pogrom-fes-tritel


Pogrom de Fes-tritel-P.B.Fenton

Epouvantés par les atrocités déjà commises, traqués et poursuivis, ils se mirent à fuir, les uns en direction du cimetière, comme le rabbin Joseph Ben Naïm et son maître le rabbin Juda Serero, complètement dévêtus, pour implorer les morts, les autres en direction du quartier excentré de Nowâwel, d'autres en direction de la Kachla de Jebala, tandis que d'autres encore trouvèrent refuge dans des maisons musulmanes avoisinantes. «Par bonheur, rappelle Hubert-Jacques, une porte nouvelle avait été récemment ouverte dans le mur d'enceinte, permettant de communiquer directement avec la route de Dâr Debibagh. C'est par cette issue que presque tous réussirent à fuir pendant que les envahisseurs s'attardaient à piller» . En fin de compte la présence de cet accès ouvert par les Français se révéla providentielle, mais selon le récit du rabbin Aben Danan, les Juifs crurent un moment qu'ils allaient être pris au piège par l'invasion du mellâh par les Arabes à travers cette ouverture restée sans porte .

Quelle course affolée! En l'espace de quelques heures toute la ville juive, naguère grouillante de vie, fut vidée de ses 12 000 âmes, fuyant la destruction et la dévastation. La mise en fuite dans de telles conditions d'une population juive aussi nombreuse nous semble par son ampleur, un cas unique dans toute l'histoire des Juifs en terre d'Islam.

Les rescapés s'enfuirent par la voie Bû 1-Khusaysât qui longeait le mur du jardin royal, pour se heurter vainement contre les portes du palais chérifien.

Bû l-khusaysât «Rue des petits bassins», en référence aux bassins qui se trouvaient dans la ménagerie du palais. Cf. Dozy, Supplément aux dictionnaires arabes, I, Paris, 1927, p. 370.

 Massés pendant des heures dans une cohue indescriptible, les Juifs parlementaient avec les portiers, implorant la protection du sultan. Selon un Arabe proche du sultan, celui-ci, observant d'une terrasse du méchonar de son palais le spectacle de la mise à sac du mellâh aurait été ému aux larmes.

Le rabbin Salomon fils de Saul Aben Danan jadis juge rabbinique à Rabat, me confia que selon la tradition familiale il s'agissait de «larmes de crocodile»!

 Cependant, ce n'est que tardivement, vers le soir, qu'il donna l'ordre d'ouvrir l'une des portes de Dâr al-Makhzan et envoya un crieur public pour offrir aux fugitifs l'asile dans l'enceinte du palais. Selon le rabbin Aben Danan et des témoignages oraux c'est contre une grosse somme d'argent versée au portier arabe que les Juifs avaient obtenu l'ouverture d'une étroite cour .

Le palais du sultan, couvrant un espace de 200 hectares, comprenait à l'époque plusieurs bâtiments et meshwâr-s (cours), une madrasa marinide construite en 1320, surmontée d'un minaret, une cour de réception (dâr 'ayâd al-kabfra) dotée d'une qubba élégante soutenue par des colonnes, des larges places d'armes, des prisons, un bassin rectangulaire, une ménagerie, et des spacieux jardins.

Dès lors, les rescapés, dispersés dans diverses parties du mellâh, se dirigèrent vers le palais. Plusieurs milliers de Juifs se réfugièrent ce soir-là dans cette cour étroite. Pour ajouter à leur infortune, un orage éclata et une forte pluie se mit à tomber. Trempés, blessés et affamés, ils n'avaient rien mangé depuis le mercredi matin.

Le vendredi matin 19 avril, l'armée française stationnée à Dâr Debibagh, commença à canonner la ville, semant la terreur parmi la population arabe de Fès al-Bali et Fès al-Jadîd, et faisant parmi elle de nombreuses victimes.

Quelques maisons furent atteintes et le minaret de la mosquée Hamra à Fès al-Jadîd, ainsi que la tour de Bâb Jiaf où s'étaient installés des francs-tireurs maures, s'écroulèrent. Sur les toits se hérissèrent de petits drapeaux tricolores naïfs afin de détourner les tirs des canons français

«Porte des charognes», où l'on déposait des immondices. Située au Sud de la ville, elle ouvre sur un couloir qui mène à la porte du mellâh. Cf. LeTourneau, Fès, p. 101.

