira tres exactement: la fille ainee de Rabbi ‘Hayim epousera Rabbi Avraham Berdugo et leur fils, Rabbi Moche Berdugo, deviendra un erudit en Tora, repute pour son genie et sa piete, dans tout le Maghreb sous le nom de HaMachbir (le Nourricier). Quant a la plus jeune, elle epousera Rabbi Moche Toledano dont elle aura quatre fils, tous de brillants erudits, justes et pieux, et leur reputation s’etendra a travers le monde.

L'aine de ces fils, Rabbi Baroukh, montera en Erets Israel ou il exercera comme dayan a Yeroucbalayim jusqu’a sa mort en 5472 (1712). II sera enterre au Mont des Oliviers, non loin de la tornbe du Rachach. Quand la nouvelle de son deces parviendra en Afrique du Nord, on fera des hespedim a sa memoire dans toutes les communautes d’Algerie et du Maroc.

Le second des fils, Rabbi ‘Hayim, connu sous le non! de Mahar’hat, consacrera tout son temps a l'etude et sera a la tete du beth din de Meknes. II laissera de nombreux manuscrits dont la majorite a malheureusement disparu a ce jour ; seul a ete imprime le « ‘Hok ouMichpat » ou figurent un grand nornbre de ses decisions halakhiques et le « Ets hadaath » sur le Chass. Le troisieme des fils, Rabbi Yaacov Toledano, est connu sous le nom de Maharit et le quatrieme, Rabbi Aharon exercera comme dayan a Tanger.

En 5510 (1750), le Maharit est nomme a la tete du beth din de Meknes, fonction qu’il occupera pendant plus de vingt ans, jusqu’a sa mort en 5531. II est considere comme le plus grand Maitre des pays du Maghreb.

On raconte que lorsque Rabbi Baroukh, le frere aine de Rabbi Yaacov, deceda a Yerouchalayim, on vit ce dernier s’asseoir a terre sans ses chaussures, comme un en deuille, avant meme que la nouvelle ne parvienne au lointain Maroc. Interroge a ce sujet, il expliqua que son frere de Yerouchalayim avait ete mande la veille, « a la yechiva celeste ». Ce n’est que plusieurs semaines plus tard, lorsque la nouvelle se repandit au Maroc, qu’on comprit que le tsaddik avait vu juste…

Rabbi Yaacov a ecrit de nombreux ouvrages dans tous les domaines de la Tora, dont un commentaire sur les cinq Livres du ‘Houmach, un commentaire sur les Agadoth du Talmud, un commentaire sur le Chass intitule « Berith Yaacov », et « Ohel Yaacov », une explication du commentaire de Rachi sur la Tora.

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La vie et l'impact de Rabbi Refael Baroukh Toledano-Meknes- Rabbi Yaacov Toledano

Rabbi Yaacov Toledano

Rabbi Yossef Toledano, un des descendants du Maharit, n’etait vraiment pas riche, mais, avec le peu qu’il possedait, il louait une ‘maison’ de deux pieces, l’une pour lui et les siens, et l’autre, pour y loger un Talmid ‘hakham demuni; ceci, « afin que ses enfants cotoient continuellement un erudit plein de Tora et s’inspirent de ses voies ». C’etait la son voeu le plus cher.

Ses aspirations se realiserent et ses prieres furent pleinement exaucees. Son fils, Rabbi Yaacov, ne en Tichrei 5626 (1866), appele du nom de son prestigieux grand pere, absorba a pleins poumons l’amour de la Tora et la crainte de D. qui regnaient chez eux, et devint un jeune homme repute a Meknes. Rabbi Yaacov s’investit et se perfectionna dans 1’etude au sein d’un groupe d’eleves de son age avides de connaissances, parmi lesquels Rabbi Elicha Attia et Rabbi Yaacov ben Moche Toledano.

Sa renommee d’eleve assidu  et perseverant parviendra aux oreilles de Rabbi Yechoua Soudry, lui-meme originaire d'une famille remarquable d’erudits remplis de crainte de D.. Rabbi Yechoua avait beau jouir d’une grande prosperite, il savait que 1'argent n’etait qu’un moyen et non une finalite. Il avait eleve ses enfants dans 1’amour de la Tora et de ceux qui se consacrent a son etude. Son fils aine, Rabbi Aharon, un cousin de Rabbi Baroukh, etait un Talmid ‘hakham dont la signature figure aux cotes des autres rabbanim de Meknes. Sa fille Sim’ha avait epouse Chalom Amar, qui allait devenir plus tard le beau-pere de Rabbi Baroukh. II cherchait a present un parti pour ‘Hana, sa fille, et etait bien decide a fixer son choix sur un jeune homme capable, le jour venu, de maitriser la halakha et de statuer, et qui s’appliquerait toute sa vie a 1’etude. Le jeune Yaacov Toledano, qui se vouait assidument a l’etude et se distinguait par sa piete en meme temps que par ses qualites humaines, repondait a ces exigences, et Rabbi Yechoua le choisit pour gendre. Au mariage, celebre le 18 Sivan 5641 (1881), on sentait dans l’air qu’il s’agissait d’une alliance entre grands…

