Joseph Dadia


Joseph Dadia – L'Ecole de l'Alliance de Marrakech Historique

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Le géologue Louis Gentil a connu M. Falcon sur le bateau entre Tanger et Mogador, alors qu'il se rendait avec sa famille à Marrakech, pour y prendre ses fonctions. Il avoue avoir éprouvé chaque fois un vrai plaisir dans ses visites aux écoles du mellah de Marrakech, et il remercie M. Falcon et son adjoint, M. Souessia, de l'en avoir si obligeamment facilité l'accès. C'était le 11 janvier 1905. Un nouvel adjoint a été donné à M. Falcon et une maîtresse de couture viendra en aide à la directrice de l'école des filles. Louis Gentil a constaté qu'on voit moins chez les filles ce désir de s'instruire ; mais par contre, elles sont avides d'être initiées à la couture et à tous les travaux spéciaux à la femme. Ce qui l'a le plus frappé, c'est de voir aux cours d'adultes des hommes de trente, quarante ans et plus, qui après une journée de labeur fatigant, venaient, ne sachant pas un seul mot de français, apprendre à lire, à écrire et à parler en français. Au bout de quelques mois de ce travail du soir, ils parvenaient à écrire une lettre d'une clarté et d'une précision déjà suffisantes.

 " Louis Gentil : Explorations au Maroc (Mission de Segonzac), Masson et Cie Editeur, Paris, 1906, p. 170-174. A la page 171, Louis Gentil écrit : « J'ai eu l'occasion d'habiter le Mellah de Marrakech à trois reprises différentes … Je me suis alors trouvé en contact avec la population juive. J'ai vu très fréquemment les élèves des écoles, je les ai interrogés à maintes reprises, j'ai causé avec eux bien souvent, puis j'ai été reçu par des notables de la Communauté, en particulier par son président, M. Corcos. » Dans l'Avant-propos, p. IX, il écrivait déjà : « Je garde le meilleur souvenir de la collaboration des professeurs de l'Ecole de l'Alliance israélite universelle à Marrakech, de M et Mme Falcon et de M. Souessia, ainsi que de nombreux membres de la Communauté israélite de la capitale marocaine, présidée par M. Corcos. » "

José Bénech indique dans son livre des renseignements que M. Falcon lui a communiqués : « 11 était fort difficile, en cette période de transition, d'exiger une fréquentation régulière. En 1904, le nombre des élèves très élastique variait entre 250 et 350 pour les garçons, 150 à 175 pour les filles. Ces dernières se montraient plus assidues, plus constantes dans leurs efforts, car elles n'avaient point à subir l'attrait de la rue. Elles délaissaient volontiers la maison pour l'école où l'on n'exigeait point d'elles les travaux pénibles du ménage. »

José Bénech nous livre ce témoignage poignant : «En 1906, au cours d'une famine restée légendaire, tandis que musulmans et juifs tombaient d'inanition dans les rues de la ville, l'Alliance prenait à sa charge la nourriture de tous les enfants du mellah. En ces temps héroïques, son delégué, en liaison étroite avec les notables, prend fréquemment part à leurs délibérations et les aide de ses conseils. »

En octobre 1907 à Marrakech, Christian Houel constate qu'à part quelques commerçants aisés, la population juive était affreusement misérable. Quinze mille Juifs s'entassaient dans des habitations sordides. Hommes, femmes, enfants, couchaient côte à côte sur de mauvais grabats. Des monticules d'ordures ménagères obstruaient les ruelles étroites. Ils empestaient sous la chaleur du soleil, s'écoulaient sous les pluies en immondes cloaques. Contre cette lamentable existence de leurs coreligionnaires, c'est en vain que les plus dignes et les plus éclairés entaient de réagir. Les édits  chérifiens les enfermaient dans un réseau de telles les interdictions que tout redressement était rendu impossible. »