Dans l'après-midi du vendredi 19 un bataillon de renforts arriva de Meknès à marche forcée, ayant couvert 65 kilomètres en une étape. Ce contingent de tirailleurs de la Légion étrangère maîtrisa la situation en ville au prix d'une guérilla de ruelles acharnée. Mais au mellâh le pillage continuait.

Peut-être pour faire fuir les révoltés, certains des obus lancés du Dâr Debibagh tombèrent également sur le mellâh entraînant la destruction d'une partie de ce dernier. D'autres tombèrent aussi sur le cimetière juif faisant des victimes, dit-on, parmi les gens qui s'y étaient réfugiés. Des personnalités musulmanes de la cité demandèrent à M. Regnault, ministre délégué, d'arrêter la canonnade. Celui-ci répondit que c'était en représailles à l'assassinat des soldats français. Suite aux pourparlers la canonnade cessa. Le pillage du mellâh cessa également.

Les rescapés continuèrent à arriver au palais et le sultan fit chercher le reste des Juifs éparpillés dans le cimetière et les champs pour les recueillir au palais. Entassés le premier jour dans un parvis étroit, ils furent autorisés à occuper des vastes cours intérieures du palais et la ménagerie où les cages vides servirent d'abri aux plus fortunés. C'est du palais qu'Elmaleh put envoyer une première dépêche:

Mellah pillé durant trois jours. Ruine complète irréparable. Nombreux morts blessés. Population Juive recueillie par sultan au Palais. Remerciez télégraphiquement Sultan. Envoyez secours d'urgence — Elmaleh.

Le vendredi vers le soir, le sultan Mawlây al-Hâfid fit parvenir aux Juifs qui n'avaient pas mangé depuis l'avant-veille, du pain et des olives noires, ordonnant d'ouvrir et de distribuer les caisses de vivres qu'il comptait utiliser pour son prochain voyage. Seuls les hommes valides eurent la force d'aller prendre les rations d'un quart de pain et les donnèrent aux enfants. La faim des 12 000 malheureux put être ainsi apaisée une soirée; mais la grosse question de la nourriture d'un nombre aussi considérable de personnes restait entière pour les jours suivants.

Le samedi 20 avril, M. Regnault accompagné de ses conseillers fit une visite aux rescapés réfugiés dans la ménagerie du sultan et leur adressa des paroles de réconfort. Certains tombaient d'inanition sans qu'il fut possible de leur venir en aide; toute distribution d'argent était inutile, toutes les réserves de la ville étant épuisées. L'autorité militaire française prit en hâte les premières mesures propres à améliorer la situation pitoyable en faisant distribuer mille petits pains arabes, tandis que le consul d'Angleterre en distribua douze cents. Regnault sollicita une audience auprès du sultan dont il obtint un dâhir (décret) impérial nommant une Commission de Secours et d'Hygiène au mellâh de Fès, présidée par Sidi Muhammad Tâzi, ministre des travaux publics.

La commission prit des mesures urgentes afin de parer au plus vite aux besoins impérieux de la population réfugiée au palais. Les grands blessés furent évacués vers l'hôpital civil du Docteur Murât, tandis que d'autres furent recueillis par le consul britannique Macleod, le Docteur Verdon et des dames de la mission protestante qui les soignèrent dans une ambulance qu'elles avaient organisée. Le Dr Verdon décrit les blessures atroces subies par les victimes, dont une s'est suicidée . L'état d'épuisement psychique et physique des sinistrés ainsi que le manque de salubrité faisaient craindre l'éclosion d'épidémies. Un service d'hygiène fut créé pour procéder au nettoyage quotidien des lieux et veiller à sa propreté. Il comprenait treize membres, dont des fonctionnaires marocains, — le tâlebMuhammad Al- Mahdi al-Bannânî — et français — le vice-consul Mercier, le capitaine de génie Normand, des médecins, Weisgerber, Clunet, Raulet-Lapointe, Farhat, Broïdo et Many — ainsi que des ingénieurs français, l'architecte Tranchant de Lunel. Du côté juif, il y avait le grand rabbin Vidal Ha-Sarfati, le rabbin Salomon Aben Danan, le cheikh al-yahûd (responsable administratif de la communauté juive) et Amram Elmaleh. Un peu plus tard, la commission fut remaniée et Macleod, consul d'Angleterre ainsi que les docteurs Murât et Verdón, les pharmaciens Soudan et Meynadier, en firent partie.

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