Rabbi Yaacov et la rabbanith ‘Hana auront quatre fils et une fille : Rabbi Baroukh, ne en 5650 (1890), Rabbi Yits’hak, ne en 5652, Rabbi ‘Hayim, ne deux plus tard, Rabbi 'Habib, ne en 5656 puis une fille, Esther, nee en 5658. Elle epousera plus tard Rabbi Yamin Elkrieff, et leurs enfants seront des erudits qui propageront la Tora autour d’eux.

Rabbi Yechoua va entretenir son gendre de nombreuses annees pour lui permettre de se consacrer a 1’etude. Plus tard, il entretiendra de meme son petit-fils, Rabbi Baroukh Toledano, a ses debuts a tout le moins, afin que la Tora demeure dans la famille sans jamais faillir.

Les qualites d’etude de Rabbi Yaacov ne passent pas inaperpues et on lui demande bientot de faire partie du maamad, assemblee composee de rabbanim, dayanim et erudits ainsi que de quelques autres personnalites respectables, responsables des affaires communautaires. Lorsque Rabbi Yaacov recoit sa semikha de dayan en 5664 (1904), on parle deja de lui comme l’un des futurs dirigeants spirituels de la communaute de Meknes. De son cote cependant, Rabbi Yaacov trouve toujours de bons pretextes pour fuir les honneurs.

C’est dans une telle rnaison que grandira Rabbi Baroukh, et c’est chez son pere qu’il puisera a la fois les qualites spirituelles, les fondements de l’etude, l’approche des problemes de halakha et les criteres pour les trancher et, bien entendu, la tradition des usages et coutumes propres a la famille remontant a la Castille et encore bien avant.

En plus de l’influence de ses parents, Rabbi Baroukh refletera aussi l’atmosphere du « mellah d’autrefois » celui d’avant l’arrivee des Francais : les Anciens de Meknes verront en lui comme un pur produit de ce que le mellah de jadis avait de meilleur.

Si le mellah apparaissait, sur le plan materiel, comme un endroit pauvre et peu attirant, quelle richesse il recelait en spiritualite, quelle purete et quelle grandeur s’abritaient entre ses murs ! Pour les Juifs de Meknes, aux yeux desquels ce monde ci ne representait que 1’antichambre de la vie du monde eternel, quelle importance que l’antichambre soit simple ou luxueuse ? Lessentiel n’etait-il pas le bagage que l’homme accumule au cours de son existence ? N’est-ce pas a cela qu’il doit consacrer tous ses efforts ? Si, pendant ce parcours, on parvenait a gagner quelques sous, ne devait-on pas, de toute evidence, les investir dans une mitsva ou financer .un lieu d’etude

Cette facon si authentiquement juive de ressentir les choses explique qu’en depit de la simplicite legendaire qui caracterisait Meknes, la ville attirait des collecteurs de tseddaka du monde entier – Talmud- Tora de Tiberiade, futures mariees sans le sou de Yerouchalayim, lieux d’etude de Salonique et de Bagdad… Tous beneficiaient de la main largement ouverte des Juifs de Meknes qui, sans se poser de questions, ne demandaient a personne pourquoi les necessiteux affluaient chez eux. De toute evidence, lorsqu'une main leur etait tendue pour un besoin sacre, il fallait donner ce qu’on pouvait.

Les Juifs de Meknes avaient particulierement a coeur de fonder des lieux de priere et d etude. II n’y avait pas moins de dix-neuf batei kenesseth differents dans l’enceinte du vieux mellah, comme si chaque famille aspirait a avoir son oratoire ; si elle n’en avait pas les moyens, elle s’efforgait d’en acquerir au moins une partie. II y avait aussi le tsalath Tovi et le tsalath Ab'Hakim, au non! de Rabbi Yaacov Berdugo, d’une des families d’exiles d’Espagne. II y avait le tsalath Levia, en souvenir du miracle qui s’y etait produit lorsque Rabbi Chemouel Benoua'ich en avait chasse une lionne. II y avait tant de batei kenesseth a Meknes qu’on en arriva a un point ou les rabbanim de la ville interdirent d’en batir de nouveaux sans l’accord de la communaute.

Ces synagogues etaient d’aspect exterieur simple par suite d’un decret royal interdisant aux Juifs d’avoir des lieux de cube somptueux. Mais les lampes a huile qui y brulaient jusqu’a tard dans la nuit temoignaient de l’amour de l’etude des habitants du mellah, qui demeuraient dans leurs batei kenesseth bien apres les heures de la priere.

 

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