Après quelques jours passés au domicile de M. Firbach dans la medina, M. Jacob Hazan, receveur de la poste française, le reçoit avec amitié et la plus généreuse hospitalité dans sa maison au mellah. Son neveu, Abraham Corcos, un jeune homme de 18 ans, l'un des plus brillants parmi es anciens élèves de l'école, est un agréable compagnon. Un matin, il conduit M. Houel à l'école de l'Alliance où professe M. Falcon ; il avait enseigné à Tanger, Tétouan, Mogador et Casablanca, avant d'arriver à iarrakech. L'école comptait alors 300 garçons répartis en plusieurs classes, et l'école des filles comptait près de 200 fillettes. M. Houel raconte : « Je sens, à la poignée de mains de M. Falcon, le plaisir qu'il a d'accueillir un compatriote. A mon entrée, les jeunes élèves se sont levés. Ce geste me rappelle le temps où, assis comme eux sur des bancs d'école, mes camarades et moi nous nous levions à l'entrée d'un étranger dans la classe. – Vous allez assister à ma leçon, me dit M. Falcon. Un petit garçon se lève et,sans se troubler de notre silencieuse attention, récite une fable de La Fontaine : « Le Loup et l'Agneau ». Je suis soudain saisi d'une émotion que rien ne peut exprimer. Ces phrases si simples dites par ce jeune enfant dans cette cité d'où suinte de toutes ses murailles  haine de ce qui est français, ont, au fond de moi, une telle résonance, que je sens mes yeux s’embuer de larmes. J'écoute ces mots familiers dits par ces jeunes lèvres. Il me semble que leurs sons aimés se prolongent jusqu'au cœur de la ville rouge pour y repandre leur douceur, leur harmonie, leurs promesses. Aujourd'hui, cet episode n'a plus que la valeur d'un vieux souvenir.

 Des milliers d'autres enfants récitent les fables de La Fontaine. Dans les demeures les plus pauvres, comme les plus riches, s'épanouit la langue française. Mais en ces emps, dans cette ville, il fallait que maîtres et enfants eussent du courage, Je ne sais si le Protectorat s'est souvenu de ces précurseurs quand il n'a plus eu besoin d'eux. Le certain, c'est qu'après le meurtre du docteur Mauchamp, le Gouvernement décora de la Légion d'honneur l'explorateur Louis Gentil et M. Falcon… des palmes académiques !

הספרייה הפרטית של אלי פילו-La Saga des Juifs de Marrakech-Joseph Dadia et Coll

J'ai enrichi ma bibliothèque par l'aide de Joseph Dadia qui m'a envoye ce livre
Merci Joseph

La Saga des Juifs de Marrakech

(premier volume)
Le Souffle Vesperal
Joseph Dadia et Coll

«Simon le Juste avait l'habitude de dire : "le monde est construit sur trois fondements : sur la science divine (Torah), sur le service divin (Avodah), et sur la bienfaisance (Guémilout Hassadim)»

(Maximes de nos Pères, Chapitre I, 2).

Hillel l'Ancien avait l'habitude de dire : «Ne te sépare pas de la Commu­nauté (Tsibour). Jusqu' au jour de ta mort, ne sois pas sûr de toi. Ne juge pas ton prochain avant d'avoir été toi-même à sa place  »

«… Beaucoup de Torah, beau­coup de vie ; beaucoup d'enseignement, beaucoup de passé, beaucoup de con­seils, beaucoup de raison ; beaucoup de justice, beaucoup de paix. Celui qui s'est acquis un bon renom, se l'est acquis par lui-même ….»

(Maximes de nos Pères, Chapitre II, 4 et 7).

«Ce sera un jour unique – Dieu seul le connait – où il ne fera ni jour, ni nuit ; ET C'EST AU MOMENT DU SOIR QUE PARAÎTRA LA LU­MIERE»

(Zacharie XIV, 7)

L'été, malgré la chaleur, nous dis­putions tous les jours des matchs de football, du côté du cimetière.

Lorsque le soleil disparaissait, en fin de journée, l'air devenait respirable.

Une certaine douceur enveloppait le Mellah. Une vache et 2 brebis, sous l'œil vigilant d'un gamin, passaient avec nonchalance BAB GHMAT et s'en al­laient rejoindre leur enclos, quelque part dans le quartier musulman voisin. Les bêtes et l'enfant, pendant les heures clai­res, se réfugiaient à l'ombre de JNAN- EL-AFIA. Leur passage, chaque soir, signalait la fin du match et l'approche de la nuit. Leur déambulation lente, pe­sante, paisible nous apportait calme et fraîcheur, l'air du dehors qui nous man­quait à l'intérieur des murs, un morceau de la campagne berbère, avec son pitto­resque, ses senteurs, sa verdure, ses ryth­mes.

Je m'arrêtais de jouer à leur pas­sage et les regardais, envieux, cherchant dans leur SOUFFLE vespéral la douceur de la vie.

■ Joseph DADIA

Ma mère, la bienfaitrice Fulgurances colorées-Joseph DADIA

Joseph DADIA

Je me demande souvent s’il est possible de revenir en arrière et de raconter. Ce temps-là me paraît si lointain, et, en même temps, si présent,  palpable même. J’ose dire que je le vois, que je le caresse et que je lui parle. La nostalgie, la rétentivité, et l’amour des miens me poussent à écrire, à dire, à crier,  à hurler s’il le faut.

Je me demande : est-ce possible d’avoir déjà vécu tant d’années ? Toutes ces images qui se déroulent devant moi. Je les vois ces camarades de classe, ces copains de football. Certains d’entre eux nous ont quittés, alors que je n’ai jamais réussi à les revoir. Pour moi ils sont encore  vivants. Ils sont là debout, près de moi, devant moi, face à moi. Ils me regardent les yeux dans les yeux. Ils me sourient. Mais ils ne parlent pas. Et j’entends ce qu’ils me disent dans leur silence. Nous sommes sur un terrain de football. Ils arrêtent le ballon qui roule, contre-attaquent. Ils dribblent et  ils me passent le ballon. Il ne me reste qu’à marquer le but. C’est la joie. Le bonheur. Les applaudissements.

J’écoute sur ma chaîne Hi Fi un CD de Farid el Atrache. Mais c’est eux que j’entends chanter, après le match. Ils connaissent par cœur  le répertoire de Farid el Atrache, de Mohamed Abdelwahab, d’Oum Keltoum, d’Abdel Halem Hafez, de Sabah Fakhri. Ils vont après le match chanter dans les quartiers de Bab Ghmat et de Bab Hmer, à quelque encablure du mellah, dans la nuit étoilée du ciel de Marrakech. C’est fou comme une chanson véhicule tant de messages et rappelle à la vie ceux qui ont fait le voyage vers l’au-delà auprès du Trône céleste dans l’Assemblée des Justes.

Farid el Atrache, je l’entends sur mon CD. Il chante, il pleure et il supplie : « Je suis unique – ana wahed – et toi aussi tu es unique – ounti wahed -, tu es unique dans ta beauté, et moi je suis unique dans mon amour. » Bidoumi ou-Bdoumouع  ‘inaya. Il dit qu’il chante avec son sang et ses larmes : « Pleure pour ce qui est passé. Pleure pour ce qui va arriver. Nous avons été des amants, Nous avons été des amis. Nous avons été la vie. Katabha Zamane ».

  Ces vers mélancoliques me font revivre maman qui m’a chéri et choyé  comme un enfant unique, aîné cependant de cinq frères et une sœur. Je peux pleurer et gémir comme le chanteur-vedette Farid el Atrache, libanais de naissance et égyptien d’adoption. Mais, hélas ! Rien ne se fera que je puisse serrer dans mes bras ma maman et l’embrasser.

Maman m’avait envoyé en 1957 par voie postale en Angleterre les vinyles de Farid el Atrache. Ils sont arrivés un peu abîmés car mal emballés dans un simple paquet. Le facteur qui m’a apporté le colis pleurait, pensant qu’il sera accusé de la détérioration. Mes camarades de classe au collège Judith et Moshé Montefiore et moi-même l’avons rassuré et il a  retrouvé son calme et sa sérénité, en un mot son flegme britannique. Mes camarades faisaient marcher les vinyles sur un tourne-disque, mis à notre disposition dans une grande salle où l’on jouait au ping-pong. Nous écoutions tous Farid el Atrache malgré les rayures. Le disque rayé grinçait et émettait des sons discordants qui écorchaient nos oreilles.

A qui je vais pleurer ? A qui je vais raconter ? Ô mon Dieu ! Uniquement à Toi, Eternel notre Dieu ! Nostalgie, enfance marrakchie. Maman. Une page fermée. Une lumière éteinte. Une tendresse disparue. Que je ne retrouverai plus jamais. L’attente a été longue, comme la séparation. Une vie à l’intersection du passé et du présent. Une vie entre parenthèses.  Avec mon sang et mes larmes. Katabha Zamane.

La séparation a été rapide et irrémédiable, tandis que je me suis égaré dans les métropoles européennes pour apprendre une culture et assimiler une civilisation autres que celles qui m’ont bercé dans mon berceau, dans le giron maternel et le bercail paternel.

Ô monde ! Même par le sang de mon corps et les larmes de mes yeux, ainsi que le chante avec gémissement Farid El Atrache dans ses chansons, je ne peux exposer ce que furent mes années de bonheur dans cette grande et spacieuse maison, Dar Ben-Sassi, dans cette rue Corcos, Derb Tajer, dans le tiède cocon de mon Mellah de Marrakech. Nous étions alors tous rassemblés, kouna mezmou’in, comme le chante dans son Matrouz l’ami Simon Elbaz,  artiste de grand talent. Nous ignorions ce que l’avenir et son traître de sort  allait nous réserver. Il nous a dispersés et éparpillés aux quatre coins du monde, continuellement écartelés entre le passé et le présent. Nous n’avons pas grandi ensemble : membres de la famille, voisins, amis de classe et de football, scouts et mouvements de jeunesse. Notre enfance, notre adolescence, ont été coupées comme  une rose pour être mise dans un vase. Le parfum de notre jeunesse n’a pas eu le temps d’éclore et de s’épanouir. Séparés, chacun de nous vit sa vie. Et nous nous accrochons pour le restant de notre vie à cette poignée d’années passées sur un banc de classe, à ces rires d’enfants qui jouaient innocemment insouciants, sans rien connaître de ce qui se passe ailleurs. Notre monde à nous se résumait à nos rues, à nos souks, à nos aires de jeux. Nous inventions des jouets, des jeux, des loisirs et des passe-temps. Nous n’avions pas connu l’isolement et la solitude, ce que nous ignorions totalement. La joie était partout nonobstant des moments difficiles. Groupés ensemble, nous étions forts de notre union, de notre amitié et de notre enthousiasme. Certains d’entre nous, des boute-en-train,  nous distrayaient par leurs blagues et leurs farces. Les lettres, remplacées depuis quelques années par des mails, que nous  échangions entre nous, par delà les mers, les montagnes et les continents, évoquent notre passé que nous souhaitons ardemment maintenir vivace. Ce passé commun finira par s’éteindre après notre disparition. Puissions-nous nous revoir avant de partir comme nos grands-parents, nos parents, nos voisins, nos instituteurs et nos rabbins ? Nous le souhaitons ardemment.

Ma mère, la bienfaitrice Fulgurances colorées-Joseph DADIA

Le passé se fond dans le présent, et il nous aide à vivre le futur.  Au fond, ce passé ne se réfère pas à une chronologie en rapport avec l’histoire et la géographie. Tout est intimement lié. Parler au passé ou du passé, c’est mourir un peu. Si nous nous collons à notre passé   et nous le retenons, c’est pour adoucir la séparation. Il ne sert à rien de se lamenter ou de se révolter. Nous ne faisons que réduire les distances et cela adoucit nos rêves.

A qui je vais me plaindre et pourra-t-on me comprendre ? A qui je vais raconter ma vie et saura-t-on me consoler ? Notre D…ieu a voulu cela  et Lui seul pourra me réconforter. A D…ieu seul, je me confierai et Il me soutiendra.

Les souvenirs sont nombreux et nul ne peut les dénombrer. Les souvenirs ne sont pas une formule mathématique que l’on peut déchiffrer, analyser et formuler en théorèmes. Peut-on défeuiller nos souvenirs comme on effeuille les pétales des marguerites ? Ces chères marguerites, au parfum entêtant, trônaient  les soirs de Pessah à Marrakech sur notre table bien dressée, éclairée par quatre majestueux candélabres en cuivre authentique, placés chacun à un coin de la table. Tout brillait ce soir-là. Tout sentait la  fragrance de Pessah, dans les maisons, dans les rues, et dans les échoppes du mellah où l’on vendait l’huile Lesieur, huile que je ne voyais qu’à l’approche de Pessah. Pour moi, l’huile dans les bouteilles portant l’étiquette Lesieur annonçait la fête.

Inoubliables marguerites, toujours présentes dans ma mémoire, mais introuvables dans cette campagne morbihannaise où  j’habite définitivement avec mon épouse Martine depuis août 2001. Notre chaumière achetée en 1980 était notre résidence secondaire pour les petites et grandes vacances scolaires. Cette chaumière bretonne a été bâtie en 1777, date indiquée sur les vielles poutres qui soutiennent la toiture, et sur le chambranle de l’entrée du côté sud, côté petit jardin.

Nous disposons sur le côté nord, et au-delà, d’un jardin de plus de 4000 mètres carrés, plantés de fleurs, d’arbres d’ornement de collection et d’arbres fruitiers, encadré par des chênes séculaires, dans une zone semi-climatique, au cœur de la campagne, à quelques kilomètres de la Ria d’Etel, et à 25 kilomètres de Carnac, l’une  des plus plages sablonneuses de la Bretagne.

La soupe aux fèves fraîches n’avait le goût de paradis que les deux premiers soirs de Pessah. En dehors de ces deux soirs, la soupe aux fèves est toujours bonne à goûter, mais elle n’a plus le goût de paradis. Martine me fait cette soupe les deux premiers soirs de Pessah et j’y goûte le paradis.

Mon père, à Marrakech, présidait allègrement la cérémonie de Pessah. Il se levait et faisait tournoyer au-dessus de la tête de chacun de nous un vase rempli de marguerites, en chantonnant Bibhilo : « Cette année nous sommes ici, l’année prochaine à Jérusalem ». Bibhilo envahissait notre rue, notre maison, de partout montait Bibhilo. Tout le monde à table, assis ou debout, à l’étage, au rez-de-chaussée, Bibhilo.

« Jérusalem…Jérusalem…l’an prochain à Jérusalem ! ». C’est ça ou quelque chose de ce genre qu’enfant je scandais à tout rompre le premier jour de la fête de Pessah avec des voisins de mon âge, tous rassemblés en cercle au beau milieu de ce vaste patio de l’honorable demeure Dar Ben Sassi. Et nous récitions de mémoire de nombreux passages de la Haggada de Pessah.

Avec mon père, nous récitions le récit pascal, avec des passages en araméen  et des passages en judéo-arabe. Le benjamin de la famille posait les quatre questions rituelles. Puis défilent les quatre enfants, chacun avec son tempérament, son caractère, et sa question à laquelle il fallait répondre tout de suite : – Le sage, – l’impie, – le candide et le balbutieur. Les quatre coupes de vin à boire, et la coupe à remplir en l’honneur du Prophète Elie,  avec l’espoir de le voir arriver et nous annonçant l’arrivée du Messie.

Le chiffre quatre est dans nos têtes : quatre enfants,  quatre coupes. Il symbolise les quatre matriarches : Sarah, Rivqa, Rachel et Léa. Ce chiffre quatre revient comme un leitmotiv au cours de la soirée. Il veut nous rappeler les quatre façons  dont les Egyptiens ont asservi nos ancêtres. Il veut nous rappeler les quatre façons dont D.ieu  nous a délivrées.

Maman servait à table avec joie et sourire, décontractée et heureuse. C’est sa récompense après tout un mois de veilles, de tâches accomplies pour préparer la fête : récurer, badigeonner, remettre à neuf la maison.

Ce soir-là, le prophète Elie  nous rendait visite, comme à chaque année, sous les traits de l’oncle Mardochée Tuizer, l’un des frères de ma mère. Mais la coupe de vin remplie en l’honneur du Prophète restait toujours remplie.

Des années plus tard, mon fils aîné Olivier Ram chalita  avait l’habitude de se lever tôt le matin pour voir la coupe du Prophète Elie. Une année, regardant de près la coupe de vin remplie en l’honneur du Prophète, il se mit à crier tout joyeux, avec l’enthousiasme innocent de l’enfance : « Le Prophète Elie est passé  chez nous pendant que nous dormions ». Il est venu me tirer du lit, et je constatais que la coupe de vin n’était pas remplie complètement jusqu’au bord, d’une infime poignée de millimètres. Une année, ici à la campagne, pendant que je lisais la deuxième partie de la Hagada, j’entendis un bruit. Une fois terminé le récit pascal, je lève mes yeux et je vois que l’une des fenêtres de la salle à manger, qui donne sur le petit jardin, côté sud, était ouverte. Je me suis dit : Cette fenêtre est toujours fermée et elle n’a pas été ouverte depuis de nombreuses années, compte tenu des bibelots qui ornent son rebord. Pour moi, et j’y crois fermement, c’est le prophète Elie qui l’a ouverte.

Olivier Ram a tout oublié  et il ne fête plus Pessah et ne remplit aucune coupe de vin en l’honneur du Prophète Elie. Il ne reconnaît plus  cette fête comme du reste tout ce qui concerne le Judaïsme. Il a suivi pourtant le cycle normal des Etudes juives, tant à la maison qu’au Talmud Tora. Il a fait sa Bar-mitsva au Mur des Lamentations à Jérusalem en présence d’un rabbin cabaliste, cérémonie précédée la veille d’un Daroush, véritable acte de foi.

En cette année 2018, les 30 et 31 avril, Olivier-Ram est venu de Paris se joindre à nous pour célébrer le Seder de Pessah. Quelle joie de le voir participer et de parler longuement du prophète Elie. Je lui ai fait découvrir Babli Haguiga. Il est parti avec un exemplaire pour l’étudier chez lui.

La fête de Pessah, comme les autres fêtes juives, ont rythmé  son enfance et son adolescence. Il suffit de le voir sur des photos ou sur un film sur Pessah réalisé à la demande de David Zrihen par l’Institut National de l’Audiovisuel. Son frère Samuel, après de belles années de pratique juive, a lui aussi tout rejeté. La fête de Pâque avait sa préférence. Il m’aidait à dresser la table, à sortir les livres illustrés de Pessah écrits en hébreu, en français, en anglais, et en judéo-arabe. Vivre dans un environnement non-juif fait que le juif, issu d’une famille  traditionnaliste, finit à son corps défendant par céder à la sirène des Gentils, allant jusqu’à trouver la pratique de son culte surannée. Ce que mes deux garçons ont gardé intact en eux, c’est leur identité juive qu’ils défendront bec et ongles contre quiconque qui tente de la leur contester, comme ils se battront au besoin par les poings contre les antisémites et les anti-Israël de tous poils. C’est très important de le  souligner. Ils restent fiers  de leur judéité et de leurs ancêtres juifs. C’est important de le redire. Mais est-ce suffisant ? Le Judaïsme n’est pas seulement une idée, une philosophie, mais il est surtout une pratique, une voie à suivre. Des actes positifs à faire et des actes négatifs à ne pas faire. Au Mont Sinaï, nos ancêtres libérés de l’esclavage des Pharaons,  ont déclaré à Moïse : « Nous ferons et nous écouterons ». A l’avance ils ont exprimé leur intention de faire, c’est-à-dire d’accomplir les commandements de la Tora, avant même d’entendre ce que Yahvé allait leur dire. Sublime d’apprendre qu’ils voyaient avec leurs yeux ce que leurs oreilles entendaient et qu’ils entendaient avec leurs yeux ce que leurs oreilles voyaient. La moindre des servantes a vu sur la Mer des Joncs dite Mer Rouge ce que le prophète Ezéchiel Ben Bouzi Hacohen n’a pas vu dans ses prophéties. Tout sentait bon dans le monde ce jour-là. Les malades, les infirmes et les aveugles ont guéri. Et la paix régnait sur tout. Plus de haine, plus de guerre.

En général, l’homme écoute d’abord avant de passer à l’action. Nos Sages nous enseignent  que la pratique des commandements divins est primordiale par rapport à la théorie. Ce qu’il faut savoir et surtout retenir c’est que la Tora a été donnée à ceux qui sont convaincus de son enseignement et non pas pour convaincre ceux qui ne le sont pas.

אמי המחוננת

נדבנית ונדיבת-לב

Ma mère, la bienfaitrice Fulgurances colorées-Joseph DADIA

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